Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Manger moins de viande pour préserver la planète

En 2006, la Food and Agriculture Organisation (FAO) des Nations unies a créé une onde de choc en publiant un rapport très étoffé démontrant que l’élevage d’animaux pour la production de viandes était responsable de plus d’émissions de gaz à effets de serre (GES) que toute l’industrie des transports (Figure 1). 


Figure 1. Répartition des émissions de GES entre les secteurs économiques. Source : rapport de la FAO.

Selon la FAO, l’industrie de l’élevage et de la production laitière produit 18 % de tous les GES : 9 % de tout le CO2, 37 % du méthane (qui a un pouvoir de réchauffement au moins 25 fois plus grand que le CO2) et 65 % de l’hémioxyde d’azote (voir tableau 7.1 du rapport de la FAO). De plus, l’industrie de l’élevage constitue la principale source de pollution de l’eau, autant dans les pays développés que dans les pays émergents. Cette évaluation de la FAO a été confirmée par la suite par d’autres organisations.

À titre d’exemple, dans son rapport de 2014 sur les changements climatiques, le groupe d’experts du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que 25 % des GES sont le résultat de l’agriculture, l’élevage et de la déforestation qui en résulte. Une autre équipe estime également que le chiffre est d’au moins 25 % de tous les GES. Il est donc clairement établi que l’élevage du bétail est la principale cause de ces émissions, en particulier le fumier et le méthane produit par les ruminants, qui sont responsables à eux seuls de plus de la moitié des GES (Figure 2).


Figure 2. Principales sources de GES dérivés de l’élevage intensif du bétail. Source : rapport de la FAO.

Le secteur de l’élevage consomme aussi beaucoup plus de protéines qu’il n’en produit : la consommation de protéines nécessaires pour nourrir les animaux d’élevage est d’environ 77 millions de tonnes alors que les aliments produits par la viande de ces animaux n’en fournissent que 58 millions, un déficit de 19 millions de tonnes qui pourraient servir à nourrir des humains. Sans compter que l’élevage représente 70 % de la surface mondiale des terres agricoles et 30 % des surfaces émergées de la planète.

En Amazonie l’élevage intensif est la principale cause de déforestation. Comme il est prévu que la consommation mondiale de viande va plus que doubler d’ici 2050, les conséquences sur le réchauffement climatique seront désastreuses et vont certainement annuler les effets positifs obtenus par la réduction de notre consommation de pétrole. La solution n’est pas simple, car l’industrie de l’élevage est une source de revenus pour un très grand nombre de personnes dans le monde et particulièrement dans les pays pauvres, où l’on estime qu’il fournit un moyen de subsistance à près d’un milliard de personnes.

Consommation de viandes dans le monde

La consommation mondiale d’aliments d’origine animale est en forte hausse depuis quelques dizaines d’années, en particulier les viandes rouges, mais aussi les produits laitiers, les viandes blanches et les viandes transformées. De 1961 à 2011, la consommation de viandes a augmenté de 86 % dans le monde, 34 % aux États-Unis, 71 % en Inde et 1442 % (!) en Chine. En Inde, le 2e pays le plus populeux au monde avec 1,32 milliard d’habitants, dont 1/3 sont végétariens, la quantité de viande consommée quotidiennement en moyenne par personne (29 g/j, voir Figure 3) est bien moindre qu’aux États-Unis (381 g/j) ou que dans le monde en général (173 g/j). La Chine est en voie de rejoindre les pays développés pour la quantité de viande consommée par personne (254 g/j en 2011), principalement de la viande de porc et des produits de la mer. La Chine comptant 1,38 milliard d’habitants, ce pays est devenu un des principaux consommateurs de viande (Figure 4), avec près de la moitié de la viande de porc consommée dans le monde.

Figure 3. Consommation quotidienne de viandes par habitant en 2011.  Selon la FAO.

Figure 4. Consommation totale de viandes dans le monde, aux États-Unis, en Chine et en Inde en 2011. Selon la FAO.

Diminuer la consommation de viandes pour la santé des humains et de la planète

En 2011, la consommation de viande dans le monde comptait pour 9 % des calories totales ingérées quotidiennement, 13 % aux États-Unis, 17 % en Chine, mais seulement 1 % en Inde. En Chine, le nombre d’adultes qui consomment plus de 10 % de leurs calories sous forme de viandes a augmenté de 39 % en 1989 à 67 % en 2006. Or il est recommandé, pour prévenir le cancer et la maladie cardiovasculaire, de limiter sa consommation de gras saturés à moins de 10 % des calories totales ingérés quotidiennement et même jusqu’à moins de 5-6 % pour les personnes qui ont une cholestérolémie élevée. Les pays riches devront donc réduire considérablement la consommation d’aliments d’origine animale et se tourner davantage vers le végétarisme ou les viandes maigres et les produits laitiers à teneur réduite en matière grasse. Plusieurs experts recommandent qu’on puisse au moins réduire l’augmentation prévue de notre consommation de viande, ce qui aurait un impact très important sur le réchauffement climatique et en même temps sur la santé des populations.


Figure 5. Réduction projetée des émissions de GES par l’adoption d’une alimentation méditerranéenne, pescétarienne (pesco-végétarienne) ou végétarienne. D’après Tilman et Clark, Nature, 2014.

Par exemple, une étude récente estime que l’adoption d’une alimentation de type méditerranéenne pourrait réduire la hausse prévue de GES en 2050 de 60 %, tandis que le pescétarisme ou pesco-végétarisme (végétarisme avec consommation de poissons) et le végétarisme pourraient complètement annuler cette hausse, et même entraîner des émissions plus faibles qu’aujourd’hui (Figure 5), et ce, tout en réduisant significativement la mortalité liée aux maladies chroniques (cardiovasculaire, diabète et cancer).

L’agriculture biologique : mieux pour l’environnement ?

Des chercheurs américains ont fait une analyse comparative des impacts environnementaux des différents systèmes de production utilisés en agriculture. Selon une méta-analyse incluant 742 systèmes agricoles, les systèmes de production biologiques requièrent davantage de terres, causent plus d’eutrophisation (accumulation de nutriments dans le milieu), utilisent moins d’énergie, mais émettent autant de GES que l’agriculture conventionnelle.

L’élevage de bœufs exclusivement nourris à l’herbe et au foin requière plus de surface de terres et émet autant de GES que l’élevage aux grains. Ce sont les aliments produits à partir de plantes qui ont un impact le moins important sur l’environnement. Les œufs, produits laitiers, la viande de porc, la volaille et les produits de la mer ont impact intermédiaire, de 2 à 25 fois plus élevé que les plantes par kilocalorie d’aliment produit. L’impact de la viande de ruminants sur l’environnement est le plus important : de 20 à 100 fois plus élevé que pour les aliments produits à partir de plantes.

La pêche par chalutage émet 2,8 fois plus de GES que la pêche sans chaluts, à cause des grandes quantités de carburants nécessaires pour tirer les chaluts sur les fonds marins. L’aquaculture qui représente 45 % de la production mondiale de poissons pourrait être une solution de rechange à la pêche de poissons sauvages selon la FAO, particulièrement les systèmes d’aquaculture sans recirculation (étangs, rivières, fjords, etc.) puisqu’ils nécessitent moins d’énergie et produisent moins de GES que les systèmes à recirculation (dans des réservoirs munis de pompes et de filtres) ou que la pêche par chalutage. Les auteurs de cette étude suggèrent que de combiner les bienfaits des différents systèmes de production permettrait une pratique plus durable de l’agriculture, par exemple réduire l’utilisation d’engrais chimiques tout en conservant la productivité élevée des systèmes conventionnels. Des changements dans la diète vers des aliments à faible impact sur l’environnement (aliments à base de plantes) et l’augmentation de l’efficacité de l’utilisation des intrants (engrais, amendements, produits phytosanitaires) apporteraient davantage de bénéfices environnementaux qu’un virage vers des systèmes d’agricultures alternatifs tels que l’agriculture biologique et l’élevage de bœufs nourris à l’herbe.

Plusieurs scientifiques sont maintenant d’avis qu’une diminution de notre consommation de produits d’origine animale pourrait bénéficier autant à la santé des populations qu’à celle de la planète (voir par exemple ici et ici). De plus, selon une analyse économique les réductions de coûts pour les systèmes de santé seraient aussi (sinon plus) importantes que les bénéfices économiques liés à l’amélioration des changements climatiques. Compte tenu de l’importance de l’industrie de l’élevage sur les GES, il est surprenant de voir à quel point cet enjeu est rarement discuté dans les grands sommets sur le climat. Il s’agit évidemment d’un enjeu complexe et pointer du doigt tout le secteur de l’élevage et de la production laitière, comme on le fait pour l’industrie du pétrole, est difficile pour les politiciens : il faudrait non seulement toucher à un secteur très important de l’économie, mais aussi cibler des habitudes de consommation très ancrées. Suggérer aux gens de manger moins de viande est beaucoup plus délicat que de leur demander de consommer moins de pétrole.

En conclusion, il est bien démontré qu’une alimentation plus riche en produits végétaux et moins riche en protéines animales comporte des avantages autant pour la santé des individus que pour celle de la planète.

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