L’alimentation restreinte dans le temps, une approche prometteuse pour la prévention des maladies chroniques

L’alimentation restreinte dans le temps, une approche prometteuse pour la prévention des maladies chroniques

Au cours des dernières années, nous avons commenté à plusieurs reprises (ici, ici, ici et ici) les travaux de recherche qui se sont penchés sur les bénéfices associés au jeûne intermittent et à la restriction calorique en général.  Dans cet article, nous abordons ce sujet sous un angle plus général : comment expliquer que le simple fait de restreindre l’apport calorique à une fenêtre de temps plus courte puisse entrainer de tels bénéfices ?

Il est maintenant clairement établi que ce que nous mangeons quotidiennement exerce une énorme influence sur le développement de l’ensemble des maladies chroniques. Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, de nombreuses études ont en effet montré qu’un apport élevé en végétaux (fruits, légumes, grains entiers, légumineuses, noix et graines) est associé à une baisse importante du risque de ces maladies, tandis qu’à l’inverse, le risque de surpoids, de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2, de plusieurs types de cancers et de mortalité prématurée est augmenté par la consommation excessive de produits d’origine animale (viandes et charcuteries en particulier) ainsi qu’en aliments industriels ultratransformés.

La qualité de l’alimentation ne semble cependant pas le seul paramètre qui peut moduler le risque de ces maladies chroniques : de nombreuses études réalisées au cours des dernières années suggèrent que la période de temps pendant laquelle les aliments sont consommés joue elle aussi un rôle très important dans ce risque.  Par exemple, des études précliniques ont révélé que des rongeurs qui ont un accès continuel à une nourriture riche en sucre et en gras développent un excès de poids et plusieurs perturbations métaboliques impliquées dans la genèse des maladies chroniques (la résistance à l’insuline, notamment), tandis que ceux qui mangent la même quantité de nourriture, mais dans un laps de temps plus court, ne présentent pas ces anomalies métaboliques et n’accumulent pas de poids excédentaire.

Autrement dit,  ce ne serait pas seulement la quantité de calories qui importe, mais aussi la fenêtre de temps pendant laquelle ces calories sont consommées. Ce nouveau concept d’alimentation restreinte dans le temps (ART) est vraiment révolutionnaire et suscite actuellement énormément d’intérêt de la part des communautés scientifique et médicale.

Jeûne intermittent

Au sens strict du terme, l’alimentation restreinte dans le temps est une forme de jeûne intermittent puisque l’apport calorique est limité à des périodes relativement courtes de la journée (6-8 h par exemple), en alternance avec des périodes de jeûne allant de 16 à 18 h (une formule populaire est l’alimentation 16 : 8, c’est-à-dire un jeûne de 16 h suivi d’une fenêtre d’alimentation de 8 h). Ce type de jeûne intermittent est généralement plus facile à adopter que d’autres types de jeûnes plus restrictifs comme l’alimentation  5 : 2, dans laquelle 5 jours d’alimentation normale sont entrecoupés de 2 jours (consécutifs ou non) où l’apport calorique est nul ou très faible, ou encore le alternate day fasting (1 jour sur deux de jeûne, en alternance). Étant donné que l’ART consiste simplement à souper tôt ou à déjeuner tard pour parvenir à ne pas manger pendant une période de 16 à 18 h, ce type de jeûne intermittent ne provoque généralement pas de bouleversements majeurs dans les habitudes de vie et est en conséquence à la portée de la plupart des gens.

Manger trop et trop souvent

L’intérêt suscité par l’ART et les autres formes de jeûnes intermittents peut être considéré,  dans une certaine mesure, comme une réaction à la forte augmentation du nombre de personnes en surpoids observée au cours des dernières décennies.  Les statistiques montrent en effet que 2/3 des Canadiens sont actuellement en surpoids (IMC>25), incluant un tiers qui sont obèses (IMC>30), et ce surpoids est devenu tellement la norme qu’on oublie à quel point notre tour de taille collectif a grimpé en flèche depuis 50 ans.

Par exemple, les statistiques publiées par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains indiquent qu’entre 1960 et 2010, le poids moyen d’un américain est passé de 166 livres à 196 livres (75 à 89 kg), tandis que celui des femmes passait de 140 livres à 166 livres (63 à 75 kg) (Figure 1).  Autrement dit, en moyenne, une femme pèse actuellement le même poids qu’un homme qui vivait durant les années 60 !   Pas étonnant que les gens soient beaucoup plus minces qu’aujourd’hui dans les photos de famille ou les films datant de cette époque….

Figure 1. Augmentation du poids corporel moyen de la population américaine au cours des dernières décennies.  Adapté à partir des données provenant des CDC. Notez que le poids moyen des femmes en 2010 était identique à celui des hommes en 1960 (cercles rouges).  Une tendance similaire, mesurée par la hausse de l’indice de masse corporellle, a été observée dans plusieurs régions du monde, incluant le Québec.

La surconsommation de calories, en particulier celles provenant d’aliments industriels ultratransformés, est certainement l’un des principaux facteurs qui ont contribué à cette augmentation rapide du poids corporel de la population.  L’environnement dans lequel nous vivons encourage fortement cet apport excessif en énergie (publicité agressive, aliments préparés surchargés de sucre et de gras, disponibilité quasi illimitée des produits alimentaires), si bien que, collectivement, nous mangeons non seulement trop, mais aussi trop souvent.  Par exemple, une étude réalisée aux États-Unis a montré que ce que l’on considère généralement comme l’alimentation standard, c’est-à-dire la consommation de trois repas par jour répartis sur une période de 12 h, est au contraire un phénomène assez marginal (moins de 10% de la population). En réalité, l’étude a montré que la plupart des gens mangent à plusieurs reprises au cours de la journée (et de la soirée), avec un intervalle moyen de seulement 3 h entre les périodes de consommation de calories. Selon cette étude,  plus de la moitié de la population consomme sa nourriture sur une période de 15 h et plus par jour, ce qui augmente évidemment les risques d’un apport excessif en énergie. Il faut d’ailleurs noter que ces chercheurs ont observé que pour la très grande majorité des participants, toute la nourriture consommée après 18h30 excédait leurs besoins énergétiques.

Contrôle du poids (et du métabolisme)

Plusieurs études suggèrent que le jeûne intermittent, incluant l’ART, représente une approche valable pour corriger ces excès et rétablir l’équilibre calorique indispensable au maintien d’un poids corporel normal.  Évidemment, ceci est particulièrement vrai pour les personnes obèses qui mangent plus de 15 h par jour : pour ces personnes, le simple fait de réduire leur fenêtre d’alimentation à 10-12 h, sans nécessairement faire d’efforts particuliers pour restreindre leur apport calorique, est associé à une réduction du poids corporel.

La plupart des études qui se sont penchées sur l’effet de l’ART sur le poids corporel arrivent à des résultats semblables, c’est-à-dire que chez les personnes en surpoids, simplement restreindre la période d’alimentation à une fenêtre de 8-10 h mène généralement à une perte de poids dans les semaines qui suivent (Tableau 1). Cette perte est dans l’ensemble assez modeste (2-4 % du poids corporel), mais peut cependant devenir plus importante lorsque l’ART est combinée à un régime hypocalorique.

Il serait cependant réductionniste de voir l’ART simplement comme une approche destinée au contrôle du poids corporel. En pratique, les études indiquent que même en absence d’une perte du poids (ou lorsque la perte est très modeste), l’ART améliore certains aspects clés du métabolisme.  Par exemple, chez des hommes en surpoids et prédiabétiques, réduire la fenêtre d’alimentation de 12 à 6 h pendant 5 semaines n’a pas permis d’obtenir une perte de poids significative, mais est néanmoins associée à une baisse de la résistance à l’insuline et de la glycémie à jeun.  Ces résultats ont été confirmés par une étude subséquente; dans ce dernier cas, par contre, la diminution de la glycémie induite par l’ART semble seulement survenir lorsque la fenêtre d’alimentation est dans la première portion de la journée (8h-17h) et n’est pas observée pour des fenêtres plus tardives (12h-21h).  Cette supériorité de l’ART réalisée en début de journée pour la réduction de la glycémie à jeun a été observée dans d’autres études, mais demeure inexpliquée à ce jour.

Il faut aussi noter que ces impacts positifs de l’ART sur le métabolisme du glucose sont également observés chez des personnes de poids normal (IMC=22), ce qui souligne à quel point les bénéfices de l’ART dépassent largement la simple perte de poids.

Fenêtre d’alimentationDurée
de l’étude
ParticipantsPrincipaux résultatsSource
13 h (6h-19h)2 sem29 H (moy. 21 ans)
IMC=25
↓ poids (-0,4 kg)
↓ apport calorique
LeCheminant et coll. (2013)
10-12h (moment au choix du participant)16 sem5H, 8F (24-30 ans)
IMC>30
↓ poids (-3,3 kg)
↑ qualité du sommeil
Gill et Panda (2015)
ART : 8h (13h-21h)
Ctl: 13h (8h-21h)
8 sem34H
IMC=30
←→ poids
↓IGF-1
↓gras corporel
Moro et coll. (2016)
ART : 6h (8h-14h)
Ctl: 12h (8h-20h)
5 sem8H (moy 56 ans)
IMC>25 et prédiabète
←→ poids
↓résistance insuline
↓insuline postprandiale
↓pression artérielle
↓appétit en soirée
Sutton et coll. (2018)
8 h (10h-18h)12 sem41F, 5H (moy 50 ans)
IMC=35
↓ poids (-2,6%)
↓ apport calorique
↓pression artérielle
Gabel et coll. (2018)
3h de moins qu'à l’habitude
(déjeuner 1,5h plus tard; souper 1,5h plus tôt)
10 sem12F, 1H (29-57 ans)
IMC=20-39
←→ poids
↓apport calorique
↓gras corporel
Antoni et coll. (2018)
9 h
Tôt : 8h-17h
Tard : 12h-21h
1 sem15H (moy 55 ans)
IMC>25
↓ poids (-0,8 kg)
↓ glycémie postprandiale
↓ TG
↓ glycémie à jeun (seulement pour ART tôt)
Hutchison et coll. (2019)
ART: 8h (12h-20h)
Ctl: 3 repas à heures fixes
12 sem
70H, 46F (moy 47 ans)
IMC>25
↓ poids (1,2%) pour ART (non significative)Lowe et coll. (2020)
10h (moment au choix du participant)12 sem13H, 6F (moy 59 ans)
(atteints du syndrome métabolique)
↓poids
↓tour de taille
↓pression artérielle
↓LDL-cholestérol
↓HbA1C
Wilkinson et coll. (2020)
4h 15h-19h)
6h (13h-19h)
8 sem53F, 5H
IMC>30
↓poids (3 %)
↓résistance insuline
↓stress oxydatif
↓apport calorique (-500kCal/jr en moy)
(pas de diff. entre 4h et 6h)

Cienfuegos et coll. (2020)
ART : 10h
Ctl : 12h
(déficit calorique de 1000 kCal/jr dans les 2 cas)
8 sem53F, 7H
IMC> 35
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-8,5% vs -7,1%)
↓ glycémie à jeun (seulement pour ART)
Peeke et coll. (2021)
8 h (12h-20h)12 sem32F
IMC>32
↓poids (-4 kg)
↓risque CV (score de Framingham)
Schroder et coll. (2021)
8h (moment au choix du participant)12 sem37F, 13H
IMC=35
↓poids (-5 %)Przulj et coll. (2021)
ART : 8h (8h-16h)
Ctl : 10h
(Dans les 2 cas, réduction des calories à 1800 kCal/jr pour les hommes et 1500 kCal/jr pour les femmes)
52 sem71H, 68F (moy 30 ans)
IMC>30
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-8 kg vs -6,3 kg)
Liu et coll. (2022)
ART: 8h
Tôt : 6h-14h
Tard : 11h-19h
5 sem64F, 18H
IMC=22
↓apport calorique
↓résistance à l’insuline (ART tôt)
↓glycémie à jeun (ART tôt)
Xie et coll. (2022)
ART : 10h (à partir de l’heure du déjeuner)
Ctl : pas de limite de temps
(Réduction calorique de 35% dans les deux cas)
12 sem69F, 12H (moy 38 ans)
IMC=34
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-6,2 kg vs -5,1 kg)
Thomas et coll. (2022)
ART: 8h (7h-15h)
Ctl : ≥12h
(Réduction calorique de 500kCal/j dans les deux cas)
14 sem72F, 18H (moy 43 ans)
IMC>30
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-6,3 kg vs -4,0 kg)
Jamshed et coll. (2022)

Tableau 1. Exemples d’études portant sur les effets de l’ART sur le poids corporel et le métabolisme.

Rythmes métaboliques

Les raisons de l’impact positif d’une alimentation restreinte dans le temps sont à la fois très simples et éminemment complexes.  Simple, tout d’abord, dans la mesure où on peut intuitivement comprendre que le métabolisme, comme n’importe quel travail, requiert des périodes de pause pour optimiser le rendement et éviter la surchauffe et l’épuisement.

Au cours de l’évolution, ces cycles de travail-repos métaboliques se sont développés en réponse au cycle jour-nuit de la Terre, qui correspond en gros à notre cycle éveil-sommeil (Figure 2) : durant le jour, nous sommes en mode actif et la principale fonction du métabolisme est d’extraire l’énergie contenue dans les aliments (glucose, acides gras, protéines) pour subvenir aux besoins de la journée. Par contre, le métabolisme est également prévoyant et économe, et une portion de cette énergie n’est pas utilisée immédiatement, mais est plutôt entreposée sous forme de polymères de glucose (glycogène) ou transformée en gras et stockée au niveau du tissu adipeux pour être utilisée lors de périodes plus ou moins prolongées de jeûne.

Figure 2. Rythmicité des processus métaboliques selon le moment de la journée. La plupart des organismes, y compris les humains, ont évolué pour avoir des rythmes circadiens (près de 24 heures) qui créent des fenêtres de temps optimales pour le repos, l’activité et l’apport en nutriments. Cette horloge moléculaire coordonne les réponses métaboliques appropriées avec le cycle lumière/obscurité et améliore l’efficacité énergétique grâce à la séparation temporelle des réactions anaboliques (sécrétion d’insuline, synthèse de glycogène, lipogenèse) et cataboliques (lipolyse, dégradation du glycogène) dans les tissus périphériques. Les perturbations de ce cycle, par exemple suite à un apport nutritionnel en dehors de la fenêtre de temps privilégiée, compromettent les fonctions des organes et augmentent les risques de maladies chroniques. Adapté de Sassi et Sassone-Corsi (2018).

Dans ce mode maintenance, qui correspond généralement à la période de repos (le soir, la nuit et le début du jour), la fonction du métabolisme est d’assurer que l’apport énergétique à nos cellules demeure adéquat, même en absence d’aliments :  le glucose stocké sous forme de glycogène est tout d’abord utilisé pour maintenir la glycémie à un taux constant, suivi d’une transition graduelle du métabolisme vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie. Lorsque la période de jeûne se prolonge, les niveaux de glucose sanguins deviennent insuffisants pour assurer le fonctionnement du cerveau (les neurones ne sont pas capables d’utiliser les acides gras comme source d’énergie) et une partie des graisses est alors utilisée pour produire des corps cétoniques. Ces corps cétoniques peuvent être métabolisés par les cellules nerveuses (ainsi que par les cellules d’autres organes, notamment les muscles et le cœur), ce qui permet au corps de non seulement survivre à une carence en aliments, mais aussi de conserver les capacités physiques et mentales nécessaires pour obtenir cette nourriture (les personnes qui jeûnent pendant des périodes assez longues (≥ 24 h) rapportent fréquemment une amélioration notable de leur acuité mentale). D’un point de vue évolutif, cette segmentation du métabolisme en deux phases distinctes s’est donc développée pour maximiser l’extraction de l’énergie lorsque la nourriture est disponible, tout en assurant la survie lorsqu’elle ne l’est pas, pendant les fréquentes périodes de disettes.

Au niveau moléculaire, cette transition métabolique (metabolic shift) du glucose vers les graisses crée donc l’équivalent de « quarts de travail » où les différentes enzymes et hormones métaboliques actives durant le jour sont au repos durant la nuit, alors qu’à l’inverse, celles qui entrent en action durant la nuit deviennent inactives pendant le jour.

Un des meilleurs exemples de cette chorégraphie moléculaire  finement orchestrée est le cycle gouvernant la production de l’insuline : durant le jour, l’arrêt de la sécrétion de mélatonine après l’éveil permet au pancréas de produire de l’insuline en réponse à l’ingestion de glucides, et la capture du glucose présent dans la circulation sanguine qui s’ensuit est utilisée par les cellules pour assurer leur fonctionnement. En parallèle, l’insuline favorise aussi la transformation du glucose en acides gras au niveau du tissu adipeux et la création d’une réserve d’énergie pour usage futur.  En soirée, donc au début de la période de maintenance du métabolisme, la sécrétion de mélatonine (pour favoriser le sommeil) interfère avec celle d’insuline et la diminution de l’entrée de sucre dans les cellules qui s’ensuit facilite la transition vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie pendant la période de repos.

Une des conséquences immédiates de manger à répétition pendant une longue période de temps de la journée, par exemple 15 h et plus comme dans l’étude mentionnée plus tôt, est donc de complètement perturber ce cycle de l’insuline. Ceci est particulièrement vrai pour des apports caloriques tard en soirée, au moment où la sécrétion de mélatonine signale normalement au métabolisme que l’extraction d’énergie est terminée pour la journée (inhibition de l’insuline) et qu’il est temps de se placer en période de maintenance. L’ingestion de calories à ce moment tombe alors à un bien mauvais moment, car les deux volets du métabolisme sont sollicités en même temps et la cacophonie qui s’ensuit perturbe simultanément le fonctionnement normal de chacun d’entre eux. Par exemple, on sait depuis longtemps qu’un apport calorique tardif est associé à une hausse plus élevée du glucose sanguin postprandial (après le repas).

Période de repos prolongée

Limiter l’apport calorique à seulement 6-8 h de la période d’éveil a évidemment comme conséquence immédiate d’augmenter la durée de la période de repos et de maintenance du métabolisme.  Cela peut sembler peu, mais ces quelques heures supplémentaires sans apport calorique vont forcer la mise en branle d’une série d’adaptations métaboliques extrêmement importantes pour les effets bénéfiques de l’ART. C’est là que ça se complique, mais on peut tout de même tenter de simplifier le tout en séparant ces adaptations en deux grandes catégories :

1) Optimiser la transition métabolique.  Comme mentionné plus tôt, la période de jeûne est associée au passage d’un métabolisme axé sur le glucose comme principale source d’énergie vers les acides gras.  Par contre, lorsque la période de jeûne est relativement courte, d’environ 12 h (par exemple, fin de souper vers 18 h suivi d’un petit déjeuner à 6 h  le lendemain), cette transition métabolique vers les graisses demeure incomplète : la diminution des taux de glucose postprandial est corrélée avec une légère hausse des acides gras libres en circulation, mais cette hausse est transitoire et annulée dès l’ingestion du premier repas de la journée (Figure 3, graphique de gauche).  De plus, ce laps de temps n’est pas suffisant pour générer des taux significatifs de corps cétoniques.

Figure 3. L’impact de l’ART sur la transition métabolique vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie. Après chaque repas, la concentration de glucose dans le sang augmente rapidement dans les 15 minutes qui suivent, avec un pic de 30 à 60 minutes après le début du repas, tandis que l’absorption des triglycérides alimentaires est beaucoup plus lente avec un pic qui survient 3 à 5 h plus tard. Cette hausse rapide du glucose entraîne une augmentation drastique de l’insuline systémique (~ 400–500 pmol/L) pour permettre l’absorption de glucose et, en parallèle, agit sur le tissu adipeux pour inhiber la libération d’acides gras libres et bloquer la production de corps cétoniques. Par conséquent, l’utilisation des glucides représente 70 à 75 % des dépenses énergétiques après la consommation d’un repas. Le métabolisme hépatique du glycogène passe alors de la dégradation (glycogénolyse) à la synthèse (glycogenèse) et le métabolisme musculaire passe de l’oxydation des acides gras et des acides aminés à l’oxydation du glucose et au stockage du glycogène. Cette réponse finement réglée se traduit par une diminution de la glycémie à < 7,8 mmol/L deux heures après un repas. Lors d’une période de jeûne standard (12 h) (figure de gauche), la glycémie est maintenue à un niveau constant (environ 4,0-5,5 mmol/L) et c’est l’oxydation des acides gras qui devient la principale source d’énergie (environ 45 %, contre 35 % pour le glucose et 20% pour les protéines). Lorsque la période de jeûne dépasse 12 h (figure de droite), la concentration de glucose et d’insuline continuent à diminuer lentement, tandis que celle des acides gras libres augmente pour assurer la transition métabolique vers l’oxydation des graisses.  Cette transition est également associée à la production de corps cétoniques en réponse à l’influx d’acides gras libres au niveau du foie.  Adapté de Dote-Monterro et coll. (2022).

En repoussant de quelques heures ce premier repas (ou en consommant plus tôt le dernier repas du jour précédent) de façon à jeûner un peu plus longtemps (16 h, par exemple), l’absence de nouvelles sources alimentaires de sucre et de triglycérides force le métabolisme à se tourner vers les réserves d’acides gras comme source d’énergie ainsi qu’à débuter la transformation d’une partie de ces gras en corps cétoniques pour compenser la rareté de glucose (Figure 3, graphique de droite).

Autrement dit, en répartissant l’apport calorique sur une période de temps prolongée (12 h et plus), l’excédent d’énergie stockée sous forme de graisses n’est à peu près jamais utilisé.  Pour les personnes qui consomment régulièrement plus de calories que leurs besoins, il peut donc y avoir au fil du temps une accumulation progressive de graisse. Par contre, en restreignant cet apport calorique sur une période de temps plus courte (moins de 12 h), la plus grande transition métabolique vers les graisses permet d’utiliser ces réserves et ainsi d’éviter l’accumulation d’un surplus d’énergie pouvant mener au surpoids.

2) Sauvegarder les acquis.  Une autre conséquence d’une période de jeûne prolongée est de créer un « climat d’incertitude » pour les cellules quant à leur apport futur en énergie.  Au cas où cette disette se prolonge, elles n’ont alors d’autre choix que d’adopter une approche prudente et de privilégier le maintien des acquis plutôt que d’envisager de poursuivre leur expansion.  Pour faire une analogie simple, lorsque les temps sont durs, on consacre nos énergies à entretenir la maison et non à entreprendre des travaux d’agrandissement. C’est exactement l’approche que privilégie la cellule lors d’un jeûne : en absence de nouvelles sources d’énergie, les mécanismes impliqués dans la croissance sont mis en veilleuse et l’énergie résiduelle est plutôt consacrée au maintien et à la réparation des constituants essentiels à l’intégrité cellulaire (ADN, mitochondries, protéines, etc.). Cette « cure de rajeunissement » fait en sorte que l’état de santé général des cellules est amélioré lors d’un jeûne, ce qui permet un fonctionnement optimal lorsque l’apport énergétique est rétabli.

Surchauffe métabolique

Pour mieux comprendre l’impact de cette adaptation au jeûne sur le métabolisme, il peut être utile de tout d’abord visualiser à quel point l’alimentation standard actuelle, riche en aliments d’origine animale et en aliments ultratransformés (qui représentent actuellement à eux seuls près de la moitié des calories quotidiennes consommées au Canada), est un « cocktail » de croissance parfait pour créer une surchauffe métabolique et encourager le développement de diverses pathologies.

  Cette surchauffe est principalement causée par la présence simultanée de deux puissants activateurs des voies de signalisation impliquées dans la croissance des cellules, soit les sucres libres et les protéines animales (Figure 4).  En particulier, les régimes riches en protéines et en certains acides aminés (méthionine et à acides aminés à chaines latérales (BCAA), principalement retrouvés dans les produits animaux) sont les plus efficaces pour activer la voie GH/IGF-1 impliquée dans la croissance et le vieillissement prématuré de la cellule. En conditions normales, l’activation de ces voies de croissance est évidemment essentielle à la survie, mais lorsqu’elle devient excessive, par exemple suite à une surconsommation de calories et/ou un apport alimentaire trop fréquent (par exemple sur une période de 15 h, comme observé dans l’étude mentionnée plus tôt), l’excès d’énergie qui est emmagasiné sous forme de graisse peut favoriser le développement d’une résistance à l’action de l’insuline (voir notre article à ce sujet).  Ce désordre du signal de l’insuline est réellement problématique, car il catalyse l’apparition d’une série de bouleversements métaboliques qui vont créer une inflammation chronique et un stress oxydatif dommageables pour l’ensemble du corps.  Ces conditions peuvent favoriser directement le développement des principales maladies chroniques (cardiovasculaires, diabète de type 2, cancer, neurodégénérescences) ou encore indirectement, en accélérant le processus de vieillissement, un des principaux facteurs de risque de ces maladies.

Figure 4. Effets de l’alimentation occidentale standard sur le métabolisme et le risque de maladies chroniques.Un apport calorique quotidien prolongé (≥12h), combiné à la présence de sucres simples et de protéines animales, active fortement les voies impliquées dans la croissance cellulaire (GH/IGF-1, insuline) et favorise le développement d’anomalies métaboliques comme le surpoids et la résistance à l’insuline. Les perturbations métaboliques qui s’ensuivent créent un climat propice au développement de conditions de stress oxydatif et d’inflammation chroniques qui endommagent la cellule (glucotoxicité, lipotoxicité, dommages à l’ADN, lipides et protéines), accélèrent le vieillissement biologique et augmentent le risque de plusieurs maladies.

Éviter la surchauffe

Pour simplifier, on peut voir le jeûne intermittent, incluant l’ART, comme une façon de minimiser ces risques de surchauffe métabolique et de plutôt stimuler les mécanismes de conservation cellulaire (Figure 5). En limitant l’apport calorique à une fenêtre de temps plus courte, les hormones de croissance comme l’insuline et le IGF-1 sont activées, mais dans une moindre mesure, ce qui réduit les risques de surpoids, de résistance à l’insuline et, par conséquent, d’altérations métaboliques favorisant le vieillissement et le développement de maladies chroniques.  De plus, comme mentionné auparavant, la période plus longue de jeûne force la cellule à entrer en mode maintenance et de mettre en priorité la réparation et le maintien de ses structures plutôt que la croissance à tout prix. Au niveau moléculaire, cela se traduit par l’activation des senseurs de la baisse d’énergie disponible (l’AMPK et les sirtuines, en particulier) et l’entrée en scène des processus de conservation comme la réparation des protéines et de l’ADN, la synthèse de nouvelles mitochondries (mitogenèse), le recyclage des composantes endommagées (ce qu’on appelle le processus d’autophagie) et le renouvellement des cellules souches.

Il faut absolument mentionner que les bénéfices associés au jeûne intermittent seront d’autant plus manifestes si l’énergie consommée durant la période d’apport calorique provient principalement des végétaux. On sait depuis longtemps qu’une alimentation à base de plantes (fruits, légumes, légumineuses, noix, graines, etc.) permet un apport élevé en vitamines, minéraux et certains composés bioactifs (les polyphénols, par exemple) qui possèdent des propriétés antiinflammatoires, tout en étant d’excellentes sources de glucides complexes et de gras insaturés, des nutriments essentiels à la réduction importante du risque de maladies chroniques, en particulier les maladies cardiovasculaires.  Il faut aussi mentionner que les protéines d’origine végétale, étant moins riches en méthionine et en acides aminés à chaine latérale (BCAA), activent moins fortement le GH/IGF-1 et la production d’insuline que les protéines animales et réduisent ainsi le risque de résistance à l’insuline et de diabète de type 2.  Puisque la voie GH/IGF-1 représente également un puissant activateur de mTOR (impliqué dans la synthèse de protéines et la croissance cellulaire), la réduction de GH/IGF-1 par les protéines végétales contribue à diminuer l’activité de ce mTOR et ainsi à stimuler l’autophagie, le recyclage des composantes cellulaires essentiel au maintien de la santé de la cellule.

Figure 5. Impacts métaboliques et physiologiques d’une alimentation restreinte dans le temps et d’un régime principalement à base de plantes.   Un apport calorique restreint à une fenêtre de temps inférieure à 8 h et composé de nutriments d’origine végétale (glucides complexes, gras insaturés, protéines pauvres en méthionine et en acides aminés à chaine latérale (BCAA)) favorise une faible résistance à l’insuline, une faible adiposité, des niveaux d’activités modérés de GH/IGF-1, une signalisation mTOR réduite et une hausse de l’autophagie. La combinaison de ces effets améliore le fonctionnement du métabolisme, réduit l’inflammation et le stress oxydatif et favorise la maintenance et la réparation des fonctions cellulaires, ce qui peut mener à un ralentissement du processus de vieillissement et une diminution de l’incidence de plusieurs maladies chroniques, incluant le diabète, certains cancers, les maladies cardiovasculaires et les neurodégénérescences.  Adapté de Longo et Anderson (2022).

En somme, on peut voir l’ART (et les jeûnes intermittents dans l’ensemble) comme un moyen simple d’utiliser à notre avantage les mécanismes sélectionnés par l’évolution pour optimiser le fonctionnement de notre métabolisme et ainsi créer des conditions incompatibles avec le développement des maladies chroniques.   Il faut réaliser que nous vivons actuellement à une époque d’abondance alimentaire sans précédent, pour laquelle notre physiologie, qui a évolué pour faire face à la rareté de nourriture, est complètement inadaptée.  Contrôler son apport calorique dans un tel environnement n’est pas chose facile, en particulier pour les personnes qui sont en surpoids et qui cherchent à perdre du poids en mangeant moins : ces régimes hypocaloriques sont la plupart du temps inefficaces à long terme, car la restriction calorique est extrêmement difficile à soutenir sur de longues périodes.

Restreindre l’apport calorique de la journée à des fenêtres de temps inférieures à 12 h, comme dans l’ART, représente une alternative intéressante à la restriction calorique.  D’une part, il n’est pas nécessaire de diminuer la quantité totale de calories consommées pour contrôler son poids, ce qui rend cette approche beaucoup plus accessible pour la plupart des gens (en pratique, les études indiquent que les personnes qui adhèrent à l’ART diminuent tout de même leur apport calorique, mais de façon involontaire). De plus, le jeûne intermittent n’augmente pas les hormones de l’appétit comme la ghréline (contrairement à la restriction calorique), ce qui rend les gens moins affamés et donc moins susceptibles de « tricher » et d’abandonner cette approche.

En somme, l’ART peut être considérée comme une forme « d’autodéfense alimentaire » face à la surabondance de calories présentes dans notre environnement.  En minimisant les excès caloriques, cette approche modérée et prudente permet de mieux contrôler le poids corporel et ainsi de réduire les risques de l’ensemble des maladies chroniques qui découlent du surpoids.

Les suppléments anti-vieillissement : une nouvelle fontaine de jouvence ?

Les suppléments anti-vieillissement : une nouvelle fontaine de jouvence ?

EN BREF

  • La berbérine, tout comme le médicament antidiabétique metformine, est un activateur d’une enzyme (AMPK) qui est impliquée dans certains effets bénéfiques anti-vieillissement de la restriction calorique.
  • Le resvératrol et le ptérostilbène réduisent l’inflammation, le risque de maladie cardiaque, de cancer et de neurodégénération, en plus de protéger l’intégrité du génome via l’activation d’enzymes nommées « sirtuines ».
  • Les suppléments nicotinamide mononucléotide (NMN) et le nicotinamide riboside (NR) sont efficaces pour augmenter les taux de nicotinamide adénine dinucléotide (NAD) qui diminuent avec l’âge.
  • Certains de ces suppléments allongent la vie de plusieurs organismes vivants (levures, vers, mouches) et d’animaux de laboratoire (souris, rats), mais il n’y a pas encore de données probantes chez l’humain à cet effet.

Depuis des millénaires l’homme cherche à ralentir le vieillissement et prolonger la vie à l’aide d’élixirs, d’eaux miraculeuses, de pilules et autres suppléments. Pourtant on sait aujourd’hui que dans les communautés où les gens vivent plus longtemps (les « blue zones »), il semble que le « secret » de la longévité consiste en un mode de vie caractérisé par une activité physique soutenue tout le long de la vie, une alimentation saine composée principalement de végétaux et des liens sociaux et familiaux très forts.

Il y a donc cette idée que certaines molécules ont des propriétés anti-vieillissement, c.-à-d. qu’elles sont en mesure de retarder le vieillissement normal et donc de prolonger la vie, malgré un mode de vie suboptimal. Cette question intéresse aussi les scientifiques qui ont identifié et étudié les effets anti-vieillissement de certaines molécules surtout sur des cellules en culture et des animaux de laboratoire. Plusieurs suppléments « anti-vieillissement » sont offerts dans le commerce, mais sont-ils vraiment efficaces ?

Metformine
La metformine est un médicament largement prescrit depuis plus de 60 ans pour traiter le diabète de type 2. La metformine est un analogue synthétique non toxique de la galégine, un composé actif extrait de la plante galéga officinal (rue de chèvre) qui était utilisé dès le 17e siècle comme remède contre l’émission excessive d’urine causée par le diabète.   Elle normalise la glycémie en augmentant la sensibilité à l’insuline des principaux tissus qui utilisent le glucose tels le foie et le tissu adipeux.

La metformine cause un stress énergétique dans la cellule en inhibant le complexe I de la chaîne respiratoire mitochondriale (centrale de l’énergie dans la cellule), ce qui a pour résultat d’inhiber à son tour l’enzyme mTORC1 (mechanistic target of rapamycin complex 1) par des mécanismes dépendant ou non de l’activation de l’enzyme AMPK. Le complexe mTORC1, composé de l’enzyme mTOR (une sérine/thréonine kinase) et de protéines régulatrices, est impliqué dans la régulation de plusieurs activités cellulaires (synthèse des protéines, transcription de l’ADN en ARN, prolifération, croissance, mobilité et survie cellulaire) en réponse à la détection de nutriments. Elle est aussi impliquée dans les nombreux changements qui surviennent lors du ralentissement du vieillissement causé par la restriction calorique, au niveau de la fonction mitochondriale (centrale de l’énergie dans la cellule) et de la sénescence cellulaire. L’adénosine monophosphate kinase (AMPK) est une enzyme qui fonctionne comme un capteur central des signaux métaboliques.

La metformine atténue les signes du vieillissement et augmente la durée de vie de plusieurs organismes vivants, incluant plusieurs espèces animales. Chez l’humain, les diabétiques qui prennent de la metformine vivent plus longtemps que ceux qui ne prennent pas ce médicament. Parmi les effets secondaires indésirables associés à la prise de metformine, il y a à court terme les diarrhées, flatulences, maux de ventre et à long terme une diminution de l’absorption de la vitamine B12.

La metformine pourrait-elle retarder le vieillissement dans la population en général, comme cela semble être le cas pour les diabétiques ? Pour répondre à cette question, un essai clinique contrôlé est en cours, il s’agit de l’étude TAME (Targeting Ageing with Metformin) qui sera réalisée auprès de 3000 participants âgés de 65 à 79 ans, recrutés dans 14 sites pilotes aux États-Unis. L’étude d’une durée de six ans a pour but d’établir si la prise de metformine peut retarder le développement ou la progression de maladies chroniques associées au vieillissement, tels les maladies cardiovasculaires, le cancer et les démences. Cette étude suscite beaucoup d’intérêt parce que la metformine est un médicament peu coûteux et dont la sécurité est bien établie. Advenant des résultats positifs, la metformine pourrait devenir le premier médicament prescrit pour traiter le vieillissement et potentiellement augmenter l’espérance de vie en bonne santé des personnes âgées.

Berbérine
La berbérine est un alcaloïde dérivé de l’isoquinoline qui est retrouvé dans plusieurs espèces de plantes : le coptide chinois (Coptis chinensis), l’hydraste du Canada (Hydrastis canadensis) et l’épine-vinette (Berberis vulgaris). Le coptide chinois est l’une des 50 herbes fondamentales de la pharmacopée traditionnelle chinoise et il est utilisé principalement pour prévenir ou atténuer les symptômes, telle la diarrhée, associés à des maladies digestives. La berbérine a de nombreux effets biologiques bien documentés scientifiquement (voir ces articles de revue en anglais ici, et ici), incluant des activités anti-inflammatoire, anti-tumorale, antiarythmique et des effets favorables sur la régulation de la glycémie et des lipides sanguins. La berbérine prolonge la durée de vie de la drosophile (mouche à fruits) et stimule leur activité locomotrice.

Figure 1. Structures de la berbérine et de la metformine.

Metformine et berbérine : des composés mimétiques de la restriction calorique
La berbérine agit de manière similaire à la metformine, même si leurs structures sont très différentes (voir figure 1). Les deux molécules sont des activateurs d’une enzyme, l’AMPK, qui fonctionne comme un capteur central des signaux métaboliques. L’activation de l’AMPK est impliquée dans certains effets bénéfiques pour la santé de la restriction calorique à long terme. À cause de ce mécanisme commun, il a été suggéré que la metformine et la berbérine pourraient agir comme des composés mimétiques de la restriction calorique et augmenter la durée de vie en bonne santé. Voici les principaux bienfaits potentiels des activateurs de l’AMPK qui ont été identifiés :

  • réduction de risque d’athérosclérose ;
  • réduction du risque d’infarctus du myocarde ;
  • réduction du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) ;
  • amélioration du syndrome métabolique ;
  • réduction du risque de diabète de type 2 ;
  • contrôle de la glycémie chez les diabétiques ;
  • réduction du risque de gain de poids ;
  • réduction du risque de certains cancers ;
  • réduction du risque de démence et d’autres maladies neurodégénératives
    Il faut souligner qu’aucune étude randomisée contrôlée n’a encore été publiée pour démontrer de tels effets positifs chez l’humain.

Il faut souligner qu’aucune étude randomisée contrôlée n’a encore été publiée pour démontrer de tels effets positifs chez l’humain.

Resvératrol, ptérostilbène
Le resvératrol et le ptérostilbène sont des composés polyphénoliques naturels de la classe des stilbénoïdes qui sont retrouvés en faible quantité dans la peau du raisin (resvératrol), les amandes, les myrtilles et d’autres plantes (ptérostilbène). Des études ont montré (voir cet article de revue) que le resvératrol peut réduire l’inflammation, le risque de maladie cardiaque, de cancer et de maladie neurodégénérative. Le resvératrol active les gènes des sirtuines, des enzymes qui protègent l’intégrité de l’ADN et de l’épigénome (l’ensemble des modifications qui ne sont pas codées par la séquence d’ADN , qui régulent l’activité des gènes en facilitant ou en empêchant leur expression). Il semble que le ptérostilbène soit une meilleure alternative au resvératrol parce qu’il est mieux absorbé dans l’intestin et qu’il est plus stable dans le corps humain. De plus, certaines études indiquent que le ptérostilbène est supérieur au resvératrol en ce qui concerne les effets cardioprotecteur, anticancer et antidiabétique.

Le resvératrol prolonge la vie d’organismes vivants tels la levure (+70 %), le ver C. elegans (+10-18 %), l’abeille (+33-38 %) et certains poissons (+19-56 %). Cependant, la supplémentation en resvératrol ne prolonge pas la vie de souris ou de rats en bonne santé. Par ailleurs, le resvératrol a prolongé la vie (+31 %) de souris dont le métabolisme était affaibli par un régime alimentaire à haute teneur en calories. Il semble que le resvératrol protège les souris obèses contre la stéatose hépatique en diminuant l’inflammation et la lipogenèse. Le resvératrol est une molécule qui un potentiel élevé pour améliorer la santé et la longévité chez l’humain, mais il ne sera pas facile de démontrer l’efficacité de cette molécule sur la longévité dans des essais cliniques à large échelle, à cause des coûts énormes et des problèmes de compliance associés à ce genre d’essai de longue durée.

Les suppléments précurseurs du NAD peuvent-ils prévenir le vieillissement ?
Le nicotinamide adénine dinucléotide (NAD) joue un rôle essentiel dans le métabolisme cellulaire, comme cofacteur ou coenzyme dans des réactions d’oxydoréductions (voir figure 2) et comme molécule de signalisation dans diverses voies métaboliques et autres processus biologiques. Le NAD est impliqué dans plus de 500 réactions enzymatiques distinctes et c’est l’une des molécules les plus abondantes dans le corps humain (approx. 3 g/personne). Les manuels de biochimie décrivent encore le métabolisme du NAD de manière statique et insistent principalement sur les réactions de conversion (oxydoréduction) entre la forme oxydée « NAD+ » et la forme réduite « NADH » (voir la figure 1 ci-dessous).

Figure 2. Le nicotinamide adénine dinucléotide est un coenzyme impliqué dans de nombreuses réactions d’oxydoréduction au niveau cellulaire. L’équation en haut de la figure montre l’échange de deux électrons dans cette réaction. Les différences dans les structures du NAD+ (forme oxydée) et du NADH (forme réduite) sont indiquées en rouge.

Pourtant les résultats de recherches récentes montrent que le NAD est impliqué dans une foule de réactions autres que celles d’oxydoréductions. Le NAD et ses métabolites servent de substrats pour des enzymes très diverses qui sont impliquées dans plusieurs aspects du maintien de l’équilibre cellulaire (homéostasie). Par exemple, les sirtuines, une famille d’enzymes qui métabolisent le NAD, ont des impacts sur l’inflammation, la croissance cellulaire, le rythme circadien, le métabolisme énergétique, la fonction neuronale et la résistance au stress.

Les cellules humaines, à l’exception des neurones, ne peuvent importer le NAD. Elles doivent donc le synthétiser à partir de l’acide aminé tryptophane ou de l’une des formes de vitamine B3 comme le nicotinamide (NAM, aussi connu sous le nom de niacinamide) ou l’acide nicotinique (niacine, NA). La concentration de NAD dans le corps diminue avec l’âge, une diminution qui a été associée à des pathologies métaboliques et neurodégénératives. On s’est donc demandé s’il ne serait pas possible de retarder le vieillissement en compensant la baisse par des suppléments.

Il y a trois approches pour augmenter les niveaux de NAD dans le corps :

  • La supplémentation en précurseurs du NAD
  • L’activation des enzymes impliqués dans la biosynthèse du NAD.
  • L’inhibition de la dégradation du NAD.


Les précurseurs du NAD
Un apport de 15 mg de niacine via l’alimentation permet de maintenir des niveaux homéostatiques (constants) de NAD. On a longtemps cru que cet apport en niacine était optimal pour toute la population ; or il s’est avéré que les niveaux de NAD décroissent avec l’âge et qu’une supplémentation qui ramène les niveaux de NAD à une valeur normale, ou légèrement au-dessus, a des bienfaits sur la santé d’organismes vivants, de la levure aux rongeurs.

La supplémentation en acide nicotinique (niacine) à dose très élevée (250-1000 mg/jour durant 4 mois) est efficace pour augmenter la concentration de NAD dans le corps selon une étude clinique, mais son emploi est limité par les effets secondaires déplaisants, incluant le rougissement et les démangeaisons cutanées causés par le relargage de prostaglandine (>50 mg niacine/jour) ; de la fatigue et des effets gastro-intestinaux (>500 mg/jour). L’autre forme de vitamine B3, le nicotinamide (NAM) a le désavantage d’inhiber certaines enzymes telles que PARP et les sirtuines, aussi les chercheurs sont-ils d’avis que d’autres précurseurs tels que le nicotinamide riboside (NR) et le nicotinamide mononucléotide (NMN) sont plus prometteurs puisqu’ils n’inhibent pas ces mêmes enzymes. Le NMN est présent dans la nature, particulièrement dans les fruits et légumes (brocoli, choux, concombre, avocat, edamame), mais l’apport alimentaire en NMN est trop faible pour permettre de maintenir des niveaux constants de NAD dans le corps.

Le NR est bien toléré et une dose orale quotidienne de 1000 mg résulte en une hausse substantielle des niveaux de NAD dans le sang et les muscles, une stimulation de l’activité énergétique mitochondriale et une baisse des cytokines inflammatoires dans la circulation sanguine. Des études sur des animaux ou des cellules en culture indiquent que la supplémentation en NR a des effets positifs sur la santé et quelle a des effets neuroprotecteurs dans des modèles du syndrome de Cockayne (maladie héréditaire due à un défaut de réparation de l’ADN), de lésions induites par le bruit, de sclérose latérale amyotrophique, des maladies d’Alzheimer et de Parkinson.

Figure 3. Structures de quatre formes de vitamine B3, des précurseurs du NAD. La similarité entre les structures de ces molécules est indiquée en bleu et en noir, les différences en rouge. Ces quatre molécules sont toutes des précurseurs du NAD (voir texte).

Effet de la supplémentation en NAD sur la neurodégénérescence
Un essai clinique contrôlé de phase I (étude NADPARK) a été réalisé afin d’établir si la supplémentation NR par voie orale peut effectivement augmenter les niveaux de NAD dans le cerveau, et avoir des impacts sur le métabolisme cérébral de patients atteints de la maladie de Parkinson. Trente patients récemment diagnostiqués ont été traités quotidiennement durant 30 jours avec 1000 mg de NR ou un placebo. La supplémentation a été bien tolérée et a significativement augmenté, quoique de façon variable, les niveaux de NAD et de ses métabolites dans le cerveau tel que mesuré par résonance magnétique nucléaire au 31phosphore. Chez les patients qui ont reçu du NR et qui ont eu une hausse de leur NAD dans le cerveau, on a observé une altération du métabolisme cérébral, associé à de légères améliorations cliniques. Ces résultats, publiés en 2022, ont été jugés prometteurs par les chercheurs qui sont en train de faire un essai clinique de phase II (étude NOPARK), qui a pour but d’établir si la supplémentation en NR peut retarder ou non la dégénérescence des neurones dopaminergiques de la région nigrostriatale du cerveau et la progression clinique de la maladie chez des patients atteints de Parkinson au stade précoce.

Effet de la supplémentation en NAD sur le vieillissement
Les études montrent que la supplémentation en NR et MNM augmente les niveaux de NAD dans des souris, et qu’elle augmente légèrement la durée de la vie de ces animaux. Parmi les autres effets bénéfiques répertoriés chez la souris, il y a : une amélioration de l’endurance musculaire, une protection contre les complications du diabète, un ralentissement de la progression de la neurodégénérescence, des améliorations au niveau du cœur, du foie et des reins. Chez l’humain peu d’études bien faites ont été réalisées à ce jour et celles-ci étaient de courte durée et ont donné pour la plupart des résultats décevants, contrairement aux données obtenues chez les animaux. La durée de vie des souris relativement courte (2 à 3 ans) permet de tester l’effet de suppléments sur leur longévité, mais ce type d’expérience ne peut être envisagée chez les humains qui ont une espérance de vie beaucoup plus grande.

Les suppléments de NNM et de NR sont en vente libre et la Food and Drug Administration (FDA) des É.-U. a jugé que, selon les données disponibles, il est sécuritaire de les consommer (il est à noter que contrairement aux médicaments la FDA des É.-U. ne juge pas de l’efficacité thérapeutique des suppléments). Les suppléments en vente libre ne sont pas tous de qualité égale, aussi est-il recommandé de privilégier les produits certifiés GMP (Good Manufacturing Practice, une réglementation promulguée par la FDA des É.-U.). Veuillez noter que, dans l’état des connaissances sur le sujet, nous n’encourageons pas l’utilisation des suppléments NMN ou NR.

Heureusement il est possible de faire quelque chose pour maintenir un niveau normal de NAD en vieillissant sans devoir consommer des suppléments : faire de l’exercice !   Une étude récente indique en effet que la baisse de NAD chez des personnes âgées qui font peu ou pas du tout d’exercices n’est pas observée chez celles qui font régulièrement de l’exercice physique (au moins 3 séances structurées d’exercices physiques d’au moins une heure chacune par semaine). Ces personnes âgées très actives (marchant en moyenne 13 000 pas par jour) avaient des niveaux de NAD comparables aux participants adultes plus jeunes. Les niveaux de NAD et les fonctions mitochondriale et musculaire augmentent en fonction de la quantité d’exercice, tel qu’estimé par le nombre de pas marchés quotidiennement.

Certains suppléments sont prometteurs et il faudra suivre avec attention les résultats des études bien menées qui sont en cours ou à venir. La prise de suppléments sur une base quotidienne coûte cher, leur qualité est très variable et certains peuvent avoir des effets secondaires (inconforts intestinaux par exemple). Dans l’état des connaissances, il semble que la plupart des bienfaits potentiels associés à la prise de ces suppléments, y compris la longévité, peuvent être obtenus simplement en associant des exercices physiques réguliers, une alimentation saine basée sur les végétaux, le maintien d’un poids santé (IMC entre 18,5 et 25 kg/m2) et la restriction calorique (en pratiquant par exemple le jeûne intermittent une fois par semaine).

Une réduction calorique, même modeste, améliore la santé cardiovasculaire

Une réduction calorique, même modeste, améliore la santé cardiovasculaire

EN BREF

  • 218 personnes en bonne santé et non obèses ont été séparées en deux groupes distincts, soit un groupe contrôle où les personnes pouvaient manger sans aucune restriction et un autre dont l’objectif était de réduire leur apport calorique.
  • Pendant deux ans, les chercheurs, ont mesuré les variations de plusieurs facteurs de risque cardiovasculaires, incluant le poids corporel, les taux de cholestérol, la pression artérielle et la production d’insuline.
  • Les résultats montrent qu’une réduction de seulement 12% de l’apport calorique (soit 300 calories par jour) est associée à une amélioration notable de l’ensemble de ces facteurs de risque et pourrait donc représenter une façon simple de réduire le risque de maladies cardiovasculaires.

Un récent rapport révèle qu’en 2016, 60 % de la population des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) souffrait d’embonpoint, incluant 25 % qui était obèse. C’est énorme, et cette tendance risque même d’empirer au cours des prochaines années en raison de la hausse vertigineuse de l’incidence de surpoids chez les jeunes : au Canada, par exemple, le taux d’obésité chez les enfants de 5 à 19 ans est passé de 2,7 % à 12,3 % entre 1975 et 2016, auxquels s’ajoutent un autre 20 % des enfants qui sont considérés comme « pré-obèses » et donc à haut risque d’obésité. Ces statistiques sont vraiment alarmantes, car le surpoids, et en particulier l’obésité, augmente considérablement le risque de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires et respiratoires et de plusieurs types de cancers. Selon l’OCDE, la situation actuelle risque d’amputer 3 années à l’espérance de vie des Canadiens d’ici 2050 (confirmant le scénario pessimiste envisagé il y a quelques années par certains chercheurs), avec des répercussions catastrophiques autant du point de vue économique que social.

Excès de calories

Contrairement à ce qu’on entend souvent dire, la forte incidence du surpoids dans la population n’est pas due au manque d’exercice. Ce discours provient des multinationales alimentaires qui cherchent à promouvoir leurs produits riches en sucre et en gras en faisant miroiter qu’il suffit d’adopter un mode de vie actif pour contrebalancer l’apport calorique apporté par ces produits. En réalité, les études indiquent qu’il est pratiquement impossible de « brûler » les énormes quantités de calories de ces produits industriels transformés et qu’on ne peut donc pas compenser une mauvaise alimentation simplement par l’activité physique (you cannot outrun a bad diet, comme on dit souvent en anglais).  D’ailleurs, les niveaux d’activité physique n’ont pratiquement pas changé depuis les trente dernières années dans les pays industrialisés, et la sédentarité ne peut donc absolument pas expliquer à elle seule l’augmentation phénoménale du tour de taille de la population qui s’est produite au cours des dernières années. C’est plutôt la surconsommation de calories, en particulier celles provenant des aliments industriels ultratransformés, qui est la grande responsable de l’épidémie de surpoids qui déferle actuellement sur l’ensemble de la planète. Pour éviter d’accumuler les kilos en trop, le plus important demeure donc de manger moins.

Restriction calorique

Plusieurs études suggèrent qu’une réduction de l’apport calorique est associée à plusieurs bénéfices pour la santé, notamment au niveau cardiovasculaire, ainsi qu’à une augmentation de l’espérance de vie (voir notre article sur la question).  Par exemple, une étude réalisée auprès de primates (macaques rhésus) a montré qu’une alimentation hypocalorique réduisait d’environ la moitié l’incidence de maladies cardiovasculaires chez ces animaux comparativement à une alimentation standard. Un phénomène similaire a été observé chez les humains, c’est-à-dire que les personnes qui réduisent drastiquement leur apport calorique à environ 1200-1900 kcal/jour pendant une période de 6 ans montraient une amélioration spectaculaire de plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire (cholestérol, pression artérielle, glucose et insuline à jeun, inflammation) comparativement à celles qui consomment une alimentation nord-américaine standard (2000-3500 kcal/jour).

Ce type de restriction calorique sévère est cependant très difficile à maintenir sur de longues périodes pour la plupart des gens, et n’est donc pas réellement applicable à l’échelle de la population.  Par contre, une étude récente suggère que des améliorations notables de la santé cardiovasculaire peuvent également être observées suite à une réduction beaucoup plus modeste de l’apport calorique. Dans cette étude clinique de phase 2 appelée CALERIE (Comprehensive Assessment of Long-term Effects of Reducing Intake of Energy), les chercheurs ont séparé de façon aléatoire 218 personnes âgées de 21 à 50 ans en bonne santé et non obèses (IMC entre 22 et 28) en deux groupes distincts, soit un groupe contrôle où les personnes pouvaient manger sans aucune restriction (ad libitum), et un autre dont l’objectif était de réduire de 25 % l’apport calorique. Pendant une période de deux ans, plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire ont été mesurés dans les deux groupes, incluant la pression artérielle, les taux de cholestérol, la protéine C-réactive (un marqueur de l’inflammation), l’insuline et le syndrome métabolique (estimé en combinant le tour de taille, la pression artérielle, les taux de glucose à jeun, et les taux de triglycérides et de cholestérol-HDL).

Le suivi des participants montre que l’objectif de réduire de 25 % l’apport calorique dans le groupe expérimental n’a pu être atteint, avec une diminution moitié moindre (12 %), ce qui correspond en moyenne à 279 calories/jour de moins à la fin de la première année et à 216 calories/ jour après deux ans. Malgré tout, même si elle est relativement modeste, cette réduction est associée à une perte de poids moyenne de 7,5 kg (soit 10% du poids initial) et à une amélioration significative de l’ensemble des paramètres cardiovasculaires mesurés dans l’étude (Figure 1). À l’inverse, les volontaires du group contrôle ont en moyenne pris un peu de poids (0,1 kg) et ne montraient aucune amélioration de ces différents paramètres.

Figure 1.  Amélioration de plusieurs facteurs de risque cardiovasculaires suite à une réduction de l’apport calorique.  Tiré de Kraus et coll. (2019).

En somme, ces résultats indiquent que même chez des personnes minces et en bonne santé, une réduction modeste de l’apport calorique (environ 300 calories par jour, ce qui correspond à seulement une pointe de pizza) entraine plusieurs effets positifs sur la santé cardiovasculaire.  Selon les auteurs, il est probable que ces bénéfices seront encore plus prononcés chez des personnes qui sont à plus haut risque de maladies cardiovasculaires en raison d’un excès de poids. Le potentiel préventif de la restriction calorique est donc immense : selon le rapport de l’OCDE cité plus tôt, si les habitants des pays les plus riches, incluant le Canada, réduisaient de 20 % leur apport calorique, on pourrait prévenir annuellement 1,1 million de cas de maladies cardiovasculaires et économiser jusqu’à 13 milliards US$ chaque année, un objectif absolument impossible à atteindre à l’aide de médicaments.

Rémission du diabète de type 2 : de nouveaux résultats prometteurs

Rémission du diabète de type 2 : de nouveaux résultats prometteurs

Dans un article récent, le professeur Normand Mousseau a raconté sa rémission complète du diabète de type 2 à la suite d’une modification en profondeur de ses habitudes de vie, en particulier l’adoption d’un régime hypocalorique sévère qui a permis une perte de poids importante (près de 30 kg).   Les résultats du Diabetes Remission Clinical Trial (DiRECT), récemment parus dans Lancet, confirment que ce type de rémission n’est pas un cas isolé, mais est bel et bien observé chez une forte proportion des personnes obèses qui parviennent à maigrir et à maintenir cette perte de poids sur une longue période.

Une maladie du surpoids

Dans la très grande majorité des cas, le diabète de type 2 est une maladie qui affecte les personnes en surpoids.  Par exemple, les femmes qui sont considérées comme étant obèses (IMC>30) ont 40 fois plus de risque d’être touchées par un diabète de type 2 comparativement à celles qui sont minces (IMC de 22), une hausse qui peut même atteindre presque 100 fois chez les obèses morbides (IMC >35) (Figure 1).

Figure 1.  Association entre l’indice de masse corporelle et le risque de diabète de type 2 chez les femmes.  Adapté de Colditz (1995).

Les travaux réalisés au cours des 10-15 dernières années par le groupe de recherche mené par le professeur Roy Taylor (Newcastle, UK) ont montré que cette hausse du risque observée chez les personnes obèses est principalement due à l’accumulation de graisse au niveau du foie et du pancréas. Deux principaux phénomènes entrent en jeu :

  • Lorsque le foie est surchargé de gras, il devient « détraqué » et continue à produire du glucose même en présence d’insuline (en conditions normales, l’insuline supprime la synthèse de glucose par le foie). Il y alors une augmentation de la glycémie qui, à son tour, provoque une hausse des taux d’insuline.Puisque l’insuline favorise la fabrication de gras au niveau hépatique, il y a donc établissement d’un cercle vicieux : plus de glucose dans le sang =  plus d’insuline = plus de gras hépatique = plus de glucose sanguin.
  • En parallèle, une partie de l’excès de gras présent dans le foieest acheminé vers d’autres organes, notamment les îlots pancréatiques responsables de la sécrétion d’insuline. Avec le temps, l’accumulation de graisse dans ces cellules réduit progressivement leur fonction et la baisse d’insuline qui en résulte favorise le développement de l’hyperglycémie.

À l’heure actuelle, le diabète de type 2 est considéré comme incurable et l’approche thérapeutique consiste essentiellement à « limiter les dégâts » causés par l’hyperglycémie chronique à l’aide des nombreux agents hypoglycémiants sur le marché (488 médicaments distincts sont disponibles dans le monde, excluant l’insuline). L’originalité et l’importance de ces observations faites par le groupe du Pr Taylor est de remettre en question l’aspect irréversible du diabète de type 2 : puisque cette maladie est causée par une accumulation anormale de graisse au niveau des organes internes, cela implique que la réduction de cet excès de gras pourrait renverser le développement la maladie et ainsi permettre aux patients en rémission de réduire leurs risques d’être touchés par les nombreuses complications du diabète.

Une maladie réversible

Le premier indice suggérant que le diabète de type 2 est effectivement une maladie réversible provient de la chirurgie bariatrique.  Chez les personnes obèses traitées par ces procédures, plusieurs études ont observé une normalisation rapide des taux sanguins de glucose et une rémission durable du diabèteUne étude clinique randomisée comparant les effets de la gastroplastie par anneau gastrique modulable (« gastric banding », une forme de chirurgie bariatrique) aux traitements pharmacologiques standards a montré que 73 % des personnes traitées par la chirurgie étaient en rémission du diabète comparativement à 13 % de celles traitées avec les médicaments. Cette différence est directement corrélée avec la perte de poids plus importante provoquée par la chirurgie, confirmant que la réduction de la masse graisseuse représente l’élément clé pour renverser le diabète.  En ce sens, des rémissions similaires du diabète ont également été observées suite à une restriction calorique sévère (600 kcal/jour) pendant 2 mois, la normalisation de la glycémie et de la réponse à l’insuline étant directement liée à une réduction importante (30 % en seulement 7 jours) du contenu hépatique en gras.

Étude DIRECT

L’étude DIRECT mentionnée plus tôt suggère fortement que ce concept de rémission du diabète peut être applicable à grande échelle.  Dans cette étude randomisée, 306 volontaires obèses (IMC moyen de 35) et qui avaient été diagnostiqués avec un diabète de type 2 au cours des 6 dernières années ont été affectés aléatoirement à deux groupes :

  • un groupe contrôle, traité selon les lignes directrices standard recommandées par le NICE (National Institute of Health and Care Excellence) britannique;
  • un groupe d’intervention, traité à l’aide d’un programme spécialement adapté pour provoquer des pertes de poids importantes (Counterweight Plus). Ces volontaires ont remplacé leur alimentation normale par une diète liquide hypocalorique (825–853 kcal/jour) pendant 3-5 mois, après quoi les aliments ont été réintroduits progressivement, sur une période de 2 à 8 semaines. Un support médical était disponible pour favoriser le maintien des pertes de poids obtenues suite à la carence calorique.

Les principaux critères de jugement de l’essai (« primary endpoints ») étaient une perte de poids de 15 kg ou plus et une rémission complète du diabète, telle que définie par un taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c) inférieur à 6,5% (< 48 mmol/mol) un an après l’arrêt de tous les médicaments antidiabétiques.

Les résultats de l’étude sont tout à fait spectaculaires, avec pas moins de 46 % des participants du groupe intervention qui étaient en rémission du diabète de type 2. Chez les patients qui sont parvenus à atteindre l’objectif d’une perte de poids de 15 kg ou plus, ce taux de rémission est encore plus impressionnant et atteint 86 % (Figure 2). Ces résultats confirment donc que chez la majorité des personnes en surpoids, il est possible de renverser de façon durable le diabète de type 2 en réduisant drastiquement l’excès de graisse.

Figure 2.  Taux de rémission du diabète selon le poids corporel perdu 12 mois après le début de l’étude DIRECT.  Adapté de Lean (2018).

Pour ce qui est des personnes qui demeurent diabétiques en dépit d’une perte de poids importante, une étude subséquente réalisée par le groupe du Pr Taylor suggère que cette absence de réponse serait due à une perte de fonction irréversible des cellules du pancréas impliquées dans la production d’insuline.  Ces personnes montrent une perte de graisse au niveau du foie et du pancréas identique à celle des personnes qui ont répondu au traitement, mais cette réduction de l’excès de graisse ne permet par une récupération de la sécrétion d’insuline et une normalisation de la glycémie.  Ces personnes ont été en moyenne diabétiques pendant plus longtemps que les répondeurs (3,8 vs 2,7 années), ce qui suggère qu’il est préférable de perdre du poids le plus rapidement possible après le diagnostic de la maladie pour maximiser les chances de rémission.

Il faut aussi noter que d’autres études récentes ont également montré que des pertes des poids importantes (10 kg et plus) obtenues à l’aide d’un régime cétogène ou de jeûnes intermittents peuvent renverser le diabète de type 2 ou à tout le moins réduire considérablement l’utilisation de médicaments antidiabétiques par les personnes atteintes.  En somme, il est donc grand temps de modifier l’approche actuelle face au diabète de type 2, exclusivement axée sur le traitement non curatif de l’hyperglycémie chronique.  Dans la grande majorité des cas, le diabète découle directement du surpoids et une diminution significative de l’excès de graisse est suffisante pour renverser son développement et permettre une rémission durable de cette maladie.

 

Régimes pour perdre du poids : leçons d’une étude importante de l’Université Stanford sur les approches « low-carb », « low-fat » et nutrigénomique.

Régimes pour perdre du poids : leçons d’une étude importante de l’Université Stanford sur les approches « low-carb », « low-fat » et nutrigénomique.

Toute personne qui a tenté de maigrir sait combien il est difficile de perdre du poids et surtout de maintenir ces pertes à long terme. Une des principales causes de ces échecs est la grande difficulté de diminuer significativement l’apport calorique sur de longues périodes : les études montrent en effet que la plupart des personnes qui entreprennent un régime amaigrissant sont capables de perdre du poids à court terme, souvent de façon assez importante, mais finissent presque toujours par abandonner ces régimes après quelques mois et par regagner du même coup les kilos perdus. Plusieurs facteurs expliquent ces abandons, mais il est certain que l’environnement dans lequel nous vivons n’est pas tellement favorable à une restriction calorique soutenue : au contraire, nous sommes constamment sollicités par un large éventail de produits alimentaires très attrayants, souvent vendus à prix modiques, et promus par un marketing très agressif qui nous pousse (souvent bien inconsciemment) à consommer toujours plus de nourriture. Dans plusieurs cas, ces aliments industriels sont ultratransformés, c’est-à-dire pauvres en nutriments essentiels, mais surchargés de sucre, de gras et de sel, et leur consommation entraine l’absorption d’un excès de calories incompatible avec le maintien d’un poids corporel santé. Malheureusement, on estime qu’environ la moitié de toutes les calories consommées par les Canadiens proviennent de ces aliments ultratransformés et il n’y a pas de doute que ces habitudes alimentaires contribuent à la forte proportion de personnes en surpoids dans notre société.

Une étude tout à fait remarquable, récemment parue dans JAMA, montre qu’il est possible de perdre du poids simplement en diminuant la consommation de ces aliments ultransformés au profit d’aliments de meilleure qualité.

Dans cette étude fort coûteuse (8 millions de dollars américains), le groupe du Dr Christopher Gardner de l’Université Stanford a recruté 609 volontaires âgés de 18 à 50 ans qui présentaient un excès de poids (indice de masse corporelle moyen de 33, ce qui correspond à une obésité de classe I).   Les participants ont été répartis de façon aléatoire en deux groupes, chacun d’entre eux étant encouragé à suivre deux régimes alimentaires distincts :

  • Un régime faible en gras (« low-fat »), principalement basé sur la consommation régulière de sources de glucides complexes comme les légumineuses et les céréales.
  • Un régime faible en glucides (« low-carb »), composé principalement d’aliments riches en bons gras comme le saumon, les noix et les graines, des fruits comme l’avocat et l’huile d’olive.

Dans les deux groupes, les chercheurs ont suggéré aux participants de ne pas se préoccuper des calories consommées (autrement dit, de ne pas se priver et ne pas avoir faim), mais seulement de se limiter aux « vrais » aliments permis par leur régime alimentaire respectif et d’éviter les aliments industriels riches en sucres et en gras (boissons gazeuses, pâtisseries, biscuits, etc.). 22 séances de formation ont été tenues régulièrement tout au long de l’étude pour aider les participants à faire de bons choix alimentaires, de même qu’à modifier leur rapport à la nourriture. Par exemple, les chercheurs ont recommandé aux participants d’éviter de manger dans la voiture ou devant la télé et de privilégier les repas cuisinés à la maison, concoctés à partir d’ingrédients frais et partagés en famille ou entre amis.

Trois principaux résultats de l’étude méritent une attention particulière :

  • La qualité prime sur la quantité. Même en ne tenant pas du tout compte du nombre de calories consommées, les participants ont ingéré en moyenne 500 calories de moins par jour, ce qui s’est traduit par une perte de poids d’environ 5 kg après une année. Autrement dit, le simple fait de mettre l’emphase sur la consommation d’aliments non transformés et de consacrer plus de temps à la préparation des repas entraine involontairement une diminution de l’apport énergétique total.
  • À calories égales, il n’y a pas de différence entre les régimes « low-carb » et « low-fat ». Après 12 mois, les participants du groupe « low-fat » avaient perdu 5,3 kg (11,7 lbs), tandis que ceux du groupe « low-carb » avaient perdu 6,0 kg (13,2 lbs), une différence qui n’est pas statistiquement (ni cliniquement) significative. C’est la diminution de l’apport calorique quotidien qui a entrainé la perte de poids, que cette baisse provienne d’une réduction des glucides ou encore des gras.
  • Les gènes n’influencent pas la réponse aux deux régimes. Des études antérieures ont suggéré qu’il existe certaines variations génétiques qui modifient le métabolisme des glucides et des graisses.  Cette approche, appelée nutrigénomique, suscite présentement beaucoup d’intérêt, car elle implique qu’il serait possible d’optimiser l’efficacité des régimes amaigrissants en  fonction du profil génétique, par exemple en prescrivant un régime « low-carb » à une personne qui possède des gènes connus pour diminuer l’efficacité du métabolisme des glucides. Malheureusement,  les chercheurs ne sont pas parvenus à reproduire ces résultats, n’ayant observé aucun impact de ces variations génétiques sur la perte de poids provoquée par l’un ou l’autre des régimes.  Même chose pour la sécrétion d’insuline : alors que plusieurs ont proposé qu’une alimentation « low-carb » devrait être recommandée pour les personnes qui produisent beaucoup d’insuline ou qui sont insulino-résistants (une situation fréquente chez les personnes en surpoids), les chercheurs de l’étude n’ont pu observer aucune différence d’efficacité des deux régimes selon le degré de sécrétion ou de sensibilité à l’insuline.

En somme, ces résultats montrent que le contrôle du poids corporel n’est pas quelque chose de bien compliqué et qu’il ne sert à rien de blâmer le sucre, le gras, l’insuline ou encore nos gènes pour l’épidémie actuelle d’embonpoint et d’obésité. C’est plutôt le « gros bon sens » qui devrait primer et le plus important demeure simplement de privilégier des aliments non transformés, principalement d’origine végétale, et de minimiser l’apport en aliments industriels ultratransformés et ultrariches en calories.

 

Les régimes faibles en glucides sont-ils réellement la meilleure solution pour perdre du poids ?

Les régimes faibles en glucides sont-ils réellement la meilleure solution pour perdre du poids ?

Mis à jour le 11 septembre 2018

L’augmentation fulgurante du poids corporel de la population au cours des 40 dernières années est en voie de devenir le principal problème de santé publique de notre génération. Phénomène autrefois très rare, la prévalence de l’obésité est en forte progression dans la majorité des pays du monde, atteignant 5 % chez les enfants (108 millions) et 12 % chez les adultes (604 millions) à l’échelle mondiale en 2015. Au Canada, la situation est encore pire, avec pas moins de 62 % de la population adulte qui est en surpoids, dont 27 % qui sont obèses. Et la situation ne va pas en s’améliorant, car nous figurons également dans les premières places du palmarès des pays présentant le plus fort taux de surpoids chez les enfants et adolescents, avec 15 % des jeunes garçons et 10 % des jeunes filles qui sont obèses.

Ces statistiques sont réellement alarmantes, car le surpoids, et plus particulièrement l’obésité, représente un important facteur de risque d’un large éventail de maladies chroniques, incluant les maladies  cardiovasculaires, le diabète de type 2, au moins 13 types de cancers et divers désordres musculosquelettiques.  Ces répercussions négatives du surpoids commencent d’ailleurs déjà à se faire sentir : aux États-Unis, où la prévalence de l’obésité est l’une des plus élevées au monde, un rapport des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) signalait récemment une diminution de l’espérance de vie, conséquence entre autres des effets de l’obésité sur les maladies cardiovasculaires. En d’autres mots, la montée vertigineuse du nombre de personnes en surpoids est en train de contrecarrer les bénéfices procurés par la diminution du tabagisme au cours des dernières années, avec des conséquences désastreuses autant pour la qualité que l’espérance de vie de la population.

Perdre du poids, c’est difficile

Fondamentalement, le surpoids est le résultat d’un déséquilibre causé par une consommation de calories qui excède les besoins énergétiques du corps.  Le traitement de l’obésité est donc en théorie relativement simple : il s’agit de rétablir une balance entre l’apport et la dépense calorique, par exemple en mangeant moins et en bougeant plus, ce qui cause un déficit énergétique qui va mener avec le temps à une dissipation des calories excédentaires accumulées sous forme de graisse et donc à une perte de poids.

En réalité, perdre du poids, et surtout maintenir ces pertes à long terme, représente une tâche extrêmement difficile que la majorité des personnes en surpoids ne parviennent pas à accomplir avec succès.  Par exemple, lors d’une étude randomisée sur l’impact de quatre régimes populaires (Atkins, Zone, Weight Watcher et Ornish), les chercheurs ont noté que les pertes de poids obtenues par chacun de ces régimes étaient relativement modestes (de l’ordre de 2-3 kg), un insuccès qui s’explique en grande partie par le très fort taux d’abandon des participants. Des pertes de poids plus importantes, de l’ordre de 20 kg, peuvent être obtenues à court terme à l’aide de régimes encore plus sévèrement carencés en calories, mais encore ici l’adhésion à ces régimes extrêmes est très faible et ces pertes sont rapidement suivies d’un regain de poids. Il s’agit d’un problème majeur, car l’obésité est une condition chronique dont le traitement requiert des pertes de poids soutenues sur de longues périodes pour diminuer significativement les risques de développer la panoplie de problèmes qui découlent du surpoids.

Cette difficulté à perdre du poids est due au fait que l’apport et la dépense calorique sont des phénomènes interreliés, qui s’influencent l’un et l’autre dans le but de maintenir un poids corporel stable.  En pratique, cela signifie qu’une modification de la balance énergétique, qu’elle provienne d’une diminution de l’apport calorique et/ou d’une augmentation du niveau d’activité physique, est contrecarrée par une série d’adaptations physiologiques qui cherchent à résister à la perte de poids, par exemple en diminuant le métabolisme de base. En conséquence, même si une personne parvient à créer un déficit énergétique en mangeant moins ou en étant plus active, ce déficit est la plupart du temps annulé par une diminution correspondante de l’énergie dépensée par le corps ou encore par une augmentation de l’appétit pour compenser les calories manquantes.  La difficulté de perdre du poids n’est donc pas une question d’un quelconque manque de volonté, comme encore trop de gens le pensent, mais plutôt une conséquence de la résistance farouche de notre métabolisme envers tout ce qui est susceptible de provoquer une perte de poids.

Régimes faibles en glucides

Au cours des dernières années, il a été proposé que les régimes faibles en glucides mais riches en gras (« low-carb, high-fat », ou LCHF) pourraient s’avérer une solution pour contourner ces mécanismes de « défense » du corps et favoriser la perte de poids (voir l’encadré pour un résumé des aspects scientifiques de cette approche).  Puisque les glucides provoquent une hausse marquée des taux d’insuline, l’hormone impliquée dans la conservation de l’énergie stockée sous forme de graisse, il est proposé qu’une alimentation faible en glucides pourrait diminuer ces taux d’insuline et ainsi permettre au corps de mobiliser les graisses emmagasinées dans le tissu adipeux et de les utiliser comme source d’énergie. Selon ce modèle, cette utilisation accrue des graisses permettrait une augmentation de métabolisme (aux environs de 500 kcal/ jour) et devrait donc permettre une perte importante de poids.

Au Canada, le guide alimentaire recommande la consommation d’environ 300 g de glucides par jour, ce qui correspond à 1200 calories, soit 60 % du total consommé par un adulte moyen (2000 calories). Dans un régime faible en glucides, cette proportion se situe aux environs de 20 % des calories totales (100 g de glucides) et peut même diminuer jusqu’à 5 % des calories (20 g de glucides, soit l’équivalent d’une seule tranche de pain) dans les régimes cétogènes.

Le principe à la base des régimes « low-carb » est que les calories provenant des glucides favorisent plus l’accumulation d’un excès de poids que celles provenant des matières grasses.  Autrement dit, ce n’est pas tellement la quantité, mais surtout le type de calories consommées qui serait important pour perdre du poids. Cette hypothèse est basée sur deux effets bien documentés de l’insuline sur le métabolisme :

1) lorsque l’alimentation est riche en glucides, l’insuline sécrétée par le pancréas permet aux cellules adipeuses de capter les sucres libérés dans le sang et de les transformer en graisse pour usage futur.

2) en parallèle, l’insuline bloque l’utilisation de ces calories accumulées dans le tissu adipeux et empêche donc la perte de poids.  Ces actions de l’insuline font en sorte que le tissu adipeux accumule non seulement un excès de calories, mais que ces calories ne peuvent même pas être utilisées pour soutenir les besoins énergétiques du corps.

Autrement dit, même s’il y a un surplus d’énergie stockée, l’organisme est en famine !  En réponse à cette carence, le corps réduit son métabolisme de base pour économiser de l’énergie (ce qui contribue à empêcher l’utilisation des calories en excès) et augmente en parallèle l’appétit pour obtenir les calories nécessaires au maintien de ces fonctions.   Il y a donc l’établissement d’un cercle vicieux, dans lequel un excès de glucides mène au surpoids, tandis que ce surpoids entraine à son tour une augmentation de la consommation de nourriture. Ce modèle expliquerait la hausse du poids corporel observé chez un grand nombre de personnes diabétiques qui sont traitées à l’insuline.

L’impact des régimes « low-carb » sur le poids corporel a fait l’objet d’un très grand nombre d’études cliniques randomisées au cours des deux dernières décennies.  En général, ces études montrent qu’à court terme (3 à 6 mois), les personnes obèses ou souffrant d’obésité morbide qui sont soumises à ces régimes subissent une perte de poids importante, supérieure à celles obtenues par des régimes hypocaloriques traditionnels (faibles en gras, par exemple). Dans la majorité des cas, par contre, cette perte de poids est transitoire et s’atténue considérablement avec le temps : lorsqu’on comptabilise les kilos perdus 2 ans après le début des différents régimes, la différence est minime et n’est pas assez importante pour avoir des impacts cliniques significatifs (Figure 1).

 

Figure 1.  Comparaison des pertes de poids obtenues à l’aide de régime faibles en glucides ou en gras sur une période de 2 ans.  Adapté de Foster (2010).

 

Plusieurs méta-analyses des essais cliniques randomisés comparant le poids perdu à l’aide de régimes « low-fat » et « low-carb » ont confirmé cette légère supériorité  des régimes « low-carb », mais indiquent que la perte de poids supplémentaire provoquée par ces régimes est relativement modeste, aux environs de 1-2 kg (Tableau 1).

Méta-analysesNombre d’études randomisées inclusesNombre total de participantsRégime associé à la plus grande perte de poidsPerte de poids supplémentaire (kg)
Nordmann et coll. (2006)5447Faible en glucides1,0
Hession et coll. (2009)71222Faible en glucides1,05
Bueno et coll. (2013)131415Faible en glucides0,91
Tobias et coll. (2015)182736Faible en glucides1,15
Sackner-Bernstein et coll. (2015)171797Faible en glucides2,04
Mansoor et coll. (2016)111369Faible en glucides2,17
Meng et coll. (2017)8734Faible en glucides0,94

Tableau 1. Résumé des méta-analyses comparant les pertes de poids obtenues avec des régimes faibles en glucides (low-carb) ou faibles en gras (low-fat).

Pour expliquer ces résultats décevants, il faut tout d’abord mentionner que la théorie sur laquelle sont basés les régimes « low-carb », c’est-à-dire qu’une baisse d’insuline augmente la dépense énergétique du corps et le métabolisme des graisses, semble inexacte.  Lorsque les chercheurs ont rigoureusement mesuré les dépenses énergétiques en réponse à des régimes contenant soit des faibles quantités de gras ou de glucides, ils ont observé que l’augmentation du métabolisme par le régime « low-carb » est très faible et n’a pas d’effet majeur sur la perte de poids. En réalité, c’est même la situation inverse : à calories égales, les pertes de poids sont légèrement plus importantes pour les personnes soumises à un régime faible en gras qu’à un régime faible en glucides.

Il ne semble donc pas y avoir d’avantages majeurs à restreindre préférentiellement l’apport en glucides pour favoriser la perte de poids. Même si elles sont parfois importantes, les pertes de poids qui se produisent au cours des premiers mois de ces régimes ont tendance à disparaître avec le temps pour devenir similaires à celles obtenues par l’ensemble des régimes hypocaloriques.  Le plus important demeure de restreindre l’apport total en calories, qu’elles  proviennent des glucides ou des matières grasses.  D’ailleurs, les études montrent que les personnes qui suivent assidument des régimes hypocaloriques pendant au moins 2 ans parviennent à maigrir de façon significative, que ces régimes soient riches ou non en glucides, lipides ou protéines.

Impact sur la santé cardiovasculaire

Plusieurs études se sont penchées sur l’impact des régimes low-carb sur les facteurs de risque cardiovasculaire et, encore ici, les résultats ne semblent pas indiquer d’avantages marqués comparativement aux régimes hypocaloriques conventionnels. À court terme, les études montrent que les régimes « low-carb » augmentent les taux de cholestérol HDL et diminuent les triglycérides, ce qui est positif, mais augmentent en parallèle les taux de cholestérol LDL (en raison d’un apport plus élevé en gras saturés), ce qui est négatif. Par contre, ces effets disparaissent avec le temps et n’ont donc probablement pas de répercussions cliniques majeures. Il faut toutefois noter que la hausse des taux de cholestérol HDL observée en réponse au régime « low-carb » se maintient à plus long terme et demeure environ deux fois plus élevée que chez les personnes soumises à un régime « low-fat ».  Une augmentation des taux de HDL est généralement considérée comme bénéfique pour la santé cardiovasculaire, mais l’impact réel de cette hausse dans un contexte où l’apport en graisses saturées est élevé (comme c’est le cas dans les régimes « low-carb ») demeure à être établi.   Globalement, on peut penser que c’est la perte de poids qui est le plus important pour améliorer la santé cardiovasculaire des personnes qui souffrent d’obésité, quel que soit le régime utilisé pour y parvenir.

Variations interindividuelles

Il est important de mentionner que tous les résultats des études mentionnées ici représentent les pertes de poids moyennes observées chez une population soumise à un régime amaigrissant donné.   Mais dans chacun de ces groupes, il y a d’énormes différences dans la réponse à ces régimes, certaines personnes perdant beaucoup de poids, d’autres moins, tandis que certaines vont même jusqu’à engraisser. Ce phénomène est observé pour tous les régimes, qu’ils soient faibles en glucides ou en lipides (Figure 2).

Figure 2. Distribution des variations de poids pour chacun des participants d’une étude comparant l’efficacité de régimes faibles en glucides (Atkins) ou en gras (Ornish).  Adapté de Gardner (2012).

On ne connaît pas encore tous les facteurs qui sont responsables de ces importantes variations, mais il est probable qu’elles reflètent l’hétérogénéité du métabolisme humain et ses réponses très différentes face à la nourriture.  On sait par exemple que les réponses glycémiques postprandiales (un facteur de risque de maladie cardiovasculaire et de mort prématurée) varient considérablement d’une personne à l’autre, même lorsqu’elles mangent exactement le même repas.   Une foule de facteurs ont été proposés pour expliquer ce phénomène (cycle éveil-sommeil, heure des repas, niveau d’activité physique, composition du microbiome intestinal), mais un des plus importants est certainement le degré de sensibilité à l’insuline. Plusieurs études ont rapporté que les personnes insulino-résistantes (diabétiques et prédiabétiques) perdaient plus de poids avec un régime faible en glucides qu’avec un régime faible en graisses, alors qu’à l’inverse, les régimes faibles en gras fonctionneraient mieux chez celles qui ont une meilleure sensibilité à l’insuline. Les avantages du régime « low-carb » chez cette population ne semblent cependant pas se limiter à la perte de poids :  une étude récente a montré que comparativement à un régime faible en gras, un régime faible en glucides dans lequel les matières grasses étaient principalement insaturées provoquait une meilleure amélioration du profil lipidique, de la glycémie de même qu’une réduction de la médication chez des patients obèses et diabétiques, et ce en dépit d’une perte de poids similaire. Il est donc possible que les régimes faibles en glucides représentent une avenue prometteuse pour le traitement optimal du diabète de type 2.

Il est aussi possible qu’une alimentation faible en glucides puisse exercer des effets positifs additionnels.  Par exemple, il a été suggéré que la consommation élevée d’aliments riches en glucides augmentait préférentiellement l’accumulation de graisses au niveau viscéral et hépatique, ce qui hausse du même coup le risque de maladies cardiovasculaires et de diabète de type 2 .  Il a été aussi proposé qu’une alimentation très pauvre en glucides pourrait diminuer l’appétit en augmentant les taux sanguins de corps cétoniques. Les régimes « low-carb » sont aussi souvent associés à une plus forte consommation de protéines, ce qui pourrait contribuer à augmenter le sentiment de satiété et ainsi diminuer l’apport calorique total.

En somme, il n’y a pas de solution universelle à la perte de poids et les régimes faibles en glucides peuvent s’avérer un outil intéressant pour aider certaines personnes à maigrir. Un avantage de ces régimes est l’élimination des sources de sucres simples (sucreries, boissons gazeuses, aliments à base de farines raffinées) qui n’apportent rien d’utile pour la santé et sont reconnues pour favoriser le surpoids et le développement de plusieurs maladies chroniques.  Par contre, un inconvénient majeur est qu’ils limitent l’apport en certains aliments d’origine végétale reconnus pour  avoir des impacts très positifs sur la prévention des maladies cardiovasculaires et la santé en général comme les fruits, les légumineuses et les produits à base de grains entiers.

Un autre aspect négatif des régimes « low-carb » est qu’ils préconisent souvent un apport élevé en graisses animales saturées (viandes rouges, charcuteries, produits laitiers) qui augmentent les taux de cholestérol-LDL, un important facteur de risque de maladie cardiovasculaire. Des résultats récents indiquent d’ailleurs que ce type d’alimentation peut s’avérer néfaste pour la santé: par exemple, une étude a montré que les personnes dont l’apport en glucides était inférieur à 40 % des calories totales avaient un risque de mort prématurée 20 % plus élevé que chez celles où l’apport en glucides représentaient 50-55 % des calories totales. Cette hausse du risque n’est cependant observée que chez les personnes qui remplacent les glucides par des sources de protéines et de gras animal; lorsque les glucides sont remplacés par des aliments d’origine végétale, on observe au contraire une diminution (18 %) du risque de mort prématurée.

Ces observations sont en accord avec plusieurs études montrant  que la substitution des gras saturés par des graisses insaturées est associée à une diminution marquée du risque d’événements cardiovasculaires et de la mortalité (Figure 3). Les personnes qui désirent adopter une approche « low-carb » ont donc tout avantage à limiter la consommation de gras saturés et de se tourner plutôt vers des sources de gras polyinsaturés (avocats, poissons gras, noix, graines de lin, etc.) comme principales sources de lipides en raison de l’effet cardioprotecteur bien documenté de ces graisses.

Figure 3. Variation du risque de mortalité prématurée selon la proportion des différentes formes de gras dans l’alimentation.