Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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25 janvier 2018
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L’effet positif des graines de lin sur la santé cardiovasculaire

On entend souvent dire que tous les végétaux sont équivalents en termes d’impact positif sur la santé et que l’important est simplement d’en manger le plus souvent possible, sans se préoccuper de la nature des fruits, légumes ou graines qui sont consommés. Autrement dit, ce serait essentiellement la quantité qui compte et il n’y aurait pas de différence entre manger une laitue iceberg ou du brocoli, ni des bleuets plutôt qu’une banane. Cette vision réductionniste est quelque peu dépassée, car on sait maintenant qu’il existe des différences énormes dans la composition biochimique des végétaux et que certains d’entre eux sont réellement dans une classe à part pour leur contenu en molécules connues pour exercer des effets positifs sur la santé. L’inclusion de ces aliments dans les habitudes alimentaires pourrait donc permettre de bonifier les bénéfices associés à une alimentation riche en végétaux, notamment en termes de prévention des maladies cardiovasculaires.

Les graines de lin sont un bon exemple d’un aliment qui se distingue des autres végétaux grâce à certaines caractéristiques uniques.  D’une part, ces graines contiennent des quantités très élevées d’acides gras polyinsaturés (72 % de tous les gras), avec les trois quarts de ces gras qui sont de type oméga-3. D’autre part, les graines de lin sont une source exceptionnelle de lignanes, un groupe de polyphénols possédant des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires. Plusieurs études réalisées au cours des dernières années suggèrent que ces propriétés des graines de lin pourraient exercer plusieurs effets positifs sur la santé cardiovasculaire.

Acide linolénique : un gras pas comme les autres

Les graines de lin sont parmi les seuls aliments d’origine végétale (l’autre étant les graines de chia)  à contenir plus d’acides gras de type oméga-3 (acide linolénique) que de type oméga-6 (acide linoléique). Par exemple, alors que le ratio oméga-3/oméga-6 est inférieur à 1 pour l’ensemble des huiles végétales couramment consommées, ce ratio est de 4 pour les graines de lin, soit jusqu’à 500 fois supérieur à celui de certaines sources végétales (tournesol, par exemple) (Tableau 1).

Acides grasLinCanolaSojaMaïsOliveTournesol
Saturés107,415,714,815,312,8
Monoinsaturés18,563,324,228,173,822,4
Polyinsaturés
(totaux)
71,828,159,857,11066
Acide linolénique
(oméga-3)
559,17,810,60,5
Acide linoléique
(oméga-6)
16,818,652,156,19,465,6
Ratio
oméga-3/oméga-6
40,50,20,020,060,008
Tableau 1. Proportion (en %) des différents types d’acides gras présents dans diverses sources végétales. Adapté de Dubois (2007).

Cette prédominance de l’acide linolénique dans les graines de lin est très intéressante, car cet acide gras oméga-3 exerce des effets positifs sur plusieurs facteurs de risque de maladies cardiovasculaires (diminution des taux de cholestérol-LDL, baisse de la pression artérielle) et possède également des propriétés antiinflammatoire et antiarythmique.  Toutes ces propriétés pourraient contribuer à la diminution de risque d’événements cardiovasculaires associée à la consommation d’acide linolénique observée dans plusieurs études (voir Tableau 2).

ÉtudeNombre de participantsPrincipaux résultats
Hu et coll. (1999)76,283 (femmes)Un apport plus élevé en acide linolénique est associé à une baisse d'infarctus du myocarde fatal.
Albert et coll. (2005)76,283 (femmes)Diminution de 40 % du risque de mort cardiaque subite chez les personnes consommant le plus d'acide linolénique
Baylin et coll. (2003)964Le taux d'acide linolénique dans le tissu adipeux est inversement associé à une diminution du risque d'infarctus
Djoussé et coll. (2001)2004Une alimentation riche en acide linolénique est associée à une plus faible incidence de plaques d'athérosclérose calcifiées au niveau des coronaires.
Dilecek et coll. (1992)12,866 (hommes)Un apport élevé en acide linolénique est associé à une diminution du risque de mortalité cardiovasculaire et toute cause.
Djoussé et coll (2005)4594Un apport élevé en acide linolénique est associé à une diminution de la pression systolique et de l'incidence d'hypertension.
Tableau 2. Exemples d’études rapportant un effet positif de l’acide linolénique sur la santé cardiovasculaire. Tiré de Rodriguez-Leyva (2010).

L’acide linolénique peut aussi être transformé en DHA et EPA, deux acides gras oméga-3 à longues chaînes qui ont été à maintes reprises associés à une réduction du risque de mortalité cardiovasculaire (cette conversion en DHA et EPA est assez faible, aux environs de 5 %, mais est généralement plus élevée chez les femmes).  Donc, si on sait maintenant que le simple fait de remplacer les gras saturés de l’alimentation (provenant d’aliments d’origine animale) par des matières grasses insaturées végétales diminue significativement le risque de développer une maladie cardiovasculaire, cette protection pourrait être encore plus importante lorsque ces gras insaturés sont de type oméga-3.

L’étude de Lyon est l’une plus importantes démonstrations du potentiel de ces oméga-3 d’origine végétale en prévention des maladies cardiovasculaires.  Dans cette étude, 605 survivants d’un infarctus du myocarde ont été séparés aléatoirement en deux groupes, soit un suivant une diète faible en gras tel que recommandé par l’American Heart Association, et un autre auquel on avait prescrit une diète de type méditerranéen comprenant une margarine enrichie en acide linolénique (1.1 g/ jour).  Après un suivi de deux ans, l’incidence de maladies cardiovasculaires, incluant la mortalité cardiaque, a diminué de façon spectaculaire (73 %) dans le groupe d’intervention, soulevant l’intéressante possibilité que l’inclusion de l’acide linolénique dans l’alimentation puisse améliorer significativement la santé cardiovasculaire.

En prévention primaire, la plupart des études épidémiologiques réalisées par la suite ont montré que les personnes qui ont un apport élevé en acide linolénique sont moins à risque d’être touchées  par les maladies cardiovasculaires, un effet protecteur qui a été observé autant aux États-Unis (voir ici et ici), qu’en Europe (Hollande) ou en Amérique centrale (Costa Rica).  Une méta-analyse de 13 études prospectives indique qu’un apport accru en acide linolénique de 1 g par jour est associé à une réduction de 10 % du risque de maladies cardiovasculaires, une protection confirmée par l’analyse des données de 8 études américaine et européenne comprenant un total de 148,675 femmes et 80,368 hommes.  La réduction du risque offerte par l’acide linolénique pourrait même être beaucoup plus importante (60 %) pour les personnes dont l’apport en oméga-3 à longues chaînes (DHA et EPA, retrouvés principalement dans les poissons gras) est faible (< 0,1 g/jour).

En somme, la plupart des données recueillies jusqu’à présent tendent à montrer qu’un apport accru en acide linolénique est associé à une réduction du risque d’événements cardiovasculaires.

Les lignanes : des phytoestrogènes protecteurs

Une autre caractéristique unique aux graines de lin est leur contenu exceptionnel en lignanes, un groupe de composés phénoliques complexes qui possèdent des propriétés antioxydantes et antiinflammatoires.  Alors que la majorité des végétaux contiennent des niveaux relativement faibles de lignanes, ces molécules sont présentes en quantités beaucoup plus élevées dans les graines de lin (300 mg/100g), soit plus de 1000 fois plus que dans certains aliments couramment consommés (Tableau 3).

AlimentsLignanes (mg/100g)
Graines de lin335
Graines de sésame132
Pois chiches35
Pois verts8,4
Pain de seigle (grains entiers)1,2
Graines de tournesol0,58
Asperges0,34
Arachides0,28
Fraises0,14
Tableau 3. Principales sources alimentaires de lignanes.  Tiré de Peterson 2010.

Ces lignanes, principalement le sécoisolaricirésinol et le matairésinol, sont métabolisés par le microbiome intestinal en entérolactone et en entérodiol, deux molécules qui possèdent une faible action estrogénique (phytoestrogènes). Puisque les estrogènes exercent une action cardioprotectrice (et seraient responsables de la plus faible incidence de maladies cardiovasculaires chez les femmes comparativement aux hommes), il a donc été proposé que les propriétés estrogéniques des lignanes pourraient contribuer à réduire le risque d’événements cardiovasculaires.  Certaines études épidémiologiques qui se sont penchées sur cette question ont observé que c’était bel et bien le cas, c’est-à-dire qu’un apport plus élevé en lignanes ou encore une hausse du taux sanguin d’entérolactone (produit par le métabolisme des lignanes) sont associés à une diminution du risque d’événements cardiovasculaires.

Graines de lin et maladies cardiovasculaires

Une des principales limitations des études sur les rôles cardioprotecteurs de l’acide linolénique et des lignanes est la faible quantité de ces molécules dans l’alimentation occidentale traditionnelle.  Par exemple, ce sont les vinaigrettes à salades qui représentent la principale source d’acide linolénique dans plusieurs études épidémiologiques, tandis que la distribution restreinte des lignanes dans les végétaux fait en sorte que leur apport risque d’être sous le seuil nécessaire pour générer des effets cardiovasculaires importants. La présence simultanée de quantités importantes d’acide linolénique et de lignanes dans les graines de lin suggère donc que l’addition de ces graines aux habitudes alimentaires représente une façon simple (et économique) de pallier à ces carences et de bonifier l’impact bénéfique de ces deux classes de molécules sur la santé cardiovasculaire.

Jusqu’à présent, l’effet le mieux documenté d’une supplémentation en graines de lin est sur la diminution de la pression artérielle.  Par exemple, une étude randomisée à double aveugle avec placebo réalisée à Porto Rico (FLAX-PAD) a montré que l’ajout de 30 g de graines de lin moulues à l’alimentation provoquait une baisse significative de la pression systolique (10 mm Hg) et diastolique (7 mm Hg).  Cette réduction est encore plus prononcée chez les personnes qui étaient hypertendues au départ de l’étude (>140 mm Hg), avec une réduction de 15 mm Hg de la pression systolique, une baisse encore plus prononcée que celle obtenue à l’aide de certains médicaments antihypertenseurs.  Une méta-analyse de 11 études sur l’impact de la supplémentation en graines de lin sur la pression artérielle suggère toutefois un effet antihypertenseur plus modeste, avec des baisses d’environ 2 mm Hg de la pression systolique et de 1,2 mm de Hg de la pression diastolique.  Cela peut sembler peu, mais les études montrent qu’une réduction de la pression artérielle de cet ordre pourrait diminuer de 10 % la mortalité associée aux AVC et de 7 % celle causée par les maladies coronariennes.

Il semble également que la supplémentation en graines de lin pourrait diminuer les taux de cholestérol-LDL, un autre important facteur de risque de maladies cardiovasculaires.  Une méta-analyse de 28 études a montré que les graines de lin provoquaient une diminution moyenne de 0.10 mmol/L  et de 0.08 mmol/L du cholestérol total et du cholestérol-LDL, respectivement, cet effet étant particulièrement prononcé chez les femmes (- 0.24 mmol/L) et chez les personnes qui présentaient des taux de cholestérol élevés au début de l’intervention.  Une réduction de 15 % du  cholestérol-LDL a également été observée chez des patients atteints d’une artérite des membres inférieurs, cette baisse s’additionnant à celle provoquée par les statines.

Au cours des dernières années, on a beaucoup mis d’emphase sur l’importance de consommer régulièrement des acides gras oméga-3 à longues chaines (DHA et EPA), principalement présents dans les poissons gras comme le saumon, pour diminuer le risque de maladies cardiovasculaires.  Il ne faudrait cependant pas oublier que les oméga-3 d’origine végétale ont eux aussi un rôle protecteur et qu’un apport élevé en aliments riches en acide linolénique, comme les grains de lin, peut lui aussi contribuer à réduire le risque d’événements cardiovasculaires.  D’ailleurs, un certain nombre d’études (ici et ici, par exemple) ont rapporté que les deux types d’oméga-3 ont des rôles complémentaires et qu’une hausse combinée de l’apport en acide linolénique et en oméga-3 à longues chaines pourrait être souhaitable pour obtenir un effet protecteur maximal.

Concrètement, on recommande un apport quotidien moyen de 2,2 g en acide linolénique, ce qui correspond à une seule cuillérée à table (15 ml) de graines de lin.  Il faut absolument broyer les graines pour augmenter l’absorption des acides gras oméga-3 et permettre la transformation des lignanes en phytoestrogènes actifs par les bactéries intestinales. Par contre, les oméga-3 étant très fragiles et sensibles à la dégradation, achetez des graines entières que vous pourrez moudre au fur et à mesure dans un simple moulin à café et conservez la mouture au maximum de deux semaines au frigo dans un contenant hermétique.  Les graines moulues possèdent un léger goût de noisette qui se marie très bien aux céréales, yogourts, smoothies et même comme accompagnement aux salades.

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