Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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18 septembre 2020
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La cigarette électronique réduit drastiquement l’exposition aux toxiques du tabac

En bref

  • La fumée de cigarette contient plus de 7000 composés chimiques, dont au moins 250 sont des toxiques bien caractérisés et 70 qui sont des cancérigènes établis.
  • En permettant l’absorption de nicotine sans combustion du tabac, la cigarette électronique représente donc une alternative pour réduire l’exposition à ces composés toxiques.
  • Selon une analyse de l’Institut Pasteur, cette réduction est très importante, les aérosols générés par les cigarettes électroniques contenant moins de 1 % des toxiques retrouvés dans la fumée de cigarette.

Il n’y a rien de pire que la cigarette pour la santé du coeur et des vaisseaux (et la santé en général) et cesser de fumer est de très loin la meilleure décision qu’une personne peut prendre pour diminuer son risque de développer une maladie cardiovasculaire. Le sevrage du tabac est cependant très difficile pour de nombreux fumeurs et, depuis plusieurs années, je recommande à mes patients qui sont incapables de cesser de fumer par les moyens conventionnels (timbres, gomme, etc.) d’utiliser la cigarette électronique.

Dans une cigarette électronique, une solution de nicotine est chauffée à environ 80oC à l’aide d’un atomiseur, ce qui génère un aérosol qui permet au vapoteur d’inhaler une petite quantité de nicotine (comme un fumeur) pour assouvir sa dépendance, mais qui ne contient pas les multiples molécules toxiques qui sont générées lors de la combustion du tabac (à environ 900 °C).  Ce dernier point est le plus important : contrairement à ce que plusieurs pensent (incluant la majorité des médecins), ce sont les produits de combustion de la cigarette de tabac qui causent les problèmes de santé, et non la nicotine. Cette dernière est une drogue qui crée la dépendance au tabac et qui incite les personnes à fumer, mais elle n’a pas d’effets majeurs sur la santé et n’est surtout pas responsable des maladies cardiovasculaires ni du cancer du poumon qui découlent du tabagisme. L’intérêt de la cigarette électronique est donc qu’elle permet aux fumeurs très dépendants de la nicotine de réduire considérablement leur exposition aux nombreuses substances toxiques de la fumée de cigarette. Il s’agit d’un exemple classique de ce qu’on appelle la réduction des méfaits (harm reduction).

De plus, non seulement la cigarette électronique est moins toxique que le tabac, mais une étude clinique randomisée publiée récemment dans le prestigieux New England Journal of Medicine montre qu’elle peut être très utile pour le sevrage tabagique, avec une efficacité deux fois plus grande que les approches traditionnelles à base de substituts nicotiniques. Ces dispositifs représentent donc une innovation technologique très intéressante qui ajoute une nouvelle dimension à la lutte au tabac.

Désinformation à grande échelle

Cela étant dit, un des aspects les plus déconcertants de la couverture médiatique qui entoure tout ce qui touche la cigarette électronique est le ton négatif, souvent même alarmiste, qui est employé pour rapporter les derniers développements de la recherche sur ces dispositifs.  N’importe quelle étude qui prétend montrer un impact négatif de la cigarette électronique sur la santé fait les manchettes, même celles qui sont de qualité médiocre et publiées dans des journaux de second ordre, tandis que les études qui rapportent plutôt un effet positif sont tout simplement ignorées, même lorsqu’elles sont très solides scientifiquement et publiées dans des journaux médicaux prestigieux. Ce déséquilibre fait en sorte que la population est informée seulement des risques potentiels associés à la cigarette électronique, sans savoir qu’il existe en parallèle toute une littérature qui montre que ces dispositifs ont des effets positifs sur la santé des fumeurs.

Un des meilleurs exemples de ce biais médiatique est sans doute la couverture d’une étude prétendant montrer une hausse du risque de crise cardiaque chez les vapoteurs, étude qui a été largement diffusée dans l’ensemble des médias de la planète lors de sa publication.  Pourtant, un examen critique des résultats a révélé que la majorité des 38 patients de l’étude avaient subi un infarctus en moyenne 10 ans AVANT de commencer à vapoter et donc que ces infarctus ne pouvaient pas être dus à la cigarette électronique.  Puisque les vapoteurs sont presque toujours des ex-fumeurs, la hausse d’infarctus observée chez les vapoteurs est simplement due au fait que ces personnes ont abandonné le tabac après avoir été malades et utilisent maintenant la cigarette électronique pour éviter une récidive.   Il s’agit d’un cas flagrant de faute scientifique qui a entrainé une rétraction de l’article, sauf que le retrait de cette étude frauduleuse n’a pas été rapporté par la plupart les médias. Il faut souligner que l’auteur principal de cet article rétracté, Stanton Glantz, est l’un des chercheurs les plus engagés contre l’usage de la cigarette électronique .

C’est d’autant plus dommage qu’une étude clinique randomisée, très bien faite celle-là, a montré que c’est exactement le phénomène contraire qui se produit, c’est-à-dire que la transition des fumeurs vers la cigarette électronique est positive, car elle s’accompagne d’une amélioration rapide (en 1 mois seulement) de la santé des vaisseaux sanguins.  Cette étude importante n’a cependant pas été rapportée par les médias et la population ne sait donc pas que, loin d’être nocive pour le coeur, la cigarette électronique est au contraire associée à des bénéfices concrets pour la santé des fumeurs.

La conséquence immédiate de cette  désinformation est de faire en sorte que de moins en moins de personnes considèrent la cigarette électronique comme une alternative moins nocive au tabac, incluant les fumeurs, et qu’il y a un risque de voir diminuer le nombre de fumeurs qui font le saut vers la cigarette électronique.  Je le vois déjà dans ma pratique : des patients qui s’étaient sevrés du tabac grâce au vapotage ont recommencé à fumer, alors que d’autres sont réticents à essayer la cigarette électronique pour cesser de fumer.  Dans les deux cas, la raison invoquée est la même : si vapoter est aussi mauvais que fumer, pourquoi faire la transition ?  On peut donc voir que les campagnes de désinformation peuvent avoir des conséquences réelles pour la vie des gens et même faire littéralement la différence entre la vie et la mort chez certains d’entre eux.

Réduction des toxiques

Pourtant, personne ne peut sérieusement soutenir que la cigarette électronique est aussi néfaste pour la santé que la cigarette.  La fumée de cigarette contient plus de 7000 composés chimiques, dont au moins 250 sont des toxiques bien caractérisés et 70 qui sont des cancérigènes établis.  L’exposition répétée à ces émissions toxiques est directement responsable de 8 millions de morts chaque année dans le monde, ce qui fait du tabagisme la principale cause de décès évitables, en particulier ceux causés par le cancer (30 % de tous les cancers sont dus au tabac) et les maladies cardiovasculaires et respiratoires.

Les analyses réalisées par Public Health England, la National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine américaine et le Committee on Toxicity of Chemicals in Food, Consumer Products, and the Environment britannique montrent toutes que les aérosols provenant des cigarettes électroniques contiennent un nombre et une quantité bien moindre de substances toxiques que la fumée de cigarette et sont donc moins nocives pour la santé que le tabac fumé. C’est pour cette raison que des organismes comme Public Health England ou encore en France l’Académie nationale de médecine recommande fortement aux fumeurs de ne pas hésiter et de faire la transition vers le vapotage.

Cela ne veut pas dire que la cigarette électronique est absolument sans danger, mais il est indéniable qu’elle est beaucoup moins dommageable que le produit qu’elle remplace (ce qui est le principe de base de la réduction des méfaits).  À force de s’intéresser seulement à identifier une éventuelle nocivité du vapotage, on en vient à oublier que le principe de base du vapotage est de réduire les méfaits du tabagisme chez les fumeurs qui sont exposés à répétition aux toxiques du tabac.

Une étude récente de l’Institut Pasteur permet de bien visualiser ce potentiel de réduction des méfaits. Dans cette étude, les scientifiques ont comparé la présence de deux grandes classes de toxiques (composés carbonylés et hydrocarbures aromatiques) dans les aérosols provenant de cigarettes fumées, de tabac chauffé (IQOS, voir notre article à ce sujet) et les cigarettes électroniques. Les résultats sont vraiment impressionnants : pour les 19 carbonylés et 23 hydrocarbures aromatiques testés, la cigarette électronique choisie pour l’étude (dispositif avec réservoir à grande capacité, utilisé à puissance maximale) permet une réduction de 99,8 et 98,9 % de ces toxiques comparativement à la cigarette de tabac (Figure 1).  L’IQOS (tabac chauffé) est elle aussi moins toxique que la cigarette, avec des réductions de 85 % et de 96 % de la concentration de ces toxiques, mais ces diminutions demeurent néanmoins inférieures à celles observées avec la cigarette électronique, en accord avec des études précédentes.

Figure 1. Contenu des composés carbonylés (A) et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) (B) dans les aérosols produits par la cigarette, le tabac chauffé et la cigarette électronique. Notez la réduction drastique de ces deux classes de toxiques dans la vapeur de cigarette électronique comparativement à la fumée de tabac. Tiré de Dusautoir et coll. (2020).

Les chercheurs ont par la suite comparé la toxicité des différentes formes de cigarettes en mesurant la viabilité de cellules épithéliales bronchiques suite à une exposition répétée à des bouffées d’aérosols générés par la cigarette, le tabac chauffé et la cigarette électronique. Comme le montre la Figure 2, l’exposition des cellules à seulement 2 bouffées provenant d’une cigarette est suffisante pour tuer la moitié des cellules et aucune cellule résiduelle n’est détectable après avoir été en contact avec 10 bouffées de fumée. Le tabac chauffé permet de réduire significativement cette toxicité (40 bouffées sont nécessaires pour tuer la moitié des cellules et une centaine pour les éliminer complètement), mais c’est encore ici la cigarette électronique qui est de très loin la moins toxique, avec la totalité des cellules qui demeurent vivantes, même après une exposition à 120 bouffées de l’aérosol.

Figure 2. Viabilité des cellules épithéliales bronchiques après une exposition répétée aux aérosols provenant d’une cigarette régulière, de tabac chauffé ou d’une cigarette électronique. Notez la grande toxicité de la cigarette, qui provoque 50 % de mortalité après l’exposition des cellules à seulement 2 bouffées de fumée, tandis que les cellules demeurent viables même après avoir été en contact à 120 bouffées d’aérosol provenant de la cigarette électronique.  Tiré de Dusautoir et coll. (2020).

Une autre étude montre que cette diminution très importante de toxicité est également observée pour la Juul,  la cigarette électronique qui a récemment accaparé la majorité du marché des cigarettes électroniques (voir notre article à ce sujet).   Comparativement à la cigarette traditionnelle, la vapeur générée par la Juul contient près de 100 % moins de monoxyde de carbone et de composés carbonylés comme l’acétaldéhyde, le formaldéhyde et l’acroléine (un irritant majeur de la fumée de cigarette) (Tableau 1). Des résultats similaires ont également été rapportés dans une autre étude. Ces données sont importantes, car la Juul est particulièrement populaire auprès des jeunes vapoteurs : contrairement à ce qu’on entend souvent, la très grande majorité des jeunes (>99 %) qui vapotent régulièrement sont des fumeurs occasionnels ou réguliers et ces personnes peuvent donc réduire substantiellement leur exposition aux toxiques du tabac en vapotant. De plus, des données récentes indiquent que la nicotine absorbée par l’entremise de cigarettes électroniques est moins addictive que lorsqu’elle provient de la combustion du tabac, ce qui diminue le risque de développer une dépendance à plus long terme.

Tableau 1. Concentration de certains composés toxiques présents dans la fumée de cigarette ou dans la vapeur générée par la cigarette électronique Juul.   Tiré de Son et coll. (2020).

Il est bon de rappeler que l’objectif ultime de la lutte au tabac est de réduire l’incidence des maladies liées au tabagisme, en particulier les maladies cardiovasculaires et le cancer du poumon. Pour y arriver, l’abstinence totale est souhaitable, mais il faut tenir compte du grand nombre de personnes qui sont incapables d’arrêter de fumer par elles-mêmes ou en utilisant les outils de sevrage actuels et demeurent par conséquent à risque de mourir prématurément.  Selon mon expérience clinique des dix dernières années, la cigarette électronique est le substitut nicotinique le plus apprécié par les fumeurs et représente pour plusieurs d’entre eux la seule approche qui leur permet de réussir à quitter définitivement le tabac.  Au lieu de chercher constamment à discréditer ces dispositifs, comme c’est le cas actuellement, on devrait plutôt les voir comme une innovation technologique qui peut grandement contribuer à la lutte aux maladies causées par le tabagisme et informer clairement les fumeurs des bénéfices qui sont associés à la transition vers le vapotage.

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