Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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15 mai 2025
Quoi manger pour vieillir en bonne santé ?

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En bref

  • Le vieillissement en bonne santépeut être défini comme l’atteinte d’un minimum de 70 ans, sans la présence de maladies chroniques majeures et sans altération de la fonction cognitive, de la fonction physique ou de la santé mentale.
  • Le suivi de quinquagénaires pendant plusieurs décennies a révélé qu’une alimentation riche en végétaux (fruits, légumes, grains entiers, légumineuses, noix) et appauvrie en produits d’origine animale et industriels est associée à une hausse marquée des chances de vieillir en bonne santé, autant du point de vue physique que mental.

L’espérance de vie a considérablement augmenté au cours du dernier siècle, si bien qu’en enfant qui nait aujourd’hui dans une société riche comme la nôtre peut, en moyenne,  espérer fêter ses 85 ans.  Par contre, ces années de vie supplémentaires ne seront pas nécessairement en bonne santé : pour une grande majorité des gens, les 10 à 15 dernières années d’existence sont en effet souvent marquées par l’apparition de plusieurs maladies chroniques (cardiovasculaires, diabète, cancers et démences, notamment) qui réduisent la qualité de vie et viennent donc diminuer substantiellement les bénéfices associés à une augmentation du nombre d’années vécues.  Pour plusieurs experts (voir iciici, et ici, par exemple), l’objectif primordial ne devrait donc pas de se limiter à augmenter la durée de vie (lifespan), mais de surtout mettre l’emphase sur la qualité de ces années de vie supplémentaires en adoptant des mesures qui favorisent un vieillissement en bonne santé (healthspan) (voir notre article à ce sujet). 

Développement en sourdine

Même si les maladies chroniques qui hypothèquent la qualité des dernières années de vie se manifestent à des âges avancés, ces maladies n’apparaissent pourtant pas soudainement, du jour au lendemain.  En réalité, le diagnostic clinique d’une maladie cardiométabolique, d’un cancer ou d’une démence à 60, 70 ou 80 ans est le résultat tangible d’un très long processus, qui s’est généralement échelonné au cours des décennies précédentes avant de se déclarer à des âges plus avancés. Concrètement, cela signifie que les « fondations » de  ces maladies ont commencé  à se mettre en place durant le mi-temps de la vie, en particulier durant la quarantaine-cinquantaine (mais parfois encore plus tôt), et ont continué à évoluer progressivement, de façon insidieuse et sans provoquer de symptômes apparents, vers leurs stades matures.  Parvenir à empêcher, ou à tout le moins ralentir cette évolution graduelle des maladies chroniques avant de parvenir à des âges plus avancés représente donc un prérequis essentiel pour améliorer les chances de vieillir en bonne santé.

L’influence du mode de vie

Et c’est là qu’entrent en jeu les habitudes de vie : on sait depuis longtemps que l’exposition à des substances toxiques (tabac, excès d’alcool) ainsi qu’à certains débalancements métaboliques (mauvaise alimentation, obésité, sédentarité) ou psychologiques (stress, dépression) crée différentes conditions (stress oxydatif, inflammation chronique, résistance à l’insuline) qui peuvent favoriser le développement de l’ensemble des maladies chroniques et donc compromettre la qualité des dernières années de vie.   À l’inverse, les études indiquent qu’un mode de vie globalement sain (absence de tabagisme, activité physique régulière, alimentation riche en végétaux, poids corporel normal, consommation modérée d’alcool) est associé à une augmentation de 12-14 ans de l’espérance de vie, la plupart de ces années supplémentaires étant vécues en bonne santé, c’est-à-dire  sans maladies chroniques. Il existe donc clairement une large fenêtre de temps où il est possible d’intervenir activement pour freiner le développement des maladies qui compromettent l’espérance de vie en bonne santé.

L’alimentation, un pilier du vieillissement en bonne santé

La nature de ce que nous mangeons quotidiennement tout au long de notre vie est certainement l’un de ces facteurs, car une mauvaise alimentation représente le principal facteur de risque de mortalité prématurée liée aux maladies non transmissibles, étant directement responsable d’au moins 11 millions de décès annuellement à l’échelle planétaire, soit plus que le tabagisme (8 millions).  À l’inverse, plusieurs études observationnelles et d’intervention ont mis en évidence qu’une alimentation de bonne qualité est associée à une réduction du risque de maladies cardiométaboliques et de la mortalité prématurée.  

Dans l’ensemble, les études qui se sont penchées sur cette question montrent que c’est principalement la carence en aliments d’origine végétale (fruits, légumes, noix, légumineuse et grains entiers, en particulier) ainsi qu’un excès en sodium, en viandes rouges et transformées ainsi qu’en aliments industriels ultratransformés qui sont le plus étroitement associées à cette hausse du risque de maladies chroniques et de mortalité prématurée.  Il est donc fort probable que la correction de ce débalancement en haussant l’apport en végétaux et en diminuant celui en aliments d’origine animale et ultratransformés représente la combinaison optimale pour freiner le développement des maladies chroniques et augmenter les probabilités de vieillir en bonne santé.

Alimentations optimales

Une étude de grande envergure, réalisée auprès de 105 015 professionnels de la santé dans la cinquantaine et qui ont été suivis pendant une période allant jusqu’à 30 ans, permet de mieux visualiser cet impact à long terme de l’alimentation sur le vieillissement en bonne santé.  

Dans cette étude (menée par la Dre Anne-Julie Tessier, maintenant chercheure au centre EPIC), les personnes qui ont vieilli en bonne santé ont été définies comme celles ayant survécu jusqu’à l’âge minimum de 70 ans, sans la présence de 11 maladies chroniques majeures (cancer (sauf les cancers de la peau autres que le mélanome), diabète, infarctus du myocarde, maladie coronarienne, insuffisance cardiaque, AVC, insuffisance rénale, bronchopneumopathie chronique obstructive, sclérose en plaques et sclérose latérale amyotrophique) et sans altération de la fonction cognitive, de la fonction physique ou de la santé mentale.  Bien qu’une proportion significative des participants ont atteint au moins un de ces critères, moins de 10 % d’entre eux sont parvenus à préserver l’ensemble des aspects physiques et mentaux associés à un vieillissement en santé (Tableau 1). Par contre, chez ceux qui sont parvenus à atteindre un minimum de 70 ans, 25 % y sont arrivés et peuvent donc être considérés comme des personnes âgées en bonne santé. 

Paramètres du vieillissementNombre de participantsPourcentage des participants totaux
(n=105 015)
Pourcentage des participants ayant atteint 70 ans
(n=39 769)
Survie à 70 ans39 76937,9 %
Santé cognitive intacte35 55533,9 %
Fonction physique intacte29 54328,1 %
Santé mentale intacte27 84226,5 %
Absence de maladies chroniques23 90822,8 %
Viellissement en santé (global)97719,3 %25 %

 Tableau 1. Atteinte des différents paramètres d’un vieillissement en bonne santé par les  quinquagénaires (moyenne de 53 ans) qui participaient à l’étude (n=105 015). Notez que chez les personnes qui ont atteint 70 ans, environ le quart d’entre elles peuvent être considérées comme des personnes âgées en bonne santé. Tiré de Tessier et coll. (2025).  

L’analyse des habitudes alimentaires des participants tout au long de l’étude (de la cinquantaine jusqu’à des âges avancés) a permis d’identifier 8 grands modes d’alimentation qui étaient associés à une plus grande probabilité d’atteindre les différents paramètres qui définissent un vieillissement en bonne santé (Tableau 2). Pour simplifier, nous avons choisi de restreindre la description à 5 grands types de régimes qui partagent plusieurs points en commun, en particulier l’emphase mise sur les aliments d’origine végétale et sur un apport réduit ou nul en produits animaux et en sucres ajoutés (boissons gazeuses, par exemple).

Tableau 2. Principaux régimes alimentaires associés à une augmentation des chances de vieillir en bonne santé.  Pendant un suivi de 30 ans,  les participants ont été interrogés à intervalles réguliers sur la fréquence de leur consommation d’aliments spécifiques au cours des 12 derniers mois. À partir des apports nutritionnels et alimentaires déclarés, huit scores de régime alimentaire ont été calculés, dont cinq sont ici inclus dans le tableau, soit l’Alternative Healthy Eating Index (AHEI), l’Alternative Mediterranean Index (aMED), le Dietary Approaches to Stop Hypertension (DASH), le Mediterranean-DASH Intervention for Neurodegenerative Delay (MIND) et le Planetary Health Diet Index (PHDI). Notez que malgré certaines particularités propres à chacun des régimes, ils possèdent la caractéristique commune de privilégier un apport élevé en aliments d’origine végétale et réduit en viandes rouges, viandes transformées et boissons sucrées. 

Lorsqu’on compare le vieillissement en bonne santé entre le quintile 5 (les 20 % qui y adhèrent le plus fortement) versus le quintile 1 (les 20 % qui y adhèrent le moins) de chacun de ces régimes, on observe dans tous les cas une hausse significative des chances d’atteindre l’ensemble des paramètres associés au vieillissement en santé (Figure 1). 

Figure 1. Association entre différents modes d’alimentation et la probabilité de vieillir en bonne santé.  Les valeurs proviennent de la comparaison entre les scores les plus élevés (Q5) et plus faibles (Q1) pour chacun des régimes décrits dans le Tableau 2. Tiré de Tessier et coll. (2025).  

Ces résultats indiquent donc qu’une alimentation riche en végétaux (fruits, légumes, grains entiers, noix et légumineuses) et pauvre en viandes, en viandes transformées et en aliments contenant des sucres ajoutés représente la combinaison la plus susceptible de promouvoir un vieillissement en santé, autant du point de vue physique que mental. Il est intéressant de noter que cet effet positif semble particulièrement prononcé pour les personnes dont l’alimentation obtenait les meilleurs scores selon les critères définis par le Alternate Healthy Eating Index (AHEI), caractérisé pour son emphase placée sur l’inclusion de quantités assez élevées de gras polyinsaturés (≥ 10 % des calories totales) et  d’acides gras oméga-3 à longues chaînes (250 mg/jour, soit environ 2 portions de poisson par semaine), avec une hausse de 83 % des chances de vieillir en santé et de plus de 100 % des chances d’atteindre l’âge de 70 ans en bonne forme physique et mentale (Figure 1). 

Aliments spécifiques

Cette contribution des végétaux et des gras insaturés au vieillissement en bonne santé est bien illustrée lorsqu’on examine séparément l’impact des aliments ou des classes d’aliments sur les différents paramètres du vieillissement (Figure 2).  Globalement, tous les aliments associés positivement à un vieillissement en santé sont d’origine végétale (illustrés en vert dans la figure), à l’exception notable du yogourt et des produits laitiers faibles en gras. À l’inverse, la grande majorité des aliments consommés en plus grandes quantités par les personnes qui n’ont pas atteint un ou plusieurs paramètres du vieillissement santé mesurés dans l’étude proviennent de sources animales (viandes diverses, par exemple) ou de produits industriels (viandes transformées, gras trans, sodium, boissons sucrées, farines raffinées, produits de restauration rapide comme les frites ou encore la pizza).  Notons enfin qu’en ce qui concerne les boissons alcoolisées, le vin est associé positivement au vieillissement en bonne santé, tandis que l’effet des autres types d’alcools est plutôt négatif, surtout en ce qui concerne les spiritueux. Ceci est en accord avec d’autres études montrant que le risque de mortalité prématurée est beaucoup plus faible chez les buveurs modérés de vin comparativement à ceux qui préfèrent d’autres types d’alcool (voir notre article à ce sujet).

Figure 2.  Associations entre les différentes composantes de l’alimentation et la probabilité de vieillir en bonne santé. Chaque colonne représente l’impact des différents aliments sur le vieillissement global en santé (1), la préservation des capacités cognitives (2), physiques (3) et de la santé mentale (4), ainsi que l’absence de maladies chroniques (5) et la survie à au moins 70 ans (6).  Pour chaque classe d’aliments, les valeurs proviennent de la comparaison entre un apport élevé (90e percentile) et un apport faible (10e percentile). Les gradients de couleur verte représentent les différents degrés d’une association positive entre les aliments et les différents aspects du vieillissement en santé, tandis que les gradients de couleur rouge représentent les différents degrés d’une association négative. Notez que les aliments associés à un vieillissement en santé sont très majoritairement d’origine végétale, tandis que ceux qui réduisent significativement les chances de vieillir en santé sont principalement d’origine animale ou des aliments industriels. Tiré de Tessier et coll. (2025).  
 

Les aliments ultratransformés font vieillir prématurément

La réduction marquée des chances de vieillir en santé observée chez les personnes qui consomment régulièrement des aliments de source animale et des produits industriels ultratransformés est préoccupante, dans la mesure où ces deux groupes d’aliments occupent une place centrale dans les habitudes alimentaires des Canadiens (les deux tiers des protéines consommées quotidiennement sont d’origine animale et environ la moitié des calories quotidiennes provient d’aliments industriels ultratransformés).  Cette situation est particulièrement problématique pour les aliments ultratransformés, qui sont en pratique de pures créations industrielles,  fabriquées à partir de plusieurs ingrédients inconnus dans la nature et qui contiennent une vaste gamme d’additifs destinés à améliorer leur apparence, goût, texture et durée de conservation.  

Plusieurs études ont documenté l’impact négatif de ces aliments ultratransformés sur le risque de l’ensemble des maladies chroniques et la mortalité prématurée (voir notre article à ce sujet) et il n’est donc pas étonnant qu’on observe un effet négatif similaire sur le vieillissement en bonne santé (Figure 3).  Comparativement à celles qui en consomment peu (Q1), les personnes qui mangent les plus grandes quantités d’aliments ultratransformés (Q5) voient une diminution marquée de leurs chances d’atteindre l’ensemble des paramètres associés à un vieillissement sain mesurés dans l’étude. Cet effet est particulièrement frappant lorsqu’on le compare à la hausse marquée des chances d’atteindre cet objectif chez les personnes qui adhèrent à une alimentation riche ne végétaux et pauvres en aliments industriels, comme l’AHEI (Figure 3). 

Figure 3. Association entre la consommation d’aliments ultratransformés et les chances de vieillir en bonne santé. Les valeurs représentent le rapport des chances pour les différents paramètres mesurés entre un apport élevé (Q5) et faible (Q1) en aliments transformés, tel de défini selon le système de classification NOVA (voir notre article sur cette classification). À titre de comparaison, les résultats obtenus pour le régime alimentaire AHEI (Figure 1) sont présentés.  Tiré de Tessier et coll. (2025).  
 

En somme, ces résultats suggèrent fortement que l’adoption de bonnes habitudes alimentaires au mi-temps de la vie, en particulier un apport élevé en végétaux  et réduit en aliments d’origine animale, augmente significativement les chances de parvenir à un âge avancé en bonne santé, sans limitations majeures du point de vue physique ou mental. Combiné à l’absence de tabagisme, une activité physique régulière et une bonne gestion du stress (sommeil, réseaux sociaux de qualité), ce mode d’alimentation est sans doute la meilleure approche connue à ce jour pour y parvenir.

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