Dre Anne-Julie Tessier, Dt.P., Ph.D.

Professeure adjointe, Département de Nutrition, Université de Montréal, Chercheuse, Centre EPIC de l’Institut de Cardiologie de Montréal et Scientifique invitée, Department of Nutrition, Harvard School of Public Health.

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Dr Louis Bherer, Ph. D., Neuropsychologue

Professeur titulaire, Département de Médecine, Université de Montréal, Directeur adjoint scientifique à la direction de la prévention, chercheur et Directeur du Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal.

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La consommation de viandes rouges pourrait hausser le risque de déclin cognitif et de démence 

En bref

  • Un apport élevé en viandes rouges et transformées (saucisses, jambon, bacon, etc.) est associé à une hausse significative du risque de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2 et de mortalité prématurée.
  • Selon une étude récente, une consommation plus élevée de viande rouge, en particulier de viandes transformées, serait également associée à un risque accru de déclin cognitif et de démence.

Un très grand nombre d’études épidémiologiques se sont penchées sur l’impact de la consommation de viandes rouges et de ses dérivés transformés (saucisses, jambon, bacon, etc.) sur la santé.  En général, ces études utilisent des questionnaires pour catégoriser les individus selon la quantité de viande habituellement consommée et estiment les risques relatifs d’être affecté par une maladie donnée en comparant les groupes qui en consomment le plus à ceux qui en consomment le moins.

Dans la plupart des études, ces comparaisons ont révélé qu’un apport élevé en viandes rouges et transformées était associé à une hausse significative, de l’ordre de 10-15 %, du risque de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2, et de mortalité prématurée de toute cause. À l’inverse, une diminution de la consommation de viandes rouges et transformées au profit d’un apport plus élevé en protéines de sources végétales est associée à une réduction du risque de maladies cardiovasculaires (voir notre article à ce sujet) et de la mortalité prématurée

Du cœur au cerveau

Plusieurs observations suggèrent que cette augmentation du risque de maladies cardiovasculaires et diabète de type 2 observée chez les grands consommateurs de viandes rouges pourrait également avoir des effets à plus long terme sur la santé du cerveau.  Par exemple, on a rapporté que chez les jeunes adultes (18-30 ans), la présence de nombreux facteurs de risque cardiovasculaires comme des taux de cholestérol élevés, une hypertension et une hyperglycémie est associée à un déclin de plusieurs fonctions cognitives à l’âge mûr.  Les personnes qui sont affectées par un diabète de type 2 sont également plus à risque de présenter un déclin des fonctions cognitives et de développer une démence dans les décennies subséquentes.  

Cette association entre la santé cardiovasculaire et les fonctions cognitives est biologiquement plausible, dans la mesure où il est bien établi que le fonctionnement optimal du cerveau est fortement dépendant d’un apport sanguin adéquat (le cerveau reçoit à lui seul 15 % du débit cardiaque et utilise environ 20 % de tout l’oxygène consommé). Les dommages aux vaisseaux sanguins causés par les maladies cardiovasculaires et le diabète de type 2 peuvent perturber ce flux sanguin et, avec le temps, entrainer un dysfonctionnement des neurones.

D’autres facteurs associés à la consommation de viandes rouges et transformées pourraient également influencer les fonctions cognitives.  Par exemple, leur contenu élevé en gras saturés augmente les taux de cholestérol et génère une inflammation chronique favorisant le développement d’une résistance à l’insuline, deux facteurs qui pourraient contribuer au déclin cognitif (voir ici et ici, par exemple). Les viandes rouges contiennent également des quantités importantes de L-carnitine, un acide aminé atypique qui est métabolisé par le microbiote intestinal en triméthylamine N-oxyde (TMAO) (voir notre article à ce sujet). En plus d’être impliqué dans la formation des plaques d’athérosclérose, ce métabolite semble également contribuer au développement de la démence et de la maladie d’Alzheimer dans les modèles animaux en favorisant l’agrégation des protéines bêta-amyloïdes et tau dans le cerveau. Enfin, les composés nitrites et N-nitroso présents dans les viandes transformées peuvent provoquer des dommages à l’ADN et un stress oxydatif et leur teneur élevée en sodium peut augmenter la pression artérielle, réduire la perfusion cérébrale et potentiellement conduire à une démence vasculaire

Associations avec les fonctions cognitives

Une étude de grande envergure, menée par une équipe de chercheurs de l’Université Harvard, apporte de nouveaux indices sur la contribution potentielle des viandes rouges et transformées  sur  le risque de déclin cognitif et de démence. Pour le volet de l’étude portant sur la démence (Alzheimer et autres types), les chercheurs ont examiné l’incidence de ces maladies chez 133,771 personnes ayant participé à la Nurses’ Health Study depuis 1976 et à la Health Professionals Follow-Up Study depuis 1986.  En tenant compte de l’influence potentielle de plusieurs facteurs extérieurs (tabagisme, hypertension, sédentarité, niveau de scolarité, etc.), le suivi de ces participants (pendant plus de 40 ans dans certains cas) a révélé que ceux qui consommaient ≥ 0,25 portion par jour (soit environ 2 portions (1 saucisse ou 1 tranche de jambon)  par semaine) de viande rouge transformée présentaient un risque 13 % plus élevé de développer une démence par rapport à ceux qui en consommaient < 0,10 portion par jour (environ 1 portion par semaine) (Figure 1).  Toutefois, la consommation de viande rouge non transformée (1 portion (113-170 g) vs <0,5 portion par jour) n’était pas associée  au risque de démence.

Figure 1.  Associations de la consommation de viande rouge avec le risque de déclin cognitif et de démence. Pour les viandes transformées  (carrés bleus), les hausses de risque ont été calculées en comparant la consommation de ≥ 0,25 portion vs < 0,10 portion par jour, alors que pour les viandes non transformées (carrés rouges), les valeurs ont été obtenues en comparant la consommation de 1 portion vs <0,5 portion par jour. NS : non-significatif.  Tiré de Li et coll. (2025).

Dans l’autre volet de l’étude portant sur le déclin cognitif, les fonctions cognitives de 43,966 participants ont été évaluées à l’aide de questionnaires mesurant la mémoire en général, les fonctions exécutives (résolution de problèmes, par exemple), l’attention et les fonctions visuospatiales (analyse d’objets dans l’espace). Encore ici, les résultats montrent que les viandes transformées sont associées à un risque accru de 14 % de déclin cognitif chez les plus grands consommateurs (≥ 0,25 portion par jour) comparativement aux moins grands consommateurs, ce qui suggère un effet néfaste sur les fonctions cognitives.  Une hausse similaire (16 %) du risque de déclin cognitif a également été associée à la consommation de viandes rouges non transformées (1 portion par jour). Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que la consommation régulière de viandes rouges hausse légèrement le risque de déclin cognitif et de démence, ces associations étant plus prononcées pour les viandes transformées. 

Remplacer les viandes transformées

L’association non favorable entre les viandes transformées et les fonctions cérébrales est également mise en évidence par des analyses de substitution, dans lesquelles on modélise l’impact potentiel du remplacement d’une portion quotidienne de ces viandes transformées par l’équivalent provenant d’autres sources de protéines (Figure 2).

Cette approche a permis de montrer que le risque accru de démence ou de déclin cognitif peut être atténué en remplaçant 1 portion par jour de viande rouge transformée par l’ensemble des autres sources de protéines testées, que ce soit les noix et légumineuses (de baisse de 19 % du risque de démence et de  21 % de déclin cognitif), le poisson (baisse de 28 %  du risque de démence et de 51 % de déclin cognitif), la volaille (baisse de 16 %  du risque de démence), les œufs (baisse de 23 %  du risque de démence et de 31 % de déclin cognitif) ou encore les produits laitiers faibles en gras (baisse de 13 %  du risque de démence et de 28 % de déclin cognitif).

Figure 2.  Substitution des viandes rouges transformées par d’autres sources de protéines et son association avec le risque de déclin cognitif et de démences. Les valeurs représentent la réduction du risque associée au remplacement d’une portion quotidienne de viandes transformées par différentes sources de protéines. Adapté de Li et coll. (2025).

Une des limitations de cette étude est qu’elle a été réalisée auprès d’une population assez homogène (professionnels de la santé) et repose sur la capacité des participants à rapporter leurs apports alimentaires. Celui-ci peut considérablement varier au fil du temps et être sous- ou surévalué, sans compter que d’autres facteurs extérieurs qui ne sont pas pris en compte dans l’analyse des données peuvent influencer les résultats. Néanmoins, les études menées au cours des dernières décennies montrent de manière cohérente qu’une consommation élevée de viandes rouges, et surtout celle de viandes transformées, aurait des effets négatifs sur la santé. Le remplacement de ces aliments par d’autres sources de protéines saines, comme les légumineuses, les noix et le poisson, peut contribuer à améliorer la qualité de l’alimentation et réduire le risque de développer plusieurs maladies chroniques.

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