Dr Louis Bherer, Ph. D., Neuropsychologue

Professeur titulaire, Département de Médecine, Université de Montréal, Directeur adjoint scientifique à la direction de la prévention, chercheur et Directeur du Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal.

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8 Décembre 2025
Prévenir la maladie d’Alzheimer en marchant ?

En bref

  • En vieillissant, le cerveau accumule progressivement des agrégats de protéines (plaques amyloïdes et enchevêtrements fibrillaires tau) qui peuvent entrainer la mort des neurones et une diminution des fonctions cognitives.
  • Une étude réalisée auprès de personnes âgées de 72 ans rapporte qu’une activité physique régulière freine le développement des enchevêtrements tau et ralentit la progression du déclin cognitif au cours des dix années suivantes.  
  • Ces bénéfices sont observés pour des niveaux d’activité physique relativement modeste, aux environs de 5000 – 7000 pas par jour.

Au cours du vieillissement, les neurones du cerveau subissent plusieurs modifications qui augmentent considérablement le risque d’altération des fonctions cognitives et qui, dans les cas les plus graves, peuvent mener au développement de maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer.  Deux principales anomalies touchant des cellules nerveuses semblent étroitement liées aux dysfonctionnements du cerveau et sont considérées comme des marqueurs du développement de ces pathologies :1) les plaques amyloïdes, qui sont des agrégats insolubles localisés à l’extérieur des neurones et 2) les enchevêtrements neurofibrillaires contenant une forme modifiée (hyperphosphorylée) de la protéine tau, qui s’agrègent à l’intérieur des neurones (Figure 1).

 
Figure 1. Représentation schématique d’un cerveau sain et d’un cerveau atteint de la maladie d’Alzheimer. Comparé au cerveau sain (A), le cerveau atteint de la maladie d’Alzheimer (B) présente une atrophie du cortex cérébral, une réduction du volume de l’hippocampe (le centre de la mémoire) et une dilatation des ventricules à mesure que la maladie progresse. Cette diminution du volume cérébral est une conséquence de la destruction des neurones (neurodégénérescence) causée par l’accumulation de deux grands types d’amas de protéines, soit les plaques amyloïdes bêta (Aβ), localisées à l’extérieur des neurones, et les enchevêtrements neurofibrillaires de protéine tau, à l’intérieur des cellules.  Ces deux anomalies, typiques de la maladie d’Alzheimer, peuvent être détectées à l’aide de certaines techniques, par exemple la tomographie par émission de positrons (PET scan), et ainsi permettre d’évaluer la progression de la maladie. Figure adaptée de Neurotorium.org.

Ces structures sont très toxiques et provoquent avec le temps une perturbation du signal nerveux, la mort des cellules neuronales et une réduction importante de la masse du tissu cérébral. Comparativement à un cerveau sain, le cerveau d’une personne touchée par la maladie d’Alzheimer occupe en effet un volume plus restreint du fait de la perte importante de tissu cérébral à la périphérie (cortex) et au niveau de l’hippocampe (le centre de la mémoire), accompagnée d’un élargissement des ventricules pour compenser cette perte de masse cérébrale. Bien que les niveaux des deux types de dépôts (amyloïdes et tau) soient généralement corrélés avec la progression de la neurodégénérescence, il semble que c’est surtout la quantité de protéines tau anormales qui soit le plus étroitement liée à la sévérité des symptômes de ces maladies

Cascade d’événements

Comme c’est le cas pour l’ensemble des maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, diabète de type 2, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), etc.), le diagnostic clinique d’un déclin cognitif ou d’une neurodégénérescence de type Alzheimer est le point culminant d’un long processus, au cours duquel les plaques amyloïdes et les enchevêtrements fibrillaires tau se sont progressivement accumulés, sans provoquer de symptômes apparents, jusqu’à atteindre un certain stade où ces anomalies commencent à affecter le fonctionnement normal du cerveau (Figure 2). 

Figure 2 . Modèle proposé de l’évolution de différents biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer au cours de la progression de la maladie. Dans ce modèle, les modifications de l’amyloïde β (rouge) précèdent l’augmentation des agrégats de protéine tau anormale (bleu). La hausse des deux types d’amas de protéines insolubles serait responsable d’une atrophie cérébrale, visible par résonance magnétique (jaune), suivie d’un léger déclin des fonctions cognitives (violet) quelques années plus tard. Ce déclin cognitif peut par la suite évoluer en atteintes cliniques plus graves et à une progression vers la démence (vert).  Adapté de Counts et coll. (2016).

Le début de cette séquence d’événements survient beaucoup plus tôt qu’on pourrait le penser : par exemple, une étude récente a révélé que les niveaux de plaques amyloïdes et de protéines tau commençaient à être anormalement élevés dès 18 et 11 ans, respectivement, avant les signes cliniques de démence, suivis par les altérations à la structure du cerveau (8 ans) et le début du déclin des fonctions cognitives (6 ans) avant le diagnostic (Figure 3).  Cette longue latence entre l’apparition initiale de ces différentes anomalies et le développement de problèmes cognitifs à des âges plus avancés est très intéressante, car elle suggère qu’il serait possible de prévenir, ou à tout le moins retarder significativement le déclin cognitif en freinant la progression de la cascade d’événements qui mène à la neurodégénérescence.

 
Figure 3.  Évolution des différents biomarqueurs dans les 20 années précédant le diagnostic de la maladie d’Alzheimer. La trajectoire des marqueurs est illustrée à partir du moment où une anomalie commence à être détectable (-1,0) jusqu’à son maximum (1,0), c’est-à-dire lors du diagnostic clinique de la maladie. Il est proposé que cette séquence d’événements reflète une évolution en cascade de la maladie d’Alzheimer, qui débuterait plusieurs années avant le diagnostic avec l’accumulation de plaques amyloïdes (rouge, -18 ans), suivie de la formation d’enchevêtrements de protéines tau (bleu, -11 ans), de la mort des neurones (vert, – 8 ans) et de la perte graduelle des fonctions cognitives (violet, – 6 ans). Adapté de Jia et coll. (2024).
 

L’importance des habitudes de vie

Et ces moyens existent : comme nous l’avons récemment mentionné, la recherche des dernières années suggère qu’environ la moitié des troubles cognitifs et démences qui touchent la population âgée sont liés à un certain nombre de facteurs du mode de vie et pourraient donc être prévenus.  

Parmi ces facteurs, un très grand nombre d’études suggèrent que l’activité physique régulière représente un des plus importants facteurs du mode de vie susceptibles de retarder, voire de prévenir, l’apparition de la démence, en particulier lorsqu’elle est pratiquée à partir de l’âge mûr (45 ans et plus).  Cette réduction du risque chez les personnes plus actives physiquement pourrait s’expliquer par plusieurs mécanismes, notamment l’effet positif de l’exercice sur la santé cardiovasculaire et métabolique, la formation d’une réserve cognitive (qui compense la perte de neurones touchés par les dommages caractéristiques des démences) ainsi qu’une diminution des niveaux de protéines tau anormales, responsables de la formation des enchevêtrements fibrillaires toxiques pour les neurones (voir Figure 1).

Marcher pour freiner la neurodégénérescence

En effet, les résultats d’une étude récente suggèrent que cette réduction des dépôts de protéines tau pourrait jouer un rôle particulièrement important dans les effets protecteurs de l’exercice sur les fonctions cognitives.  Dans cette étude, les chercheurs ont recruté 296 personnes (72 ans en moyenne) en bonne santé cognitive et ont mesuré de façon objective leur niveau d’activité physique à l’aide d’un podomètre.  En parallèle, les niveaux de plaques amyloïdes et d’enchevêtrement fibrillaires de protéines tau dans le cerveau des participants ont été mesurés au début de l’étude à l’aide de tomographie par émission de positrons (PET scans), et leurs capacités cognitives ont été évaluées à l’aide de tests standardisés (voir la légende de la figure 4). Ces différents paramètres ont été mesurés à intervalles réguliers pendant un suivi d’environ 10 ans, de façon à évaluer l’influence du niveau d’activité physique sur leur évolution au cours du vieillissement normal. 

La composition de la cohorte de participants reflète bien celle de la population en général, c’est-à-dire qu’elle comprenait une proportion significative (environ le tiers) de personnes ayant au départ une charge élevée en plaques amyloïdes. Cette distinction est importante, car ces personnes sont à plus haut risque de développer un déclin cognitif et sont par conséquent les plus susceptibles de bénéficier d’interventions capables de freiner leur progression.

Les chercheurs ont observé que le niveau d’activité n’influence pas l’accumulation de plaques amyloïdes au cours du vieillissement, quel que soit leur niveau au départ  (Fig. 4A), ce qui confirme certaines observations antérieures (voir ici, par exemple). Par contre, chez les participants à haut risque de problèmes cognitifs en raison d’une charge amyloïde élevée, l’exercice a un effet marqué sur l’évolution des autres marqueurs de neurodégénérescences et sur la préservation des fonctions cognitives (Fig.  4B-D).  Chez ces personnes, on note par exemple une réduction importante de l’accumulation des agrégats de la protéine tau comparativement aux personnes moins actives (Fig. 1B), une diminution moins marquée de la performance cognitive (Fig. 1C) et une réduction de la sévérité du déclin cognitif (Fig. 1D). Selon les modélisations statistiques réalisées par les auteurs, il existe un lien direct entre ces phénomènes, c’est-à-dire que c’est la réduction de l’accumulation de tau par l’activité physique régulière qui serait responsable de l’amélioration des fonctions cognitives et du ralentissement de la sévérité du déclin cognitif.

Figure 4. Associations entre le niveau d’activité physique et l’évolution de différents marqueurs du déclin cognitif.  Les résultats sont présentés pour les participants ayant au début de l’étude une charge élevée (rouge) ou basse (bleu) de plaques amyloïdes au niveau du cortex cérébral. Pour chaque groupe, une activité physique élevée (environ 8000 pas ou plus par jour) est représentée par les lignes pleines, tandis qu’une activité faible (3000 pas ou moins) est représentée par les lignes pointillées.
A. La charge moyenne en plaques amyloïdes au niveau du cortex de l’ensemble des participants de la cohorte augmente linéairement en fonction du temps, mais n’est pas affectée par le niveau d’activité physique. B. À l’inverse, une activité physique plus élevée ralentit la hausse d’enchevêtrements tau observée chez les participants ayant une charge amyloïde élevée, un effet corrélé avec une meilleure préservation des fonctions cognitives (C) et une diminution de la sévérité du déclin cognitif (D).  Notez que la cognition a été mesurée à l’aide du PACC5 qui établit un score combinant plusieurs aspects des fonctions cognitives (mémoire, contrôle de l’attention, fluidité verbale, etc.). Un score PACC5 plus élevé indique de meilleures performances cognitives. Le score CDR-SOB (Clinical Dementia Rating Sum of Boxes) est quant à lui une évaluation combinée de six aspects différents liés à la santé cognitive (mémoire, orientation, jugement et résolution de problèmes, activités domestiques, relations personnelles et soins personnels). Notez qu’une hausse du score de 1-2 points, telle qu’observée chez les personnes à risque et inactives dans cette étude, reflète une progression vers les étapes initiales de la maladie d’Alzheimer. Tiré de Yau et coll. (2025).

Il est aussi intéressant de noter que la quantité d’exercice nécessaire pour profiter de ces bénéfices sur les fonctions cognitives semble relativement modeste,  que ce soit en termes de réduction des enchevêtrements de tau ou du ralentissement du déclin cognitif, puisque les résultats suggèrent un effet maximal aux environs de 5000-7000 pas par jour, soit un niveau accessible pour la majorité des personnes âgées (Figure 5).

Figure 5. Effets de différents niveaux d’exercice sur l’accumulation d’enchevêtrements tau et la cognition. Notez qu’une activité physique modérée (environ 5000 pas par jour) est suffisante pour atténuer l’accumulation de tau et les déficits cognitifs qui affectent les personnes ayant une charge amyloïde élevée. Tiré de Yau et coll. (2025).

Globalement, ces résultats suggèrent que les personnes qui sont à risque de développer des problèmes cognitifs au cours du vieillissement normal peuvent grandement atténuer ce risque en adoptant un mode de vie modérément actif, par exemple en marchant quotidiennement de 5000 à 7000 pas, ce qui correspond en gros à deux promenades de 20-25 minutes chacune.  Chez ces personnes, il semble que l’exercice parvienne à freiner l’accumulation d’agrégats toxiques de la protéine tau dans les neurones, permettant du même coup de ralentir le processus de neurodégénérescence et ainsi de préserver les fonctions cognitives. 

Comment une personne peut-elle savoir si elle est à haut risque de déclin cognitif en raison d’une charge amyloïde élevée? Comme mentionné plus tôt, on estime qu’environ le tiers de la population présente ce profil, que ce soit en raison d’une prédisposition génétique (par exemple, la présence d’une forme spécifique du gène ApoE qui perturbe le transport des lipides au niveau des neurones) ou encore de certains facteurs de risque cardiovasculaire (cholestérol élevé, hypertension, diabète de type 2) qui peuvent favoriser l’accumulation de plaques amyloïdes et par la suite entrainer l’accumulation d’enchevêtrements tau, la mort neuronale et une perte graduelle des fonctions cognitives. Une personne ayant des antécédents familiaux de maladie d’Alzheimer (ou autres formes de démence) ou encore des problèmes cardiométaboliques serait donc potentiellement plus à risque de présenter des niveaux plus élevés de plaques amyloïdes en vieillissant et pourrait donc grandement bénéficier d’un mode de vie actif pour ralentir le développement de problèmes cognitifs. Ceci étant dit, personne ne connait réellement sa charge amyloïde et son niveau de risque de déclin cognitif : le plus simple est donc d’assumer que nous sommes à risque et de demeurer le plus physiquement actif tout au long du vieillissement pour maximiser les chances de demeurer en bonne santé, autant du point de vue mental que physique.

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