Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

Voir tous les articles
Les effets néfastes des emballages alimentaires

En bref

  • Les emballages alimentaires contiennent un grand nombre de composés chimiques qui entrent en contact avec les aliments.
  • Les études indiquent que des milliers d’entre eux peuvent migrer dans la nourriture et provoquer des effets toxiques indésirables, notamment la perturbation des systèmes endocriniens.
  • Les aliments ultratransformés semblent particulièrement susceptibles à cette contamination en raison des contacts prolongés des emballages avec ces aliments.

Les systèmes alimentaires modernes permettent de produire une abondance de nourriture, souvent à prix abordable, et accessible à un très grand nombre de personnes à l’échelle de la planète.  Ce succès repose en majeure partie sur les avancées de la chimie moderne : d’une part, les engrais azotés artificiels et les pesticides ont permis d’augmenter considérablement les rendements de la production agricole; d’autre part, la conservation des aliments périssables s’est améliorée grâce aux additifs alimentaires et aux emballages (plastiques, métal, silicone, papier, carton, etc.) qui les protègent de la contamination microbienne et permettent de les distribuer sur de longues distances. 

Cette industrialisation de la chaîne de production alimentaire a cependant plusieurs conséquences fâcheuses en termes environnementaux. Outre son impact important sur l’émission de gaz à effet de serre (en particulier en ce qui concerne l’élevage) et la pollution de l’air et des sols (voir notre article à ce sujet), l’utilisation d’un très grand nombre de composés chimiques pour la production de nourriture hausse considérablement le risque de contamination des aliments. Les consommateurs, incluant les enfants, peuvent donc être exposés à plusieurs molécules synthétiques ayant des effets toxiques documentés, en particulier les pesticides, les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), les phtalates et les microplastiques.

Emballages chimiques

Une source importante de contamination, encore relativement peu connue du grand public, provient des composés chimiques qui entrent directement en contact avec la nourriture (en anglais « food contact chemicals » ou FCCs). Les FFCs sont présents à différentes étapes de la chaîne de production alimentaire (par exemple dans les équipements utilisés pour la fabrication, l’entreposage et le transport des aliments), mais ce sont surtout ceux présents dans les matériaux servant à l’emballage des aliments qui ont reçu une attention particulière au cours des dernières années.

Une synthèse récente des études réalisées jusqu’à présent sur ce sujet permet de visualiser l’ampleur de cette contamination. Les analyses montrent en effet que plus de 12 000 composés chimiques différents sont utilisés intentionnellement pour la confection des matériaux en contact avec les aliments et qu’au moins 2 800 d’entre eux peuvent migrer dans la nourriture. Selon les experts, le potentiel de contamination est même beaucoup plus élevé, car on estime qu’en raison d’impuretés, de réactions chimiques croisées et de produits de dégradation, plus de 100 000 composés distincts peuvent être formés de façon non intentionnelle lors de la fabrication des matériaux (Figure 1). Dans plusieurs cas, la nature et la quantité de ces composés chimiques sont inconnues et leur présence dans les aliments risque donc d’échapper aux analyses toxicologiques.

Figure 1.  Contamination des produits alimentaires par les composés chimiques qui entrent en contact avec la nourriture.  On estime qu’il y a environ 12,000 composés chimiques distincts qui sont utilisés intentionnellement aux divers stades de la chaîne de production des produits alimentaires mis à notre disposition (fabrication, transport, emballage). Le nombre potentiel de contaminants pouvant migrer dans les aliments est cependant beaucoup plus élevé, en raison d’impuretés, de réactions chimiques croisées et de produits de dégradation associés aux composés utilisés. Dans plusieurs cas, la quantité et la nature de ces contaminants sont encore inconnues. Adapté de Muncke et coll. (2023)

À ce sujet, il faut aussi mentionner que nous sommes actuellement très en retard dans l’évaluation des risques associés aux FCCs.  Contrairement aux quelque 1000 pesticides qui peuvent potentiellement contaminer la nourriture et qui sont mesurés en routine (ce qui assure que leur présence dans certains autres est en deçà des seuils toxiques), il n’y a pas de méthodes d’analyses établies pour plusieurs FCCs connus, ni évidemment pour ceux qui sont formés de façon involontaire lors de la fabrication des matériaux d’emballage et dont on ignore la nature.  Ceci est d’autant plus problématique qu’il est estimé que la quantité de FCCs dans les aliments est au moins 100 fois plus grande que celle des pesticides.

Deux autres points soulèvent aussi des doutes sur notre approche d’évaluation du potentiel toxique des FCCs : 1) L’analyse est souvent restreinte à leur potentiel génotoxique (cancérigène), alors qu’on sait maintenant que ces molécules peuvent avoir des effets négatifs additionnels, non liés au cancer, comme la perturbation des systèmes endocriniens (voir la section suivante); 2)  Les évaluations sont généralement effectuées uniquement sur des molécules individuelles, alors que pour la plupart des matériaux, des mélanges de dizaines à des milliers de FCC peuvent migrer simultanément dans les denrées alimentaires.  Même si chaque molécule est présente à des niveaux non toxiques, il est bien documenté qu’il peut y avoir ce qu’on appelle un « effet de mélange », c’est-à-dire que c’est l’effet additif des différents contaminants qui peut s’avérer problématique (Figure 2).

En somme, il est probable que nous sous-estimons grandement le degré de contamination de nos aliments par les composés chimiques qui entrent en contact avec notre nourriture et les risques pour la santé qui en découlent. Cette zone grise semble particulièrement préoccupante en ce qui concerne les plastiques, une des principales sources de composés potentiellement toxiques qui entrent en contact avec les aliments de notre quotidien.

Figure 2. Le concept d’effet de mélange.  Même si l’effet de différents composés chimiques pris individuellement est en deçà des seuils de toxicité, leur présence simultanée dans un mélange peut avoir un effet additif et s’avérer néfaste. Adapté de Kortenkamp et Faust (2018)

Plastiques et plastifiants 

Le plastique est devenu un matériau indispensable à la fabrication des objets que nous utilisons quotidiennement, si bien que la production annuelle de plastique pourrait atteindre un milliard de tonnes en 2050, soit presque 1000 fois plus qu’un siècle plus tôt.  Malgré son utilité, le plastique a l’énorme défaut de s’accumuler dans l’environnement : on estime que pas moins de  7 milliards de tonnes de déchets plastiques se sont accumulées depuis 1950 et la fragmentation et l’érosion de ces déchets génèrent de minuscules particules appelées microplastiques (moins de 5 mm de diamètre) et nanoplastiques (moins de 1 μm de diamètre). Ces microplastiques peuvent pénétrer dans le corps humain et favoriser le développement de pathologies, comme en témoignent des études récentes qui ont rapporté un lien entre la présence de ces particules et le risque d’accidents cardiovasculaires et de la maladie d’Alzheimer.  

Des recherches récentes montrent que ce n’est pas seulement la dégradation environnementale des plastiques qui conduit à la contamination des aliments par les microplastiques et les nanoplastiques; on a aussi montré que l’utilisation normale des matériaux en plastique en contact avec les aliments ou les breuvages conduit également à la migration de ces contaminants dans les aliments

Les bisphénols et les phtalates sont sans doute les FCCs dont les effets ont été jusqu’ici les mieux caractérisés. Ces deux classes de composés chimiques sont des plastifiants, c’est-à-dire des molécules qui entrent dans la composition des plastiques pour modifier leurs propriétés, par exemple les rendre plus flexibles et malléables (les phtalates des polystyrènes, par exemple) ou rigides (les bisphénols des polycarbonates et résines d’époxy, par exemple). Un point commun à ces plastifiants est d’être des perturbateurs endocriniens (PE), c’est-à-dire  d’interférer avec les fonctions des organes et/ou hormones impliqués dans les processus physiologiques qui dépendent des signaux hormonaux (développement corporel, métabolisme et reproduction, entre autres). 

Sans entrer trop en détail dans les analyses toxicologiques qui ont été réalisées au fil des années sur ces substances, mentionnons néanmoins que la liste des impacts négatifs qui leur sont associés est longue : le bisphénol A a été associé à une diminution de la distance anoclitorale chez les nourrissons, au diabète de type 2 (DT2) chez les adultes, à une résistance à l’insuline chez les enfants et les adultes, au syndrome des ovaires polykystiques, à l’obésité et à l’hypertension chez les enfants et les adultes, ainsi qu’aux maladies cardiovasculaires (MCV). Les phtalates, quant à eux, ont été associés à une fausse couche spontanée, à une diminution de la distance anogénitale chez les garçons, à une résistance à l’insuline chez les enfants et les adultes, à une puberté précoce chez les filles, à une diminution de la qualité du sperme, à un développement cognitif défavorable et à une diminution du quotient intellectuel (QI).

Le Canada demeure beaucoup plus permissif que les Européens quant à l’usage des phtalates dans les emballages et cosmétiques, si bien que la totalité des Canadiens âgés de 6-79 ans ont des taux détectables de phtalates dans l’urine. Pour ce qui est du BPA, ses effets toxiques bien documentés ont catalysé le développement de composés alternatifs, de structures similaires, comme les bisphénols S et F. Bien que les taux urinaires de BPA ont diminué d’environ 50 % entre 2007 et 2019, plusieurs études suggèrent que le BPS peut migrer dans la nourriture et pourrait donc lui aussi perturber les systèmes endocriniens et avoir des effets négatifs similaires au BPA

FCCs et aliments ultratransformés

Au cours des dernières années, plusieurs études ont établi une relation entre la consommation d’aliments ultratransformés et l’obésité, les maladies cardiométaboliques, certains troubles mentaux et la mortalité prématurée.  Comme nous l’avons mentionné auparavant, ces impacts négatifs sont au moins en partie liés à une hausse significative de l’apport calorique qui mène à un gain de poids chez les personnes qui consomment régulièrement ces aliments ainsi qu’à la présence d’additifs alimentaires comme les émulsifiants qui créent des conditions inflammatoires chroniques propices au développement de l’ensemble des maladies.

Une autre caractéristique commune à la plupart des aliments industriels est d’être préemballés pour augmenter leur durée de conservation.  La nourriture peut donc être en contact pendant plusieurs semaines, mois, et même parfois plusieurs années avec les composés chimiques présents dans leur emballage, ce qui augmente évidemment les probabilités de contamination.   Plusieurs d’entre eux (les plats préparés dans des barquettes en plastique allant au micro-ondes, par exemple ) sont même chauffés directement dans leur emballage, ce qui favorise la migration des FCC dans les aliments (loi d’Arrhénius). En ce sens, il faut noter que certaines études ont rapporté qu’une consommation accrue d’aliments ultratransformés était associée à des niveaux urinaires plus élevés de FCCs comme les phtalates et les bisphénols. Il faut aussi mentionner que la hausse du risque d’obésité et de maladies cardiométaboliques observée dans les études épidémiologiques chez les plus grands consommateurs d’aliments ultratransformés sont également  des conséquences reconnues d’une exposition chronique à certains FCCs, comme le di(2-éthylhexyl) phtalate (DEHP, un des phtalates les plus répandus) et le BPA. Il est aussi bien documenté qu’une autre classe de FCCs présents dans les emballages d’aliments de restauration rapide, les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), peuvent migrer dans la nourriture, particulièrement lorsque cette dernière contient beaucoup de gras et de sel.  Il est donc possible que la migration de l’ensemble de ces composés dans les aliments ultratransformés puisse contribuer à leurs impacts négatifs sur la santé

Au moins deux actions concrètes peuvent néanmoins minimiser l’ingestion de ces composés potentiellement toxiques provenant des emballages alimentaires. La première est d’éviter autant que possible de réchauffer les aliments présents dans des contenants de plastiques et de plutôt privilégier des matériaux comme le verre.  L’utilisation d’instruments de cuisson en bois ou métal plutôt que des spatules de plastique semble également préférable, car ces instruments peuvent contenir des toxiques comme les retardateurs de flamme bromés provenant de déchets plastiques recyclés.

La deuxième façon est évidemment de réduire au minimum la consommation d’aliments ultratransformés, qui sont les produits qui semblent contenir les plus grandes quantités de FCCs. Ces aliments présentent également un profil nutritionnel généralement plus pauvre (densité énergétique élevée, quantités importantes de matières grasses, de sucre et de sel) et remplacent des aliments nutritionnellement sains et peu transformés riches en vitamines, minéraux et fibres indispensables à la prévention de l’ensemble des maladies chroniques. 

Partagez cet article :