L’obésité juvénile, une véritable bombe à retardement de maladies cardiométaboliques

L’obésité juvénile, une véritable bombe à retardement de maladies cardiométaboliques

EN BREF

 

  • Les taux d’obésité chez les enfants et les adolescents canadiens ont plus que triplé au cours des 40 dernières années.
  • L’obésité juvénile est associée à une hausse marquée du risque de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte, ce qui peut hypothéquer considérablement l’espérance de vie en bonne santé.
  • La mise en place de politiques visant à améliorer l’alimentation des jeunes est primordiale pour renverser cette tendance et éviter l’apparition d’une épidémie de maladies cardiométaboliques touchant les jeunes adultes au cours des prochaines années.

Un des changements les plus spectaculaires à s’être produit au cours des dernières années est sans doute l’augmentation marquée du nombre d’enfants en surpoids. Par exemple, les taux d’obésité chez les enfants et les adolescents canadiens ont plus que triplé au cours des 40 dernières années : alors qu’en 1975, l’obésité constituait un problème assez rare, touchant moins de 3 % des enfants de 5-19 ans, la prévalence de l’obésité a fait un bond gigantesque depuis ce temps, touchant près de 14 % des garçons et 10% des filles en 2016 (Figure 1).  Si on ajoute à ces chiffres les données sur l’embonpoint, il y a donc environ 25 % des jeunes Canadiens qui sont en surpoids (une tendance similaire est observée au Québec). Cette prévalence d’obésité semble avoir plafonné au cours des dernières années, mais les enquêtes américaines récentes suggèrent que la pandémie de Covid-19 pourrait avoir provoqué une recrudescence du nombre de jeunes en surpoids, en particulier chez les 5-11 ans.

Figure 1. Augmentation de la prévalence de l’obésité chez les enfants canadiens au cours des 40 dernières années.  Tiré de NCD Risk Factor Collaboration (2017).

Mesure de l’obésité juvénile

Bien qu’elle ne soit pas parfaite, la mesure la plus fréquemment utilisée pour déterminer la présence d’un surpoids chez les jeunes de moins de 19 ans est l’indice de masse corporelle (IMC), calculé en divisant le poids par le carré de la taille (kg/m²). On doit cependant ajuster les valeurs obtenues en fonction de l’âge et du sexe pour tenir compte de l’évolution de la composition corporelle durant la croissance, comme illustré à la figure 2.

Figure 2. Normes de croissance de l’OMS pour les garçons de 5-19 ans vivant au Canada. Les données proviennent de l’OMS (2007).

Notez qu’un large éventail d’IMC situés de part et d’autre de la médiane (50e centile) sont considérés comme normaux. Les enfants souffrant d’embonpoint présentent quant à eux un IMC supérieur à celui de 85-95% de la population du même âge (85e-95e centile), tandis que l’IMC des enfants obèses est supérieur à celui de 97 % de la population du même âge (97e centile et plus). L’utilisation des scores z est autre façon de visualiser le surpoids et l’obésité juvénile. Cette mesure exprime l’écart de l’IMC par rapport à la valeur moyenne, en déviation standard. Par exemple, un score z de 1 signifie que l’IMC est une déviation standard au-dessus de la normale (ce qui correspond au surpoids), tandis que des scores z de 2 et de 3 indiquent, respectivement, la présence d’une obésité et d’une obésité sévère.

Cette hausse marquée de la proportion d’enfants en surpoids, et particulièrement d’enfants obèses, est une tendance inquiétante qui augure très mal pour la santé des prochaines générations d’adultes.  D’une part, il est bien établi que l’obésité durant l’enfance (et surtout pendant l’adolescence) représente un facteur de risque très élevé d’obésité à l’âge adulte, avec plus de 80 % des adultes obèses qui étaient déjà obèses durant leur enfance.  Cette obésité à l’âge adulte est associée à une hausse du risque d’une foule de problèmes de santé, autant au point de vue cardiovasculaire (hypertension, dyslipidémies, maladies ischémiques) que du développement d’anomalies métaboliques (hyperglycémie, résistance à l’insuline, diabète de type 2) et de certains types de cancers. L’obésité peut également provoquer une discrimination et une stigmatisation sociale et donc avoir des conséquences dévastatrices sur la qualité de vie, autant du point de vue physique que mentale.

Un autre aspect très dommageable de l’obésité juvénile, dont on ne parle pourtant que très peu, est l’accélération dramatique du développement de l’ensemble des maladies associées au surpoids.  Autrement dit, les enfants obèses sont non seulement à plus haut risque de souffrir des différentes pathologies causées par l’obésité à l’âge adulte, mais ces maladies peuvent également les toucher de façon précoce, parfois même avant d’atteindre l’âge adulte, et ainsi diminuer considérablement leur espérance de vie en bonne santé.

Ces impacts précoces de l’obésité juvénile sur le développement des maladies associées au surpoids sont bien illustrés par les résultats de plusieurs études récentes portant sur le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires.

Diabète précoce

Traditionnellement, le diabète de type 2 était une maladie extrêmement rare chez les jeunes (on l’appelait même « diabète de l’âge adulte » à une certaine époque), mais son incidence a considérablement augmenté avec la hausse de la proportion de jeunes obèses. Par exemple, les statistiques américaines récentes montrent que la prévalence du diabète de type 2 chez les enfants de 10-19 ans est passée de 0,34 par 1000 enfants en 2001 à 0,67 en 2017, soit une hausse de presque 100 % depuis le début du millénaire.

Les principaux facteurs de risque de diabète précoce sont l’obésité, en particulier l’obésité sévère (IMC supérieurs à 35) ou lorsque l’excès de graisse est principalement situé au niveau abdominal, un historique familial de la maladie et l’appartenance à certains groupes ethniques.  L’obésité demeure cependant le principal facteur de risque de diabète de type 2 :  chez les enfants (4-10 ans) et les adolescents (11-18 ans) obèses, on observe fréquemment une intolérance au glucose lors des tests d’hyperglycémie provoquée, un phénomène causé par le développement précoce d’une résistance à l’insuline. Une caractéristique du diabète de type 2 chez les jeunes est sa rapidité de développement : alors que chez les adultes, la transition d’un état prédiabétique à un diabète clairement défini est un processus généralement graduel, qui se produit sur une période de 5-10 ans, cette transition peut se produire très rapidement chez les jeunes, en moins de 2 ans.  Ceci fait donc en sorte que  la maladie est beaucoup plus agressive chez les jeunes que chez les plus âgés et peut causer l’apparition précoce de diverses complications,  notamment au niveau cardiovasculaire.

Une étude récente, parue dans le prestigieux New England Journal of Medicine, illustre bien les dangers qui découlent d’un diabète de type 2 qui est apparu précocement, durant l’enfance ou pendant l’adolescence. Dans cette étude, les chercheurs ont recruté des enfants très obèses (IMC ≥ 35) qui avaient été diagnostiqués avec un diabète de type 2 à l’adolescence et ont par la suite examiné pendant une dizaine d’années l’évolution de différents facteurs de risque et de pathologies associés à cette maladie.

Les résultats sont fort inquiétants, car la très grande majorité des patients de l’étude ont développé durant le suivi une ou plusieurs complications qui haussent considérablement leur risque de développer des ennuis de santé graves (Figure 3).  Mentionnons en particulier la forte incidence d’hypertension, de dyslipidémies (taux de cholestérol-LDL et de triglycérides trop élevés) et d’atteintes rénales (néphropathies) et nerveuses (neuropathies) chez cette population qui, rappelons-le, n’est âgée que de 26 ans en moyenne. Pire encore, près du tiers de ces jeunes adultes présentaient 2 complications ou plus, ce qui augmente évidemment encore plus le risque de détérioration de leur état de santé. D’ailleurs, il faut noter que 17 accidents cardiovasculaires sérieux (infarctus, insuffisance cardiaque, AVC) sont survenus durant la période de suivi, ce qui est anormalement élevé compte tenu du jeune âge des patients et du nombre relativement restreint de personnes qui ont participé à l’étude (500 patients).

Figure 3. Incidence de différentes complications associées au diabète de type 2 chez les adolescents. Tiré de TODAY Study Group (2021).

Il faut aussi noter que ces complications sont survenues en dépit du fait que la majorité de ces patients étaient traités avec des médicaments antidiabétiques comme la metformine ou encore l’insuline.  Ceci est en accord avec plusieurs études montrant que le diabète de type 2 est beaucoup plus difficile à contrôler chez les jeunes que chez les personnes d’âge mûr. Les mécanismes responsables de cette différence sont encore mal compris, mais il semble que le développement de la résistance à l’insuline et la détérioration des cellules pancréatiques qui produisent cette hormone progressent beaucoup plus rapidement chez les jeunes que chez les plus âgés, ce qui complique le contrôle de la glycémie et augmente le risque de complications.

Cette difficulté à traiter efficacement le diabète de type 2 précoce fait en sorte que les jeunes diabétiques sont beaucoup plus à risque de mourir prématurément que les non-diabétiques (Figure 4). Par exemple, les jeunes qui développent un diabète précoce, avant l’âge de 30 ans, ont un taux de mortalité 3 fois plus élevé que la population du même âge qui n’est pas diabétique.  Cette hausse demeure significative, bien que moins prononcée, jusqu’à environ 50 ans, tandis que les cas de diabètes qui se manifestent à des âges plus avancés (60 ans et plus) n’ont pas d’impact majeur sur la mortalité comparativement à la population en général.  Il est à noter que cette hausse de mortalité touchant les plus jeunes diabétiques est particulièrement prononcée en bas âge, aux environs de 40 ans.

Ces résultats montrent donc à quel point un diabète de type 2 précoce peut entrainer une détérioration rapide de l’état de santé et amputer des dizaines d’années de vie, incluant des années qu’on considère souvent comme les plus productives de l’existence (quarantaine et cinquantaine). Pour toutes ces raisons, on doit considérer le diabète de type 2 comme un des principaux dommages collatéraux de l’obésité juvénile.

Figure 4.  Taux de mortalité standardisés selon l’âge du diagnostic d’un diabète de type 2.  Les taux de mortalité standardisés représentent le ratio de la mortalité observée chez les individus diabétiques sur la mortalité anticipée pour chaque groupe d’âge. Tiré de Al-Saeed et coll. (2016).

Maladies cardiovasculaires

On observe depuis quelques années une recrudescence de l’incidence des maladies cardiovasculaires chez les jeunes adultes (voir notre article à ce sujet). Cette nouvelle tendance est surprenante, dans la mesure où la mortalité attribuable aux maladies cardiovasculaires est en baisse constante depuis plusieurs années dans la population générale (grâce notamment à une réduction du nombre de fumeurs et à l’amélioration des traitements) et on aurait pu s’attendre à ce que les jeunes bénéficient eux aussi de ces développements positifs.

Les données recueillies jusqu’à maintenant suggèrent fortement que l’augmentation de la prévalence de l’obésité chez les jeunes contribue à cette recrudescence de maladies cardiovasculaires prématurées, avant l’âge de 55 ans. D’une part, il a été montré qu’une prédisposition génétique à développer un surpoids durant l’enfance est associée à un risque accru de maladies coronariennes (et de diabète de type 2) à l’âge adulte. D’autre part, cette hausse du risque a également été observée dans les études à long terme où l’on examine l’association entre le poids des individus durant l’enfance et l’incidence d’accidents cardiovasculaires une fois qu’ils sont parvenus à l’âge adulte.   Par exemple, une grande étude danoise portant sur plus de 275,000 enfants d’âge scolaire (7 à 13 ans) a montré que chaque augmentation d’une unité du score z de l’IMC à ces âges (voir la légende de la Figure 2 pour la définition du score z) était associé à une hausse du risque de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte, après 25 ans (Figure 5).

Cette hausse du risque est directement proportionnelle à l’âge où les enfants sont en surpoids, c’est-à-dire que plus un IMC élevé est présent à des âges avancés, plus le risque de subir un accident cardiovasculaire plus tard à l’âge adulte est augmenté. Par exemple, une augmentation du score z de 1 chez les enfants de 13 ans est associée à une hausse deux fois plus élevée du risque à l’âge adulte qu’une augmentation similaire qui touche un enfant de 7 ans (Figure 5). Des résultats similaires sont observés pour les filles, mais la hausse du risque de maladies cardiovasculaires est plus faible que chez les garçons.

Figure 5. Relation entre l’indice de masse corporelle durant l’enfance et le risque de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte.  Les valeurs représentent les risques associés à une hausse de 1 unité du score z de l’IMC à chaque âge. Tiré de Baker et coll. (2007).

Athérosclérose précoce

Plusieurs études suggèrent que la hausse du risque de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte observées chez les enfants en surpoids est une conséquence du développement précoce de plusieurs facteurs de risque qui accélère le processus d’athérosclérose.  Des études d’autopsie d’adolescents obèses décédés de causes autres que cardiovasculaires (accidents, par exemple) ont révélé que des plaques d’athéromes fibreuses étaient déjà présentes au niveau de l’aorte et des artères coronaires, indiquant une progression anormalement rapide de l’athérosclérose.

Comme mentionné plus tôt, le diabète de type 2 est certainement le pire des facteurs de risque pouvant générer cette progression prématurée, car la grande majorité des enfants et adolescents diabétiques développent très rapidement plusieurs anomalies qui haussent considérablement le risque d’atteintes graves aux vaisseaux sanguins (Figure 3).  Mais même sans la présence d’un diabète précoce, les études montrent que plusieurs  facteurs de risque de maladies cardiovasculaires sont déjà présents chez les enfants en surpoids, qu’il s’agisse d’hypertension, de dyslipidémies,d’inflammation chronique, d’intolérance au glucose ou encore d’anomalies vasculaires (épaississement de la paroi interne de la carotide, par exemple).  Une exposition à ces facteurs qui débute dès l’enfance crée donc des conditions favorables au développement prématuré de l’athérosclérose, ce qui augmente par le fait même le risque d’accident cardiovasculaire à l’âge adulte.

Il faut cependant noter que l’impact négatif de l’obésité juvénile sur la santé à l’âge adulte n’est pas irréversible : les études montrent en effet que les personnes qui souffraient d’embonpoint ou étaient obèses durant l’enfance, mais qui présentaient un poids normal à l’âge adulte, ont un risque de maladies cardiovasculaires similaire à celui des personnes qui ont été minces toute leur vie.   Il est cependant extrêmement difficile de traiter l’obésité, autant durant l’enfance qu’à l’âge adulte, et le meilleur moyen d’éviter l’exposition chronique prolongée à l’excès de graisse et les dommages pour la santé cardiovasculaire (et la santé en général) qui en découle est évidemment de prévenir le problème à la source, en modifiant les facteurs du mode de vie qui sont étroitement associés à un risque accru de développer un surpoids, notamment la nature de l’alimentation et l’activité physique (le stress psychosocial pourrait également jouer un rôle).  Compte tenu des effets catastrophiques de l’obésité juvénile sur la santé, la santé cardiovasculaire en particulier,  le potentiel de cette approche préventive précoce (appelée « prévention primordiale ») est immense et pourrait permettre de mettre un terme à la hausse des cas de diabète et de mortalité prématurée touchant actuellement les jeunes adultes.

Santé cardiovasculaire idéale

Une étude récente montre à quel point cette approche de prévention primordiale peut avoir des répercussions extraordinaires sur la santé cardiovasculaire. Dans cette étude, les chercheurs ont déterminé le score de santé cardiovasculaire idéal, tel que défini par l’American Heart Association (Tableau 1), de plus de 3 millions de Sud-Coréens âgés en moyenne de 20-39 ans.  Le surplus de poids représente un élément très important de ce score en raison de son influence sur d’autres facteurs de risque également utilisés dans le score comme l’hypertension, l’hyperglycémie à jeun et le cholestérol.

Les participants ont été suivis pendant une période d’environ 16 ans et l’incidence de maladies cardiovasculaires prématurées (avant 55 ans) a été en utilisant comme critère principal (primary endpoint) une combinaison d’hospitalisation pour infarctus, un AVC, une insuffisance cardiaque ou une mort subite d’origine cardiaque.

Tableau 1. Paramètres utilisés pour définir le score de santé cardiovasculaire idéale. Puisqu’on compte 1 point pour chaque cible atteinte, un score de 6 reflète une santé cardiovasculaire optimale. Adapté de Lloyd-Jones et coll. (2010), en excluant les facteurs alimentaires qui n’ont pas été évalués dans l’étude coréenne.

Comme le montre la Figure 6, la santé cardiovasculaire au début de l’âge adulte exerce une influence déterminante sur le risque d’accidents cardiovasculaires qui surviennent de façon prématurée, avant l’âge de 55 ans.  Comparativement aux participants en très mauvaise santé cardiovasculaire au départ (score de 0), chaque cible additionnelle atteinte permet de diminuer le risque d’accidents cardiovasculaires, avec une protection maximale d’environ 85 %  chez les personnes dont le mode de vie permet d’atteindre 5 cibles de santé cardiovasculaire idéale ou plus (scores de 5 et 6).  Des résultats similaires ont été obtenus aux États-Unis et montrent à quel point la santé en bas âge, de l’enfance jusqu’au début de l’âge adulte, joue un rôle déterminant pour prévenir le développement des maladies cardiovasculaires au cours du vieillissement.

Figure 6. Influence de la santé cardiovasculaire des jeunes adultes sur le risque d’accidents cardiovasculaires prématurés. Tiré de Lee et coll. (2021).

Pourtant, notre société demeure étrangement passive face à la montée de l’obésité juvénile, un peu comme si l’augmentation du poids corporel des enfants et adolescents était devenue la norme et qu’on ne peut rien faire pour renverser cette tendance.  Ce désintérêt est vraiment difficile à comprendre, car la situation actuelle est une véritable bombe à retardement qui risque de provoquer dans un proche avenir un tsunami de maladies chroniques prématurées, affectant de jeunes adultes. Il s’agit d’un scénario extrêmement préoccupant si l’on considère que notre système de santé, en plus d’avoir à traiter les maladies qui touchent une population vieillissante (1 Québécois sur 4 aura plus de 65 ans en 2030), devra en plus composer avec des patients plus jeunes, atteints de maladies cardiométaboliques causées par le surpoids. Inutile de dire que ce sera un fardeau important pour les systèmes de soins….

Cette situation n’est cependant pas inévitable, car les gouvernements disposent de moyens législatifs concrets qui peuvent être utilisés pour tenter de renverser cette tendance. Tel que décrit précédemment, plusieurs politiques visant à améliorer la qualité du régime alimentaire pour prévenir les maladies peuvent être rapidement implantées :

  • Taxer les boissons sucrées. Une approche simple et directe qui a été adoptée par plusieurs pays est d’introduire une taxe sur les produits alimentaires industriels, en particulier les boissons gazeuses (voir notre article sur le sujet). Le principe est le même que pour toutes les taxes touchant d’autres produits nocifs pour la santé comme l’alcool et le tabac, c’est-à-dire qu’une hausse des prix est généralement associée à une diminution de la consommation.  Les études qui ont examiné l’impact de cette approche pour les boissons gazeuses indiquent que c’est effectivement le cas, avec des baisses de la consommation observée (entre autres) au Mexique, à Berkeley (Californie) ou encore aux Barbades.  Cette approche représente donc un outil prometteur, surtout si les montants récoltés sont réinvestis de façon à améliorer l’alimentation de la population (subventions pour l’achat de fruits et légumes, par exemple).
  • Exiger des étiquettes nutritionnelles claires sur les emballages. On peut aider le consommateur à faire un choix éclairé en indiquant clairement sur le devant du produit si celui-ci est riche en sucre, en gras ou en sel, comme c’est le cas au Chili (voir notre article à ce sujet).
  • Éliminer le marketing d’aliments malsains pour les enfants. L’exemple du Chili montre aussi qu’on peut imposer des restrictions sévères sur la commercialisation des produits de la malbouffe en interdisant les publicités de ces produits dans les émissions ou les sites web destinés aux jeunes, de même qu’en interdisant leur vente dans les écoles. Le Royaume-Uni prévoit adopter très bientôt une approche en ce sens en éliminant toute publicité sur l’internet et à la télévision de produits riches en sucre, sel et gras avant 21 heures, tandis que le Mexique est allé encore plus loin en interdisant carrément toutes les ventes des produits de la malbouffe aux enfants.

Il n’y a aucune raison pour que le Canada n’adopte pas des approches de ce type pour protéger la santé des jeunes.

Le Chili, un exemple d’intervention agressive de l’État pour combattre l’épidémie d’obésité

Le Chili, un exemple d’intervention agressive de l’État pour combattre l’épidémie d’obésité

EN BREF

  • Le Chili, comme la plupart des pays d’Amérique latine, a vu l’incidence d’obésité dans sa population grimper en flèche au cours des 20 dernières années.
  • Cette montée du surpoids est directement corrélée avec une surconsommation d’aliments industriels ultratransformés, notamment les boissons sucrées.
  • Pour renverser cette situation, une loi encadrant très sévèrement la promotion, la vente et l’étiquetage de ces produits a été instaurée en 2016 et cette approche musclée semble commencer à porter fruit.

Du point de vue médical, un des plus grands bouleversements à s’être produit au cours du XXe siècle est certainement la hausse vertigineuse du poids corporel de la population mondiale. À l’échelle de la planète, les estimations récentes  indiquent qu’environ 2 milliards d’adultes sont en surpoids (IMC entre 25-30), incluant 650 millions qui sont obèses (IMC>30), soit environ trois fois plus qu’en 1975.  Cette augmentation très rapide de la proportion de personnes en surpoids a plusieurs conséquences sur la santé de la population, car l’embonpoint et l’obésité sont associés à des hausses importantes de l’incidence de plusieurs maladies chroniques qui diminuent l’espérance de vie en bonne santé, incluant les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et plusieurs types de cancers. En plus de ces maladies chroniques, la pandémie de Covid-19 a aussi mis en évidence que l’obésité est associée à une hausse du risque de développer des complications graves de la maladie et d’en décéder.  L’augmentation du nombre de personnes en surpoids représente donc un des principaux problèmes de santé publique de notre époque et est en train, à elle seule, d’effacer les gains obtenus suite à la diminution marquée du tabagisme au cours des dernières années.

De la sous-nutrition à la surnutrition

Cette augmentation rapide de l’incidence d’obésité est observée à l’échelle mondiale, mais a été particulièrement remarquable dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires (low- and middle-income countries). Jusque vers la fin des années 1970, le principal problème nutritionnel auquel devaient faire face ces pays était la grande insécurité alimentaire de leur population et l’importante proportion d’enfants souffrant de malnutrition. Avec la globalisation des échanges commerciaux qui a débuté dans les années 1980, le niveau de vie de ces populations a commencé à ressembler de plus en plus à celui des pays plus riches, autant pour certains de ses bons côtés (eau potable, hygiène, diminution des maladies infectieuses et de la mortalité infantile, éducation) que pour ses mauvais (sédentarité, alimentation basée sur les aliments ultratransformés et le fast-food).

Le résultat est que tous les pays, sans exception, qui ont adopté ces nouvelles habitudes alimentaires et le mode de vie occidental doivent maintenant composer avec une plus grande proportion d’individus obèses. Dans les pays plus pauvres, cette « transition nutritionnelle » a été si rapide que l’augmentation du poids corporel de la population peut aussi coexister avec la malnutrition : en effet, pour les personnes pauvres, la grande disponibilité et le faible coût des aliments ultratransformés permettent de subvenir à leurs besoins en énergie, mais la carence en éléments nutritifs de ces aliments fait en sorte que l’excès de calories ingérées s’accompagne paradoxalement d’une carence nutritionnelle.  Même si cela peut paraitre surprenant à première vue,  la surnutrition et la sous-nutrition peuvent donc se produire simultanément dans une population, parfois au sein d’une même famille.

L’Amérique latine durement touchée

L’Amérique latine représente possiblement un des meilleurs exemples de l’impact de ces transformations alimentaires sur l’incidence d’obésité et des maladies associées au surpoids. Le Mexique, par exemple, est le pays qui a subi la plus forte augmentation d’obésité à l’échelle mondiale entre 1990 et 2010, et en 2014, plus de 300 millions d’adultes vivant en Amérique latine étaient en surpoids, incluant 100 millions qui étaient obèses.  La situation risque même d’empirer au cours des prochaines années en raison de la forte incidence d’obésité infantile dans cette raison, qui atteint par exemple 12 % au Chili et 11 % au Mexique (un pourcentage similaire à celui des enfants canadiens, parmi les plus élevés au monde).

La croissance économique des années 1990 a entrainé une ruée vers les produits typiquement nord-américains comme le fast-food, les téléviseurs et les voitures, provoquant une hausse de l’apport calorique et une diminution parallèle du niveau d’activité physique. La très forte consommation d’aliments ultratransformés, en particulier les boissons sucrées est certainement une des nouvelles habitudes alimentaires qui contribue à la hausse de surpoids des habitants de ces régions : à  l’échelle mondiale, trois des quatre pays consommant le plus grand nombre de calories sous forme de boissons sucrées sont en Amérique latine, avec le Chili et le Mexique aux premier et deuxième rangs, suivis de l’Argentine en quatrième position tout juste derrière les États-Unis (Figure 1).  Figure 1. Comparaison du nombre de calories provenant de boissons sucrées vendues dans différents pays du monde en 2014. Notez la très forte consommation de ces boissons au Chili (astéristique rouge), plus de deux fois plus élevée qu’au Canada (astérisque noir). Tiré de Popkin (2016).

Plusieurs études indiquent que cette surconsommation de sucres ajoutés est généralement associée à une alimentation de mauvaise qualité (pauvre en nutriments) et contribue fortement au développement de l’obésité, du diabète de type 2 et des maladies cardiovasculaires. Ceci est particulièrement vrai en Amérique latine, car certaines études indiquent qu’en présence d’un apport élevé en sucre, certaines personnes d’origine hispanique sont génétiquement prédisposées à développer une stéatose hépatique non alcoolique, une accumulation anormale de gras au niveau du foie qui est étroitement liée au développement du diabète de type 2 et du syndrome métabolique.

Riposte gouvernementale

Le lien étroit qui existe entre la consommation d’aliments industriels ultratransformés et le risque accru d’obésité illustre le gouffre qui sépare, d’un côté, les intérêts financiers des multinationales alimentaires qui fabriquent ces produits, et de l’autre, la santé de la population. L’objectif de ces compagnies n’est évidemment pas de rendre les gens malades, mais il est indéniable que leur but primordial demeure de générer des profits, sans trop se préoccuper de savoir si la consommation de leurs produits peut mener au développement d’un grand nombre de maladies chroniques.

Les gouvernements n’ont cependant pas ce luxe, eux qui doivent directement composer avec les énormes pressions qu’exercent les maladies associées au surpoids sur les systèmes de santé. Une approche simple et directe qui a été adoptée par plusieurs pays est d’introduire une taxe sur ces produits alimentaires industriels, en particulier les boissons gazeuses (voir notre article sur le sujet). Le principe est le même que pour toutes les taxes touchant d’autres produits nocifs pour la santé comme l’alcool et le tabac, c’est-à-dire qu’une hausse des prix est généralement associée à une diminution de la consommation.   Les études qui ont examiné l’impact de cette approche pour les boissons gazeuses indiquent que c’est effectivement le cas, avec des baisses de la consommation observée (entre autres) au Mexique, à Berkeley (Californie) ou encore aux Barbades. Malgré la réticence légendaire des politiciens à imposer de nouvelles taxes, il n’y a pas de doute que cette approche représente un outil prometteur, surtout si les montants récoltés sont réinvestis de façon à améliorer l’alimentation de la population (subventions pour l’achat de fruits et légumes, par exemple).

Une autre approche, encore plus prometteuse, est d’aider le consommateur à faire un choix éclairé en l’informant du contenu des produits en sucre, gras, sel et calories. Ces informations existent présentement, mais sous la forme d’étiquettes nutritionnelles assez difficiles à interpréter : la quantité de sucre, de gras saturés, de sodium et de calories est bel et bien indiquée sur ces étiquettes, mais fait référence à des pourcentages de l’apport quotidien recommandé. Pour la plupart des gens, voir que le contenu en sucre de tel aliment représente par exemple «  15 % de l’apport recommandé » est un concept plutôt abstrait qui ne permet pas de savoir si cette quantité est faible, adéquate ou trop élevée. Une façon plus simple et directe est d’indiquer clairement sur le devant du produit si celui-ci est riche en sucre, en gras ou en sel, comme c’est le cas au Chili. En réponse à la hausse galopante de l’obésité dans sa population, le ministère de la Santé du pays a en effet introduit un système d’étiquetage, présent sur le devant de l’emballage, qui permet au consommateur de voir immédiatement si un produit renferme des quantités élevées de sucre, de gras saturés, de sodium ou encore de calories (Figure 2).

Figure 2. Vignettes élaborées par le ministère de la santé chilien (Ministerio de Salud) et apposées sur l’emballage des produits vendus dans le commerce. Les vignettes signalent un contenu riche (alto) en sucre (azúcares), en gras saturés (grasas saturadas), en sel (sodio) ou en calories (calorías). Tiré de Kanter et coll. (2019).

Ces vignettes aident le consommateur à faire de meilleurs choix et peut inciter l’industrie à reformuler son produit pour échapper à cet étiquetage et devenir plus attrayant. Notons que Santé Canada a également élaboré un projet d’étiquetage du même type, mais l’adoption de cette pratique se fait toujours attendre, plus de deux ans après la fin des consultations publiques. Le Mexique, quant à lui, est récemment allé de l’avant avec un système similaire à celui du Chili, tout comme le Pérou, l’Uruguay et Israël.

L’approche chilienne s’inscrit dans un plan global de lutte à l’obésité, basé en majeure partie sur la modification d’une culture alimentaire beaucoup trop axée sur les produits ultratransformés.  En plus du nouveau système d’étiquetage, la Chile’s Law of Food Labeling and Advertising implantée en 2016 interdit la vente de produits caloriques (crème glacée, boissons gazeuses, croustilles, etc.) dans les écoles, impose de sévères restrictions sur le marketing des produits industriels (élimination de personnages aimés des enfants sur les boîtes de céréales, interdiction de ventes de friandises contenant des jouets (Kindle)), interdit les publicités de ces produits dans les émissions ou les sites web destinés aux jeunes et impose une taxe de 18 % sur les boissons sucrées, l’une des plus élevées au monde.  Cette intervention gouvernementale musclée semble porter fruit : une étude récente montre que la consommation de boissons sucrées a chuté de 25 % dans les 18 mois après l’implantation de la loi, tandis que celle d’eau embouteillée à augmenté de 5 %.  Les autorités envisagent maintenant d’élargir la portée de la loi en introduisant une taxe supplémentaire sur l’ensemble des produits de la malbouffe.

En Amérique du Nord, nous restons extrêmement passifs face à la hausse vertigineuse du nombre de personnes en surpoids dans notre société. Pourtant, le fardeau des maladies liées au surpoids pèse ici aussi très lourd sur notre système de santé et, comme mentionné auparavant, l’avenir s’annonce sombre étant donné que nous sommes désormais parmi les leaders mondiaux en ce qui concerne l’obésité infantile. L’exemple du Chili montre que les gouvernements disposent de moyens législatifs concrets qui peuvent être utilisés pour tenter de renverser cette tendance. Face à une industrie qui refuse de s’autodiscipliner, les autorités doivent adopter une approche beaucoup plus agressive pour protéger la population des problèmes de santé associés à la surconsommation d’aliments ultratransformés, surtout auprès des jeunes : le risque d’obésité s’établit très tôt dans la vie, puisque la moitié des enfants et adolescents qui deviennent obèses présentent déjà un excès de poids à leur entrée en maternelle.

Pour prévenir les maladies cardiovasculaires, les médicaments ne devraient pas être des substituts à une amélioration des habitudes de vie

Pour prévenir les maladies cardiovasculaires, les médicaments ne devraient pas être des substituts à une amélioration des habitudes de vie

EN BREF

  • Les maladies cardiovasculaires augmentent considérablement le risque de développer des complications graves de la Covid-19, soulignant encore une fois l’importance de prévenir ces maladies pour vivre longtemps et en bonne santé.
  • Et c’est chose possible !  De nombreuses études montrent clairement que plus de 80 % des maladies cardiovasculaires peuvent être prévenues en adoptant simplement 5 habitudes de vie  (ne pas fumer, maintenir un poids normal, manger beaucoup de végétaux, faire régulièrement de l’activité physique et boire modérément de l’alcool).
La pandémie actuelle de Covid-19 a révélé au grand jour deux grandes vulnérabilités de notre société.  La première est bien entendu la fragilité de notre système de santé, en particulier tout ce qui touche les soins aux personnes âgées en perte d’autonomie. La pandémie a mis en lumière de graves lacunes dans la façon dont ces soins sont prodigués dans plusieurs établissements et qui ont directement contribué au nombre élevé de personnes âgées qui ont succombé à la maladie.  Il faut espérer que cette situation déplorable aura des répercussions positives sur les façons de traiter cette population dans le futur.

Une deuxième vulnérabilité mise en lumière par la pandémie, mais dont on parle beaucoup moins, est que la Covid-19 affecte préférentiellement les personnes qui présentent des pathologies préexistantes au moment de l’infection, en particulier les maladies cardiovasculaires, l’obésité et le diabète de type 2.  Ces comorbidités ont un impact dévastateur sur l’évolution de la maladie, avec des augmentations du taux de mortalité de 5 à 10 fois comparativement aux personnes qui ne présentent pas de pathologies préexistantes.  Autrement dit, non seulement une mauvaise santé métabolique a des répercussions désastreuses sur l’espérance de vie en bonne santé, mais elle représente également un important facteur de risque de complications de maladies infectieuses comme la Covid-19.  Nous ne sommes donc pas aussi démunis qu’on peut le penser face à des agents infectieux comme le coronavirus SARS-CoV-2: en adoptant un mode de vie sain qui permet de prévenir le développement des maladies chroniques et de leurs complications, on améliore du même coup grandement la probabilité de combattre efficacement l’infection par ce type de virus.

Prévenir les maladies cardiovasculaires

Les maladies cardiovasculaires sont l’une des principales comorbidités associées aux formes sévères de la Covid-19 et la prévention de ces maladies peut donc grandement atténuer l’impact de cette maladie infectieuse sur la mortalité. Il est maintenant bien établi que l’hypertension et l’excès de cholestérol sanguin représentent deux importants facteurs de risque de maladies cardiovasculaires. En conséquence, l’approche médicale standard pour prévenir ces maladies consiste habituellement à abaisser la tension artérielle et les taux de cholestérol sanguins à l’aide de médicaments, soit les antihypertenseurs et les hypocholestérolémiants (statines).  Ces médicaments sont particulièrement importants en prévention secondaire, c’est-à-dire pour réduire les risques d’infarctus chez les patients qui ont des antécédents de maladies cardiovasculaires, mais il sont aussi très fréquemment utiisés en prévention primaire, pour réduire les risques d’accidents cardiovasculaires dans la population en général.

Les médicaments parviennent effectivement à normaliser le cholestérol et la tension artérielle chez la majorité des patients, ce qui peut laisser croire que la situation est maîtrisée et qu’ils n’ont plus besoin de « faire attention »  à ce qu’ils mangent ou encore de faire régulièrement de l’activité physique.   Ce faux sentiment de sécurité associé à la prise de médicaments est bien illustré par les résultats d’une étude récente, réalisée auprès de 41,225 Finlandais âgés de 40 ans et plus : en examinant le mode de vie de cette cohorte, les chercheurs ont observé que les personnes qui avaient débuté une médication avec des statines ou des antihypertenseurs avaient pris plus de poids au cours des 13 années suivantes, un poids excédentaire associé à une augmentation du risque d’obésité de 82 % comparativement aux personnes qui ne prenaient pas de médicaments. En parallèle, les personnes médicamentées ont rapporté une légère diminution de leur niveau d’activité physique quotidien, avec un risque de sédentarité augmenté de 8 %.

Ces observations sont en accord avec des études antérieures montrant que les utilisateurs de statines mangent plus de calories, présentent un indice de masse corporelle plus élevé que ceux qui ne prennent pas cette classe de médicaments et font moins d’activité physique (possiblement en raison de l’impact négatif des statines sur les muscles chez certaines personnes).  Mon expérience clinique personnelle va dans le même sens : je ne compte plus les occasions où des patients me disent qu’ils n’ont plus à se soucier de ce qu’ils mangent ou de faire régulièrement de l’exercice, car leurs taux de cholestérol-LDL sont devenus normaux depuis qu’ils prennent une statine. Ces patients se sentent d’une certaine façon « protégés » par la médication et croient, à tort, qu’ils ne sont plus à risque d’être touchés par une maladie cardiovasculaire. Ce qui n’est malheureusement pas le cas : maintenir un taux de cholestérol normal est bien entendu important, mais d’autres facteurs comme le tabagisme, le surpoids, la sédentarité et les antécédents familiaux jouent également un rôle dans le risque de maladies cardiovasculaires. Plusieurs études ont d’ailleurs montré qu’entre le tiers et la moitié des infarctus touchent des personnes qui présentent un taux de cholestérol-LDL considéré comme normal. Même chose pour l’hypertension : les patients traités avec des médicaments antihypertenseurs ont tout de même 2,5 fois plus de risques de subir un infarctus que les personnes naturellement normotendues (dont la tension artérielle est normale sans aucun traitement pharmacologique) et qui présentent la même tension artérielle.

En d’autres mots, même si les médicaments antihypertenseurs et hypocholestérolémiants sont très utiles, en particulier pour les patients à haut risque d’événements cardiovasculaires, il faut demeurer conscient de leurs limites et éviter de les considérer comme l’unique façon de réduire le risque d’événements cardiovasculaires.

Supériorité du mode de vie

En termes de prévention, on peut faire beaucoup mieux en s’attaquant aux causes profondes des maladies cardiovasculaires, qui sont dans la très grande majorité des cas directement liées au mode de vie. Un très grand nombre d’études ont en effet clairement prouvé que seulement cinq modifications aux habitudes de vie peuvent diminuer de façon très importante le risque de développer ces maladies (voir le Tableau ci-dessous). L’efficacité de ces habitudes de vue  pour prévenir l’infarctus du myocarde est tout à fait remarquable, avec une baisse du risque absolu aux environs de 85 % (Figure 1). Cette protection est observée autant chez les personnes qui présentent des taux de cholestérol adéquats et une pression artérielle normale qui chez ceux qui sont plus à risque de maladies cardiovasculaires en raison d’un cholestérol élevé et d’une hypertension. Figure 1. Diminution de l’incidence d’infarctus du myocarde chez les hommes combinant un ou plusieurs facteurs protecteurs liés au mode de vie.  La comparaison des incidences d’infarctus a été réalisée chez des hommes qui ne présentaient pas d’anomalies de cholestérol ou de pression artérielle (figure supérieure, en bleu) ou chez des hommes présentant des taux élevés de cholestérol et une hypertension (figure inférieure, en orange). Notez la baisse drastique de l’incidence d’infarctus chez les hommes qui avaient adopté les 5 facteurs protecteurs liés au mode de vie, même chez ceux qui étaient hypertendus et hypercholestérolémiques.  Adapté de Åkesson (2014).

Même les personnes qui ont déjà subi un infarctus et qui sont traitées par médication peuvent profiter des bénéfices apportés par un mode de vie sain. Par exemple, une étude réalisée par le groupe du cardiologue canadien Salim Yusuf a montré que les patients qui modifient leur alimentation et adhèrent à un programme régulier d’activité physique après un infarctus voient leur risque d’infarctus, d’AVC et de mortalité diminuer de moitié comparativement à ceux qui ne changent pas leurs habitudes (Figure 2). Puisque tous ces patients étaient traités avec l’ensemble des médicaments habituels (bêta-bloqueurs, statines, aspirine, etc.), ces résultats illustrent à quel point le mode de vie peut influencer le risque de récidive. Figure 2. Effet de l’alimentation et de l’exercice sur le risque d’infarctus, d’AVC et de mortalité chez des patients ayant déjà subi un accident coronarien. Adapté de Chow et coll (2010).

En somme, plus des trois quarts des maladies cardiovasculaires peuvent être prévenues en adoptant un mode de vie sain, une protection qui dépasse largement celle procurée par les médicaments. Ceux-ci doivent donc être vus comme des compléments, et non des substituts au mode de vie : le développement de l’athérosclérose est un phénomène d’une grande complexité qui fait intervenir un grand nombre de phénomènes distincts (notamment l’inflammation chronique) et aucun médicament, aussi efficace soit-il, ne pourra jamais offrir une protection comparable à celle procurée par une saine alimentation, une activité physique régulière et le maintien d’un poids corporel normal.

Obésité et fonction cardiaque

Obésité et fonction cardiaque

EN BREF

  • L’obésité est normalement associée à une baisse du métabolisme énergétique cardiaque, mais l’on ne sait pas précisément comment le cœur s’adapte pour faire face à ce déficit énergétique.
  • Les participants à une étude qui étaient obèses avaient en moyenne un ratio phosphocréatine/ATP 14 % moins élevé que les participants non obèses, mais l’apport en énergie totale (ATP) fournie au muscle cardiaque était préservé par un mécanisme compensatoire qui implique l’accélération de la réaction enzymatique catalysée par la créatine kinase.
  • Ce mécanisme d’adaptation a des conséquences négatives chez les participants obèses dans des situations où la charge de travail du cœur augmente.
  • Les participants obèses qui ont réussi à perdre du poids (-11 % en moyenne) à la suite d’une intervention nutritionnelle d’une durée de 6 mois ont vu leurs paramètres énergétiques du myocarde revenir à des valeurs semblables à celles mesurées chez les participants non obèses.

L’obésité est un problème majeur de santé publique, qui augmente si rapidement dans nos sociétés qu’on parle maintenant d’une « épidémie d’obésité » (voir cet article sur le sujet). L’obésité est un facteur de risque important pour plusieurs maladies cardiovasculaires, incluant l’insuffisance cardiaque et tout particulièrement l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEP). L’insuffisance cardiaque est une incapacité du cœur de fournir suffisamment de sang pour fournir l’oxygène aux tissus tout en maintenant des pressions de remplissage normales. Les personnes atteintes d’ICFEP représentent environ la moitié des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque, l’autre moitié étant atteinte de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (ICFER). Aux États-Unis, plus de 80% des patients atteints d’ICFEP sont en surpoids (IMC entre 25 et 30) ou sont obèses (IMC > 30), soit deux fois plus que dans la population en général. L’obésité est aujourd’hui un facteur de risque d’ICFEP presque aussi important que l’hypertension. Pourtant, jusqu’à maintenant l’hypertension a retenu beaucoup plus l’attention que l’obésité comme cause de l’ICFEP.

Les mécanismes par lesquels l’obésité mène à l’ICFEP sont multiples:  surcharge cardiaque, inflammation systémique, rétention rénale, résistance à l’insuline et des altérations dans le métabolisme cellulaire. Les effets directs de l’obésité sur les cellules du muscle cardiaque font depuis peu l’objet d’études intéressantes. Les études publiées à ce jour suggèrent que l’accumulation de lipides dans le cœur a des effets toxiques qui favorisent une dysfonction cardiaque chez les personnes obèses. L’obésité est normalement associée à une baisse du métabolisme énergétique cardiaque, mais l’on ne sait pas précisément comment le cœur s’adapte pour faire face à ce déficit énergétique.

Une étude publiée en 2020 dans le journal Circulation apporte une contribution importante à notre compréhension de la relation entre l’obésité et le métabolisme énergétique cardiaque. Les chercheurs ont recruté 80 volontaires qui n’avaient pas de maladie cardiovasculaire connue, incluant 35 personnes non obèses (IMC : 24±3 kg/m2) et 45 personnes obèses (IMC : 35±5 kg/m2). Tous les participants ont été soumis à une batterie de tests avant et après l’intervention nutritionnelle auprès des participants obèses seulement, qui visait à leur faire perdre du poids. Parmi les différents tests effectués, l’imagerie par résonance magnétique nucléaire (RMN) a permis d’évaluer la fonction cardiaque, le volume de gras viscéral abdominal et dans le foie ; la spectroscopie à RMN au phosphore (31P) conventionnelle a permis de mesurer la phosphocréatine et l’ATP (sources d’énergie) au repos, et une variante plus sophistiquée de la spectroscopie à RMN au phosphore, nommée « 31P saturation transfer », a été utilisée pour évaluer la cinétique enzymatique de la créatine kinase, l’enzyme qui permet la formation rapide d’ATP à partir de phosphocréatine dans les cellules musculaires (ADP + phosphocréatine + H+ → ATP + créatine).

L’étude a montré que les participants obèses avaient en moyenne un ratio phosphocréatine/ATP 14% moins élevé que les participants non obèses, mais que l’apport en ATP total fourni au muscle cardiaque était préservé par un mécanisme compensatoire qui implique l’accélération de la réaction enzymatique catalysée par la créatine kinase. En effet, la constante catalytique de la créatine kinase au repos, kfCKrest, était 33% plus élevée chez les participants obèses que chez les non obèses.

Les chercheurs ont suspecté que ce mécanisme d’adaptation pourrait avoir des conséquences négatives dans des situations où la charge de travail du cœur augmente. Pour tester cette hypothèse, ils ont induit une augmentation du débit cardiaque du cœur en administrant de la dobutamine par infusion aux participants, tout en faisant les tests d’imagerie et de spectroscopie à RMN décrits précédemment. Chez les participants non obèses, l’apport en ATP et kfCK ont tous deux augmenté en réponse à l’infusion de dobutamine, par 80% et 86%, respectivement. Par contre, il n’y a pas eu d’augmentation significative de l’apport en ATP et de kfCK chez les participants obèses dans les mêmes conditions de stress imposées au cœur. De plus, l’augmentation systolique provoquée par l’augmentation de la charge de travail du cœur était moins élevée chez les participants obèses (+16%) que chez les participants non obèses (+21%).

Impacts de la perte de poids
Parmi les 45 participants obèses, 36 ont accepté de participer à une intervention nutritionnelle d’une durée de 6 mois visant à faire perdre du poids, et parmi ceux-ci 27 ont réussi à perdre du poids (-11% du poids corporel et -23% du gras corporel, en moyenne). Cette perte de poids était associée à une amélioration de plusieurs paramètres, incluant une baisse 13% du taux de cholestérol sanguin, une baisse de 9% du taux de glucose à jeun et une réduction de la résistance à l’insuline de 41%. La perte de poids a aussi été associée à une réduction de la masse et du volume télédiastolique du ventricule gauche, une amélioration de la fonction diastolique et une hausse de la capacité à faire de l’exercice. La perte de poids chez les participants obèses était associée à une augmentation du ratio phosphocréatine/ATP et à une diminution de kfCkrest et de l’apport en ATP. En fait, les participants obèses qui ont réussi à perdre du poids ont vu leurs paramètres énergétiques du myocarde revenir à des valeurs semblables à celles mesurées chez les participants non obèses.

Ces résultats mettent en lumière la cause probable des symptômes d’épuisement après un effort sont présents chez la majorité des personnes obèses. La diminution de la capacité énergétique cardiaque induite par l’obésité est heureusement réversible par la perte de poids, ce qui représente de nouvelles avenues pour le traitement des cardiomyopathies associées à l’obésité.

 

 

Vers un consensus sur les effets des gras alimentaires sur la santé

Vers un consensus sur les effets des gras alimentaires sur la santé

Le rôle des matières grasses de l’alimentation dans le développement de l’obésité, des maladies cardiovasculaires et du diabète de type 2 fait l’objet d’un vigoureux débat scientifique depuis plusieurs années. Dans un article récemment publié dans le prestigieux Science, quatre experts de la recherche sur les gras et glucides alimentaires avec des perspectives très différentes sur la question  (David Ludwig, Jeff Volek, Walter Willett et Marian Neuhouser) ont identifié 5 principes de base qui font largement consensus dans la communauté scientifique et qui peuvent grandement aider les non-spécialistes à s’y retrouver dans toute cette controverse.

Cette synthèse est importante, car il faut bien admettre que le public est littéralement bombardé d’affirmations contradictoires sur les bienfaits et méfaits des graisses alimentaires. Deux grands courants, diamétralement à l’opposé l’un de l’autre, se sont dessinés au fil des dernières décennies :

  • La position classique de réduction de l’apport en gras (« low-fat »), adoptée depuis les années 1980 par la plupart des gouvernements et des organisations médicales. Cette approche est basée sur le fait  que les graisses sont deux fois plus caloriques que les glucides (et donc plus obésogènes) et que les gras saturés augmentent les taux de cholestérol-LDL, un important facteur de risque de maladies cardiovasculaires. En conséquence, l’objectif principal d’une alimentation saine devrait être de réduire l’apport total en gras (en particulier en gras saturés) et de les remplacer par des sources de glucides (végétaux, pain, céréales, riz et pâtes).  Un argument en faveur de ce type d’alimentation est que plusieurs cultures qui se nourrissent de cette façon (les habitants de l’île d’Okinawa, par exemple) présentent des longévités exceptionnelles.
  • La position « low-carb », actuellement très à la mode sous la forme du régime cétogène, prône exactement l’inverse, c’est-à-dire une réduction de l’apport en glucides et une hausse de celui en gras. Cette approche est basée sur plusieurs observations montrant que la consommation accrue de glucides des dernières années coïncide avec une augmentation phénoménale de l’incidence de l’obésité en Amérique du Nord, ce qui suggère que ce sont les sucres et non les gras qui sont responsables du surpoids et des maladies chroniques qui en découlent (maladies cardiovasculaires, diabète de type 2, certains cancers). Un argument en faveur de cette position est que la hausse d’insuline en réponse à la consommation de glucides peut effectivement favoriser l’accumulation de graisse et que les régimes « low-carb » sont en général plus efficaces pour favoriser la perte de poids, du moins à court terme (voir notre article sur le sujet).

Parvenir à un consensus à partir de positions aussi extrêmes n’est pas facile !  Malgré tout, lorsqu’on s’attarde aux différentes formes de glucides et de gras de notre alimentation, la réalité est beaucoup plus nuancée et il est possible de voir qu’il existe un certain nombre de points communs aux deux approches.  En analysant de façon critique les données actuellement disponibles, les auteurs sont parvenus à identifier au moins 5 grands principes qui font consensus :

1) Manger des aliments non transformés, de bonne qualité nutritionnelle, permet de demeurer en santé sans avoir à se préoccuper des quantités de gras ou de glucides consommés.   Un point commun aux  approches « low-fat » et « low-carb » est que chacune d’elle est persuadée de représenter l’alimentation optimale pour la santé. En réalité, une simple observation des traditions alimentaires à l’échelle du globe permet de constater qu’il existe plusieurs combinaisons alimentaires qui permettent de vivre longtemps et en bonne santé. Par exemple, le Japon, la France et Israël sont les pays industrialisés qui présentent les deux plus faibles taux de mortalité due aux maladies cardiovasculaires (110, 126 et 132 décès par 100000, respectivement) en dépit de différences considérables dans la proportion de glucides et de gras de leur alimentation.

C’est l’arrivée massive d’aliments industriels ultratransformés riches en gras, en sucre et en sel qui est la grande responsable de l’épidémie d’obésité qui touche actuellement la population mondiale.  Tous les pays, sans exception, qui ont délaissé leur alimentation traditionnelle basée sur la consommation d’aliments naturels au profit de ces aliments transformés ont vu l’incidence d’obésité, de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires touchant leur population grimper en flèche. La première étape pour combattre les maladies chroniques liées à l’alimentation n’est donc pas tellement de comptabiliser la quantité de glucides ou de gras consommés, mais bel et bien de manger de « vrais » aliments non transformés. La meilleure façon d’y arriver demeure tout simplement faire une large place aux aliments d’origine végétale comme les fruits, légumes, légumineuses et céréales à grains entiers, tout en réduisant ceux d’origine animale  et en limitant au minimum les aliments industriels transformés comme les charcuteries, les boissons sucrées et autres produits de la malbouffe.

2) Remplacer les gras saturés par les gras insaturés.

L’étude des Sept Pays a montré que l’incidence de maladies cardiovasculaires était étroitement corrélée avec l’apport en gras saturés (principalement retrouvés dans les aliments d’origine animale comme les viandes et les produits laitiers). Un très grand nombre d’études ont montré que le remplacement de ces gras saturés par des gras insaturés (les huiles végétales, par exemple) était associé à une baisse importante du risque d’événements cardiovasculaires et de la mortalité prématurée. Une réduction de l’apport en gras saturés, combiné à un apport accru en gras insaturés de qualité (en particulier monoinsaturés et polyinsaturés oméga-3) représente la combinaison de matières grasses optimales pour prévenir les maladies cardiovasculaires et diminuer le risque de mortalité prématurée.

Ces bénéfices s’expliquent par les nombreux effets négatifs d’un excès de gras saturés sur la santé.  En plus d’augmenter les taux de cholestérol-LDL, un important facteur de risque de maladie cardiovasculaire, un apport élevé en gras saturés provoque une hausse de la production de molécules inflammatoires, une altération de la fonction des mitochondries (les centrales énergétiques de la cellule) et une perturbation de la composition normale du microbiome intestinal. Sans compter que les propriétés organoleptiques d’une alimentation riche en gras saturés diminuent le sentiment de satiété et encouragent la surconsommation de nourriture et l’accumulation d’en excès de graisse, un important facteur de risque de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2 et de certains cancers.

3) Remplacer les glucides raffinés par des glucides complexes.

La grande erreur de la « croisade anti-gras » des années 80 et 90 a été de croire que n’importe source de glucides, même les sucres présents dans les aliments industriels transformés (farines raffinées, sucres ajoutés), était préférable aux gras saturés.  Cette croyance était injustifiée, car les études réalisées par la suite ont démontré hors de tout doute que ces sucres raffinés favorisent l’athérosclérose et peuvent même tripler le risque de mortalité cardiovasculaire lorsqu’ils sont consommés en grandes quantités. Autrement dit, tout bénéfice pouvant provenir d’une réduction de l’apport en gras saturés est immédiatement contrecarré par l’effet négatif des sucres raffinés sur le système cardiovasculaire.  Par contre, lorsque les gras saturés sont remplacés par des glucides complexes (les grains entiers, par exemple), il y a réellement une diminution significative du risque d’événements cardiovasculaires.

Une autre raison d’éviter les aliments contenant des sucres raffinés ou ajoutés est qu’ils possèdent une faible valeur nutritive et causent des variations importantes de la glycémie et de la sécrétion d’insuline. Ces perturbations du métabolisme favorisent l’excès de poids, le développement d’une résistance à l’insuline et de dyslipidémies, toutes des conditions qui haussent considérablement le risque d’événements cardiovasculaires.   À l’inverse, un apport accru en glucides complexes présents dans les céréales à grains entiers, légumineuses et autres végétaux permet de maintenir la glycémie et l’insuline à des taux stables.  De plus, les aliments d’origine végétale non raffinés représentent une source exceptionnelle de vitamines, minéraux, composés phytochimiques antioxydants essentiels au maintien de la santé.  Leur contenu élevé en fibres permet également l’établissement d’un microbiome intestinal diversifié, dont l’activité de fermentation génère des acides gras à courtes chaînes dotés de propriétés antiinflammatoires et anticancéreuses.

4) Une alimentation « low-carb » riche en gras peut être bénéfique pour les personnes qui présentent des désordres dans le métabolisme des glucides.  

La recherche des dernières années montre que les personnes qui ont un métabolisme du sucre normal peuvent tolérer une plus grande proportion de glucides, tandis que celle qui présente une intolérance au glucose ou une résistance à l’insuline peuvent avoir un avantage à adopter une alimentation « low-carb » plus riche en matières grasses.

Ceci semble particulièrement vrai pour les personnes diabétiques et prédiabétiques. Par exemple, une étude italienne réalisée auprès de personnes atteintes d’un diabète de type 2 a montré qu’une alimentation riche en gras monoinsaturés (42 % des calories totales) réduisait beaucoup plus l’accumulation de gras au niveau du foie (un important contributeur au développement du diabète de type 2) qu’une alimentation faible en gras (28 % des calories totales).

Ces bénéfices semblent encore plus prononcés pour l’alimentation cétogène, dans laquelle la consommation de glucides est réduite au minimum (< 50 g par jour) (voir notre article sur le sujet). Les études montrent que chez des personnes atteintes d’un syndrome métabolique, ce type d’alimentation permet de générer une perte de masse adipeuse (totale et abdominale) plus grande qu’une alimentation hypocalorique faible en gras, de même qu’une réduction supérieure des triglycérides sanguins et de plusieurs marqueurs de l’inflammation. Chez les personnes atteintes d’un diabète de type 2, une étude récente montre que chez la majorité des patients, l’alimentation cétogène parvient à réduire les taux d’hémoglobine glyquée (un marqueur de l’hyperglycémie chronique) à un niveau normal, et ce sans médicaments autres que la metformine. Même les personnes atteintes d’un diabète de type 1 peuvent tirer des bénéfices considérables d’une alimentation cétogène : une étude réalisée auprès de 316 enfants et adultes atteints de cette maladie montre que l’adoption d’un régime cétogène permet un contrôle exceptionnel de la glycémie et le maintien d’une excellente santé métabolique sur une période de 2 ans.

5) Une alimentation « low-carb » ou cétogène ne requiert pas un apport élevé en protéines et gras d’origine animale.

Plusieurs formes de régimes faibles en glucides ou cétogènes préconisent un apport élevé en aliments d’origine animale (beurre, viandes, charcuteries, etc.) riches en gras saturés.  Comme mentionné précédemment, ces gras saturés exercent plusieurs effets négatifs (hausse des LDL, inflammation, etc.) et on peut donc se questionner sur l’impact à long terme de ce type d’alimentation « low-carb » sur le risque de maladies cardiovasculaires.   D’ailleurs, une étude récemment publiée dans Lancet indique que les personnes qui consomment peu de glucides (<40 % des calories), mais beaucoup de gras et protéines d’origine animale, ont un risque significativement accru de mort prématurée.   Pour les personnes qui désirent adopter un régime cétogène, il est donc important de réaliser qu’il est tout à fait possible de réduire la proportion de glucides de l’alimentation en substituant les céréales et autres sources de glucides par des aliments riches en gras insaturés comme les huiles végétales, les végétaux riches en gras  (noix, graines, avocats, olives) ainsi que les poissons gras.

En somme, le débat actuel sur les mérites respectifs des alimentations « low-fat » et « low-carb » n’a pas réellement sa raison d’être : pour la grande majorité de la population, plusieurs combinaisons de gras et de glucides permettent de demeurer en bonne santé et à faible risque de maladies chroniques pourvu que ces gras et glucides proviennent d’aliments de bonne qualité nutritionnelle. C’est la surconsommation d’aliments ultratransformés, riches en gras et en sucres raffinés qui est la grande responsable de la montée vertigineuse des maladies liées à l’alimentation, en particulier l’obésité et le diabète de type 2.  Restreindre la consommation de ces aliments industriels et les remplacer par des aliments « naturels », en particulier ceux d’origine végétale, demeure la meilleure façon de réduire le risque de développer ces pathologies.

Par contre, pour les personnes en surpoids qui sont atteintes d’un syndrome métabolique ou d’un diabète de type 2,  les données scientifiques actuellement disponibles tendent à montrer qu’une réduction de l’apport en glucides par les régimes « low-carb » et cétogène pourrait être bénéfique.

 

Approches stratégiques potentielles pour lutter contre les maladies liées au régime alimentaire

Approches stratégiques potentielles pour lutter contre les maladies liées au régime alimentaire

Un article qui propose des mesures concrètes pour la prévention des maladies liées à l’alimentation, « Potential Policy Approaches to Address Diet-related Diseases » paru en juin 2018 dans le Journal of the American Medical Association a retenu notre attention. Nous souhaitons présenter ici un résumé en français de cet article signé par trois experts américains, qui propose sept mesures pour promouvoir une alimentation plus saine et améliorer la qualité du régime alimentaire pour prévenir les maladies chroniques. 

 

Traduit de :  Potential Policy Approaches to Address Diet-Related Diseases. JAMA. Publié le 28 juin, 2018.
doi:10,100 1/jama.2018.7434

Michael F. Jacobson, PhD1, James Krieger, MD, MPH2et Kelly D. Brownell, PhD3
1Center for Science in the Public Interest, Washington, DC. 2Healthy Food America, Seattle, Washington. 3Sanford School of Public Policy at Duke University, Durham, North Carolina.

Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention, CDC) ont récemment publié deux rapports qui devraient inspirer des mesures vigoureuses pour améliorer le régime alimentaire des individus aux États-Unis. Selon un des rapports, en 2015-2016 la prévalence de l’obésité (IMC ≥ 30) chez les adultes a augmenté à de nouveaux sommets (39,6 %), et le taux d’obésité est excessivement élevé chez les jeunes (18,5 %). Par comparaison, en 1976-1980, seulement 15,0 % des adultes et 5,5 % des jeunes étaient obèses. Cette hausse de la prévalence de l’obésité augmente les risques d’hypertension, d’AVC, d’infarctus du myocarde, de certains cancers et, surtout, de diabète de type 2. L’indice de masse corporelle élevé est responsable d’environ 386 000 décès excédentaires par an aux États-Unis.

Un deuxième rapport, basé sur l’analyse d’échantillons d’urine provenant de 827 individus, a révélé que la consommation moyenne de sodium était d’environ 4000 mg/j, soit plus de 1,5 fois la limite journalière recommandée de 2300 mg. Un apport élevé en sodium augmente le risque d’hypertension et donc d’infarctus du myocarde et d’AVC. L’excès de consommation de sodium causerait jusqu’à 92 000 décès par an aux États-Unis.

Selon un rapport du US Burden of Disease Collaborators, les facteurs alimentaires étaient associés à 529 299 décès en 2016 aux États-Unis, ce qui en fait le principal facteur de risque de mortalité.  Les inégalités sociales dans les habitudes alimentaires augmentent. On pourrait s’attendre à ce que ces constats suscitent des inquiétudes parmi les responsables politiques, mais ni le Congrès ni le pouvoir exécutif n’ont proposé un plan global pour améliorer le régime alimentaire américain.

Il est temps de relancer la discussion sur la prévention des maladies liées à l’alimentation. Bien qu’il soit nécessaire de faire davantage de recherches sur des interventions efficaces, nous présentons une proposition en 7 volets, axée sur des politiques visant à promouvoir une alimentation plus saine et à améliorer la qualité du régime alimentaire pour prévenir les maladies.

1— Taxer les boissons sucrées
Parce que les boissons sucrées favorisent le gain de poids et sont associées au diabète de type 2, aux maladies cardiovasculaires et à la mauvaise santé bucco-dentaire, certains porte-paroles en matière de santé préconisent la taxation de ces produits afin d’abaisser leur consommation, augmenter les fonds disponibles pour appliquer des mesures de prévention, réduire la teneur en sucre du régime alimentaire et diminuer les inégalités sociales en matière de santé. De telles taxes ont été adoptées dans plus de 25 pays, dont le Royaume-Uni, le Chili, l’Inde et l’Afrique du Sud, et dans 7 villes américaines, dont Philadelphie, Seattle et San Francisco. La taxe mexicaine sur les boissons sucrées, instaurée en 2014, a été associée à une réduction de 9,7 % de la consommation de ces produits en 2015, avec des baisses plus marquées pour les ménages à faible revenu. La taxe de Berkeley (Californie) a été associée à une diminution des ventes de boissons sucrées et à l’augmentation des ventes d’eau. La taxe britannique, échelonnée selon la teneur en sucre des boissons, a incité certaines entreprises à réduire de façon préventive les niveaux de sucre dans les boissons, avant même la date de mise en œuvre de la taxe en avril 2018.

Les autorités locales et étatiques devraient continuer à taxer les distributeurs de boissons sucrées. Les efforts déployés par l’industrie pour éviter d’être assujettis aux taxes locales devraient être contrecarrés. Le Congrès américain devrait envisager de percevoir une taxe auprès des manufacturiers, basée sur la teneur en sucre des boissons. Une taxe nationale sur le sucre pourrait empêcher les consommateurs de se soustraire aux taxes locales en faisant leurs emplettes dans les villes ou états voisins.

Une autre option serait que la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis reconnaisse que la consommation actuelle de sucres ajoutés dans les boissons sucrées « n’est pas généralement reconnue comme sécuritaire » (une catégorie légale) et qu’elle limite les quantités de sucre dans les boissons les plus sucrées à un quart des niveaux actuels.

2— Réduire les quantités de sodium dans les aliments transformés
Les régimes alimentaires riches en sodium sont un problème mondial. L’Afrique du Sud, l’Argentine et plusieurs autres pays ont limité le contenu en sodium de plusieurs aliments de base.Le Royaume-Uni et le Canada ont adopté des cibles volontaires de réduction de la teneur en sodium d’une douzaine de catégories d’aliments. Le commissaire de la FDA, Scott Gottlieb, a déclaré qu’« il n’y a pas d’action de santé publique plus efficace que la réduction du sodium dans le régime alimentaire ». En 2016, la FDA a proposé des cibles volontaires pour la teneur en sodium dans plus de 150 catégories d’aliments, dont la liste devrait être finalisée en 2019. Toutefois, à en juger par les expériences au Royaume-Uni et au Canada, pour que les cibles de sodium soient efficaces, elles doivent être accompagnées par des efforts soutenus des autorités gouvernementales (comme la FDA) pour contraindre les fabricants à atteindre les cibles. Si les niveaux de sodium demeuraient excessifs, les cibles volontaires pourraient être remplacées par des limites obligatoires. En outre, le département de l’agriculture des États-Unis ne devrait plus tarder à mettre en application des réductions de la quantité de sodium dans les repas scolaires, qui sont à la fois réalisables et essentielles à la santé de millions d’écoliers.

3— Exiger des étiquettes nutritionnelles optimales sur le devant des emballages
Les étiquettes de données nutritionnelles présentent des informations précieuses, mais elles n’ont pas contribué adéquatement à améliorer la qualité nutritionnelle des aliments ou des régimes alimentaires (sauf pour accélérer la réduction de l’utilisation des huiles partiellement hydrogénées et des gras trans). Une étiquette supplémentaire plus simple pourrait fournir des informations plus faciles à comprendre. Le Chili a adopté des étiquettes sur le devant des emballages qui affichent des symboles en forme de panneau d’arrêt noir (voir ci-dessous) pour mettre en évidence des niveaux excessifs de calories, de graisses saturées, de sodium et de sucre. Ces étiquettes ont conduit les fabricants à reformuler 25 % des aliments pour éviter les étiquettes noires avec un avertissement de teneur excessive.   Israël, le Canada et d’autres pays planifient des étiquetages similaires. Les États-Unis pourraient exiger de telles étiquettes, ce qui pourrait être particulièrement utile pour les consommateurs qui ont de la difficulté à interpréter les étiquettes nutritionnelles bourrées de chiffres.

4— Éliminer la commercialisation d’aliments malsains pour les enfants
La quasi-totalité de la publicité alimentaire destinée aux enfants concerne les aliments transformés et de la restauration, des aliments dont les teneurs en calories, en sodium, en sucres ajoutés ou en graisses saturées sont plus élevées que recommandé. Les fruits, les légumes et autres aliments sains font rarement l’objet de publicités. La publicité alimentaire destinée aux enfants est la plupart du temps diffusée à la télévision, mais de plus en plus l’industrie utilise les médias numériques pour atteindre les enfants.

Plusieurs pays ont agi pour protéger les enfants contre les publicités alimentaires (qui peuvent être intrinsèquement trompeuses, parce que les enfants ne comprennent pas l’intention de la publicité et les conséquences de manger des aliments malsains). Le Chili, par exemple, ne permet pas que les aliments qui ont une ou plusieurs étiquettes avec un panneau d’arrêt noir (voir plus haut) fassent l’objet de publicité destinée aux enfants. La Suède et le Québec interdisent depuis longtemps toute publicité destinée aux enfants. Le Congrès américain devrait envisager de restreindre la commercialisation des aliments malsains aux enfants. Dans l’intervalle, les entreprises pourraient améliorer leurs normes nutritives pour les aliments destinés aux enfants de 14 ans et moins.

5— Augmenter les subventions aux personnes à faible revenu pour l’achat d’aliments sains
En partie à cause du coût la consommation de fruits et de légumes est bien inférieure aux niveaux recommandés, en particulier chez les personnes à faible revenu. Une étude du département américain de l’agriculture a révélé qu’une subvention de 30 % pour les bénéficiaires du programme d’aide alimentaire supplémentaire a stimulé les achats de 26 %. Une revue systématique de 30 études d’intervention sur les prix des aliments a conclu que ces subventions augmentent les ventes et la consommation d’aliments sains.Les fonds pour subventionner l’achat d’aliments sains pourraient provenir des taxes sur les boissons sucrées.

6— Améliorer la qualité des repas au restaurant
Un tiers des calories consommées par les Américains provient de la nourriture consommée à l’extérieur de la maison. De nombreux repas au restaurant contiennent plus de calories, de sodium, de sucres ajoutés ou de graisses saturées qu’il n’en faut pour une journée entière. Les villes de New York et Philadelphie exigent que les chaînes de restaurants ajoutent des avertissements sous la forme d’une icône de salière sur les menus pour les articles qui contiennent 2300 mg ou plus de sodium (la limite quotidienne recommandée), en plus d’une exigence d’information sur les calories (une exigence nationale a pris effet en mai 2018). Cette mesure, éventuellement élargie pour inclure des icônes pour les calories, le sucre ou les graisses saturées, pourrait être reproduite ailleurs et ensuite à l’échelle nationale. Par contre, les gouvernements locaux devraient envisager d’établir des normes nutritionnelles pour les repas de restaurant qui sont fortement commercialisés auprès des enfants. Ces normes pourraient inclure le bannissement des boissons sucrées comme boissons par défaut — comme plusieurs grandes chaînes et une douzaine de villes américaines l’ont fait — et offrir davantage de fruits, de légumes et de produits de grains entiers.

7— Mener des campagnes pour promouvoir une alimentation plus saine
De solides campagnes de promotion utilisant les médias de masse, l’internet, l’engagement des jeunes et d’autres approches pour aider à contrecarrer le marché agressif des aliments malsains pourraient être un complément efficace. La contre-publicité a réduit l’usage du tabac et la consommation de boissons sucrées et pourrait aussi motiver les gens à consommer davantage d’aliments sains, à lire les étiquettes attentivement et à cuisiner plus de repas à la maison. Les campagnes pourraient être financées par la taxe proposée sur les boissons sucrées.

Conclusions
L’industrie alimentaire et les législateurs qui préfèrent qu’il y ait moins de réglementation s’opposeront vraisemblablement à ces propositions, de sorte que les défenseurs de la santé et les législateurs devront plaider vigoureusement pour des mesures robustes qui soutiennent les régimes alimentaires plus sains. Bien que les effets de ces approches sur les résultats en matière de santé publique ne soient pas encore prouvés, des données émergentes montrent que certaines de ces stratégies apportent des améliorations de la qualité de l’alimentation. Étant donné les effets substantiels que le régime alimentaire a sur les maladies chroniques, un effort ambitieux et à volets multiples pour remodeler l’environnement alimentaire afin que les aliments sains soient facilement accessibles et que l’accessibilité à la nourriture malsaine soit limitée mérite un investissement public beaucoup plus important.