Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Chaleur extrême et fumée des feux de forêt, une combinaison néfaste pour la santé

En bref

  • En Californie, un groupe de chercheurs a comparé les données d’hospitalisations avec les images de fumée à haute résolution prises par des satellites et les données météorologiques.
  • Le nombre d’hospitalisations pour des troubles cardiorespiratoires enregistrées durant une journée augmente significativement en fonction de la quantité de fumée provenant de feux de forêt présente dans l’air.
  • Les hospitalisations augmentent particulièrement lorsque les canicules et les épisodes de smog causés par les feux de forêt surviennent en même temps.

Au début du mois de mars 2024, la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) a émis son premier bulletin de risque d’incendie de l’année pour trois régions du Québec, soit un mois plus tôt qu’à l’habitude. Il y a eu beaucoup moins de précipitations sous forme de neige durant l’hiver et cette neige va disparaître beaucoup plus tôt au printemps, ce qui fera augmenter le risque de feux de forêt. Rappelons qu’en 2023, il y a eu d’immenses feux de forêt au Québec et ailleurs au Canada, avec une superficie brûlée plus élevée que la somme des 20 dernières années. La fumée de ces feux de forêt survenus dans le nord du pays a migré vers le sud, donnant à plusieurs grandes villes canadiennes l’une des pires qualités de l’air au monde. 

Les épisodes de chaleur extrêmes et les feux de forêt ont augmenté ces dernières années, et l’on s’attend à ce qu’ils continuent d’augmenter dans les années à venir avec le réchauffement climatique planétaire. Des températures plus élevées et un climat plus sec intensifient le risque de feux de forêt importants. Les feux de forêt et les épisodes de canicules sont de plus en plus intenses, de longue durée et sur de grandes superficies. Cela a pour effet que les populations sont de plus en plus exposées à des épisodes de chaleur extrême et, en même temps, à la fumée des feux de forêt.   

L’exposition à ces deux phénomènes augmente le risque de multiples effets indésirables pour la santé, incluant des complications cardiaques et pulmonaires. La chaleur extrême peut mener à la déshydratation et à la dilatation des vaisseaux sanguins, à un stress thermique, une pression sur le système de thermorégulation, et mettre ainsi à rude épreuve les systèmes cardiovasculaire et pulmonaire (voir notre article). En 2019, il a été estimé qu’à l’échelle mondiale, 360 000 décès sont attribuables à des températures élevées chaque année. L’inhalation des particules fines contenues dans la fumée des feux de forêt peut produire de l’inflammation et un stress oxydatif, ce qui provoque des bris cellulaires et augmente le risque de maladie cardiopulmonaire (voir notre article sur le sujet). Il a été estimé que chaque année entre 340 000 et 680 000 décès sont attribuables aux particules fines (PM2.5) à l’échelle mondiale. 

Puisque les températures élevées et la fumée des feux de forêt ont des effets physiologiques similaires et qu’ils surviennent régulièrement en même temps, il est possible qu’ils agissent de manière synergique et que cela aggrave les effets nuisibles sur la santé. Quelques études ont examiné les effets combinés de la chaleur extrême et de la pollution ambiante, mais ce n’est que récemment qu’un groupe de chercheurs américains a étudié spécifiquement les effets combinés de la chaleur et de la fumée des feux de forêt. 

Dans cette étude, les chercheurs ont comparé les données d’hospitalisations de 67 % des Californiens avec les images de fumée à haute résolution prises par des satellites et les données météorologiques. Entre 2006 et 2019, le nombre d’hospitalisations pour des troubles cardiorespiratoires enregistrées durant une journée a augmenté significativement en fonction de la quantité de fumée provenant de feux de forêt présente dans l’air (voir figure 1 ci-dessous). Le nombre d’hospitalisations a augmenté particulièrement lorsque les canicules et les épisodes de smog causés par les feux de forêt surviennent en même temps. La somme des hospitalisations lors des jours de chaleur extrême (sans fumée) et celles recensées lors de jours de fumée provenant des feux de forêt (sans canicule) est significativement moins élevée que le nombre d’hospitalisations les jours où les canicules et les épisodes de smog causés par les feux de forêt surviennent en même temps.

Figure 1. Associations entre le risque d’hospitalisation pour un trouble cardiorespiratoire et la chaleur extrême uniquement, la fumée de feux de forêt uniquement et l’exposition concomitante à la chaleur extrême et à la fumée de feux de forêt. Adapté de Chen et coll., 2024.

Cet effet synergique entre l’exposition à la chaleur extrême et la fumée des feux de forêt est préoccupant. Puisque l’exposition à 15 µg/m3 de PM2.5 un jour de chaleur extrême est équivalent en ce qui concerne le risque d’hospitalisation à une exposition à 35 µg/m3 de PM2.5 un jour sans chaleur, les agences gouvernementales devront probablement ajuster leurs normes et les rendre plus strictes lors des jours où il y a double exposition. 

Dans l’étude californienne, les effets synergiques de la chaleur et de la fumée des feux de forêt étaient plus élevés dans les communautés moins scolarisés, à faible revenu, densément peuplées, où les minorités ethniques sont davantage représentées et où il y a moins d’arbres. Dans ces communautés un accès réduit aux soins de santé, un manque de moyens pour se protéger contre la chaleur et la prévalence élevées de comorbidités pourraient expliquer pourquoi elles sont plus durement affectées par les effets synergiques de la chaleur et de la fumée. 

La chaleur extrême et la fumée des feux de forêt sont deux expositions nocives qui se produisent de plus en plus simultanément dans le contexte du réchauffement climatique. À mesure que le nombre de jours d’exposition combiné augmente, les effets synergiques entre la chaleur extrême et la fumée des feux de forêt deviendront plus importants pour une estimation précise du fardeau sur la santé et devraient être intégrés dans le développement des systèmes d’alertes à la population.

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