L’alimentation restreinte dans le temps, une approche prometteuse pour la prévention des maladies chroniques

L’alimentation restreinte dans le temps, une approche prometteuse pour la prévention des maladies chroniques

Au cours des dernières années, nous avons commenté à plusieurs reprises (ici, ici, ici et ici) les travaux de recherche qui se sont penchés sur les bénéfices associés au jeûne intermittent et à la restriction calorique en général.  Dans cet article, nous abordons ce sujet sous un angle plus général : comment expliquer que le simple fait de restreindre l’apport calorique à une fenêtre de temps plus courte puisse entrainer de tels bénéfices ?

Il est maintenant clairement établi que ce que nous mangeons quotidiennement exerce une énorme influence sur le développement de l’ensemble des maladies chroniques. Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, de nombreuses études ont en effet montré qu’un apport élevé en végétaux (fruits, légumes, grains entiers, légumineuses, noix et graines) est associé à une baisse importante du risque de ces maladies, tandis qu’à l’inverse, le risque de surpoids, de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2, de plusieurs types de cancers et de mortalité prématurée est augmenté par la consommation excessive de produits d’origine animale (viandes et charcuteries en particulier) ainsi qu’en aliments industriels ultratransformés.

La qualité de l’alimentation ne semble cependant pas le seul paramètre qui peut moduler le risque de ces maladies chroniques : de nombreuses études réalisées au cours des dernières années suggèrent que la période de temps pendant laquelle les aliments sont consommés joue elle aussi un rôle très important dans ce risque.  Par exemple, des études précliniques ont révélé que des rongeurs qui ont un accès continuel à une nourriture riche en sucre et en gras développent un excès de poids et plusieurs perturbations métaboliques impliquées dans la genèse des maladies chroniques (la résistance à l’insuline, notamment), tandis que ceux qui mangent la même quantité de nourriture, mais dans un laps de temps plus court, ne présentent pas ces anomalies métaboliques et n’accumulent pas de poids excédentaire.

Autrement dit,  ce ne serait pas seulement la quantité de calories qui importe, mais aussi la fenêtre de temps pendant laquelle ces calories sont consommées. Ce nouveau concept d’alimentation restreinte dans le temps (ART) est vraiment révolutionnaire et suscite actuellement énormément d’intérêt de la part des communautés scientifique et médicale.

Jeûne intermittent

Au sens strict du terme, l’alimentation restreinte dans le temps est une forme de jeûne intermittent puisque l’apport calorique est limité à des périodes relativement courtes de la journée (6-8 h par exemple), en alternance avec des périodes de jeûne allant de 16 à 18 h (une formule populaire est l’alimentation 16 : 8, c’est-à-dire un jeûne de 16 h suivi d’une fenêtre d’alimentation de 8 h). Ce type de jeûne intermittent est généralement plus facile à adopter que d’autres types de jeûnes plus restrictifs comme l’alimentation  5 : 2, dans laquelle 5 jours d’alimentation normale sont entrecoupés de 2 jours (consécutifs ou non) où l’apport calorique est nul ou très faible, ou encore le alternate day fasting (1 jour sur deux de jeûne, en alternance). Étant donné que l’ART consiste simplement à souper tôt ou à déjeuner tard pour parvenir à ne pas manger pendant une période de 16 à 18 h, ce type de jeûne intermittent ne provoque généralement pas de bouleversements majeurs dans les habitudes de vie et est en conséquence à la portée de la plupart des gens.

Manger trop et trop souvent

L’intérêt suscité par l’ART et les autres formes de jeûnes intermittents peut être considéré,  dans une certaine mesure, comme une réaction à la forte augmentation du nombre de personnes en surpoids observée au cours des dernières décennies.  Les statistiques montrent en effet que 2/3 des Canadiens sont actuellement en surpoids (IMC>25), incluant un tiers qui sont obèses (IMC>30), et ce surpoids est devenu tellement la norme qu’on oublie à quel point notre tour de taille collectif a grimpé en flèche depuis 50 ans.

Par exemple, les statistiques publiées par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains indiquent qu’entre 1960 et 2010, le poids moyen d’un américain est passé de 166 livres à 196 livres (75 à 89 kg), tandis que celui des femmes passait de 140 livres à 166 livres (63 à 75 kg) (Figure 1).  Autrement dit, en moyenne, une femme pèse actuellement le même poids qu’un homme qui vivait durant les années 60 !   Pas étonnant que les gens soient beaucoup plus minces qu’aujourd’hui dans les photos de famille ou les films datant de cette époque….

Figure 1. Augmentation du poids corporel moyen de la population américaine au cours des dernières décennies.  Adapté à partir des données provenant des CDC. Notez que le poids moyen des femmes en 2010 était identique à celui des hommes en 1960 (cercles rouges).  Une tendance similaire, mesurée par la hausse de l’indice de masse corporellle, a été observée dans plusieurs régions du monde, incluant le Québec.

La surconsommation de calories, en particulier celles provenant d’aliments industriels ultratransformés, est certainement l’un des principaux facteurs qui ont contribué à cette augmentation rapide du poids corporel de la population.  L’environnement dans lequel nous vivons encourage fortement cet apport excessif en énergie (publicité agressive, aliments préparés surchargés de sucre et de gras, disponibilité quasi illimitée des produits alimentaires), si bien que, collectivement, nous mangeons non seulement trop, mais aussi trop souvent.  Par exemple, une étude réalisée aux États-Unis a montré que ce que l’on considère généralement comme l’alimentation standard, c’est-à-dire la consommation de trois repas par jour répartis sur une période de 12 h, est au contraire un phénomène assez marginal (moins de 10% de la population). En réalité, l’étude a montré que la plupart des gens mangent à plusieurs reprises au cours de la journée (et de la soirée), avec un intervalle moyen de seulement 3 h entre les périodes de consommation de calories. Selon cette étude,  plus de la moitié de la population consomme sa nourriture sur une période de 15 h et plus par jour, ce qui augmente évidemment les risques d’un apport excessif en énergie. Il faut d’ailleurs noter que ces chercheurs ont observé que pour la très grande majorité des participants, toute la nourriture consommée après 18h30 excédait leurs besoins énergétiques.

Contrôle du poids (et du métabolisme)

Plusieurs études suggèrent que le jeûne intermittent, incluant l’ART, représente une approche valable pour corriger ces excès et rétablir l’équilibre calorique indispensable au maintien d’un poids corporel normal.  Évidemment, ceci est particulièrement vrai pour les personnes obèses qui mangent plus de 15 h par jour : pour ces personnes, le simple fait de réduire leur fenêtre d’alimentation à 10-12 h, sans nécessairement faire d’efforts particuliers pour restreindre leur apport calorique, est associé à une réduction du poids corporel.

La plupart des études qui se sont penchées sur l’effet de l’ART sur le poids corporel arrivent à des résultats semblables, c’est-à-dire que chez les personnes en surpoids, simplement restreindre la période d’alimentation à une fenêtre de 8-10 h mène généralement à une perte de poids dans les semaines qui suivent (Tableau 1). Cette perte est dans l’ensemble assez modeste (2-4 % du poids corporel), mais peut cependant devenir plus importante lorsque l’ART est combinée à un régime hypocalorique.

Il serait cependant réductionniste de voir l’ART simplement comme une approche destinée au contrôle du poids corporel. En pratique, les études indiquent que même en absence d’une perte du poids (ou lorsque la perte est très modeste), l’ART améliore certains aspects clés du métabolisme.  Par exemple, chez des hommes en surpoids et prédiabétiques, réduire la fenêtre d’alimentation de 12 à 6 h pendant 5 semaines n’a pas permis d’obtenir une perte de poids significative, mais est néanmoins associée à une baisse de la résistance à l’insuline et de la glycémie à jeun.  Ces résultats ont été confirmés par une étude subséquente; dans ce dernier cas, par contre, la diminution de la glycémie induite par l’ART semble seulement survenir lorsque la fenêtre d’alimentation est dans la première portion de la journée (8h-17h) et n’est pas observée pour des fenêtres plus tardives (12h-21h).  Cette supériorité de l’ART réalisée en début de journée pour la réduction de la glycémie à jeun a été observée dans d’autres études, mais demeure inexpliquée à ce jour.

Il faut aussi noter que ces impacts positifs de l’ART sur le métabolisme du glucose sont également observés chez des personnes de poids normal (IMC=22), ce qui souligne à quel point les bénéfices de l’ART dépassent largement la simple perte de poids.

Fenêtre d’alimentationDurée
de l’étude
ParticipantsPrincipaux résultatsSource
13 h (6h-19h)2 sem29 H (moy. 21 ans)
IMC=25
↓ poids (-0,4 kg)
↓ apport calorique
LeCheminant et coll. (2013)
10-12h (moment au choix du participant)16 sem5H, 8F (24-30 ans)
IMC>30
↓ poids (-3,3 kg)
↑ qualité du sommeil
Gill et Panda (2015)
ART : 8h (13h-21h)
Ctl: 13h (8h-21h)
8 sem34H
IMC=30
←→ poids
↓IGF-1
↓gras corporel
Moro et coll. (2016)
ART : 6h (8h-14h)
Ctl: 12h (8h-20h)
5 sem8H (moy 56 ans)
IMC>25 et prédiabète
←→ poids
↓résistance insuline
↓insuline postprandiale
↓pression artérielle
↓appétit en soirée
Sutton et coll. (2018)
8 h (10h-18h)12 sem41F, 5H (moy 50 ans)
IMC=35
↓ poids (-2,6%)
↓ apport calorique
↓pression artérielle
Gabel et coll. (2018)
3h de moins qu'à l’habitude
(déjeuner 1,5h plus tard; souper 1,5h plus tôt)
10 sem12F, 1H (29-57 ans)
IMC=20-39
←→ poids
↓apport calorique
↓gras corporel
Antoni et coll. (2018)
9 h
Tôt : 8h-17h
Tard : 12h-21h
1 sem15H (moy 55 ans)
IMC>25
↓ poids (-0,8 kg)
↓ glycémie postprandiale
↓ TG
↓ glycémie à jeun (seulement pour ART tôt)
Hutchison et coll. (2019)
ART: 8h (12h-20h)
Ctl: 3 repas à heures fixes
12 sem
70H, 46F (moy 47 ans)
IMC>25
↓ poids (1,2%) pour ART (non significative)Lowe et coll. (2020)
10h (moment au choix du participant)12 sem13H, 6F (moy 59 ans)
(atteints du syndrome métabolique)
↓poids
↓tour de taille
↓pression artérielle
↓LDL-cholestérol
↓HbA1C
Wilkinson et coll. (2020)
4h 15h-19h)
6h (13h-19h)
8 sem53F, 5H
IMC>30
↓poids (3 %)
↓résistance insuline
↓stress oxydatif
↓apport calorique (-500kCal/jr en moy)
(pas de diff. entre 4h et 6h)

Cienfuegos et coll. (2020)
ART : 10h
Ctl : 12h
(déficit calorique de 1000 kCal/jr dans les 2 cas)
8 sem53F, 7H
IMC> 35
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-8,5% vs -7,1%)
↓ glycémie à jeun (seulement pour ART)
Peeke et coll. (2021)
8 h (12h-20h)12 sem32F
IMC>32
↓poids (-4 kg)
↓risque CV (score de Framingham)
Schroder et coll. (2021)
8h (moment au choix du participant)12 sem37F, 13H
IMC=35
↓poids (-5 %)Przulj et coll. (2021)
ART : 8h (8h-16h)
Ctl : 10h
(Dans les 2 cas, réduction des calories à 1800 kCal/jr pour les hommes et 1500 kCal/jr pour les femmes)
52 sem71H, 68F (moy 30 ans)
IMC>30
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-8 kg vs -6,3 kg)
Liu et coll. (2022)
ART: 8h
Tôt : 6h-14h
Tard : 11h-19h
5 sem64F, 18H
IMC=22
↓apport calorique
↓résistance à l’insuline (ART tôt)
↓glycémie à jeun (ART tôt)
Xie et coll. (2022)
ART : 10h (à partir de l’heure du déjeuner)
Ctl : pas de limite de temps
(Réduction calorique de 35% dans les deux cas)
12 sem69F, 12H (moy 38 ans)
IMC=34
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-6,2 kg vs -5,1 kg)
Thomas et coll. (2022)
ART: 8h (7h-15h)
Ctl : ≥12h
(Réduction calorique de 500kCal/j dans les deux cas)
14 sem72F, 18H (moy 43 ans)
IMC>30
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-6,3 kg vs -4,0 kg)
Jamshed et coll. (2022)

Tableau 1. Exemples d’études portant sur les effets de l’ART sur le poids corporel et le métabolisme.

Rythmes métaboliques

Les raisons de l’impact positif d’une alimentation restreinte dans le temps sont à la fois très simples et éminemment complexes.  Simple, tout d’abord, dans la mesure où on peut intuitivement comprendre que le métabolisme, comme n’importe quel travail, requiert des périodes de pause pour optimiser le rendement et éviter la surchauffe et l’épuisement.

Au cours de l’évolution, ces cycles de travail-repos métaboliques se sont développés en réponse au cycle jour-nuit de la Terre, qui correspond en gros à notre cycle éveil-sommeil (Figure 2) : durant le jour, nous sommes en mode actif et la principale fonction du métabolisme est d’extraire l’énergie contenue dans les aliments (glucose, acides gras, protéines) pour subvenir aux besoins de la journée. Par contre, le métabolisme est également prévoyant et économe, et une portion de cette énergie n’est pas utilisée immédiatement, mais est plutôt entreposée sous forme de polymères de glucose (glycogène) ou transformée en gras et stockée au niveau du tissu adipeux pour être utilisée lors de périodes plus ou moins prolongées de jeûne.

Figure 2. Rythmicité des processus métaboliques selon le moment de la journée. La plupart des organismes, y compris les humains, ont évolué pour avoir des rythmes circadiens (près de 24 heures) qui créent des fenêtres de temps optimales pour le repos, l’activité et l’apport en nutriments. Cette horloge moléculaire coordonne les réponses métaboliques appropriées avec le cycle lumière/obscurité et améliore l’efficacité énergétique grâce à la séparation temporelle des réactions anaboliques (sécrétion d’insuline, synthèse de glycogène, lipogenèse) et cataboliques (lipolyse, dégradation du glycogène) dans les tissus périphériques. Les perturbations de ce cycle, par exemple suite à un apport nutritionnel en dehors de la fenêtre de temps privilégiée, compromettent les fonctions des organes et augmentent les risques de maladies chroniques. Adapté de Sassi et Sassone-Corsi (2018).

Dans ce mode maintenance, qui correspond généralement à la période de repos (le soir, la nuit et le début du jour), la fonction du métabolisme est d’assurer que l’apport énergétique à nos cellules demeure adéquat, même en absence d’aliments :  le glucose stocké sous forme de glycogène est tout d’abord utilisé pour maintenir la glycémie à un taux constant, suivi d’une transition graduelle du métabolisme vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie. Lorsque la période de jeûne se prolonge, les niveaux de glucose sanguins deviennent insuffisants pour assurer le fonctionnement du cerveau (les neurones ne sont pas capables d’utiliser les acides gras comme source d’énergie) et une partie des graisses est alors utilisée pour produire des corps cétoniques. Ces corps cétoniques peuvent être métabolisés par les cellules nerveuses (ainsi que par les cellules d’autres organes, notamment les muscles et le cœur), ce qui permet au corps de non seulement survivre à une carence en aliments, mais aussi de conserver les capacités physiques et mentales nécessaires pour obtenir cette nourriture (les personnes qui jeûnent pendant des périodes assez longues (≥ 24 h) rapportent fréquemment une amélioration notable de leur acuité mentale). D’un point de vue évolutif, cette segmentation du métabolisme en deux phases distinctes s’est donc développée pour maximiser l’extraction de l’énergie lorsque la nourriture est disponible, tout en assurant la survie lorsqu’elle ne l’est pas, pendant les fréquentes périodes de disettes.

Au niveau moléculaire, cette transition métabolique (metabolic shift) du glucose vers les graisses crée donc l’équivalent de « quarts de travail » où les différentes enzymes et hormones métaboliques actives durant le jour sont au repos durant la nuit, alors qu’à l’inverse, celles qui entrent en action durant la nuit deviennent inactives pendant le jour.

Un des meilleurs exemples de cette chorégraphie moléculaire  finement orchestrée est le cycle gouvernant la production de l’insuline : durant le jour, l’arrêt de la sécrétion de mélatonine après l’éveil permet au pancréas de produire de l’insuline en réponse à l’ingestion de glucides, et la capture du glucose présent dans la circulation sanguine qui s’ensuit est utilisée par les cellules pour assurer leur fonctionnement. En parallèle, l’insuline favorise aussi la transformation du glucose en acides gras au niveau du tissu adipeux et la création d’une réserve d’énergie pour usage futur.  En soirée, donc au début de la période de maintenance du métabolisme, la sécrétion de mélatonine (pour favoriser le sommeil) interfère avec celle d’insuline et la diminution de l’entrée de sucre dans les cellules qui s’ensuit facilite la transition vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie pendant la période de repos.

Une des conséquences immédiates de manger à répétition pendant une longue période de temps de la journée, par exemple 15 h et plus comme dans l’étude mentionnée plus tôt, est donc de complètement perturber ce cycle de l’insuline. Ceci est particulièrement vrai pour des apports caloriques tard en soirée, au moment où la sécrétion de mélatonine signale normalement au métabolisme que l’extraction d’énergie est terminée pour la journée (inhibition de l’insuline) et qu’il est temps de se placer en période de maintenance. L’ingestion de calories à ce moment tombe alors à un bien mauvais moment, car les deux volets du métabolisme sont sollicités en même temps et la cacophonie qui s’ensuit perturbe simultanément le fonctionnement normal de chacun d’entre eux. Par exemple, on sait depuis longtemps qu’un apport calorique tardif est associé à une hausse plus élevée du glucose sanguin postprandial (après le repas).

Période de repos prolongée

Limiter l’apport calorique à seulement 6-8 h de la période d’éveil a évidemment comme conséquence immédiate d’augmenter la durée de la période de repos et de maintenance du métabolisme.  Cela peut sembler peu, mais ces quelques heures supplémentaires sans apport calorique vont forcer la mise en branle d’une série d’adaptations métaboliques extrêmement importantes pour les effets bénéfiques de l’ART. C’est là que ça se complique, mais on peut tout de même tenter de simplifier le tout en séparant ces adaptations en deux grandes catégories :

1) Optimiser la transition métabolique.  Comme mentionné plus tôt, la période de jeûne est associée au passage d’un métabolisme axé sur le glucose comme principale source d’énergie vers les acides gras.  Par contre, lorsque la période de jeûne est relativement courte, d’environ 12 h (par exemple, fin de souper vers 18 h suivi d’un petit déjeuner à 6 h  le lendemain), cette transition métabolique vers les graisses demeure incomplète : la diminution des taux de glucose postprandial est corrélée avec une légère hausse des acides gras libres en circulation, mais cette hausse est transitoire et annulée dès l’ingestion du premier repas de la journée (Figure 3, graphique de gauche).  De plus, ce laps de temps n’est pas suffisant pour générer des taux significatifs de corps cétoniques.

Figure 3. L’impact de l’ART sur la transition métabolique vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie. Après chaque repas, la concentration de glucose dans le sang augmente rapidement dans les 15 minutes qui suivent, avec un pic de 30 à 60 minutes après le début du repas, tandis que l’absorption des triglycérides alimentaires est beaucoup plus lente avec un pic qui survient 3 à 5 h plus tard. Cette hausse rapide du glucose entraîne une augmentation drastique de l’insuline systémique (~ 400–500 pmol/L) pour permettre l’absorption de glucose et, en parallèle, agit sur le tissu adipeux pour inhiber la libération d’acides gras libres et bloquer la production de corps cétoniques. Par conséquent, l’utilisation des glucides représente 70 à 75 % des dépenses énergétiques après la consommation d’un repas. Le métabolisme hépatique du glycogène passe alors de la dégradation (glycogénolyse) à la synthèse (glycogenèse) et le métabolisme musculaire passe de l’oxydation des acides gras et des acides aminés à l’oxydation du glucose et au stockage du glycogène. Cette réponse finement réglée se traduit par une diminution de la glycémie à < 7,8 mmol/L deux heures après un repas. Lors d’une période de jeûne standard (12 h) (figure de gauche), la glycémie est maintenue à un niveau constant (environ 4,0-5,5 mmol/L) et c’est l’oxydation des acides gras qui devient la principale source d’énergie (environ 45 %, contre 35 % pour le glucose et 20% pour les protéines). Lorsque la période de jeûne dépasse 12 h (figure de droite), la concentration de glucose et d’insuline continuent à diminuer lentement, tandis que celle des acides gras libres augmente pour assurer la transition métabolique vers l’oxydation des graisses.  Cette transition est également associée à la production de corps cétoniques en réponse à l’influx d’acides gras libres au niveau du foie.  Adapté de Dote-Monterro et coll. (2022).

En repoussant de quelques heures ce premier repas (ou en consommant plus tôt le dernier repas du jour précédent) de façon à jeûner un peu plus longtemps (16 h, par exemple), l’absence de nouvelles sources alimentaires de sucre et de triglycérides force le métabolisme à se tourner vers les réserves d’acides gras comme source d’énergie ainsi qu’à débuter la transformation d’une partie de ces gras en corps cétoniques pour compenser la rareté de glucose (Figure 3, graphique de droite).

Autrement dit, en répartissant l’apport calorique sur une période de temps prolongée (12 h et plus), l’excédent d’énergie stockée sous forme de graisses n’est à peu près jamais utilisé.  Pour les personnes qui consomment régulièrement plus de calories que leurs besoins, il peut donc y avoir au fil du temps une accumulation progressive de graisse. Par contre, en restreignant cet apport calorique sur une période de temps plus courte (moins de 12 h), la plus grande transition métabolique vers les graisses permet d’utiliser ces réserves et ainsi d’éviter l’accumulation d’un surplus d’énergie pouvant mener au surpoids.

2) Sauvegarder les acquis.  Une autre conséquence d’une période de jeûne prolongée est de créer un « climat d’incertitude » pour les cellules quant à leur apport futur en énergie.  Au cas où cette disette se prolonge, elles n’ont alors d’autre choix que d’adopter une approche prudente et de privilégier le maintien des acquis plutôt que d’envisager de poursuivre leur expansion.  Pour faire une analogie simple, lorsque les temps sont durs, on consacre nos énergies à entretenir la maison et non à entreprendre des travaux d’agrandissement. C’est exactement l’approche que privilégie la cellule lors d’un jeûne : en absence de nouvelles sources d’énergie, les mécanismes impliqués dans la croissance sont mis en veilleuse et l’énergie résiduelle est plutôt consacrée au maintien et à la réparation des constituants essentiels à l’intégrité cellulaire (ADN, mitochondries, protéines, etc.). Cette « cure de rajeunissement » fait en sorte que l’état de santé général des cellules est amélioré lors d’un jeûne, ce qui permet un fonctionnement optimal lorsque l’apport énergétique est rétabli.

Surchauffe métabolique

Pour mieux comprendre l’impact de cette adaptation au jeûne sur le métabolisme, il peut être utile de tout d’abord visualiser à quel point l’alimentation standard actuelle, riche en aliments d’origine animale et en aliments ultratransformés (qui représentent actuellement à eux seuls près de la moitié des calories quotidiennes consommées au Canada), est un « cocktail » de croissance parfait pour créer une surchauffe métabolique et encourager le développement de diverses pathologies.

  Cette surchauffe est principalement causée par la présence simultanée de deux puissants activateurs des voies de signalisation impliquées dans la croissance des cellules, soit les sucres libres et les protéines animales (Figure 4).  En particulier, les régimes riches en protéines et en certains acides aminés (méthionine et à acides aminés à chaines latérales (BCAA), principalement retrouvés dans les produits animaux) sont les plus efficaces pour activer la voie GH/IGF-1 impliquée dans la croissance et le vieillissement prématuré de la cellule. En conditions normales, l’activation de ces voies de croissance est évidemment essentielle à la survie, mais lorsqu’elle devient excessive, par exemple suite à une surconsommation de calories et/ou un apport alimentaire trop fréquent (par exemple sur une période de 15 h, comme observé dans l’étude mentionnée plus tôt), l’excès d’énergie qui est emmagasiné sous forme de graisse peut favoriser le développement d’une résistance à l’action de l’insuline (voir notre article à ce sujet).  Ce désordre du signal de l’insuline est réellement problématique, car il catalyse l’apparition d’une série de bouleversements métaboliques qui vont créer une inflammation chronique et un stress oxydatif dommageables pour l’ensemble du corps.  Ces conditions peuvent favoriser directement le développement des principales maladies chroniques (cardiovasculaires, diabète de type 2, cancer, neurodégénérescences) ou encore indirectement, en accélérant le processus de vieillissement, un des principaux facteurs de risque de ces maladies.

Figure 4. Effets de l’alimentation occidentale standard sur le métabolisme et le risque de maladies chroniques.Un apport calorique quotidien prolongé (≥12h), combiné à la présence de sucres simples et de protéines animales, active fortement les voies impliquées dans la croissance cellulaire (GH/IGF-1, insuline) et favorise le développement d’anomalies métaboliques comme le surpoids et la résistance à l’insuline. Les perturbations métaboliques qui s’ensuivent créent un climat propice au développement de conditions de stress oxydatif et d’inflammation chroniques qui endommagent la cellule (glucotoxicité, lipotoxicité, dommages à l’ADN, lipides et protéines), accélèrent le vieillissement biologique et augmentent le risque de plusieurs maladies.

Éviter la surchauffe

Pour simplifier, on peut voir le jeûne intermittent, incluant l’ART, comme une façon de minimiser ces risques de surchauffe métabolique et de plutôt stimuler les mécanismes de conservation cellulaire (Figure 5). En limitant l’apport calorique à une fenêtre de temps plus courte, les hormones de croissance comme l’insuline et le IGF-1 sont activées, mais dans une moindre mesure, ce qui réduit les risques de surpoids, de résistance à l’insuline et, par conséquent, d’altérations métaboliques favorisant le vieillissement et le développement de maladies chroniques.  De plus, comme mentionné auparavant, la période plus longue de jeûne force la cellule à entrer en mode maintenance et de mettre en priorité la réparation et le maintien de ses structures plutôt que la croissance à tout prix. Au niveau moléculaire, cela se traduit par l’activation des senseurs de la baisse d’énergie disponible (l’AMPK et les sirtuines, en particulier) et l’entrée en scène des processus de conservation comme la réparation des protéines et de l’ADN, la synthèse de nouvelles mitochondries (mitogenèse), le recyclage des composantes endommagées (ce qu’on appelle le processus d’autophagie) et le renouvellement des cellules souches.

Il faut absolument mentionner que les bénéfices associés au jeûne intermittent seront d’autant plus manifestes si l’énergie consommée durant la période d’apport calorique provient principalement des végétaux. On sait depuis longtemps qu’une alimentation à base de plantes (fruits, légumes, légumineuses, noix, graines, etc.) permet un apport élevé en vitamines, minéraux et certains composés bioactifs (les polyphénols, par exemple) qui possèdent des propriétés antiinflammatoires, tout en étant d’excellentes sources de glucides complexes et de gras insaturés, des nutriments essentiels à la réduction importante du risque de maladies chroniques, en particulier les maladies cardiovasculaires.  Il faut aussi mentionner que les protéines d’origine végétale, étant moins riches en méthionine et en acides aminés à chaine latérale (BCAA), activent moins fortement le GH/IGF-1 et la production d’insuline que les protéines animales et réduisent ainsi le risque de résistance à l’insuline et de diabète de type 2.  Puisque la voie GH/IGF-1 représente également un puissant activateur de mTOR (impliqué dans la synthèse de protéines et la croissance cellulaire), la réduction de GH/IGF-1 par les protéines végétales contribue à diminuer l’activité de ce mTOR et ainsi à stimuler l’autophagie, le recyclage des composantes cellulaires essentiel au maintien de la santé de la cellule.

Figure 5. Impacts métaboliques et physiologiques d’une alimentation restreinte dans le temps et d’un régime principalement à base de plantes.   Un apport calorique restreint à une fenêtre de temps inférieure à 8 h et composé de nutriments d’origine végétale (glucides complexes, gras insaturés, protéines pauvres en méthionine et en acides aminés à chaine latérale (BCAA)) favorise une faible résistance à l’insuline, une faible adiposité, des niveaux d’activités modérés de GH/IGF-1, une signalisation mTOR réduite et une hausse de l’autophagie. La combinaison de ces effets améliore le fonctionnement du métabolisme, réduit l’inflammation et le stress oxydatif et favorise la maintenance et la réparation des fonctions cellulaires, ce qui peut mener à un ralentissement du processus de vieillissement et une diminution de l’incidence de plusieurs maladies chroniques, incluant le diabète, certains cancers, les maladies cardiovasculaires et les neurodégénérescences.  Adapté de Longo et Anderson (2022).

En somme, on peut voir l’ART (et les jeûnes intermittents dans l’ensemble) comme un moyen simple d’utiliser à notre avantage les mécanismes sélectionnés par l’évolution pour optimiser le fonctionnement de notre métabolisme et ainsi créer des conditions incompatibles avec le développement des maladies chroniques.   Il faut réaliser que nous vivons actuellement à une époque d’abondance alimentaire sans précédent, pour laquelle notre physiologie, qui a évolué pour faire face à la rareté de nourriture, est complètement inadaptée.  Contrôler son apport calorique dans un tel environnement n’est pas chose facile, en particulier pour les personnes qui sont en surpoids et qui cherchent à perdre du poids en mangeant moins : ces régimes hypocaloriques sont la plupart du temps inefficaces à long terme, car la restriction calorique est extrêmement difficile à soutenir sur de longues périodes.

Restreindre l’apport calorique de la journée à des fenêtres de temps inférieures à 12 h, comme dans l’ART, représente une alternative intéressante à la restriction calorique.  D’une part, il n’est pas nécessaire de diminuer la quantité totale de calories consommées pour contrôler son poids, ce qui rend cette approche beaucoup plus accessible pour la plupart des gens (en pratique, les études indiquent que les personnes qui adhèrent à l’ART diminuent tout de même leur apport calorique, mais de façon involontaire). De plus, le jeûne intermittent n’augmente pas les hormones de l’appétit comme la ghréline (contrairement à la restriction calorique), ce qui rend les gens moins affamés et donc moins susceptibles de « tricher » et d’abandonner cette approche.

En somme, l’ART peut être considérée comme une forme « d’autodéfense alimentaire » face à la surabondance de calories présentes dans notre environnement.  En minimisant les excès caloriques, cette approche modérée et prudente permet de mieux contrôler le poids corporel et ainsi de réduire les risques de l’ensemble des maladies chroniques qui découlent du surpoids.

La modulation du microbiote intestinal par des interventions alimentaires pour prévenir les maladies cardiométaboliques

La modulation du microbiote intestinal par des interventions alimentaires pour prévenir les maladies cardiométaboliques

EN BREF

  • Dans une étude auprès de 307 participants, le régime de type méditerranéen était associé à une composition du microbiote intestinal favorable à une bonne santé cardiométabolique.
  • Dans une autre étude, le jeûne intermittent a altéré le microbiote intestinal et a prévenu le développement de l’hypertension chez des rats qui deviennent spontanément hypertendus en vieillissant.
  • Le métabolisme des acides biliaires modulé par le microbiote a été identifié comme un régulateur de la pression artérielle.
  • Des interventions alimentaires visant à modifier le microbiote intestinal pourraient être une approche non pharmacologique viable pour prévenir et traiter l’hypertension artérielle et d’autres pathologies.
Les maladies cardiométaboliques incluant le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires sont en hausse au Canada et dans le monde. Ces maladies qui réduisent la qualité et l’espérance de vie des personnes atteintes, et qui engendrent des coûts importants pour la société, peuvent être prévenues par le maintien de bonnes habitudes de vie, incluant une alimentation saine et l’exercice régulier.

Des études récentes ont établi un lien entre le métabolisme microbien et les interactions immunes dans l’intestin et le risque de maladie cardiométabolique (voir nos articles sur le sujet ici, ici et ici). Deux nouvelles études montrent que le type de régime alimentaire et la fréquence des repas ont des effets sur le risque de maladie métabolique qui sont dus en partie à des altérations du microbiote intestinal. Les résultats de ces nouvelles études suggèrent que la modulation du microbiote intestinal par des interventions alimentaires pourrait être une nouvelle approche préventive et thérapeutique.

Des chercheurs américains ont analysé les données sur le microbiome de 307 participants mâles à l’étude « Health Professionals Follow-up Study », ainsi que leurs habitudes alimentaires et les biomarqueurs de la régulation de la glycémie, du métabolisme des lipides et de l’inflammation. Le régime de type méditerranéen (constitué principalement de légumes, légumineuses, fruits, noix, huile d’olive, et d’un peu de vin et de viande rouge) était associé à une composition du microbiote intestinal favorable à une bonne santé cardiométabolique. L’association favorable entre le régime de type méditerranéen et le risque de maladie cardiométabolique était particulièrement forte parmi les participants dont le microbiote contenait peu de bactérie Prevotella copri. Les chercheurs ne comprennent pas encore pourquoi le régime méditerranéen est moins efficace chez les personnes dont le microbiote contient la bactérie Prevotella copri, ils émettent cependant plusieurs hypothèses qui devront être vérifiées dans des études à venir. Quoiqu’il en soit, on peut envisager que des approches de prévention pourront un jour être personnalisées en fonction du profil microbien intestinal de chaque personne.

Bienfaits du jeûne intermittent sur l’hypertension
Le jeûne intermittent consiste à compresser la période durant laquelle on s’alimente sur une courte période (6-8h) et de « jeûner » durant le reste de la journée (16-18h). Le jeûne intermittent a des effets favorables sur la perte de poids et de gras corporel, l’inflammation chronique, le métabolisme et sur la santé cardiovasculaire (voir nos articles sur le sujet ici et ici). Les principaux bienfaits du jeûne intermittent sur le métabolisme sont une réduction des niveaux sanguins de cholestérol-LDL, une sensibilité accrue à l’insuline et un meilleur contrôle de la glycémie chez les diabétiques, une réduction du stress oxydatif et de l’inflammation. L’on sait d’une part qu’un déséquilibre du microbiote intestinal (dysbiose intestinale) contribue au développement de l’hypertension. D’autre part, des études réalisées ces dernières années ont montré que le jeûne et la restriction calorique réduisent significativement la pression artérielle, autant dans des modèles animaux que chez des patients hypertendus.

Une étude récente montre que les effets bénéfiques du jeûne intermittent sur la pression artérielle sont attribuables, au moins en partie, à une modulation du microbiote intestinal. Les chercheurs ont utilisé un modèle animal couramment utilisé dans le domaine de la recherche fondamentale en hypertension: les rats spontanément hypertendus prédisposés aux accidents vasculaires cérébraux (SHPAVC), un modèle génétique unique d’hypertension sévère et d’AVC. Des rats hypertendus SHPAVC et des rats normotendus Wistar-Kyoto (WKY) ont été soumis durant 8 semaines à l’un ou l’autre des régimes alimentaires suivant: 1) nourriture à volonté durant la totalité de l’étude (groupes témoins) ou 2) un régime alternant une journée avec nourriture à volonté et une journée sans accès à la nourriture (jeûne intermittent). Les rats hypertendus (SHPAVC) et normotendus (WKY) dans les groupes témoins ont ingéré la même quantité de nourriture. Par contre, les rats soumis au jeûne intermittent ont mangé davantage les jours avec nourriture à volonté que ceux des groupes témoins, probablement pour compenser le jour de jeûne. Malgré cela, la quantité totale de nourriture ingérée durant l’étude était significativement moins élevée chez les rats hypertendus (-27 %) et normotendus (-35 %) soumis au jeûne intermittent, par comparaison aux animaux des groupes témoins respectifs qui avaient accès à de la nourriture à volonté. Malgré un apport alimentaire similaire, les rats hypertendus du groupe témoin ont pris significativement moins de poids que les rats normotendus.

Comme attendu, la pression artérielle des rats hypertendus mesurée hebdomadairement était significativement plus élevée que celle des rats normotendus. Par contre, le jeûne intermittent a considérablement réduit la pression artérielle des rats hypertendus, d’environ 40 mmHg en moyenne vers la fin de l’étude, par comparaison aux rats hypertendus qui avaient accès à de la nourriture à volonté. Cette baisse importante a ramené la pression artérielle des rats hypertendus à des niveaux comparables à ceux des rats normotendus.

Rôle du microbiote intestinal dans la régulation de la tension artérielle
Les modèles animaux permettent la réalisation d’expériences sur le rôle du microbiote intestinal qui ne pourraient être faites chez l’humain. Dans le but de savoir si le microbiote intestinal joue un rôle dans l’effet du jeûne intermittent, les chercheurs ont poursuivi leur étude en « transplantant » le microbiote des rats hypertendus et normotendus dans des rats aseptisés (« germ-free ») c.-à-d. des rats reproduits dans des conditions particulières, de telle manière qu’ils ne contiennent aucun micro-organisme.

Les rats aseptisés qui ont reçu le microbiote des rats hypertendus avaient une pression artérielle significativement plus élevée que ceux qui ont reçu le microbiote des rats normotendus, lorsque soumis au régime alimentaire témoin (nourriture à volonté). Par contre, le jeûne intermittent a réduit la pression artérielle des rats aseptisés qui ont reçu le microbiote des rats hypertendus à des niveaux comparables à ceux des rats qui ont reçu le microbiote des rats normotendus. Ces résultats démontrent que les altérations du microbiote des rats hypertendus provoqués par le jeûne intermittent sont suffisantes pour provoquer une baisse de pression artérielle. L’analyse du microbiote par séquençage du génome entier (whole-genome shotgun sequencing) a permis aux chercheurs d’identifier le métabolisme des acides biliaires comme un médiateur potentiel de la régulation de la pression artérielle. Des analyses ont par la suite révélé que les niveaux sanguins de 11 acides biliaires (sur 18) des rats hypertendus SHPAVC étaient significativement moins élevés que ceux des rats normotendus (WKY). En appuis à l’hypothèse, l’ajout d’acide cholique (un précurseur des acides biliaires) dans la nourriture ou l’activation du récepteur des acides biliaires (TGR5) ont réduit significativement la pression artérielle (18 mmHg) des rats hypertendus (SHPAVC).

En résumé, la qualité des aliments et la fréquence à laquelle nous nous alimentons a des répercussions importantes sur les micro-organismes de notre microbiote, sur les facteurs de risques cardiométaboliques et, ultimement, sur notre santé globale. En modifiant le régime alimentaire et la fréquence des repas, il serait peut-être possible d’améliorer considérablement la condition des personnes atteintes de maladies chroniques.

 

 

 

 

 

 

 

L’alimentation limitée dans le temps : un outil pour perdre du poids et améliorer la santé cardiométabolique

L’alimentation limitée dans le temps : un outil pour perdre du poids et améliorer la santé cardiométabolique

EN BREF

  • Les deux formes d’alimentation limitée dans le temps (jeûne intermittent) les plus populaires, sur 4 heures ou 6 heures par jour, ont été testées chez des personnes obèses.
  • Les deux régimes alimentaires ont produit la même perte de poids corporel (–3,2 %) à la fin de l’étude d’une durée de deux mois.
  • Les deux régimes alimentaires ont réduit l’apport calorique de ∼550 kcal/jour, sans que les participants aient eu à contrôler le nombre de calories consommées.
  • Des réductions similaires de la résistance à l’insuline et du stress oxydatif ont été observées pour les deux types de régimes.

Le jeûne intermittent a gagné en popularité ces dernières années, depuis que plusieurs études cliniques ont montré qu’il peut permettre de perdre du poids et de prévenir des maladies métaboliques (voir aussi notre article : « Le jeûne intermittent, une nouvelle approche pour perdre du poids ? »).

On distingue trois types différents de régimes qui font partie du jeûne intermittent :

  • Le jeûne en jour alterné (alternateday fasting) où l’on alterne entre une journée de « jeûne » où l’on ne consomme que très peu de calories (0-800 calories) suivie d’une journée où l’on mange normalement.
  • Le régime 5:2 est une version modifiée du jeûne en jour alterné qui inclut deux journées de jeûne par semaine (<600 calories), suivi de cinq jours où l’on mange normalement.
  • L’alimentation limitée dans le temps (time-restricted feeding) préconise de limiter la période de la journée durant laquelle la nourriture est consommée. Les deux formes de ce régime les plus populaires sont le « régime du guerrier » (warrior diet) où l’on ne mange que sur une période de 4 heures par jour et le régime « 18:6 » où l’on jeûne pendant 18 heures et où l’on mange sur une période de 6 heures.

Dans une étude randomisée contrôlée publiée récemment dans Cell Metabolism, des chercheurs en nutrition ont voulu répondre à la question suivante : l’alimentation limitée sur une période de 6 heures (régime 18:6) produit-elle les mêmes effets sur le poids corporel et les facteurs de risque métabolique qu’une alimentation limitée sur 4 heures (« régime du guerrier » ou régime 20:4) ? Les chercheurs avaient pour hypothèse qu’en comparaison avec l’alimentation limitée sur une période de 6 heures, celle limitée sur 4 heures permettrait une plus grande perte de poids, une baisse plus marquée de la tension artérielle, un meilleur contrôle de la glycémie et des effets plus marqués sur le stress oxydatif.

Les 58 participants obèses (IMC : 30-50 kg/m2) à l’étude d’une durée de 8 semaines ont été répartis en trois groupes :

  • un groupe témoin qui pouvait manger normalement et sans restriction de temps.
  • Un groupe qui devait manger entre 15 h et 19 h, soit une restriction sur une période de 4 heures.
  • Un groupe qui devait manger entre 13 h et 19 h, soit une restriction sur une période de 6 heures.

Il n’y avait aucune restriction sur la quantité ou la nature de la nourriture consommée et les participants ne devaient pas contrôler leur apport en calories. Durant la période de jeûne, les participants étaient encouragés à boire abondamment de l’eau et il était permis de consommer des boissons sans calories telles que le thé noir, café (sans sucre ni lait) ou une boisson gazeuse diète.

Après 8 semaines, les deux groupes qui ont limité leur alimentation sur des périodes de 4 heures et 6 heures avaient tous deux perdu 3,2 % ± 0,4 % de poids corporel, alors que le groupe témoin n’avait pas perdu significativement de poids (0,1 % ± 0,4 %). L’alimentation limitée sur 4 heures n’a donc pas permis de perdre davantage de poids que sur une période de 6 heures, contrairement à l’hypothèse de départ.

La glycémie à jeun n’était pas significativement différente entre les trois groupes, huit semaines après le début de l’étude. Par contre, l’insulinémie à jeun, la résistance à l’insuline et le stress oxydatif étaient réduits dans les 2 groupes d’intervention, par comparaison au groupe témoin, avec aucune différence significative entre les deux groupes d’intervention (4 heures vs 6 heures).

Plusieurs paramètres, incluant la pression artérielle, les taux de cholestérol-LDL, cholestérol-HDL et de triglycérides n’ont pas été modifiés par l’alimentation limitée dans le temps, aussi bien pour la limitation de 4 heures que celle de 6 heures. Ces derniers résultats sont en contradiction avec ceux d’études précédentes où des baisses significatives de ces paramètres avaient été observées. Les auteurs ne peuvent expliquer ces différences, mais ils suggèrent que leur étude n’avait peut-être pas suffisamment de participants pour être en mesure d’observer des effets significatifs sur ces paramètres secondaires de l’étude.

Résumé des principaux résultats des études antérieures sur le jeûne intermittent
Les effets du jeûne en jour alterné et du régime 5:2 (2 jours de jeûne et 5 jours d’alimentation normale) sur le risque de maladie métabolique ont été l’objet de plus d’une douzaine d’études chez l’humain jusqu’à ce jour. Le jeûne en jour alterné produit une perte de poids corporel de l’ordre de 5 à 7 % sur une courte période (moins de six mois). Le jeûne en jour alterné apporte aussi plusieurs bienfaits métaboliques tels qu’une réduction de la pression artérielle, du cholestérol-LDL, des triglycérides, de l’insulinémie à jeun, de la résistance à l’insuline, de l’inflammation et du stress oxydatif. Le régime 5:2 a des effets similaires au jeûne en jour alterné.

L’alimentation limitée dans le temps (time-restricted feeding) a été l’objet d’un moins grand nombre d’études. Il y a eu six études cliniques chez l’humain à ce jour et seulement trois de ces études ont examiné les effets de ce régime sur la perte de poids corporel. Selon ces quelques études, l’alimentation limitée dans le temps produit une perte de poids corporel de l’ordre de 2,6 % à 3,6 % et une réduction de l’apport calorique de 8 à 20 % en 12 à 16 semaines. Ce type de jeûne intermittent a des effets significatifs sur la santé métabolique : baisse marquée de la glycémie à jeun, insulinémie, résistance à l’insuline. Une baisse de pression artérielle a été observée dans plusieurs études, même en absence de perte de poids corporel. Les effets sur les niveaux des lipides dans le sang sont moins clairs. Quelques études sur l’alimentation en temps restreint rapportent une baisse des triglycérides et du cholestérol-LDL, mais la plupart des études n’ont observé aucun effet sur ces mêmes lipides.

Conclusion
Bien que la perte de poids observée dans cette nouvelle étude soit modérée, les auteurs sont d’avis que l’alimentation en temps restreint est une intervention prometteuse pour ceux qui désirent perdre du poids. La limitation de l’alimentation sur une période de 6 heures est plus facile à pratiquer que sur 4 heures puisqu’il suffit, par exemple, de ne pas prendre de petit-déjeuner et de prendre les deux repas de la journée à des heures relativement normales (13 h et 18 h 30 par exemple). Cette étude indique qu’on obtiendra autant de bienfaits pour la santé avec le régime 18:6 qu’avec le « régime du guerrier » (20:4).

Faire de l’exercice à jeun pour brûler davantage de gras

Faire de l’exercice à jeun pour brûler davantage de gras

EN BREF

  • Des hommes sédentaires ont fait de l’exercice supervisé 3 fois par semaine durant 6 semaines, après avoir ingéré soit une boisson sucrée ou une boisson placebo, sans sucre.
  • Les participants qui ont fait de l’exercice à jeun ont « brûlé » deux fois plus de lipides (gras) que ceux qui ont consommé une boisson sucrée avant les séances d’exercice.
  • Les participants qui ont fait de l’exercice à jeun ont aussi vu leur sensibilité à l’insuline s’améliorer davantage que ceux qui ont ingéré des calories avant les séances d’exercice.

Il est maintenant bien établi que l’exercice sous toutes ses formes améliore la santé en général. En plus d’augmenter la capacité cardio-respiratoire, l’exercice pratiqué régulièrement améliore la sensibilité à l’insuline et réduit la sécrétion d’insuline après les repas. La réponse de chaque individu à des exercices similaires est cependant très variable : certaines personnes deviennent plus en forme ou perdent plus de poids ou stabilisent davantage leur glycémie que d’autres. L’un des facteurs qui pourraient avoir de l’importance est l’heure des repas et de la séance d’exercice. En effet, les muscles utilisent l’énergie sous forme de sucres et de gras, qui peuvent provenir du dernier repas ou des réserves dans le corps lorsqu’on est à jeun. L’accumulation d’une trop grande quantité de gras dans les muscles est problématique pour la santé, car les muscles gorgés de gras ne répondent pas bien à l’insuline, une hormone qui stimule l’absorption du glucose par les cellules musculaires, adipeuses et du foie. Par conséquent, l’excès de gras dans les muscles peut contribuer à la résistance à l’insuline, à l’hyperglycémie et à des risques accrus de diabète de type 2 et autres débalancements métaboliques.

Dans une étude randomisée contrôlée, une équipe internationale a testé l’effet du moment de la prise de repas sur les bénéfices métaboliques liés à l’exercice. Trente hommes sédentaires et en surpoids ou obèses ont été répartis en trois groupes (voir la figure ci-dessous): un groupe témoin qui a continué à vivre normalement et deux autres groupes qui ont fait de l’exercice supervisé le matin (course sur tapis roulant), trois fois par semaine durant six semaines, sans prendre de petit-déjeuner. Le deuxième groupe a ingéré une boisson aromatisée à la vanille contenant 20 % de sucres deux heures avant chaque séance d’exercice, alors que le troisième a ingéré une boisson placebo aromatisée à la vanille, contenant de l’eau et aucune calorie. Après chaque séance matinale d’exercice, les participants des deux groupes ont bu la boisson qu’il n’avait pas reçue avant la séance. Cela signifie que tous les coureurs ont ingéré la même quantité de calories et qu’ils ont fait la même quantité d’exercice, seul le moment de la consommation de calorie diffère, c.-à-d. avant ou après la séance d’exercice.

Figure.  Schéma du protocole de l’étude.  Adapté de Edinburgh et coll., 2019.

L’étude était randomisée et contrôlée, les participants ne savaient donc pas quel type de boisson ils ont bue avant et après avoir fait de l’exercice. 83 % des participants ont déclaré ne pouvoir détecter de différences entre la boisson sucrée et la boisson placebo ou n’étaient pas en mesure d’identifier quelle boisson contenait du sucre. Il faut savoir que le sucre utilisé ici, la maltodextrine (amidon partiellement hydrolysé), a un pouvoir sucrant très faible et qu’il est par conséquent difficile à détecter.

Des prises de sang et des biopsies d’un muscle situé dans la cuisse (muscle vaste latéral) ont été faites avant et après l’intervention, afin de mesurer différents métabolites et protéines d’intérêt. Dans le sang ont a mesuré le glucose, glycérol, triglycérides, cholestérol-HDL et -LDL, insuline, C-peptide, acides gras, et dans le muscle vaste latéral, la composition en phospholipides, le contenu en protéines impliquées dans le transport du glucose, la signalisation de l’insuline et le métabolisme des lipides.

Comme on pouvait s’y attendre, le groupe témoin n’a pas amélioré ni sa forme physique ni sa sensibilité à l’insuline durant ces six semaines. Au contraire, les deux autres groupes qui ont fait de l’exercice ont vu leur forme physique s’améliorer et leur tour de taille diminuer, bien que seulement quelques-uns des participants aient perdu du poids.

Le résultat le plus marquant de l’étude est que les participants qui ont fait de l’exercice à jeun ont « brûlé » deux fois plus de lipides (gras) que ceux qui ont consommé une boisson sucrée avant la séance d’exercice. Les participants des deux groupes qui ont fait de l’exercice ont pourtant dépensé le même nombre de calories.

Les participants qui ont couru à jeun ont aussi vu leur sensibilité à l’insuline s’améliorer davantage et leurs muscles ont synthétisé de plus grandes quantités de certaines protéines (l’AMP-activated protein kinase, un senseur énergétique, et le transporteur de glucose GLUT4) impliquées dans la réponse des cellules musculaires à l’insuline et l’utilisation des sucres.

Les études sur l’exercice et la santé métabolique devront à l’avenir tenir compte du moment de la prise des repas. Puisqu’il n’est pas possible pour tous de faire de l’exercice le matin après la période de jeûne nocturne, il sera intéressant de vérifier s’il est possible d’obtenir les mêmes bénéfices métaboliques après une période de jeûne diurne plus courte, par exemple lorsqu’on fait de l’exercice en début de soirée et que l’on a sauté le repas du midi. Il ne faut toutefois pas oublier que n’importe quelle activité physique (marche, tâches ménagères, etc.), pratiquée à n’importe quel moment de la journée, est bénéfique pour la santé.

Rémission du diabète de type 2 : de nouveaux résultats prometteurs

Rémission du diabète de type 2 : de nouveaux résultats prometteurs

Dans un article récent, le professeur Normand Mousseau a raconté sa rémission complète du diabète de type 2 à la suite d’une modification en profondeur de ses habitudes de vie, en particulier l’adoption d’un régime hypocalorique sévère qui a permis une perte de poids importante (près de 30 kg).   Les résultats du Diabetes Remission Clinical Trial (DiRECT), récemment parus dans Lancet, confirment que ce type de rémission n’est pas un cas isolé, mais est bel et bien observé chez une forte proportion des personnes obèses qui parviennent à maigrir et à maintenir cette perte de poids sur une longue période.

Une maladie du surpoids

Dans la très grande majorité des cas, le diabète de type 2 est une maladie qui affecte les personnes en surpoids.  Par exemple, les femmes qui sont considérées comme étant obèses (IMC>30) ont 40 fois plus de risque d’être touchées par un diabète de type 2 comparativement à celles qui sont minces (IMC de 22), une hausse qui peut même atteindre presque 100 fois chez les obèses morbides (IMC >35) (Figure 1).

Figure 1.  Association entre l’indice de masse corporelle et le risque de diabète de type 2 chez les femmes.  Adapté de Colditz (1995).

Les travaux réalisés au cours des 10-15 dernières années par le groupe de recherche mené par le professeur Roy Taylor (Newcastle, UK) ont montré que cette hausse du risque observée chez les personnes obèses est principalement due à l’accumulation de graisse au niveau du foie et du pancréas. Deux principaux phénomènes entrent en jeu :

  • Lorsque le foie est surchargé de gras, il devient « détraqué » et continue à produire du glucose même en présence d’insuline (en conditions normales, l’insuline supprime la synthèse de glucose par le foie). Il y alors une augmentation de la glycémie qui, à son tour, provoque une hausse des taux d’insuline.Puisque l’insuline favorise la fabrication de gras au niveau hépatique, il y a donc établissement d’un cercle vicieux : plus de glucose dans le sang =  plus d’insuline = plus de gras hépatique = plus de glucose sanguin.
  • En parallèle, une partie de l’excès de gras présent dans le foieest acheminé vers d’autres organes, notamment les îlots pancréatiques responsables de la sécrétion d’insuline. Avec le temps, l’accumulation de graisse dans ces cellules réduit progressivement leur fonction et la baisse d’insuline qui en résulte favorise le développement de l’hyperglycémie.

À l’heure actuelle, le diabète de type 2 est considéré comme incurable et l’approche thérapeutique consiste essentiellement à « limiter les dégâts » causés par l’hyperglycémie chronique à l’aide des nombreux agents hypoglycémiants sur le marché (488 médicaments distincts sont disponibles dans le monde, excluant l’insuline). L’originalité et l’importance de ces observations faites par le groupe du Pr Taylor est de remettre en question l’aspect irréversible du diabète de type 2 : puisque cette maladie est causée par une accumulation anormale de graisse au niveau des organes internes, cela implique que la réduction de cet excès de gras pourrait renverser le développement la maladie et ainsi permettre aux patients en rémission de réduire leurs risques d’être touchés par les nombreuses complications du diabète.

Une maladie réversible

Le premier indice suggérant que le diabète de type 2 est effectivement une maladie réversible provient de la chirurgie bariatrique.  Chez les personnes obèses traitées par ces procédures, plusieurs études ont observé une normalisation rapide des taux sanguins de glucose et une rémission durable du diabèteUne étude clinique randomisée comparant les effets de la gastroplastie par anneau gastrique modulable (« gastric banding », une forme de chirurgie bariatrique) aux traitements pharmacologiques standards a montré que 73 % des personnes traitées par la chirurgie étaient en rémission du diabète comparativement à 13 % de celles traitées avec les médicaments. Cette différence est directement corrélée avec la perte de poids plus importante provoquée par la chirurgie, confirmant que la réduction de la masse graisseuse représente l’élément clé pour renverser le diabète.  En ce sens, des rémissions similaires du diabète ont également été observées suite à une restriction calorique sévère (600 kcal/jour) pendant 2 mois, la normalisation de la glycémie et de la réponse à l’insuline étant directement liée à une réduction importante (30 % en seulement 7 jours) du contenu hépatique en gras.

Étude DIRECT

L’étude DIRECT mentionnée plus tôt suggère fortement que ce concept de rémission du diabète peut être applicable à grande échelle.  Dans cette étude randomisée, 306 volontaires obèses (IMC moyen de 35) et qui avaient été diagnostiqués avec un diabète de type 2 au cours des 6 dernières années ont été affectés aléatoirement à deux groupes :

  • un groupe contrôle, traité selon les lignes directrices standard recommandées par le NICE (National Institute of Health and Care Excellence) britannique;
  • un groupe d’intervention, traité à l’aide d’un programme spécialement adapté pour provoquer des pertes de poids importantes (Counterweight Plus). Ces volontaires ont remplacé leur alimentation normale par une diète liquide hypocalorique (825–853 kcal/jour) pendant 3-5 mois, après quoi les aliments ont été réintroduits progressivement, sur une période de 2 à 8 semaines. Un support médical était disponible pour favoriser le maintien des pertes de poids obtenues suite à la carence calorique.

Les principaux critères de jugement de l’essai (« primary endpoints ») étaient une perte de poids de 15 kg ou plus et une rémission complète du diabète, telle que définie par un taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c) inférieur à 6,5% (< 48 mmol/mol) un an après l’arrêt de tous les médicaments antidiabétiques.

Les résultats de l’étude sont tout à fait spectaculaires, avec pas moins de 46 % des participants du groupe intervention qui étaient en rémission du diabète de type 2. Chez les patients qui sont parvenus à atteindre l’objectif d’une perte de poids de 15 kg ou plus, ce taux de rémission est encore plus impressionnant et atteint 86 % (Figure 2). Ces résultats confirment donc que chez la majorité des personnes en surpoids, il est possible de renverser de façon durable le diabète de type 2 en réduisant drastiquement l’excès de graisse.

Figure 2.  Taux de rémission du diabète selon le poids corporel perdu 12 mois après le début de l’étude DIRECT.  Adapté de Lean (2018).

Pour ce qui est des personnes qui demeurent diabétiques en dépit d’une perte de poids importante, une étude subséquente réalisée par le groupe du Pr Taylor suggère que cette absence de réponse serait due à une perte de fonction irréversible des cellules du pancréas impliquées dans la production d’insuline.  Ces personnes montrent une perte de graisse au niveau du foie et du pancréas identique à celle des personnes qui ont répondu au traitement, mais cette réduction de l’excès de graisse ne permet par une récupération de la sécrétion d’insuline et une normalisation de la glycémie.  Ces personnes ont été en moyenne diabétiques pendant plus longtemps que les répondeurs (3,8 vs 2,7 années), ce qui suggère qu’il est préférable de perdre du poids le plus rapidement possible après le diagnostic de la maladie pour maximiser les chances de rémission.

Il faut aussi noter que d’autres études récentes ont également montré que des pertes des poids importantes (10 kg et plus) obtenues à l’aide d’un régime cétogène ou de jeûnes intermittents peuvent renverser le diabète de type 2 ou à tout le moins réduire considérablement l’utilisation de médicaments antidiabétiques par les personnes atteintes.  En somme, il est donc grand temps de modifier l’approche actuelle face au diabète de type 2, exclusivement axée sur le traitement non curatif de l’hyperglycémie chronique.  Dans la grande majorité des cas, le diabète découle directement du surpoids et une diminution significative de l’excès de graisse est suffisante pour renverser son développement et permettre une rémission durable de cette maladie.

 

Le jeûne intermittent, une nouvelle approche pour perdre du poids ?

Le jeûne intermittent, une nouvelle approche pour perdre du poids ?

L’accumulation excessive de graisse, particulièrement lorsqu’elle se produit au niveau abdominal, est un important facteur de risque de plusieurs maladies, incluant les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, les démences ainsi que plusieurs types de cancers. Pour les personnes qui souffrent d’embonpoint ou d’obésité, perdre du poids représente donc une approche très importante pour diminuer l’incidence et la progression de plusieurs de ces pathologies.

Un grand nombre d’études montrent qu’une perte de poids est effectivement associée à une amélioration significative de plusieurs aspects du métabolisme.  Par exemple, une étude américaine a montré que chez des personnes en surpoids et diabétiques, une diminution du poids corporel de 5 à 10 % était associée à une amélioration notable de plusieurs facteurs de risque de maladies cardiovasculaires (glycémie, pression artérielle, triglycérides, cholestérol-HDL) après une année.  Ces effets positifs sont encore plus accentués lorsque la diminution de poids est plus importante, en particulier en ce qui a trait au métabolisme du sucre, mais le message à retenir est qu’une perte de poids, même relativement modeste, entraine des répercussions très positives sur la santé.

Malheureusement, perdre du poids n’est pas une « mince » affaire, car cela implique de réduire significativement l’apport calorique pendant de longues périodes.  Les résultats de l’étude CALERIE (Comprehensive Assessment of Long-term Effects of Reducing Intake of Energy) montrent que c’est chose possible : dans cette étude qui s’est échelonnée sur deux années, les participants sont parvenus à diminuer de 12 %  leur consommation de calories, ce qui s’est traduit par une perte de poids de 10 % et une amélioration significative de plusieurs facteurs de risque cardiométaboliques. Par contre, cette diminution de l’apport calorique était bien en deçà de celle désirée par les chercheurs (25 %), même si les participants étaient étroitement encadrés et pouvaient bénéficier des conseils de plusieurs spécialistes de l’équipe de recherche.  Réduire significativement la consommation de nourriture, de l’ordre de 500 à 600 calories par jour,  représente donc un objectif difficile à atteindre pour la plupart des gens, ce qui explique la difficulté bien documentée d’adhérer à long terme à l’ensemble des régimes amaigrissants qui ont été développés au cours des dernières années. En général, ces régimes sont associés à une perte de poids relativement importante à court terme, mais il est très difficile de maintenir cette perte à plus long terme et la plupart des personnes reprennent les kilos perdus (et même parfois plus) après un certain temps.  Lorsqu’ils sont tentés à répétition, ces régimes créent ce qu’on appelle un effet « yo-yo » qui est non seulement décourageant, mais peut même s’avérer néfaste pour la santé : une étude récente a en effet montré que chez des patients qui avaient un historique d’événements cardiovasculaires, les fluctuations fréquentes du poids corporel étaient associées à une augmentation marquée du risque d’infarctus (117%), d’AVC (134 %) de diabète (78 %) et de mort prématurée (124 %).

Restriction sévère, mais brève

Pour contourner ces limitations, de plus en plus de scientifiques s’intéressent au jeûne comme moyen de profiter des bénéfices associés à la restriction calorique.  Au lieu de diminuer uniformément la quantité de calories consommées chaque jour, ce qui semble quasi impossible à réaliser pour la majorité des gens, il s’agit plutôt de faire alterner des périodes où l’apport alimentaire est normal avec des périodes de jeûne plus ou moins prolongées. Ce qu’on appelle le « jeûne intermittent », par exemple, consiste à jeûner ou de réduire drastiquement l’apport calorique (500 calories par jour) de façon intermittente, par exemple 1 ou 2 jours par semaine. Ces jeûnes peuvent être consécutifs, comme dans le régime 5:2  (5 jours d’alimentation normale suivis de deux jours de jeûne) ou encore alternatifs (un jour sur deux, par exemple).   Dans les deux cas, les études montrent que ces jeûnes intermittents sont associés à des pertes de poids et à une amélioration de plusieurs marqueurs cardiométaboliques similaires à celles obtenues suite à une restriction calorique continue et pourraient donc représenter des alternatives intéressantes.

Malgré tout, une limite inhérente à ce type de jeûnes sévères est qu’il est très difficile pour plusieurs personnes de se priver complètement de nourriture pendant 2-3 jours. Sans compter que l’élimination pure et simple de tout apport calorique peut entraîner des complications graves chez certaines personnes, en particulier chez les sujets âgés et frêles.

C’est dans ce contexte que l’équipe du Dr Valter Longo (University of South California) a eu l’idée d’élaborer un régime alimentaire qui reproduit les effets positifs du jeûne sur le corps, sans toutefois nécessiter l’abandon total de nourriture. Leurs travaux réalisés sur des souris ont montré qu’une restriction calorique moins sévère (diminution de moitié des calories) réalisée à l’aide d’un régime basé sur les végétaux, riche en gras polyinsaturés mais pauvre en protéines et en glucides,  pouvait mimer les effets d’un jeûne très strict sur plusieurs facteurs de risque cardiométaboliques et était associée à une amélioration significative de l’état de santé (moins de cancers, diminution de la perte de densité osseuse, amélioration des performances cognitives) ainsi que de l’espérance de vie des animaux. Appelée « fast-mimicking diet » (FMD), cette nouvelle forme de restriction calorique pourrait donc représenter une nouvelle approche non seulement pour perdre du poids, mais également améliorer la santé en général.

Le potentiel de cette stratégie est bien illustré par les résultats d’une étude clinique de phase 2 récemment publiés dans Science Translational Medicine. Les 100 participants de l’étude ont été séparés en un groupe contrôle, qui mangeaient comme à l’habitude, et un groupe expérimental auquel était prescrit la FMD pendant 5 jours consécutifs chaque mois, pendant une période de 3 mois.  Après coup, les deux groupes ont été inversés, c’est-à-dire que les participants du premier groupe contrôle ont testé la FMD, tandis que les volontaires du groupe expérimental sont revenus à leurs habitudes alimentaires habituelles.

Les résultats obtenus sont vraiment intéressants. Une semaine après la fin du troisième cycle de restriction calorique à l’aide de la FMD, les participants avaient perdu en moyenne 3 kilos, affichaient une diminution de leur tour de taille (3 cm) et présentaient une amélioration de la pression artérielle comparativement au group contrôle (- 4 mm Hg). Des effets positifs de la restriction calorique sur la glycémie à jeun, le profil lipidique (triglycérides, cholestérol), les taux de protéines inflammatoires (C-reactive protein) et de certains facteurs de croissance comme l’IGF-1 (impliqué dans le développement du cancer) ont également été observés, en particulier chez les personnes qui présentaient au départ des anomalies dans ces marqueurs. Par exemple, les participants prédiabétiques au début de l’étude avaient une glycémie revenue à la normale après l’intervention.

La restriction calorique à l’aide la FMD est encore au stade expérimental et d’autres études sont nécessaires pour mieux évaluer ses impacts à plus long terme.  En attendant, une chose est sûre: la plupart des maladies chroniques qui touchent actuellement la population sont une conséquence d’une surconsommation de nourriture et il n’y a que des avantages à manger moins, ne serait-ce que quelques jours par mois.