Dr Éric Thorin, Ph. D.

Professeur titulaire, Département de Chirurgie, Université de Montréal. Chercheur au centre de recherche de l'Institut de cardiologie de Montréal.

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Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Les feux de bois, une cause majeure de pollution de l’air

En bref

  • Lorsque l’on parle de pollution comme facteur de risque pour la santé, c’est la pollution atmosphérique ambiante due au feu de bois qui serait la première cause de mortalité prématurée au Québec, loin devant la pollution liée au transport routier.
  • Ce sont les particules fines, en synergie avec les gaz et composés organiques volatils produits par la combustion du bois, qui sont les plus toxiques, car elles s’accumulent dans le corps sans être éliminées efficacement. Cela crée avec le temps une inflammation chronique qui favorise le développement de maladies chroniques pulmonaires et cardiovasculaires, mais également les cancers.
  • Les poêles à bois de nouvelle génération, même s’ils sont certifiés, restent des contaminants importants, générant des particules fines bien au-delà des seuils tolérés.

La pollution atmosphérique n’est pas récente : elle a débuté lorsque les humains ont commencé à bruler des matériaux pour cuire leurs aliments et se chauffer, principalement le bois, puis plus récemment les combustibles fossiles.
 
L’Organisation mondiale de la Santé [OMS] a défini que la pollution atmosphérique est un facteur qui contribue fortement à l’apparition de maladies et à la survenue de décès prématurés, en plus d’être le plus important facteur de risque environnemental pour la santé humaine. Dans une revue publiée en 2018 et synthétisant les données de l’OMS, il est estimé que 9 millions de décès sont directement attribuables à la pollution environnementale (Fig. 1) et que 2,9 millions sont dus à la pollution à l’intérieur des maisons. Ces données ont été mises à jour de manière extensive par Max Rosen en 2021, estimant entre 2,3 et 3,8 millions le nombre de décès prématurés liés à la pollution intérieure dans le monde.

Figure 1. Contribution de la pollution atmosphérique à la mortalité mondiale par rapport à d’autres facteurs risques. Adapté de Landrigan et coll. (2018).

Qu’en est-il au Canada et au Québec?

Dans son rapport 2021, Santé Canada a estimé, grâce à la modélisation des données scientifiques, que pour l’année 2015, la pollution atmosphérique associée à la combustion résidentielle de bois avait causé 2 300 décès prématurés. Au Québec, ce seraient 1 400 décès prématurés qui seraient liés à cette source de pollution, soit 60% des décès canadiens. Vient en second la pollution atmosphérique liée au transport routier qui aurait provoqué 400 décès prématurés au Québec. En comparaison, le nombre de morts par accidents de la route a été de 379 en 2024 selon le recensement de la SAAQ.

Comment la pollution de l’air liée au bois de chauffage est-elle dangereuse?

La fumée provenant de la combustion du bois est constituée :

  • D’un mélange complexe de gaz comme les dérivés nitrogénés (NO, NO2) et l’ozone (O3) qui favorisent l’inflammation chronique des poumons d’abord puis dans le corps entier, nourrissant ainsi les maladies cardiovasculaires, et le dioxyde de carbone (CO2) qui compétitionne directement avec le transport de l’oxygène dans le sang, réduisant d’autant l’apport en oxygène dans nos organes;
  • De polluants atmosphériques toxiques tels les dioxines, les furanes, les composés organiques volatils (ou COV, comme le benzène et le formaldéhyde) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) connus pour leurs propriétés irritantes et inflammatoires, et pour certains avec une présomption forte ou démontrée de propriétés cancérigènes;
  • Enfin, de particules fines.

Bien que les gaz et toxines soient un problème indéniable à l’intérieur des maisons, ce sont ces particules fines microscopiques (PM) qui posent le problème principal : à l’inverse des gaz, en pénétrant par les yeux et le système respiratoire, à l’inverse des gaz, les PM s’accumulent et causent divers problèmes de santé qui deviennent chroniques, comme des maladies pulmonaires telles l’asthme et la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC), et des maladies cardiaques comme cela a été bien revu récemment par des experts. L’utilisation d’appareil mal adapté, de bois humide ou traité, ou encore de mauvais entretien, la cheminée et le poêle à bois vont avoir des effets néfastes, en particulier pour les personnes à la santé fragile à court terme, et à long terme sur nous tous.

Que sont les particules fines?

Les particules fines de moins de 2,5 microns de diamètre (PM2,5, environ 1/30ème du diamètre d’un cheveu humain), qui sont retrouvées dans les gaz d’échappement des véhicules et dans la combustion des énergies fossiles et du bois de chauffage, jouent un rôle prépondérant. Une étude récente (Fig. 2) basée sur une analyse rétrospective de participants de la UK Biobank de Grande-Bretagne, a montré l’association directe existant entre l’augmentation du risque de développer prématurément des maladies cardiovasculaires et la concentration croissante des microparticules dans l’air. Cela représenterait 5% des décès dus aux infarctus du myocarde. Cette étude confirme une analyse précédente réalisée au Canada et rapportant un lien proportionnel entre les hospitalisations pour un infarctus du myocarde et la concentration environnementale en microparticules issues de la combustion du bois de chauffage, avec un pic du risque en hiver lorsque les feux de bois de chauffage sont plus fréquents. Elle a aussi le mérite de démontrer que les effets des gaz et composés volatils contenus dans la fumée du bois de chauffage augmentent les effets néfastes des particules fines. Cela est important, car si les gaz peuvent être ventilés et que notre corps les élimine, ce n’est pas le cas des microparticules qui, une fois respirées, s’accumulent tout au long de notre vie à chaque exposition. 

Figure 2. Impact de la concentration croissante de microparticules dans l’air sur le risque de développement prématuré de maladies cardiovasculaires (MCV). Adapté de Luo et coll. (2025).

Mais la pollution liée aux microparticules peut également avoir des effets aigus : dans une étude allemande, la mise en contact avec des microparticules de ~100nm a été associée à des crises d’hypertension commençant 2 jours après l’exposition chez les sujets à risque. Les crises d’asthme sont les plus médiatisées, leurs augmentations étant associées à des pics de pollution en ville (le « smog »), mais cette étude allemande révèle l’effet insidieux des microparticules sur une condition comme l’hypertension qui passe souvent inaperçue (pas de symptôme ressenti par le patient), mais qui peut provoquer un accident vasculaire cérébral, ou, lorsqu’elle devient chronique, de la maladie coronarienne, des infarctus du myocarde et de la défaillance cardiaque.

Les principales maladies qui découlent de la pollution liée aux PM2,5 sont les cancers, les maladies pulmonaires et les maladies cardiovasculaires. Dans une revue d’experts en maladies vasculaires, il a été rapporté que l’exposition aigüe aux PM2,5 induisait une perte de la fonction relaxante de l’endothélium vasculaire, cette monocouche de cellules faisant interface avec le sang et ayant des propriétés anticoagulantes, antiadhésives des plaquettes et des cellules immunitaires, et dilatatrices; ces fonctions sont les premières à être atteintes chez les sujets en santé au passage de la 50aine, et ce d’une manière prématurée en présence de facteurs de risque des maladies cardiovasculaires tels la pollution ambiante liée aux feux de bois. Les mécanismes d’actions délétères pour la santé cardiovasculaire des PM2,5 sont similaires à ceux des nano- et microparticules de plastiques que nous venons récemment de revoir dans l’Observatoire. L’entrée par les poumons de microparticules provoque une inflammation locale dans les bronches, ce qui peut induire une crise d’asthme chez les sujets à risque. En passant ensuite dans la circulation, les microparticules produisent une inflammation systémique qui s’accompagne d’une augmentation de la coagulabilité du sang en activant les plaquettes. Cela peut conduire à des thromboses et des dommages endothéliaux. S’en suivent, si les expositions sont répétées, une accumulation des dommages et une augmentation du risque d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral. Ces nano- et microparticules issues de la combustion du bois dans la maison s’ajoutent aux facteurs de risque habituels des maladies cardiovasculaires et entre en synergie pour accélérer les dommages cardiovasculaires.

De quelles concentrations parlons-nous?

Les limites fixées par l’OMS sont à <10 µg/m3 sur une base annuelle dans l’atmosphère, et de <20 µg/m3 sur une base journalière. Au Canada, la limite atmosphérique annuelle est d’environ 12 µg/m3. Il y a peu de données sur les concentrations à l’intérieur des maisons Canadiennes : une étude de Santé Canada en 2010 a rapporté des valeurs inférieures à 15 µg/m3 dans les résidences sans fumeurs et à 35 µg/m3 dans les résidences avec fumeurs, ce qui représente des valeurs élevées; en général, les valeurs de PM2,5étaient plus faibles à l’intérieur qu’à l’extérieur de maisons, sauf dans les maisons des fumeurs. 

Dans une étude anglaise où des détecteurs ont été implantés à l’extérieur et à l’intérieur de 20 maisons utilisant le chauffage au bois, des fournaises placées directement dans la pièce de vie. Premièrement, les concentrations moyennes quotidiennes de particules fines à l’intérieur lorsqu’un poêle était utilisé étaient plus élevées pour le PM2.5 de 196% (27 par rapport à 12 µg/m3) et le PM1 (particules de 1 µm et moins) de 228% (19 par rapport à 8 µg/m3) par rapport au groupe de contrôle n’utilisant pas de poêle. Deuxièmement, les moyennes de pointe horaires étaient plus élevées pour le PM2.5 de 124% et pour le PM1 de 133% que les moyennes quotidiennes, montrant que les PM saturent les espaces intérieurs. Troisièmement, les pics qui en découlaient étaient directement liés au nombre de morceaux de combustible utilisés et à la durée de la combustion, suggérant que l’ouverture de la porte du poêle est le mécanisme principal pour introduire les PM dans la maison. Enfin, les données démontrent que la pollution de l’air intérieur observée n’était pas d’origine extérieure.

Une étude française contrôlée a révélé que la concentration de PM2,5 durant la période de 3 mois d’hiver (janvier à mars) était de 5,7 µg/m3 dans des maisons utilisant un chauffage au bois (chaudière dans une pièce dédiée isolée, généralement en sous-sol), et que ces concentrations diminuaient de 21% (4,5 µg/m3; p<0,05) dans le groupe d’usagers ayant été sensibilisés activement aux effets néfastes du chauffage au bois sur la santé. Cependant, les données probantes suggèrent fortement que les valeurs seuils de l’OMS devraient être revues à la baisse puisqu’avec une concentration de 5,7 µg/m3, le chauffage au bois est déjà un facteur de risque pour la santé cardiovasculaire.

Sommes-nous conscients des risques pour la santé de la fumée associée au feu de bois?

Dans une étude des Etats-Unis récente, un échantillon de la population a été sondé avec la question suivante : êtes-vous concerné par la qualité de l’air lorsque vous chauffez au bois?

Figure 3. Perceptions de l’impact du chauffage au bois sur la qualité de l’air à l’intérieur des maisons et dans l’environnement extérieur immédiat. Adapté de Kilkenny et coll. (2024).

Comme le montrent les résultats (Fig. 3), très peu de personnes sont sensibilisées à la nocivité de la fumée. Cette étude confirme l’étude française qui a démontré que la sensibilisation permettait de réduire significativement l’utilisation du bois pour le chauffage et donc la pollution intérieure.

Quelle est la réglementation au Québec? Le Règlement sur les appareils de chauffage au bois entré en vigueur le 1er septembre 2009, modifié le 27 août 2014 et le 8 juillet 2019, vise à interdire au Québec, la fabrication, la vente et la distribution d’appareils de chauffage au bois non conformes aux normes environnementales de l’Association canadienne de normalisation ou de l’United States Environmental Protection Agency (US-EPA). Les appareils certifiés émettent jusqu’à dix fois moins de particules fines et trois fois moins d’autres contaminants que les appareils de chauffage conventionnels, lesquels sont responsables de plus de 40 % des particules fines émises dans l’atmosphère au Québec.

Quels sont les niveaux de particules fines produites par les différents systèmes de chauffage : est-ce que les normes de certification sont la réponse au problème? 

Voici les émissions de polluants et particules fines par les systèmes de chauffages (Fig. 4). 

Figure 4. Schématisation des émissions de polluants par les différents systèmes de chauffages individuels. Adapté de Puget Sound Clean Air Agency, Washington, USA.

Comme le montre très bien cette figure 4, même certifiées EPA, les cheminées au bois restent très polluantes et loin d’être inoffensives pour la santé. Il faut mentionner que les protocoles de certification d’un poêle ou d’une cheminée ne sont pas en accord avec l’utilisation normale, car ces certifications sont réalisées avec un bois sans écorce, très sec et calibré. Hors, beaucoup de variables influencent l’émission de fumée et de ses polluants, incluant, la qualité du bois, s’il est vert et humide, l’intensité du feu, comment le bois est arrangé, si l’on en ajoute durant la flambée, la température extérieure et la pression atmosphérique, bref, beaucoup de variables non maitrisables dans la vraie vie.

Quels sont les coûts économiques de la pollution liée aux feux de bois? 

Dans leur rapport de Santé Canada, les experts ont estimé que le coût économique total de tous les impacts sanitaires de la pollution atmosphérique pour l’année 2015 s’était élevé à 120 milliards de dollars au Canada, soit environ 6 % du produit intérieur brut réel du pays. La proportion de PM2,5 produites par la combustion résidentielle de bois est de 10% de la production totale. Cette même année, le coût socioéconomique de la combustion du bois de chauffage aurait atteint 11 milliards de dollars rien qu’au Québec, soit plus que pour tous les autres secteurs modélisés réunis, incluant les véhicules routiers (3,1 milliards). Cela ne tient pas en compte la recrudescence des feux de forêt liés aux changements climatiques.

En conclusion, ces données ne sont pas surprenantes puisque l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé est connu depuis longtemps. Ce qui surprend surtout c’est l’ampleur de l’impact global du chauffage au bois au Québec qui ne concerne qu’une minorité de foyers (entre 10 et 15%) ainsi que l’inconscience sociétale de l’impact de cette pollution. Sans l’interdire, augmenter les normes afin de capter au maximum l’émission de microparticules bénéficierait à tous.

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