Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Dr Éric Thorin, Ph. D.

Professeur titulaire, Département de Chirurgie, Université de Montréal. Chercheur au centre de recherche de l'Institut de cardiologie de Montréal.

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L’impact de l’exercice en soirée sur le sommeil

Toutes nos fonctions physiologiques de base comme la tension artérielle, le rythme cardiaque, la respiration ou encore la digestion sont contrôlées automatiquement, sans avoir à fournir d’effort conscient.  Le système nerveux responsable de ce contrôle autonome est divisé en deux grands segments qui collaborent entre eux pour veiller à ce que le corps réagisse de façon appropriée aux différentes situations :

– le système nerveux sympathique intervient quand les besoins en énergie augmentent, comme dans les situations de stress et d’alerte (effort ou danger perçu), préparant ainsi l’organisme à faire face à un défi physique ou psychologique. Par exemple, c’est le système sympathique qui hausse le rythme cardiaque et la force des contractions du cœur, dilate les voies respiratoires pour hausser les taux d’oxygène sanguins, provoque la libération de l’énergie stockée, dilate les artères des muscles recrutés par l’exercice (incluant le coeur) pour y augmenter le débit sanguin et augmente la force musculaire.

– le système nerveux parasympathique, quant à lui, sert de contrepoids au système sympathique, c’est-à-dire que son action vise à restaurer l’équilibre du corps. Il va, par exemple, ralentir le rythme cardiaque, réduire la tension artérielle, stimuler la digestion pour reconstituer les réserves d’énergie et, par son action anti-inflammatoire, favoriser la réparation des tissus. L’activité du système nerveux parasympathique est favorisée par une activité physique régulière, ce qui se voit par un rythme cardiaque au repos plus lent et une augmentation de sa variabilité.

Sommeil parasympathique

Le sommeil est possiblement un des meilleurs exemples de l’importance de cet équilibre entre les activités des systèmes sympathique et parasympathique. En conditions normales, l’activité du système parasympathique prédomine sur celle du sympathique au moment du coucher et provoque un ralentissement de la fréquence cardiaque et la relâche des muscles; le sommeil qui s’ensuit favorise la régénération du corps, autant du point de vue physique que mental.  Par contre, en présence de stimuli extérieurs comme le bruit, une lumière vive, des sources potentielles de danger, ou encore d’un stress mental quelconque, le système sympathique va interférer avec ces signaux de récupération véhiculés par le système parasympathique et perturber autant la durée que la qualité du sommeil.

Cette balance entre les systèmes nerveux sympathique et parasympathique associée au sommeil peut également être influencée par l’activité physique.  D’un côté, il est bien documenté que l’exercice a des effets positifs sur le sommeil en favorisant une activité parasympathique plus dominante, une plus grande dépense énergétique, une réduction du stress ainsi qu’une amélioration de l’humeur; de l’autre, par contre, il est également bien établi que des sessions d’exercice réalisées aux environs de l’heure du coucher peuvent provoquer une forte activation du système sympathique (hausse des rythmes respiratoire et cardiaque, entre autres) et que l’excitation physiologique qui en résulte peut perturber le sommeil. Autrement dit, le moment où est effectuée la période d’activité physique peut grandement influencer, positivement ou négativement, la qualité du sommeil.

Exercice en soirée

L’activité physique en soirée représente pour plusieurs personnes la meilleure façon  d’intégrer la pratique de leur sport favori à leur routine de vie. Selon les résultats d’une étude récente, ce moment n’est pas incompatible avec un sommeil de qualité à condition de terminer l’activité physique suffisamment longtemps avant d’aller au lit.

Dans cette étude, les chercheurs ont utilisé les données recueillies pendant 1 an auprès de 14,689 abonnés à la plateforme de dispositifs biométriques WHOOP Inc. (Boston, MA) âgés d’au moins 18 ans et qui étaient physiquement actifs (au moins 1-2 périodes d’exercice par semaine).  Ces dispositifs captent en continu plusieurs données physiologiques, incluant la fréquence cardiaque et respiratoire, la variabilité de la fréquence cardiaque, les périodes de sommeil et les niveaux d’activité physique. Au sein de cette cohorte, 4 grandes catégories d’activité physique ont pu être identifiées, allant de niveaux légers à très élevés (Tableau 1).

Niveaux d’exerciceNombres d’exercicesExemplesIntensité
Léger834,363 (46.5%)*Marche rapide30 min à 65% de la FCM**
Modéré643,045 (35.8%)Cours de gym45 min à 85% de la FCM
Élevé274,459 (15.3%)Course de 15 km90 min à 85% de la FCM
Maximal43,437 (2.4%)Match de hockey120 min à 85% de la FCM

Tableau 1. Niveaux d’exercices effectués par les participants à l’étude. Notez que les activités d’une durée inférieure à 1 minute ainsi que des exercices de relaxation comme le yoga et les étirements n’ont pas été inclus dans l’analyse.  *Les nombres entre parenthèses indiquent le pourcentage des exercices réalisés par l’ensemble des participants. ** FCM= fréquence cardiaque maximale. La FCM peut être calculée approximativement en utilisant la formule « 220 – âge » pour les hommes et « 226 – âge » pour les femmes.

L’analyse des résultats révèle que lorsque l’exercice se terminait de 4 à 6 heures avant le début habituel du sommeil, l’endormissement était similaire à celui des jours sans exercice, quelle que soit l’intensité de l’exercice effectué (Figure 1A).  Par contre, lorsque l’exercice se terminait plus près de l’heure habituelle du coucher, on note que l’endormissement devient progressivement plus tardif pour tous les niveaux d’exercice et est particulièrement prononcé pour les activités d’intensité très élevée. 

Figure 1. Association entre le moment choisi pour faire de l’exercice avant le coucher et la qualité du sommeil subséquent. Notez que la variabilité cardiaque (variation entre deux battements successifs) est exprimée par une mesure statistique, la RMSSD (Root Mean Square of Successive Differences). Tiré de Leota et coll. (2025).

Ce retard de l’endormissement a évidemment un impact concret sur la durée du sommeil, avec une perte relativement modeste d’environ 15 minutes pour une activité légère réalisée 2 h avant l’heure habituelle du coucher, mais qui peut devenir très significative et atteindre presque 45 minutes suite à une activité très intense (Fig. 2B).

L’analyse des paramètres cardiovasculaires indique que cette interférence de l’activité physique réalisée peu avant le coucher sur le sommeil est causée par une diminution de l’influence de l’activité parasympathique.  On note par exemple une hausse significative de la fréquence cardiaque au repos, particulièrement prononcée chez les personnes qui ont effectué un exercice intense dans les 2-4 heures qui précèdent le début du sommeil habituel (Figure 1C) , ainsi qu’une diminution importante de la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) (Figure 1D).  Comme nous l’avons déjà mentionné, un cœur en bonne santé ne bat pas régulièrement comme un métronome et la VFC fait référence à ces petites variations qui existent naturellement entre deux battements successifs. Puisque ces variations augmentent lorsque l’activité du système nerveux parasympathique prédomine, la diminution de la VFC observée suite à un exercice d’intensité assez élevée quelques heures avant le coucher indique que la période de récupération n’a pas été suffisamment longue pour permettre au système parasympathique de complètement annuler l’effet stimulateur de l’exercice sur  le système sympathique. En ce sens, il est intéressant de noter que des études ont suggéré qu’une récupération complète de l’activité parasympathique après un exercice très intense pouvait excéder 24 h, ce qui pourrait expliquer la fréquence cardiaque plus élevée au repos et la plus faible variabilité cardiaque observée suite à un exercice d’intensité maximale, même lorsque cette activité est réalisée plus de 10 h avant le début du sommeil (Figures 1C et 1D).

Dans l’ensemble, ces résultats indiquent qu’il est possible d’atténuer l’effet stimulateur de l’exercice sur le système sympathique, et la perturbation du sommeil qui en découle, simplement en terminant la session d’activité physique au moins 4 heures avant l’heure habituelle du coucher.

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