Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Vin et maladies cardiovasculaires: un nouveau marqueur confirme la réduction du risque

En matière de consommation d’alcool, la tendance des dernières années est d’affirmer qu’il n’y a aucun seuil de consommation qui soit sécuritaire, c’est-à-dire que tous les buveurs, même légers et modérés, sont plus à risque de mourir prématurément que les abstinents. Comme nous l’avons mentionné précédemment, cette position assez radicale  s’appuie sur une lecture limitée et quelque peu biaisée de la recherche des 50 dernières années et ne tient pas compte du type de boisson alcoolisée consommée ainsi que du contexte général dans lequel se déroule habituellement la consommation. 

Pour ce qui est du type de boisson, de plus en plus de données suggèrent que la consommation modérée de vin rouge est préférable à celle d’autres types d’alcool (voir notre article à ce sujet).  Bien que les bénéfices cardiovasculaires associés au vin soient similaires à ceux des autres alcools, la hausse du risque de certains cancers et le risque de mortalité attribuable à la consommation d’alcool semblent beaucoup moins prononcés pour le vin, et ce même à des quantités relativement élevées (300 g d’alcool ou environ 20 verres par semaine) (Figure 1).  En termes d’impact sur la santé, il semble donc peu approprié de considérer simplement l’apport total en alcool, sans tenir compte du type de boissons alcoolisées consommées.

Figure 1. Comparaison du risque de mortalité de toute cause associée à la consommation de différents types d’alcool. Tiré de Wood et coll. (2008).

Il a été suggéré que cet effet cardioprotecteur du vin pourrait être, au moins en partie, attribuable au fait que les buveurs modérés de vin sont en général moins à risque de maladies cardiovasculaires en raison d’autres facteurs protecteurs liés au mode de vie (statut socioéconomique plus élevé, meilleure alimentation, plus d’activité physique).  Bien que la contribution de ces facteurs soit difficile à mesurer, il demeure possible qu’ils puissent amplifier l’effet positif de la consommation d’alcool sur la santé cardiovasculaire.  Autrement dit, il ne faudrait pas seulement considérer la consommation d’alcool en tant que telle, mais aussi  le contexte général dans lequel elle se produit.

Ce concept est bien illustré par des études qui ont montré qu’une consommation modérée d’alcool (1 verre par jour pour les femmes, 1-2 verres par jour pour les hommes) intégrée à un mode de vie globalement sain (absence de tabagisme, activité physique régulière, alimentation riche en végétaux, poids corporel normal) était associée à une diminution très importante (80%) du risque d’infarctus du myocarde et à une augmentation de 12-14 ans de l’espérance de vie, incluant plusieurs années supplémentaires en bonne santé

Ces résultats sont évidemment incompatibles avec la notion qu’ il n’y a pas de quantités d’alcool qui soient sécuritaires et c’est d’ailleurs pour cette raison  qu’un apport faible à modéré d’alcool est encore aujourd’hui recommandé par des organismes très sérieux comme l’école de santé publique d’Harvard ou encore l’institut national américain pour l’abus d’alcool et l’alcoolisme (NIAAA) pour réduire le risque de maladies cardiovasculaires.

Régime méditerranéen

Un autre exemple de l’importance du type d’alcool et du contexte dans lequel il est consommé est l’alimentation méditerranéenne.  Ce régime exemplaire est reconnu depuis plusieurs années pour réduire substantiellement le risque de maladies cardiovasculaires, autant dans la population en général que chez les survivants d’un infarctus. En plus des effets positifs conférés par un apport élevé en végétaux et en huile d’olive extra-vierge,  il a été proposé que la consommation modérée d’alcool, principalement sous forme de vin pendant les repas, pourrait contribuer aux effets cardioprotecteurs de ce type d’alimentation. Par contre, les avantages réels apportés par le vin demeurent difficiles à quantifier précisément, car il est très compliqué de mesurer les quantités qui sont consommées par les participants dans le cadre d’études épidémiologiques.  Dans la plupart des cas, ces études s’appuient sur des informations autodéclarées sur la consommation de vin (à l’aide de questionnaires), ce qui peut entraîner des erreurs de mesure étant donné la tendance bien documentée de plusieurs personnes à sous-estimer leur consommation d’alcool

L’acide tartrique, un marqueur objectif de la consommation de vin

Contrairement à l’ensemble des fruits dont le contenu en acides organiques est principalement sous forme d’acide malique et d’acide citrique, les raisins ont comme particularité de plutôt contenir des quantités élevées d’acide tartrique (Tableau 1).  Puisque cet acide organique n’est pas métabolisé lors de la fermentation, il est également retrouvé en grandes quantités dans le vin où il joue un rôle très important dans la stabilité, l’apparence et le goût du produit final.

L’acide tartrique

AlimentsAcide tartrique (mg/100g)
Raisins530
Vin150-400 *
Mangue81
Bleuet0,22
CeriseTraces
Autres fruits communs (ananas, banane, pomme, poire, etc.)Traces ou indétectable

Tableau 1. Contenu en acide tartrique dans les  fruits couramment consommés. Tiré de Storcksdieck (2006).  * mg/100 mL. 

Les études montrent que les taux d’acide tartrique sécrétés dans l’urine sont étroitement corrélés avec les quantités de vin consommées et cette mesure pourrait donc permettre d’évaluer de façon tout à fait objective la consommation de vin et ainsi contourner les problèmes associés aux données autodéclarées.

Une étude récente a testé cette nouvelle approche en utilisant les données récoltées dans le cadre de l’étude randomisée PREDIMED, la plus grande étude clinique réalisée à ce jour sur les effets cardioprotecteurs du régime méditerranéen (voir notre article sur cette étude).  Les chercheurs ont mesuré les taux urinaires d’acide tartrique chez 1232 personnes qui avaient participé à l’étude et ont examiné en parallèle l’incidence de maladies cardiovasculaires en fonction de 5 grandes catégories de quantités d’acide tartrique excrété, correspondant à une consommation de vin pratiquement nulle, très légère, modérée ou élevée (Figure 2).   Globalement, l’analyse des données confirme l’effet cardioprotecteur du vin en forme de « J »  observé dans la majorité des études, c’est-à-dire que les personnes qui excrètent des quantités d’acide tartrique correspondant à une consommation allant de légère à modérée (1-8 verres par semaine) sont moins à risque d’accidents cardiovasculaires que celles qui en consomment moins (< 1 verre par mois) ou celles qui en consomment des quantités plus importantes (> 10 verres par semaine).  

Figure 2. Association entre les taux urinaires d’acide tartrique et le risque de maladies cardiovasculaires.  Le critère d’évaluation de l’étude était une combinaison d’infarctus du myocarde, d’AVC, d’insuffisance cardiaque et de mortalité d’origine cardiaque. Tiré de Domínguez-López et coll. (2024).

En somme, l’utilisation de l’acide tartrique comme biomarqueur objectif confirme les effets bénéfiques associés à un apport léger à modéré en vin sur le risque de maladies cardiovasculaires. 

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