Dr Louis Bherer, Ph. D., Neuropsychologue

Professeur titulaire, Département de Médecine, Université de Montréal, Directeur adjoint scientifique à la direction de la prévention, chercheur et Directeur du Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal.

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Bien manger pour préserver sa santé cognitive

Comme pour l’ensemble des organes du corps humain, les capacités fonctionnelles du cerveau déclinent progressivement au cours du vieillissement. Ce déclin se manifeste généralement par une diminution des capacités d’apprentissage et de mémoire, de la vitesse de prise de décision, des perceptions sensorielles (audition, vision, odorat, goût), de la coordination motrice ainsi que des processus cognitifs supérieurs   comme l’abstraction, le jugement ou la résolution de problèmes.

La diminution de la performance cérébrale au cours du vieillissement est associée à des changements structuraux au niveau du cerveau, avec notamment une réduction du volume cérébral total et parfois plus accentué dans certaines régions comme l’hippocampe (le siège de la mémoire). Une diminution de l’intégrité des matières blanche et grise, plus marquée dans les régions frontales, a également été associée à la diminution des processus cognitifs supérieurs avec l’avancée en âge.  Ces phénomènes semblent s’accélérer après 50 ans et pourraient donc contribuer à la hausse du risque de maladies neurodégénératives observées chez les personnes qui atteignent un âge avancé : à partir de 65 ans, par exemple, le risque de développer la maladie d’Alzheimer double à chaque 5 ans, pour atteindre près de 50 % après 85 ans. Avec le vieillissement de la population mondiale, on estime que le nombre de personnes touchées par la maladie d’Alzheimer pourrait tripler au cours des prochaines années, passant de 50 millions à environ 130 millions de personnes en 2050.

L’importance de la prévention

Cette situation n’est cependant pas irréversible. On sait depuis plusieurs années que l’adoption d’un mode de vie sain (bonne alimentation, maintien d’un poids corporel normal, activité physique régulière, absence de tabagisme) permet de prévenir une proportion significative de plusieurs maladies chroniques, qu’il s’agisse des maladies cardiovasculaires, du diabète de type 2, ou de plusieurs types de cancers.  Plusieurs études réalisées au cours des dernières années suggèrent que ces bonnes habitudes de vie auraient également un impact préventif sur le risque de déclin cognitif et, ultimement, les maladies neurodégénératives : par exemple, selon une étude qui s’est penchée sur l’influence de certains facteurs de risque modifiables (surpoids, hypertension, diabète de type 2, hypercholestérolémie, tabagisme et faible niveau éducationnel) sur le risque de la maladie d’Alzheimer, l’élimination complète de ces facteurs de risque modifiables permettrait de prévenir environ le tiers des neurodégénérescences. Cette protection serait particulièrement efficace chez les individus qui ont un risque génétique faible ou modéré de développer la maladie d’Alzheimer.  En absence de médicaments efficaces, capables de renverser le déclin cognitif ou même simplement de ralentir sa progression, la mise en place d’une approche préventive basée sur l’amélioration du mode de vie représente donc clairement la meilleure stratégie actuellement disponible pour préserver les capacités fonctionnelles lors du vieillissement.

L’impact de l’alimentation

Plusieurs observations suggèrent que la nature de l’alimentation représente un de ces facteurs du mode de vie qui peut influencer la santé cognitive.  Comme nous l’avons récemment souligné, les études montrent que des régimes alimentaires pro-inflammatoires, notamment ceux contenant une forte proportion d’aliments industriels ultratransformés, sont associés à une hausse du risque de démence.  À l’inverse, un apport élevé en fruits et en légumes est associé à un ralentissement du déclin cognitif, cet effet protecteur étant particulièrement prononcé pour les végétaux riches en certains polyphénols de la classe des flavonoïdes, notamment ceux de la sous-classe des flavonols. Certaines études ont également noté une association entre la consommation de végétaux riches en caroténoïdes (lutéine, zéaxanthine et β-cryptoxanthine) et une réduction du risque de démence.  Il semble donc probable qu’une alimentation qui fait une large place aux végétaux (fruits, légumes, légumineuses, noix, grains entiers), combinée à une réduction de l’apport en aliments ultratransformés, puisse représenter une stratégie valable pour réduire le risque de déclin cognitif.

Alimentation de type méditerranéen

Le régime méditerranéen est sans contredit l’un des modes d’alimentation riche en végétaux qui a été le plus étudié au cours des dernières décennies, en particulier pour son impact positif sur la prévention des maladies cardiovasculaires, autant dans la population en général (prévention primaire) que chez les personnes à haut risque en raison d’antécédents d’accidents cardiovasculaires (prévention secondaire).

Ce mode d’alimentation est caractérisé par un contenu élevé en aliments végétaux non transformés (céréales complètes, légumes, fruits, légumineuses, noix et huile d’olive extra-vierge), un apport modéré en poisson/crustacés et un apport faible en viandes rouges et charcuteries, en graisses d’origine animale et en produits contenant des sucres simples (desserts, pâtisseries, collations). Il s’agit donc d’une alimentation exemplaire, où l’huile d’olive extra-vierge représente la principale source de matières grasses (ces gras sont insaturés et jouent plusieurs rôles essentiels dans le maintien d’une bonne santé) et dans laquelle les glucides complexes proviennent surtout des fibres et des céréales complètes et où les légumineuses, les poissons et les volailles sont les principales sources de protéines.

Les études réalisées au cours des dernières années suggèrent que l’alimentation méditerranéenne pourrait également avoir un impact positif sur la santé cognitive. Par exemple, on a observé qu’une plus forte adhésion au régime méditerranéen était associée à de meilleures performances cognitives, ainsi qu’à un risque réduit de déclin cognitif légeret de neurodégénérescences.  Bien que ces études soient très hétérogènes (âge des populations étudiées, mesure de l’adhésion au régime méditerranéen, types et durées des études, etc.), une méta-analyse montre que la majorité d’entre elles rapportent une diminution statistiquement significative du risque de déclin cognitif.   Ceci est étayé par les résultats d’une grande étude récente, réalisée auprès de 60 298 participants suivis pendant près de 10 ans et qui montrait uneréduction de 23 % du risque de démence chez les personnes qui adhéraient le plus fortement à une alimentation méditerranéenne.

Alimentation MIND

Il semble que l’impact positif du régime méditerranéen sur les fonctions cognitives pourrait même être augmenté en adaptant une variante de cette alimentation, soit  le régime MIND (Mediterranean-DASH Intervention of Neurodegenerative Delay). Comme son nom l’indique, ce régime est un hybride entre une alimentation de type méditerranéen et le régime DASH (Dietary Approach to Systolic Hypertension), pauvre en sel et en gras, et qui a été lui aussi associé à une amélioration des performances cognitives.

Les régimes méditerranéen et MIND sont très semblables (voir le Tableau 1), mais une caractéristique spécifique au régime MIND est d’ajouter à l’alimentation deux classes d’aliments bien précis qui ont été associés à une amélioration des fonctions cérébrales dans les études épidémiologiques, soit les légumes verts à feuilles et les petits fruits. Il est en effet proposé que l’apport plus élevé en certains composés phytochimiques et antioxydants procurés par l’addition de ces végétaux pourrait bonifier les effets du régime méditerranéen sur la santé cognitive.

Tableau I.  Comparaison des régimes méditerranéen et MIND. Notez qu’au-delà de certaines différences mineures (plus de poissons et de légumineuses pour le régime méditerranéen, plus de grains entiers et de noix pour le régime MIND), la principale distinction entre les deux régimes est la présence de légumes verts à feuilles et de petits fruits dans le régime MIND. *Choux, épinards, laitue, bette à carde, cresson, aragula; **Fraises, bleuets, framboises

Ceci est suggéré par les résultats d’une étude récente qui a examiné la présence postmortem de marqueurs pathologiques de la maladie d’Alzheimer (plaques amyloïdes) dans le cerveau de personnes âgées (moyenne de 91 ans). Ces patients (581 personnes) avaient été suivis depuis une dizaine d’années dans le cadre du Rush Memory and Aging Project, ce qui a permis aux chercheurs d’utiliser les informations recueillies sur leurs habitudes alimentaires pendant cette période pour déterminer si ces habitudes pouvaient influencer le niveau de marqueurs de la maladie d’Alzheimer détectés à l’autopsie.  Ils ont observé que c’était effectivement le cas pour les personnes qui adhéraient aux régimes méditerranéen et MIND, avec une diminution d’environ 40 % du risque d’un diagnostic de la maladie d’Alzheimer au décès, cette baisse étant particulièrement évidente chez les plus grands consommateurs de légumes verts à feuilles. Concrètement, les chercheurs ont noté que les quantités de plaques amyloïdes présentes dans les cerveaux des personnes qui mangeaient 7 portions ou plus par semaine de légumes verts correspondaient à celles typiquement présentes dans les cerveaux de personnes 19 ans plus jeunes.  Ces observations sont en accord avec plusieurs études montrant que le régime MIND semble supérieur au régime méditerranéen en termes d’amélioration des performances cognitives et de prévention du déclin cognitif.

En somme, même s’il reste beaucoup de travail à faire pour clarifier le lien entre l’alimentation et la santé cognitive, les données actuellement disponibles suggèrent qu’une alimentation de type méditerranéen enrichie en légumes verts à feuilles représente un excellent point de départ pour améliorer la santé du cerveau et préserver les fonctions cognitives au cours du vieillissement.

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