Ozempic® (semaglutide) et Mounjaro™ (tirzepatide), une grande avancée pour le traitement de l’obésité

Ozempic® (semaglutide) et Mounjaro™ (tirzepatide), une grande avancée pour le traitement de l’obésité

EN BREF

 

  • Le semaglutide et le tirzepatide sont des peptides analogues à deux hormones produites par le système digestif, soit le glucagon-like peptide-1 (GLP-1) et le glucose‐dependent insulinotropic polypeptide (GIP).

  • En plus d’améliorer le contrôle de la glycémie, l’administration de ces médicaments cause une baisse drastique de l’appétit et de l’apport calorique.

  • Ces effets  se traduisent par des pertes de poids très importantes (15- 20 % du poids corporel initial), soit du même ordre de grandeur que celles obtenues par la chirurgie bariatrique.

La prévalence du surpoids a augmenté de façon phénoménale au cours des dernières décennies, avec près de 2 milliards de personnes souffrant d’embonpoint, incluant 650 millions d’obèses. Il s’agit d’une crise sanitaire mondiale sans précédent, qui impose un fardeau considérable sur les systèmes de santé : l’excès de poids favorise en effet le développement d’une vaste gamme de pathologies (résistance à l’insuline, hypertension, inflammation chronique, dyslipidémies) qui haussent le risque de complications comme le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, les stéatoses hépatiques, plusieurs types de cancers et diminuent l’espérance de vie.

L’embonpoint et l’obésité sont fondamentalement des conséquences d’un apport calorique excessif, mais le nombre toujours croissant de personnes en surpoids, en dépit de ses effets négatifs bien documentés sur la santé, montre que rétablir ce déséquilibre n’est pas chose facile, surtout à notre époque d’abondance alimentaire. Bien que les interventions misant sur une amélioration du mode de vie (régimes hypocaloriques et exercice) représentent toujours la pierre angulaire de la gestion du poids, les pertes de poids obtenues par cette approche sont extrêmement difficiles à maintenir à long terme, notamment en raison d’adaptations physiologiques qui diminuent l’énergie dépensée ou encore augmentent l’appétit pour compenser les calories manquantes.  Autrement dit, une fois que l’obésité s’est installée de façon durable, ces mécanismes rendent le retour à un poids plus faible très difficile.

Pour pallier à ces limitations, un certain nombre d’approches pharmacologiques ont été développées au cours des dernières décennies, mais ces médicaments sont généralement d’une efficacité assez limitée, coûteux et peuvent causer dans certains cas des effets secondaires importants.   Des approches beaucoup plus drastiques, la chirurgie bariatrique notamment, parviennent quant à elles à générer des pertes de poids importantes et durables, mais ces procédures invasives sont intrinsèquement plus risquées et sont généralement restreintes aux personnes souffrant d’obésité morbide  (IMC>40).

C’est donc dans ce contexte, où les options de traitement de l’obésité demeurent très limitées, que l’apparition de Ozempic® et Mounjaro™ sur le marché suscite actuellement énormément d’intérêt, autant dans les communautés médicale et scientifique que dans la population en général.  Car bien que ces deux médicaments aient été à la base développés pour améliorer le contrôle de la glycémie chez les personnes atteintes de diabète de type 2,  ils provoquent en parallèle chez ces patients des pertes de poids importantes, sans trop d’effets secondaires majeurs, et pourraient donc représenter une nouvelle stratégie thérapeutique pour la normalisation du poids corporel.

Une nouvelle approche pharmacologique : l’effet incrétine

Mentionnons tout d’abord que même s’ils sont surtout connus du public sous leurs noms commerciaux (Ozempic®, Mounjaro™), ce sont les noms génériques de ces médicaments (semaglutide et tirzepatide, respectivement) qui sont utilisés dans la littérature scientifique et nous emploierons donc cette nomenclature tout au long de cet article. L’utilisation des noms génériques a aussi l’avantage d’éviter la confusion qui peut être générée par les différents noms commerciaux donnés aux médicaments selon leur mode d’administration et/ou indication thérapeutique (Tableau 1).

Tableau 1.  Les nouveaux médicaments antidiabétiques et anti-obésité.  Notez que l’indication thérapeutique de l’ensemble de ces médicaments est pour le diabète de type 2, à l’exception du Wegovy® (2,4 mg/semaine de semaglutide en injection sous-cutanée) qui a récemment été approuvé pour la perte de poids.

Le semaglutide et le tirzepatide sont des peptides (d’où leurs noms se terminant en «- ide ») analogues à deux hormones produites par le système digestif, soit le glucagon-like peptide-1 (GLP-1) et le glucose‐dependent insulinotropic polypeptide (GIP). Ces peptides ont été conçus pour mimer l’action de ces hormones (ce qu’on appelle en pharmacologie un effet agoniste) sur le contrôle de la glycémie : suite à l’absorption de sucre, le GLP-1 et le GIP sécrétés par les cellules de l’intestin permettent en effet d’augmenter de façon très importante la production d’insuline par le pancréas, à des taux très supérieurs à ceux qui sont produits simplement en réponse à la présence de sucre dans le sang (Figure 1).

Figure 1.  Variation de la réponse insulinique suite à l’administration d’un bolus de glucose à des personnes en bonne santé métabolique ou à des patients atteints d’un diabète de type 2.  Les valeurs représentent les taux d’insuline plasmatique induits par le glucose administré par voie orale (50 g/400 mL) (cercles rouges) ou une quantité équivalente (isoglycémique) administrée par voie intraveineuse (IV) (cercles noirs).  Notez la forte augmentation de la réponse insulinique provoquée par le glucose oral comparativement au glucose par intraveineuse chez les personnes en bonne santé (zone rouge clair). Ce phénomène, connu sous le nom « d’effet incrétine », est considérablement réduit chez les diabétiques, une différence qui a mené au développement des analogues des incrétines GLP-1 et GIP. Adapté de Nauck et coll. (1986).

Historiquement, cette augmentation de la réponse insulinique médiée par le GLP-1 et le GIP avait été attribuée à des facteurs nommés « incrétines » (dérivé « d’incrétion », un terme utilisé à cette époque pour désigner une sécrétion qui reste à l’intérieur de l’organisme), d’où le nom « d’effet incrétine » utilisé encore aujourd’hui pour décrire la hausse d’insuline médiée par l’action ces hormones. Il s’agit d’un élément essentiel de la réponse insulinique à ce que nous mangeons : chez des personnes en bonne santé, on estime qu’environ 70 % de l’insuline produite par le pancréas est une conséquence de l’effet incrétine.

C’est dans ce contexte qu’ont été développés le semaglutide et le tirzepatide : cet effet incrétine est considérablement atténué chez les personnes atteintes d’un diabète de type 2 (voir Figure 1), une perte qui est même considérée comme un indicateur précoce de la maladie, mais il a été observé que ce déficit pouvait être entièrement corrigé par l’infusion en continu de GLP-1 aux patients diabétiques. On a donc postulé que l’administration de molécules capables de mimer l’action du GLP-1 et/ou du GIP pourrait reproduire cet effet incrétine et ainsi stimuler la production d’insuline et améliorer le contrôle de la glycémie chez les diabétiques de type 2. Ces efforts ont mené au développement de différents agonistes du récepteur au GLP-1, les plus récents étant le semaglutide et le tirzepatide, approuvés pour le traitement du diabète de type 2 en 2018 et 2022, respectivement.

Agonistes simple et double

La différence fondamentale entre ces deux molécules est que le semaglutide est un agoniste du GLP-1, c’est-à-dire qu’il présente une forte similitude structurale (95%) avec cette hormone et active spécifiquement son récepteur, tandis que le tirpetazide est un agoniste double, c’est-à-dire qu’il présente une structure hybride qui lui permet d’activer à la fois les récepteurs du GLP-1 et du GIP (Figure 2). Dans les deux cas, des modifications apportées aux structures des peptides font en sorte que leur biodisponibilité est augmentée de façon spectaculaire par rapport aux hormones sécrétées naturellement par l’intestin, passant de quelques minutes à peine à plus d’une centaine d’heures, ce qui permet d’administrer ces médicaments par injection sous-cutanée une seule fois par semaine.  Notons aussi qu’une forme orale du semaglutide a été développée par l’ajout à la formulation du médicament d’un agent qui augmente la perméabilité intestinale, le N-(8-(2-hydroxybenzoyl) amino) caprylate (SNAC), mais la plus faible biodisponibilité de la molécule requiert une administration quotidienne pour parvenir à un contrôle de la glycémie équivalent à celui obtenu par la forme administrée sous-cutanée.

Figure 2. Structures du semaglutide et du tirzepatide et leur similitude au GLP-1 et GIP.  Le GLP-1 est une hormone de 31 acides aminés (cercles jaunes), certains d’entre eux étant conservés dans le GIP, une hormone de 42 acides aminés (cercles bleus). Les deux hormones possèdent une demi-vie très courte (le temps correspondant à une perte de la moitié de leur activité physiologique), de 1-2 minutes seulement, notamment en raison de leur dégradation par la dipeptidyl peptidase-4 (DPP-4).  Deux principales stratégies ont été utilisées pour modifier les séquences du semaglutide et du tirzepatide (cercles rouges) et augmenter leur biodisponibilité:  1) l’élimination du site de clivage de la DPP-4, en remplaçant l’alanine par une molécule analogue (acide α-aminoisobutyrique (Aib)), mais non reconnue par l’enzyme; 2) l’addition d’un acide gras à l’aide d’un « linker » pour favoriser la liaison des molécules à l’albumine sérique et ainsi réduire leur élimination au niveau rénal. Notez que le semaglutide est très similaire au GLP-1 et son mécanisme d’action est donc limité à l’activation du récepteur de cette hormone, tandis que le tirzepatide est formé d’un amalgame d’acides aminés retrouvés à la fois dans le GLP-1 (cercles jaunes), le GIP (cercles bleus) ainsi que dans les deux hormones (cercles verts), ce qui lui confère une activité de double agoniste, capable d’activer les deux récepteurs de ces hormones.  Les cercles bleus foncés de la portion terminale du tirzepatide sont des acides aminés provenant de l’exenatide, un peptide dérivé d’une protéine (exendine-4) présente dans le venin du monstre de Gila (Heloderma suspectum) et connu pour activer le récepteur GLP-1.

Ces différences structurales entre le semaglutide et le tirzepatide ont évidemment des conséquences sur leurs actions biologiques.  Puisque le semaglutide est un agoniste « pur » du récepteur au GLP-1, il stimule exclusivement les phénomènes contrôlés par ce récepteur, tandis que la capacité du tirzepatide à agir simultanément sur les récepteurs GLP-1 et GIP permet l’activation de l’ensemble des processus médiés par ces incrétines (Figure 3).

Figure 3. Mécanismes d’action du GIP, du GLP-1 et de leurs agonistes. Adapté de Bass et coll. (2023).

Comme mentionné plus tôt, l’effet le plus important des incrétines est de stimuler la production et la sécrétion d’insuline par le pancréas, et les études cliniques montrent que l’activation de ce processus, que ce soit par la seule stimulation du GLP-1 par le semaglutide ou la stimulation simultanée du GLP-1/GIP par le tirzepatide est associé à un meilleur contrôle de la glycémie chez les diabétiques de type 2. À cet égard, l’effet double agoniste du tirzepatide semble lui conférer une supériorité sur le semaglutide, avec une diminution plus importante (plus de 2%) des taux d’hémoglobine glyquée (A1c), un marqueur de l’hyperglycémie chronique (Figure 4).  À titre de comparaison, l’amélioration du contrôle de la glycémie suite à la chirurgie bariatrique est du même ordre, avec une diminution de A1c variant entre 1,8 et 3,5 %.

Figure 4.  Comparaison de la diminution des taux d’hémoglobine glyquée de patients diabétiques provoquée par un traitement de 40 semaines avec le tirzepatide (5, 10 ou 15 mg/sem) ou le semaglutide (1 mg/sem). Tiré de Frias et coll. (2021).

Effets sur le poids corporel

Un autre aspect extrêmement intéressant du mode d’action des mimétiques du GLP-1 et du GIP est leur effet sur certains processus impliqués dans le contrôle de l’appétit (Figure 3).  Dans les études d’infusion du GLP-1 mentionnées plus tôt, on a observé que la molécule activait la sensation de satiété, ce qui suggérait un effet thérapeutique possible sur la diminution de l’appétit et de l’apport calorique. Les études subséquentes ont montré que ce phénomène pouvait être lié à un ralentissement de la vidange gastrique par le GLP-1, ainsi que par l’action de cette hormone au niveau de certains circuits neuronaux du cerveau impliqués dans la suppression de l’appétit et le développement de nausées.  L’action du GIP au niveau du cerveau, quant à elle, fait également intervenir une diminution des circuits de l’appétit mais aurait paradoxalement un effet anti-nausée : ceci pourrait expliquer pourquoi le tirzepatide (qui stimule la voie GIP en plus de GLP-1) peut être administré à des doses plus élevées que le semaglutide (qui stimule seulement GLP-1), sans amplifier les effets secondaires typiques aux agonistes du GLP-1 (nausées, vomissements).

Les études qui se sont penchées sur les effets du semaglutide et du tirzepatide sur l’apport calorique confirment ces impacts des deux molécules sur l’appétit.  Par exemple, dans une étude où des volontaires obèses avaient un accès à volonté (ad libitum) à trois repas (diner, souper et collations), on a observé que le traitement au semaglutide (1 mg/sem) provoquait une diminution de 24 % de l’apport en énergie durant la journée, menant à une réduction du poids corporel d’environ 5 kg après 12 semaines de traitement.  Cette réduction de l’apport calorique, et la perte de poids qui s’ensuit, serait causée à une diminution de l’appétit et des fringales et à une réduction de l’attirance envers les aliments riches en gras.  Des résultats similaires ont été obtenus suite au traitement avec le tirzepatide et il semble de plus en plus certain que la diminution de l’appétit et le désintérêt envers les aliments hypercaloriques, en particulier ceux riches en gras, représente un mode d’action commun aux deux molécules.

Un grand nombre d’études cliniques ont montré que cette perte d’appétit provoquée par le traitement au semaglutide ou au tirzepatide est associée à une diminution importante du poids corporel chez les personnes qui souffrent d’obésité. Par exemple, une étude a montré que chez les personnes atteintes d’un diabète de type 2, le traitement avec le semaglutide (1 mg par semaine) provoque une perte moyenne d’environ 6 % du poids corporel en 40 semaines, tandis que le traitement avec le tirzepatide  (15 mg/semaine) mène à une perte de poids de 11% chez cette population.

Ces pertes de poids sont encore plus prononcées chez les personnes obèses, mais qui ne sont pas diabétiques (Figure 5). Par exemple, l’administration de 2,4 mg/semaine de semaglutide (au lieu du 1 mg utilisé chez les diabétiques) pendant 68 semaines mène à des pertes moyennes de 15 % du poids corporel initial, soit environ le double que chez les diabétiques de type 2 (Figure 5A).  Encore ici, le tirzepatide semble plus puissant, générant des pertes moyennes d’environ 20 % aux doses les plus élevées (10 et 15 mg/semaine) administrées pendant 72 semaines (Figure 5B).  Ces pertes de poids sont vraiment exceptionnelles, du même ordre de grandeur que celles qui sont typiquement obtenues suite à la chirurgie bariatrique.

Figure 5. Pertes de poids moyennes induites par le semaglutide et le tirzepatide chez les personnes obèses, mais non diabétiques. A.1961 adultes obèses (IMC>30) ont été traités pendant 68 semaines avec un placebo ou 2,4 mg/semaine de semaglutide, en combinaison avec un programme supervisé d’amélioration du mode de vie (régime hypocalorique et activité physique régulière). Adapté de Wilding et coll. (2021). B. 2539 adultes obèses (IMC>30) ont été traités pendant 72 semaines avec un placebo ou des doses de 5, 10 ou 15 mg/semaine de tirzepatide, en combinaison avec un programme supervisé d’amélioration du mode de vie (régime hypocalorique et activité physique régulière). Adapté de Jastreboff et coll. (2022).

Plusieurs études indiquent qu’une perte de poids durable d’au moins 10 % du poids corporel initial améliore plusieurs complications associées à l’obésité, incluant la prévention et le contrôle du diabète de type 2, l’hypertension, la stéatose hépatique et l’apnée du sommeil.  Par exemple, dans l’étude DIRECT réalisée auprès de personnes obèses et diabétiques, une restriction calorique très sévère menant à une perte de 15 % du poids corporel a entrainé une rémission complète du diabète de type 2 chez 85% des participants.

Les données actuelles indiquent que la grande majorité des personnes obèses traitées avec le semaglutide et le tirzepatide parviennent à atteindre des pertes de poids de cette ampleur (Figure 6). Par exemple, le semaglutide induit des pertes de poids supérieures à 15% chez 60 % des personnes traitées, et près de 40 % ont même perdu plus de 20 % de leur poids corporel initial (Figure 6A).  Ces succès sont encore plus prononcés chez les personnes traitées avec le tirzepatide, avec près de 60 % des patients qui ont perdu 20 % de leur poids et près de 40 % qui ont même perdu plus de 25 % de leur poids initial (Figure 6B). Il s’agit de perte de poids considérables : dans les 2 études, le poids moyen des participants était aux environs de 110 kg; une perte de 20 % signifie donc que ces personnes ont perdu presque 25 kg au cours du traitement et il est certain que des pertes de cette magnitude, si elles sont maintenues à long terme,  auront des effets positifs sur la santé.

Figure 6.  Répartition des pertes de poids selon le pourcentage du poids corporel initial perdu suite au traitement. Notez que chez la majorité des participants, la perte de poids obtenue est largement supérieure à 5 % du poids initial (le minimum associé à une amélioration de la santé) et excède même 20 % chez plusieurs d’entre eux, en particulier chez les participants qui ont reçu le tirzepatide. Pour plus de clarté, seules les pertes obtenues pour la dose la plus élevée de tirzepatide (15 mg) sont indiquées sur la figure.  Adapté de Wadden et coll. (2021) pour le semaglutide et de Jastreboff et coll. (2022) pour le tirzepatide.

Dans l’ensemble, ces résultats montrent de façon sans équivoque que la diminution de l’appétit provoquée par les mimétiques du GLP-1 et du GIP est associée à une réduction importante du poids corporel.  Cependant, les données actuellement disponibles suggèrent qu’un traitement continu avec ces médicaments est requis pour que ces pertes de poids deviennent durables. Par exemple, une étude a montré que même si les personnes traitées pendant 68 semaines avec le semaglutide (2,4 mg/semaine) avaient perdu en moyenne 18 % de leur poids corporel initial, la majorité de ce poids était regagné dans l’année suivant l’arrêt du traitement (Figure 7).

Figure 7. Réversibilité de la perte de poids associée au traitement avec le semaglutide.  Notez que les 2/3 du poids perdu par les participants ont été repris dans l’année suivant l’arrêt du traitement avec le semaglutide. Adapté de Wilding et coll. (2022).

Il n’y a donc pas de doute que le semaglutide et le tirzepatide représentent des ajouts extrêmement intéressants à l’approche pharmacologique de l’obésité, d’autant plus que ces médicaments sont en général relativement bien tolérés. Bien qu’une proportion assez importante des patients aient rapporté un certain nombre d’effets secondaires, en particulier au niveau gastro-intestinal (nausées, vomissement, diarrhées), ces effets indésirables ont cependant tendance à s’amenuiser avec le temps et l’adhérence au traitement demeure élevée, avec environ 5 % des patients qui cessent le traitement en raison des effets secondaires.

D’un point de vue plus général, il est particulièrement intéressant que ces médicaments exercent leur action thérapeutique en agissant sur le cerveau pour diminuer l’appétit et ainsi créer un important déficit calorique. Ce mode d’action confirme ce que les experts disent plusieurs années, c’est-à-dire que c’est une réduction de l’apport en calories qui demeure le principal moyen de perdre du poids (l’exercice physique a énormément de bienfaits de la santé, mais n’a pas d’effets majeurs sur la perte de poids). La hausse importante du nombre de personnes en surpoids observée au cours des dernières décennies reflète donc essentiellement une surconsommation de nourriture, possiblement due à l’omniprésence d’aliments industriels extrêmement attirants en raison de leurs propriétés organoleptiques (palatabilité) et qui entrainent un apport excessif en énergie. Les personnes traitées avec le semaglutide et le tirzepatide cessent d’être attirées vers ce type d’aliments hypercaloriques et il n’y a pas de doute que l’élimination de ces produits de l’alimentation quotidienne contribue aux pertes de poids observées dans les études cliniques.

Par contre, les données actuellement disponibles indiquent que ce sevrage vis-à-vis des produits riches en calories (et de la surconsommation de nourriture en général) est réversible et que l’arrêt du traitement mène rapidement à un regain de la majorité du poids initialement perdu. Il est donc probable que ces médicaments parviennent à contrecarrer les adaptations physiologiques normalement provoquées par la perte de poids (la hausse de l’appétit, en particulier), mais que ces adaptations reprennent rapidement le dessus après l’arrêt de la médication et favorisent le retour vers le surpoids initial, avant le traitement.

Est-ce à dire que l’on doit se résigner à traiter l’obésité « à vie », un peu comme on contrôle l’hypertension, l’excès de cholestérol sanguin ou encore la carence en insuline à l’aide de médicaments qui doivent être administrés en continu à partir de l’apparition des pathologies? Il est encore trop tôt pour le dire, mais, chose certaine, de tels traitements imposeraient un fardeau économique extraordinaire à notre système de santé: au Québec, où un adulte sur quatre est obèse, le coût actuel de ces nouveaux médicaments (environ 500$ par mois) impliquerait une dépense annuelle de plusieurs centaines de millions de dollars (aux États-Unis, la situation est encore pire:  le coût d’un traitement de 72 semaines au tirzepatide (15 mg/semaine) est d’environ 17,000 $US, tandis que le traitement de 68 semaines avec le semaglutide (2,4 mg/semaine) est près de 23,000 $US !). Comme pour toutes les maladies chroniques, il serait beaucoup plus rentable de prévenir que de guérir l’obésité en s’attaquant en priorité aux causes de ce surpoids, plutôt que consacrer tous nos efforts et nos moyens financiers à leur traitement.

On sait depuis plusieurs années qu’il est extrêmement difficile de maigrir une fois que l’obésité s’est installée, ce qui signifie qu’il faut agir en amont, chez les enfants et les adolescents, avant qu’ils n’accumulent un excès de poids qui les exposent à un risque très élevé d’obésité à l’âge adulte (plus de 80 % des adultes obèses étaient déjà obèses durant leur enfance).  Malheureusement, la tendance actuelle va complètement à l’inverse, avec une augmentation constante de l’embonpoint et de l’obésité touchant les plus jeunes, les mettant à très haut risque de développer une véritable épidémie de maladies cardiométaboliques dans quelques années (voir notre article à ce sujet). Il est illusoire de penser que l’arrivée de nouveaux médicaments pourra à elle seule endiguer ce problème.

 

Le yoga et autres pratiques holistiques améliorent le contrôle de la glycémie chez les diabétiques

Le yoga et autres pratiques holistiques améliorent le contrôle de la glycémie chez les diabétiques

Seulement 51 % des patients atteints de diabète de type 2 réussissent à contrôler correctement leur glycémie, soit à atteindre la cible thérapeutique de <7 % d’hémoglobine glyquée (HbA1c). La quantification de l’hémoglobine glyquée est le reflet de la glycémie à long terme (environ 2-3 mois), contrairement à la glycémie à jeun qui est un instantané de l’état glycémique. Ainsi, plus la glycémie est élevée sur une période prolongée chez un individu, plus la proportion de l’hémoglobine glyquée (contenant un sucre) sera élevée. La valeur normale de l’HbA1c est comprise entre 3,5 % et 6 %.

Pourquoi la moitié des patients atteints de diabète de type 2 ne parviennent-ils pas à contrôler leur glycémie, malgré la panoplie de médicaments disponibles pour gérer l’hyperglycémie ? Plusieurs facteurs contribuent à ce contrôle inadéquat de la glycémie, incluant : polypharmacie (utilisation de plusieurs médicaments), situation socio-économique, troubles psychiatriques, disparités en matière de santé.

Une des façons d’améliorer le contrôle de la glycémie par les diabétiques est de pratiquer une activité holistique (impliquant le corps et l’esprit), tels le yoga, le qigong, l’imagerie mentale dirigée, la réduction du stress basée sur la pleine conscience (Mindfulness-based stress reduction ou MBSR) et d’autres formes de méditations. Des chercheurs ont réalisé récemment une revue systématique et une méta-analyse des études sur l’effet des interventions holistiques sur le contrôle de la glycémie chez des diabétiques.   Les résultats de la méta-analyse incluant 28 études d’intervention publiées entre 1993 et 2022 indiquent que, dans l’ensemble, les pratiques holistiques font diminuer significativement le taux d’hémoglobine glyquée ou HbAc1 de 0,84 %. Des réductions du taux de HbAc1 (et donc un meilleur contrôle de la glycémie) ont été observées pour tous les types d’intervention : MBSR : -0,48 % ; qigong: -0,66 % et yoga : -1.00%. La durée des séances de yoga n’a pas d’effet significatif sur le taux de HbAc1, mais la fréquence oui : pour chaque jour supplémentaire avec une séance de yoga, le taux de HbAc1 diminuait en moyenne de 0,22 %. La glycémie à jeun a aussi été améliorée significativement suite aux pratiques holistiques, avec une baisse moyenne de 22,81 mg/dL.

Ces réductions des taux sanguins d’hémoglobine glyquée et de glucose à jeun sont significatives d’un point de vue clinique, ce qui suggère que les pratiques impliquant le corps et l’esprit pourraient être des interventions complémentaires non-pharmacologiques efficaces pour les diabétiques.

Effets nocifs de l’exposition aux « produits chimiques éternels » sur la santé

Effets nocifs de l’exposition aux « produits chimiques éternels » sur la santé

EN BREF

  • Les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sont ajoutés à une foule de produits (par ex. : cosmétiques, emballages pour la nourriture, articles de cuisson non adhésifs) afin de les rendre résistants à la chaleur, à l’eau, à l’huile et à la corrosion.
  • On retrouve ces « produits chimiques éternels » dans l’eau du robinet, l’eau embouteillée et dans le sang de presque toute la population en Occident.
  • La présence de PFAS dans le sang a été associée à des risques plus élevés de développer de l’hypertension et le diabète de type 2 chez des femmes.
  • Les PFAS sont possiblement associés à plusieurs problèmes de santé, incluant la prééclampsie, l’altération des enzymes hépatiques, une hausse des lipides dans le sang, une diminution de la réponse aux vaccins et un faible poids à la naissance.

Les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sont largement utilisées dans des produits industriels et de consommation courante, tels les cosmétiques, les emballages pour la nourriture, les articles de cuisson non adhésifs et les revêtements de sol. Les PFAS contiennent des liens chimiques extrêmement stables entre les atomes de fluor et de carbone (liens F–C), d’où leur surnom en forme de jeu de mots (en anglais) de « Forever Chemicals » (« produits chimiques éternels ») (voir figure 1). Il ne faut pas confondre les PFAS avec les phtalates, une autre classe de produits industriels potentiellement nuisible à la santé (voir notre article sur le sujet). Ajoutons au passage qu’une autre classe de « produits chimiques éternels » apparentée aux PFAS, les hydrofluorocarbures ou HFC, sont utilisés en remplacement des CFC dans les réfrigérants puisqu’ils n’affectent pas la couche d’ozone, mais ils sont maintenant graduellement retirés du marché puisque ce sont tout de même des gaz à effet de serre.

Figure 1. Structure de 3 substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) utilisées dans des produits de consommation courante.

Les PFAS sont ajoutés à une foule de produits afin de les rendre résistants à la chaleur, à l’eau, à l’huile et à la corrosion. Par exemple, des emballages dans lesquels sont enveloppés les hamburgers, pizzas, salades, et autres aliments à emporter contiennent des PFAS, ce qui permet d’éviter les fuites d’huile ou de vinaigrette. Les PFAS peuvent migrer dans la nourriture, particulièrement lorsque cette dernière contient beaucoup de gras et de sels. De plus, les emballages sont ultimement enfouis dans des dépotoirs où il y a possibilité de contaminer le sol et la nappe phréatique ou encore s’ils sont incinérés, ils peuvent se retrouver dans l’air. Consumer Reports a testé plus de 100 produits d’emballage utilisés dans des restaurants et supermarchés américain et trouvé des PFAS dans plusieurs produits tels du papier d’emballage pour les frites, hamburgers, assiettes à usage unique, bol à salade en fibre moulée.   D’autres tests effectués par Consumer Reports ont révélé la présence de PFAS dans l’eau du robinet et l’eau embouteillée aux États-Unis. Les PFAS ont été détectés dans le sang de 98 % des Américains testés.

Lors des 60 premières années de production de PFAS, plusieurs pensaient que les effets néfastes potentiels n’affectaient que les travailleurs exposés à ces produits à un niveau industriel et non pas l’ensemble de la population. C’était jusqu’à ce qu’en 1998 un agriculteur de la Virginie aux États-Unis commence à sonner l’alerte sur les effets de la pollution produite par une usine de la compagnie DuPont sur la santé de ses vaches. Selon le recours collectif devant les tribunaux américains qui s’en est suivi, l’acide perfluorooctanoïque (PFOA, aussi connu sous le nom de « C8 ») pourrait avoir affecté approximativement 70 000 personnes qui s’approvisionnaient en eau à la même source contaminée. Un comité créé pour examiner la dangerosité du PFOA a par la suite établi des liens probables entre l’exposition à ce produit et plusieurs maladies, dont les maladies thyroïdiennes, l’hypercholestérolémie, le cancer des reins et des testicules, l’hypertension induite par la grossesse et la colite ulcéreuse.

Trois PFAS (PFOS, PFOA et les LC-PFCAs) sont maintenant interdits au Canada à cause du risque qu’ils constituent pour la santé humaine et l’environnement. Il semble que les nouveaux PFAS qui sont utilisés aujourd’hui en remplacement des PFAS interdits pourraient eux aussi être nuisibles pour la santé humaine et l’environnement. Par conséquent, le gouvernement du Canada envisage de réglementer l’utilisation de l’ensemble des PFAS.  Les PFAS sont associés à plusieurs problèmes de santé, incluant la prééclampsie, l’altération des enzymes hépatiques, une hausse des lipides dans le sang, une diminution de la réponse aux vaccins et un faible poids à la naissance (voir le rapport sur le profil toxicologique des PFAS par l’Agency for Toxic Substances and Disease Registry des États-Unis).

Cosmétiques
On a retrouvé des PFAS dans la liste d’ingrédients de plusieurs dizaines de produits cosmétiques en vente en Europe et en Asie, où ils sont ajoutés dans le but de rendre les fonds de teint, mascaras et rouge à lèvres liquide plus durables, imperméables et plus facile à étaler. Dans une étude récente, où plus de 231 produits cosmétiques nord-américains (dont 21 du Canada) ont été analysés, 52 produits avaient une teneur élevée en fluor, indiquant la présence de PFAS en concentration élevée. La présence de PFAS a été confirmée dans 29 produits par spectrométrie de masse. La plupart de ces produits cosmétiques ne mentionnaient pourtant pas de PFAS dans la liste des ingrédients sur l’étiquette. Les PFAS ont été trouvés particulièrement dans des produits annoncés comme « longue tenue » ou « résistant à l’usure ». Plus précisément, de hauts niveaux de fluor (provenant des PFAS) ont été détectés dans 82 % des mascaras résistants à l’eau, 58 % des autres produits cosmétiques pour les yeux (fards et crèmes à paupières, traceur ), 63 % des fonds de teint et 62 % des rouges à lèvres.  Parmi les 17 produits cosmétiques canadiens considérés dans l’étude, un seul indiquait la présence de PFAS dans la liste d’ingrédients.

Comment expliquer que l’on retrouve des PFAS dans des produits cosmétiques alors qu’ils ne se retrouvent pas dans la liste d’ingrédients ? Certains ingrédients de base tels le mica et le talc peuvent être traités avec des PFAS afin d’améliorer leur durabilité. D’autres ingrédients tels les acrylates, la méthicone et d’autres polymères de silicone peuvent être achetés sous une forme contenant des PFAS. Il semble donc que certains fabricants de cosmétiques utilisent des ingrédients contenant des PFAS et qu’ils omettent d’inclure ces derniers dans la liste d’ingrédients. Il vaut mieux éviter autant que possible d’utiliser des produits cosmétiques contenant des PFAS sachant qu’ils peuvent être nocifs pour la santé et que la probabilité d’absorption à travers la peau est très élevée. Les résultats de l’étude montrent qu’il existe des produits cosmétiques contenant très peu ou pas du tout de fluor (et donc de PFAS), mais ils sont difficiles à identifier puisque les PFAS ne sont pas inclus dans les listes d’ingrédients de la plupart des produits cosmétiques. Il est recommandé d’éviter d’utiliser des produits annoncés comme « résistants à l’eau », « longue tenue » ou « résistant à l’usure » qui ont de forte chance de contenir des PFAS.

Hypertension
Une étude prospective a trouvé une association défavorable entre la concentration sanguine de PFAS et le risque d’hypertension. Les données proviennent de l’étude SWAN-MPS (Study of Women’s Health Across the Nation-Multi-Pollutant Study) auprès de 1058 femmes d’âge moyen et normotendues au début de l’étude, qui ont été suivies de 1999 à 2017. Durant ces années, 470 femmes sont devenues hypertendues (pression systolique ≥140 mmHg ou pression diastolique ≥90 mmHg). Les femmes qui avaient les plus hautes concentrations de PFOS, PFOA et EtFOSAA (un précurseur du PFOS) dans le sang avaient des risques 42 %, 47 % et 42 % plus élevé, respectivement, de développer de l’hypertension comparativement à celles qui avaient les plus faibles concentrations de ces PFAS. Les femmes qui avaient les plus hautes concentrations de PFAS totaux avaient un risque 71 % plus élevé de développer de l’hypertension. Aucune association significative n’a été observée pour les PFAS suivants : l’acide perfluorononanoïque (PFNA) et l’acide perfluorohexanesulfonique (PFHxS).

Diabète de type 2
Le même groupe de recherche qui a mené l’étude sur l’association entre les PFAS et le risque d’hypertension a aussi évalué l’association avec l’incidence du diabète de type 2.   L’étude prospective a été menée auprès de 1237 femmes de la cohorte SWAN-MPS qui étaient âgées de 45-56 ans et non-diabétiques au début de l’étude (1999). Durant la durée de l’étude (18 années), 102 femmes sont devenues diabétiques. Ces dernières avaient des concentrations sanguines de PFAS plus élevées que les femmes non-diabétiques. Les femmes qui avaient des concentrations élevées de PFAS dans le sang étaient plus susceptibles d’être de race noire, de fumer ou d’avoir fumé la cigarette, d’être ménopausées ou d’avoir un indice de masse corporelle (IMC) plus élevé. Cependant, les données ont été ajustées afin de tenir compte de plusieurs facteurs confondants, incluant la race/ethnicité, lieu de résidence, niveau d’éducation, tabagisme, consommation d’alcool, apport énergétique total, activité physique, ménopause et IMC.

Les femmes qui avaient les plus hautes concentrations de n-PFOA, PFHxS, sm-PFOS et MeFOSAA dans le sang avaient des risques 67 %, 58 %, 36 % et 85 % plus élevés, respectivement, de développer du diabète de type 2 comparativement à celles qui avaient les plus faibles concentrations de ces PFAS. Les femmes qui avaient les plus hautes concentrations de quatre PFAS communs (n-PFOA, PFNA, PFHxS et PFOS totaux) avaient un risque 64 % plus élevé de développer le diabète de type 2.

Comment réduire l’exposition aux PFAS ?
Les PFAS ont de nombreuses applications importantes et il semble hors de question de les éliminer complètement. Les PFAS les plus problématiques (PFOA, PFOS et les LC-PFCAs) ne sont plus utilisés au Canada. Le PFOA était utilisé entre autres pour la fabrication des accessoires de cuisine avec revêtement de Teflon. Le problème majeur avec les accessoires contenant du Teflon n’est pas qu’ils relarguent du PFOA lors de leur utilisation (niveau très faible), mais que leur fabrication peut relarguer ce « produit chimique éternel » dans l’environnement. Des revêtements en céramique et en aluminium anodisé sont de bonnes alternatives. Si la demande en accessoires de cuisine contenant des PFAS diminue, la production diminuera et moins de ces substances se retrouveront dans l’environnement. Il faut éviter autant que possible les aliments de type « fast-food » enveloppés dans des emballages ou dans des contenants imperméables, les produits cosmétiques et pour les soins du corps qui contiennent des PFAS, particulièrement les produits cosmétiques « résistants à l’eau » ou « résistants à l’usure ». Ce sont des gestes simples qui permettent de diminuer l’exposition à ces produits potentiellement nocifs pour la santé.

L’obésité juvénile, une véritable bombe à retardement de maladies cardiométaboliques

L’obésité juvénile, une véritable bombe à retardement de maladies cardiométaboliques

EN BREF

 

  • Les taux d’obésité chez les enfants et les adolescents canadiens ont plus que triplé au cours des 40 dernières années.
  • L’obésité juvénile est associée à une hausse marquée du risque de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte, ce qui peut hypothéquer considérablement l’espérance de vie en bonne santé.
  • La mise en place de politiques visant à améliorer l’alimentation des jeunes est primordiale pour renverser cette tendance et éviter l’apparition d’une épidémie de maladies cardiométaboliques touchant les jeunes adultes au cours des prochaines années.

Un des changements les plus spectaculaires à s’être produit au cours des dernières années est sans doute l’augmentation marquée du nombre d’enfants en surpoids. Par exemple, les taux d’obésité chez les enfants et les adolescents canadiens ont plus que triplé au cours des 40 dernières années : alors qu’en 1975, l’obésité constituait un problème assez rare, touchant moins de 3 % des enfants de 5-19 ans, la prévalence de l’obésité a fait un bond gigantesque depuis ce temps, touchant près de 14 % des garçons et 10% des filles en 2016 (Figure 1).  Si on ajoute à ces chiffres les données sur l’embonpoint, il y a donc environ 25 % des jeunes Canadiens qui sont en surpoids (une tendance similaire est observée au Québec). Cette prévalence d’obésité semble avoir plafonné au cours des dernières années, mais les enquêtes américaines récentes suggèrent que la pandémie de Covid-19 pourrait avoir provoqué une recrudescence du nombre de jeunes en surpoids, en particulier chez les 5-11 ans.

Figure 1. Augmentation de la prévalence de l’obésité chez les enfants canadiens au cours des 40 dernières années.  Tiré de NCD Risk Factor Collaboration (2017).

Mesure de l’obésité juvénile

Bien qu’elle ne soit pas parfaite, la mesure la plus fréquemment utilisée pour déterminer la présence d’un surpoids chez les jeunes de moins de 19 ans est l’indice de masse corporelle (IMC), calculé en divisant le poids par le carré de la taille (kg/m²). On doit cependant ajuster les valeurs obtenues en fonction de l’âge et du sexe pour tenir compte de l’évolution de la composition corporelle durant la croissance, comme illustré à la figure 2.

Figure 2. Normes de croissance de l’OMS pour les garçons de 5-19 ans vivant au Canada. Les données proviennent de l’OMS (2007).

Notez qu’un large éventail d’IMC situés de part et d’autre de la médiane (50e centile) sont considérés comme normaux. Les enfants souffrant d’embonpoint présentent quant à eux un IMC supérieur à celui de 85-95% de la population du même âge (85e-95e centile), tandis que l’IMC des enfants obèses est supérieur à celui de 97 % de la population du même âge (97e centile et plus). L’utilisation des scores z est autre façon de visualiser le surpoids et l’obésité juvénile. Cette mesure exprime l’écart de l’IMC par rapport à la valeur moyenne, en déviation standard. Par exemple, un score z de 1 signifie que l’IMC est une déviation standard au-dessus de la normale (ce qui correspond au surpoids), tandis que des scores z de 2 et de 3 indiquent, respectivement, la présence d’une obésité et d’une obésité sévère.

Cette hausse marquée de la proportion d’enfants en surpoids, et particulièrement d’enfants obèses, est une tendance inquiétante qui augure très mal pour la santé des prochaines générations d’adultes.  D’une part, il est bien établi que l’obésité durant l’enfance (et surtout pendant l’adolescence) représente un facteur de risque très élevé d’obésité à l’âge adulte, avec plus de 80 % des adultes obèses qui étaient déjà obèses durant leur enfance.  Cette obésité à l’âge adulte est associée à une hausse du risque d’une foule de problèmes de santé, autant au point de vue cardiovasculaire (hypertension, dyslipidémies, maladies ischémiques) que du développement d’anomalies métaboliques (hyperglycémie, résistance à l’insuline, diabète de type 2) et de certains types de cancers. L’obésité peut également provoquer une discrimination et une stigmatisation sociale et donc avoir des conséquences dévastatrices sur la qualité de vie, autant du point de vue physique que mentale.

Un autre aspect très dommageable de l’obésité juvénile, dont on ne parle pourtant que très peu, est l’accélération dramatique du développement de l’ensemble des maladies associées au surpoids.  Autrement dit, les enfants obèses sont non seulement à plus haut risque de souffrir des différentes pathologies causées par l’obésité à l’âge adulte, mais ces maladies peuvent également les toucher de façon précoce, parfois même avant d’atteindre l’âge adulte, et ainsi diminuer considérablement leur espérance de vie en bonne santé.

Ces impacts précoces de l’obésité juvénile sur le développement des maladies associées au surpoids sont bien illustrés par les résultats de plusieurs études récentes portant sur le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires.

Diabète précoce

Traditionnellement, le diabète de type 2 était une maladie extrêmement rare chez les jeunes (on l’appelait même « diabète de l’âge adulte » à une certaine époque), mais son incidence a considérablement augmenté avec la hausse de la proportion de jeunes obèses. Par exemple, les statistiques américaines récentes montrent que la prévalence du diabète de type 2 chez les enfants de 10-19 ans est passée de 0,34 par 1000 enfants en 2001 à 0,67 en 2017, soit une hausse de presque 100 % depuis le début du millénaire.

Les principaux facteurs de risque de diabète précoce sont l’obésité, en particulier l’obésité sévère (IMC supérieurs à 35) ou lorsque l’excès de graisse est principalement situé au niveau abdominal, un historique familial de la maladie et l’appartenance à certains groupes ethniques.  L’obésité demeure cependant le principal facteur de risque de diabète de type 2 :  chez les enfants (4-10 ans) et les adolescents (11-18 ans) obèses, on observe fréquemment une intolérance au glucose lors des tests d’hyperglycémie provoquée, un phénomène causé par le développement précoce d’une résistance à l’insuline. Une caractéristique du diabète de type 2 chez les jeunes est sa rapidité de développement : alors que chez les adultes, la transition d’un état prédiabétique à un diabète clairement défini est un processus généralement graduel, qui se produit sur une période de 5-10 ans, cette transition peut se produire très rapidement chez les jeunes, en moins de 2 ans.  Ceci fait donc en sorte que  la maladie est beaucoup plus agressive chez les jeunes que chez les plus âgés et peut causer l’apparition précoce de diverses complications,  notamment au niveau cardiovasculaire.

Une étude récente, parue dans le prestigieux New England Journal of Medicine, illustre bien les dangers qui découlent d’un diabète de type 2 qui est apparu précocement, durant l’enfance ou pendant l’adolescence. Dans cette étude, les chercheurs ont recruté des enfants très obèses (IMC ≥ 35) qui avaient été diagnostiqués avec un diabète de type 2 à l’adolescence et ont par la suite examiné pendant une dizaine d’années l’évolution de différents facteurs de risque et de pathologies associés à cette maladie.

Les résultats sont fort inquiétants, car la très grande majorité des patients de l’étude ont développé durant le suivi une ou plusieurs complications qui haussent considérablement leur risque de développer des ennuis de santé graves (Figure 3).  Mentionnons en particulier la forte incidence d’hypertension, de dyslipidémies (taux de cholestérol-LDL et de triglycérides trop élevés) et d’atteintes rénales (néphropathies) et nerveuses (neuropathies) chez cette population qui, rappelons-le, n’est âgée que de 26 ans en moyenne. Pire encore, près du tiers de ces jeunes adultes présentaient 2 complications ou plus, ce qui augmente évidemment encore plus le risque de détérioration de leur état de santé. D’ailleurs, il faut noter que 17 accidents cardiovasculaires sérieux (infarctus, insuffisance cardiaque, AVC) sont survenus durant la période de suivi, ce qui est anormalement élevé compte tenu du jeune âge des patients et du nombre relativement restreint de personnes qui ont participé à l’étude (500 patients).

Figure 3. Incidence de différentes complications associées au diabète de type 2 chez les adolescents. Tiré de TODAY Study Group (2021).

Il faut aussi noter que ces complications sont survenues en dépit du fait que la majorité de ces patients étaient traités avec des médicaments antidiabétiques comme la metformine ou encore l’insuline.  Ceci est en accord avec plusieurs études montrant que le diabète de type 2 est beaucoup plus difficile à contrôler chez les jeunes que chez les personnes d’âge mûr. Les mécanismes responsables de cette différence sont encore mal compris, mais il semble que le développement de la résistance à l’insuline et la détérioration des cellules pancréatiques qui produisent cette hormone progressent beaucoup plus rapidement chez les jeunes que chez les plus âgés, ce qui complique le contrôle de la glycémie et augmente le risque de complications.

Cette difficulté à traiter efficacement le diabète de type 2 précoce fait en sorte que les jeunes diabétiques sont beaucoup plus à risque de mourir prématurément que les non-diabétiques (Figure 4). Par exemple, les jeunes qui développent un diabète précoce, avant l’âge de 30 ans, ont un taux de mortalité 3 fois plus élevé que la population du même âge qui n’est pas diabétique.  Cette hausse demeure significative, bien que moins prononcée, jusqu’à environ 50 ans, tandis que les cas de diabètes qui se manifestent à des âges plus avancés (60 ans et plus) n’ont pas d’impact majeur sur la mortalité comparativement à la population en général.  Il est à noter que cette hausse de mortalité touchant les plus jeunes diabétiques est particulièrement prononcée en bas âge, aux environs de 40 ans.

Ces résultats montrent donc à quel point un diabète de type 2 précoce peut entrainer une détérioration rapide de l’état de santé et amputer des dizaines d’années de vie, incluant des années qu’on considère souvent comme les plus productives de l’existence (quarantaine et cinquantaine). Pour toutes ces raisons, on doit considérer le diabète de type 2 comme un des principaux dommages collatéraux de l’obésité juvénile.

Figure 4.  Taux de mortalité standardisés selon l’âge du diagnostic d’un diabète de type 2.  Les taux de mortalité standardisés représentent le ratio de la mortalité observée chez les individus diabétiques sur la mortalité anticipée pour chaque groupe d’âge. Tiré de Al-Saeed et coll. (2016).

Maladies cardiovasculaires

On observe depuis quelques années une recrudescence de l’incidence des maladies cardiovasculaires chez les jeunes adultes (voir notre article à ce sujet). Cette nouvelle tendance est surprenante, dans la mesure où la mortalité attribuable aux maladies cardiovasculaires est en baisse constante depuis plusieurs années dans la population générale (grâce notamment à une réduction du nombre de fumeurs et à l’amélioration des traitements) et on aurait pu s’attendre à ce que les jeunes bénéficient eux aussi de ces développements positifs.

Les données recueillies jusqu’à maintenant suggèrent fortement que l’augmentation de la prévalence de l’obésité chez les jeunes contribue à cette recrudescence de maladies cardiovasculaires prématurées, avant l’âge de 55 ans. D’une part, il a été montré qu’une prédisposition génétique à développer un surpoids durant l’enfance est associée à un risque accru de maladies coronariennes (et de diabète de type 2) à l’âge adulte. D’autre part, cette hausse du risque a également été observée dans les études à long terme où l’on examine l’association entre le poids des individus durant l’enfance et l’incidence d’accidents cardiovasculaires une fois qu’ils sont parvenus à l’âge adulte.   Par exemple, une grande étude danoise portant sur plus de 275,000 enfants d’âge scolaire (7 à 13 ans) a montré que chaque augmentation d’une unité du score z de l’IMC à ces âges (voir la légende de la Figure 2 pour la définition du score z) était associé à une hausse du risque de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte, après 25 ans (Figure 5).

Cette hausse du risque est directement proportionnelle à l’âge où les enfants sont en surpoids, c’est-à-dire que plus un IMC élevé est présent à des âges avancés, plus le risque de subir un accident cardiovasculaire plus tard à l’âge adulte est augmenté. Par exemple, une augmentation du score z de 1 chez les enfants de 13 ans est associée à une hausse deux fois plus élevée du risque à l’âge adulte qu’une augmentation similaire qui touche un enfant de 7 ans (Figure 5). Des résultats similaires sont observés pour les filles, mais la hausse du risque de maladies cardiovasculaires est plus faible que chez les garçons.

Figure 5. Relation entre l’indice de masse corporelle durant l’enfance et le risque de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte.  Les valeurs représentent les risques associés à une hausse de 1 unité du score z de l’IMC à chaque âge. Tiré de Baker et coll. (2007).

Athérosclérose précoce

Plusieurs études suggèrent que la hausse du risque de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte observées chez les enfants en surpoids est une conséquence du développement précoce de plusieurs facteurs de risque qui accélère le processus d’athérosclérose.  Des études d’autopsie d’adolescents obèses décédés de causes autres que cardiovasculaires (accidents, par exemple) ont révélé que des plaques d’athéromes fibreuses étaient déjà présentes au niveau de l’aorte et des artères coronaires, indiquant une progression anormalement rapide de l’athérosclérose.

Comme mentionné plus tôt, le diabète de type 2 est certainement le pire des facteurs de risque pouvant générer cette progression prématurée, car la grande majorité des enfants et adolescents diabétiques développent très rapidement plusieurs anomalies qui haussent considérablement le risque d’atteintes graves aux vaisseaux sanguins (Figure 3).  Mais même sans la présence d’un diabète précoce, les études montrent que plusieurs  facteurs de risque de maladies cardiovasculaires sont déjà présents chez les enfants en surpoids, qu’il s’agisse d’hypertension, de dyslipidémies,d’inflammation chronique, d’intolérance au glucose ou encore d’anomalies vasculaires (épaississement de la paroi interne de la carotide, par exemple).  Une exposition à ces facteurs qui débute dès l’enfance crée donc des conditions favorables au développement prématuré de l’athérosclérose, ce qui augmente par le fait même le risque d’accident cardiovasculaire à l’âge adulte.

Il faut cependant noter que l’impact négatif de l’obésité juvénile sur la santé à l’âge adulte n’est pas irréversible : les études montrent en effet que les personnes qui souffraient d’embonpoint ou étaient obèses durant l’enfance, mais qui présentaient un poids normal à l’âge adulte, ont un risque de maladies cardiovasculaires similaire à celui des personnes qui ont été minces toute leur vie.   Il est cependant extrêmement difficile de traiter l’obésité, autant durant l’enfance qu’à l’âge adulte, et le meilleur moyen d’éviter l’exposition chronique prolongée à l’excès de graisse et les dommages pour la santé cardiovasculaire (et la santé en général) qui en découle est évidemment de prévenir le problème à la source, en modifiant les facteurs du mode de vie qui sont étroitement associés à un risque accru de développer un surpoids, notamment la nature de l’alimentation et l’activité physique (le stress psychosocial pourrait également jouer un rôle).  Compte tenu des effets catastrophiques de l’obésité juvénile sur la santé, la santé cardiovasculaire en particulier,  le potentiel de cette approche préventive précoce (appelée « prévention primordiale ») est immense et pourrait permettre de mettre un terme à la hausse des cas de diabète et de mortalité prématurée touchant actuellement les jeunes adultes.

Santé cardiovasculaire idéale

Une étude récente montre à quel point cette approche de prévention primordiale peut avoir des répercussions extraordinaires sur la santé cardiovasculaire. Dans cette étude, les chercheurs ont déterminé le score de santé cardiovasculaire idéal, tel que défini par l’American Heart Association (Tableau 1), de plus de 3 millions de Sud-Coréens âgés en moyenne de 20-39 ans.  Le surplus de poids représente un élément très important de ce score en raison de son influence sur d’autres facteurs de risque également utilisés dans le score comme l’hypertension, l’hyperglycémie à jeun et le cholestérol.

Les participants ont été suivis pendant une période d’environ 16 ans et l’incidence de maladies cardiovasculaires prématurées (avant 55 ans) a été en utilisant comme critère principal (primary endpoint) une combinaison d’hospitalisation pour infarctus, un AVC, une insuffisance cardiaque ou une mort subite d’origine cardiaque.

Tableau 1. Paramètres utilisés pour définir le score de santé cardiovasculaire idéale. Puisqu’on compte 1 point pour chaque cible atteinte, un score de 6 reflète une santé cardiovasculaire optimale. Adapté de Lloyd-Jones et coll. (2010), en excluant les facteurs alimentaires qui n’ont pas été évalués dans l’étude coréenne.

Comme le montre la Figure 6, la santé cardiovasculaire au début de l’âge adulte exerce une influence déterminante sur le risque d’accidents cardiovasculaires qui surviennent de façon prématurée, avant l’âge de 55 ans.  Comparativement aux participants en très mauvaise santé cardiovasculaire au départ (score de 0), chaque cible additionnelle atteinte permet de diminuer le risque d’accidents cardiovasculaires, avec une protection maximale d’environ 85 %  chez les personnes dont le mode de vie permet d’atteindre 5 cibles de santé cardiovasculaire idéale ou plus (scores de 5 et 6).  Des résultats similaires ont été obtenus aux États-Unis et montrent à quel point la santé en bas âge, de l’enfance jusqu’au début de l’âge adulte, joue un rôle déterminant pour prévenir le développement des maladies cardiovasculaires au cours du vieillissement.

Figure 6. Influence de la santé cardiovasculaire des jeunes adultes sur le risque d’accidents cardiovasculaires prématurés. Tiré de Lee et coll. (2021).

Pourtant, notre société demeure étrangement passive face à la montée de l’obésité juvénile, un peu comme si l’augmentation du poids corporel des enfants et adolescents était devenue la norme et qu’on ne peut rien faire pour renverser cette tendance.  Ce désintérêt est vraiment difficile à comprendre, car la situation actuelle est une véritable bombe à retardement qui risque de provoquer dans un proche avenir un tsunami de maladies chroniques prématurées, affectant de jeunes adultes. Il s’agit d’un scénario extrêmement préoccupant si l’on considère que notre système de santé, en plus d’avoir à traiter les maladies qui touchent une population vieillissante (1 Québécois sur 4 aura plus de 65 ans en 2030), devra en plus composer avec des patients plus jeunes, atteints de maladies cardiométaboliques causées par le surpoids. Inutile de dire que ce sera un fardeau important pour les systèmes de soins….

Cette situation n’est cependant pas inévitable, car les gouvernements disposent de moyens législatifs concrets qui peuvent être utilisés pour tenter de renverser cette tendance. Tel que décrit précédemment, plusieurs politiques visant à améliorer la qualité du régime alimentaire pour prévenir les maladies peuvent être rapidement implantées :

  • Taxer les boissons sucrées. Une approche simple et directe qui a été adoptée par plusieurs pays est d’introduire une taxe sur les produits alimentaires industriels, en particulier les boissons gazeuses (voir notre article sur le sujet). Le principe est le même que pour toutes les taxes touchant d’autres produits nocifs pour la santé comme l’alcool et le tabac, c’est-à-dire qu’une hausse des prix est généralement associée à une diminution de la consommation.  Les études qui ont examiné l’impact de cette approche pour les boissons gazeuses indiquent que c’est effectivement le cas, avec des baisses de la consommation observée (entre autres) au Mexique, à Berkeley (Californie) ou encore aux Barbades.  Cette approche représente donc un outil prometteur, surtout si les montants récoltés sont réinvestis de façon à améliorer l’alimentation de la population (subventions pour l’achat de fruits et légumes, par exemple).
  • Exiger des étiquettes nutritionnelles claires sur les emballages. On peut aider le consommateur à faire un choix éclairé en indiquant clairement sur le devant du produit si celui-ci est riche en sucre, en gras ou en sel, comme c’est le cas au Chili (voir notre article à ce sujet).
  • Éliminer le marketing d’aliments malsains pour les enfants. L’exemple du Chili montre aussi qu’on peut imposer des restrictions sévères sur la commercialisation des produits de la malbouffe en interdisant les publicités de ces produits dans les émissions ou les sites web destinés aux jeunes, de même qu’en interdisant leur vente dans les écoles. Le Royaume-Uni prévoit adopter très bientôt une approche en ce sens en éliminant toute publicité sur l’internet et à la télévision de produits riches en sucre, sel et gras avant 21 heures, tandis que le Mexique est allé encore plus loin en interdisant carrément toutes les ventes des produits de la malbouffe aux enfants.

Il n’y a aucune raison pour que le Canada n’adopte pas des approches de ce type pour protéger la santé des jeunes.

Le vélo : un exercice particulièrement bénéfique pour la santé des diabétiques

Le vélo : un exercice particulièrement bénéfique pour la santé des diabétiques

EN BREF

  • L’exercice et l’activité physique apportent de nombreux bienfaits pour les personnes atteintes de diabète de type 2.
  • Parmi une grande cohorte de 110 944 personnes provenant de 10 pays européens, 7 459 personnes étaient atteintes du diabète de type 2, dont 37 % étaient des cyclistes.
  • Après un suivi de 5 ans, les chercheurs ont constaté que moins de morts prématurées et de morts causées par une maladie cardiovasculaire sont survenues proportionnellement chez les cyclistes que chez les non-cyclistes.
  • Les participants qui ont commencé à faire du vélo après le début de l’étude ont aussi vu leur risque de mortalité diminué significativement, ce qui montre qu’il n’est jamais trop tard pour se mettre au vélo et en tirer des bénéfices pour la santé.

Le diabète augmente le risque de développer une maladie cardiovasculaire et de mourir prématurément de cause cardiovasculaire et de toute cause. L’activité ou l’exercice physique pratiqués régulièrement réduit les facteurs de risque de maladie cardiovasculaire chez les diabétiques.

Bienfaits de l’exercice aérobique
Chez les diabétiques, l’entraînement aérobique (marche rapide, course, vélo, etc.) augmente la sensibilité à l’insuline, la densité mitochondriale (production d’énergie dans les cellules), la réactivité des vaisseaux sanguins, les fonctions immunitaires et pulmonaires et le débit cardiaque. De plus, l’entraînement régulier réduit le taux d’hémoglobine glyquée et de triglycérides sanguins, ainsi que la pression artérielle.

Bienfaits de l’exercice de résistance
Le diabète est un facteur de risque d’avoir un faible tonus musculaire, et il peut provoquer un déclin plus rapide de la force et de la fonction musculaire. Quelques mécanismes ont été proposés pour expliquer ce phénomène chez les diabétiques, incluant : 1) une dysfonction endothéliale secondaire aux taux de glucose élevés dans le sang qui causent une vasoconstriction des vaisseaux qui nourrissent les muscles et 2) une perturbation du métabolisme énergétique du muscle squelettique par le biais d’une dysfonction des mitochondries (éléments de la cellule qui produit son énergie).

Les bienfaits de l’entraînement en résistance (levée de poids, utilisation d’une bande de résistance, etc.) dans la population en général incluent des améliorations de la masse et de la force musculaire, de la condition physique, de la densité minérale osseuse, de la sensibilité à l’insuline, de la pression artérielle, du profil lipidique et de la santé cardiovasculaire. Pour les diabétiques (type 2), l’entraînement en résistance améliore le contrôle de la glycémie, la résistance à l’insuline, la pression artérielle, la force musculaire, la masse corporelle maigre vs masse adipeuse.

Bienfaits d’autres types d’exercice
Les personnes diabétiques sont particulièrement affectées par la perte de mobilité des articulations, une situation causée en partie par l’accumulation des produits terminaux de glycation qui survient lors du vieillissement normal, mais qui est accélérée par l’hyperglycémie. Les personnes diabétiques peuvent donc bénéficier d’exercices d’étirements qui leur permettent d’augmenter la souplesse et la mobilité de leurs articulations.

Vélo et risque de mortalité chez des diabétiques
Y a-t-il une activité physique plus bénéfique que d’autres pour améliorer la santé des diabétiques et réduire le risque de mort prématurée ? Une étude prospective auprès de 7 459 adultes diabétiques âgés de 55,9 ans en moyenne, a évalué s’il y a une association entre le temps passé à faire du vélo et la mortalité cardiovasculaire ou de toute cause. Les participants, qui étaient diabétiques depuis 7,7 années en moyenne au début de l’étude, ont répondu à des questionnaires détaillés au moment du recrutement et 5 ans après. En comparaison avec les participants qui ne faisaient pas du tout de vélo (0 minute/semaine), ceux qui en ont fait avaient un risque moins élevé de mortalité de toute cause, soit de 22 % (1 à 59 min/semaine) à 32 % (150 à 299 min/semaine). Des réductions du même ordre de grandeur (21 à 43 %) ont été observées pour la mortalité de cause cardiovasculaire. Ces diminutions du risque de mortalité étaient indépendantes des autres activités physiques rapportées par les participants et d’autres facteurs confondants (niveau de scolarité, tabagisme, adhérence au régime alimentaire méditerranéen, apport énergétique total, activité physique professionnelle).

Une autre question à laquelle les chercheurs de l’étude ont souhaité répondre est de savoir si le fait d’arrêter ou au contraire de commencer à faire du vélo durant le suivi de 5 ans a eu une conséquence sur le risque de mortalité des participants diabétiques. Les résultats indiquent que les participants qui se sont mis au vélo après le début de l’étude avaient un risque significativement moins élevé de mortalité cardiovasculaire et de toute cause, comparativement aux non-cyclistes. Les participants qui ont au contraire cessé de faire du vélo après le début de l’étude avaient un risque de mortalité prématurée similaire à celui des non-cyclistes. Il n’est donc jamais trop tard pour se mettre à la pratique du vélo et d’en tirer des bénéfices importants pour la santé, à condition que cet exercice soit pratiqué régulièrement, sans interruption.

D’autres chercheurs ont été étonnés du fait que l’association entre la pratique du vélo et la réduction du risque de mortalité soit indépendante de la pratique d’autres activités physiques. Ils font remarquer qu’il y a une relation entre la quantité d’activité physique et la réduction de la mortalité (4 % de réduction du risque par 15 minutes d’activité physique additionnelles par jour) pour les personnes en santé et les personnes atteintes d’une maladie cardiovasculaire selon des données probantes. Ils se demandent si un biais comparable à celui du « healthy worker effect » n’est pas en cause ici. Ce biais pourrait être causé dans ce cas-ci par le fait que les diabétiques qui font du vélo soient en meilleure santé que ceux qui n’en font pas, d’où une plus faible mortalité prématurée. Dans leur réponse à cette critique, les auteurs de l’étude disent être d’accord que les cyclistes pourraient être en meilleure santé que les non-cyclistes, mais ils disent avoir fait tout ce qu’ils pouvaient faire pour minimiser ce biais potentiel en ajustant les résultats pour tenir compte des facteurs de risques de mortalité prématurée, incluant le régime alimentaire, l’activité physique autre que le vélo, incidence d’infarctus du myocarde et de cancer, et en excluant les fumeurs, les anciens fumeurs et les personnes qui font du sport. Les auteurs concluent qu’ils sont persuadés que le vélo peut contribuer directement à diminuer la mortalité prématurée, mais que dans ce type d’étude il est toujours possible qu’il y ait des facteurs confondants connus ou inconnus.

Une étude antérieure avait déjà rapporté que le vélo avait des avantages par rapport à d’autres activités physiques. L’étude a été réalisée il y a une vingtaine d’années auprès de 30 640 participants dans la région de Copenhague au Danemark. Au cours des 14,5 années durant lesquelles il y a eu un suivi, les personnes qui se déplaçaient à vélo pour se rendre au travail avaient un risque 40 % moins élevé de mourir prématurément que les participants non cyclistes, après avoir tenu compte de possibles facteurs confondants, incluant la quantité d’activité physique durant les loisirs.

La pratique du vélo demande d’être en forme, un bon sens de l’équilibre et d’avoir les moyens financiers pour se procurer un vélo. De plus, il faut que la pratique du vélo puisse se faire dans un environnement sécuritaire, ce qui est de plus en plus possible avec l’ajout de pistes cyclables ces dernières années. Au Québec le vélo ne peut être pratiqué sécuritairement durant l’hiver, c’est-à-dire durant plus de 4 mois, mais il est heureusement possible de faire du vélo stationnaire à l’intérieur des logements ou dans les centres d’entraînement. Il y a un réel engouement pour la pratique du vélo ces dernières années, y compris le vélo à assistance électrique qui permet aux personnes plus âgées ou moins en forme de gravir les pentes sans trop d’effort. Souhaitons que cet engouement perdure afin que davantage de personnes en santé ou atteintes d’une maladie chronique puissent bénéficier des bienfaits pour la santé de cette activité physique extraordinaire.

 

 

Les bénéfices de l’huile d’olive extra-vierge sur la santé cardiovasculaire

Les bénéfices de l’huile d’olive extra-vierge sur la santé cardiovasculaire

EN BREF

  • En plus d’être une excellente source de gras monoinsaturés, l’huile d’olive est la seule huile végétale qui contient une quantité importante de composés phénoliques dotés de propriétés antioxydante et antiinflammatoires.
  • Ces molécules sont retrouvés en quantités beaucoup plus importantes dans les huiles de qualité extra-vierge comparativement aux huile d’olive raffinées.
  • Plusieurs études indiquent que la présence de ces composés phénoliques contribue aux nombreux effets positifs de l’huile d’olive extra-vierge sur la santé cardiovasculaire.

Le régime méditerranéen traditionnel exerce plusieurs effets positifs sur la santé cardiovasculaire en améliorant le profil lipidique (cholestérol, triglycérides) et en diminuant l’inflammation chronique, la pression artérielle, la glycémie et le risque de diabète. Plusieurs études ont clairement établi que ces effets se traduisent par une diminution significative du risque de maladies cardiovasculaires (voir notre article à ce sujet).

L’alimentation méditerranéenne est caractérisée par la consommation abondante d’aliments d’origine végétale (fruits, légumes, céréales de grains entiers, légumineuses, noix, aromates), un apport modéré en produits laitiers fermentés (yogourt, fromage), en poissons, fruits de mer et vin rouge ainsi qu’une consommation faible de viandes rouges et de sucres ajoutés. Il s’agit donc d’une alimentation exemplaire, dans laquelle les sucres complexes des végétaux sont les sources principales de glucides et d’où les protéines proviennent principalement des poissons et légumineuses au lieu des viandes rouges.

 

Une autre caractéristique importante du régime méditerranéen est l’utilisation quotidienne de quantités importantes (60-80 mL) d’huile d’olive comme principale source de corps gras pour cuisiner les aliments. Comme nous l’avons mentionné dans un autre article, plusieurs études ont rapporté que les pays qui sont de grands consommateurs d’huile d’olive ont une incidence de maladies cardiovasculaires beaucoup plus faible que ceux qui consomment principalement des gras d’origine animale, suggérant un rôle positif de l’huile d’olive dans cet effet protecteur. Traditionnellement, ces propriétés bénéfiques de l’huile d’olive ont été attribuées à son contenu très élevé (environ 80 %) en acide oléique, un acide gras monoinsaturé qui contribue à ses propriétés antioxydantes.  Cependant, et contrairement à la plupart des huiles végétales, l’huile d’olive contient également une foule de composés mineurs (1-3 % de l’huile) qui  jouent également des rôles très importants dans ses effets positifs sur la santé cardiovasculaire (voir plus loin).  C’est particulièrement le cas pour plusieurs composés phénoliques qui sont retrouvés exclusivement dans l’huile d’olive, notamment les alcools phénoliques comme l’hydroxytyrosol et le tyrosol et les polyphénols de la famille des sécoiridoïdes comme l’oleuropéine, le ligstoside, l’oléacine et l’oléocanthal (Figure 1).

Figure 1. Structures moléculaires des principaux composés phénoliques de l’huile d’olive.

 

Un fruit, plusieurs types d’huiles

La plupart des huiles végétales proviennent de graines qui ont été extraites avec un solvant organique (l’hexane, par exemple) et par la suite chauffées à haute température pour évaporer ce solvant et éliminer les impuretés qui leur donnent une odeur et une saveur indésirable.  Ces procédures draconiennes ne sont pas nécessaires pour l’huile d’olive : les olives sont simplement écrasées et l’huile contenue dans la pulpe est extraite par pression mécanique, sans utiliser de procédés chimiques ou de chaleur excessive.

Les huiles d’olive sont classifiées selon la qualité de l’huile qui est obtenue par ce pressage (Figure 2). Les huiles de bonne qualité, c’est-à-dire qui possèdent une faible acidité (< 2% d’acide oléique libre) et répondent à certains critères gustatifs (goût, amertume et caractère piquant) sont appelées huiles d’olive « vierges » ou, si leur acidité est inférieure à 0,8 %, « extra-vierges ». Ces huiles contiennent la majorité des polyphénols des olives de départ et, après centrifugation et filtration, peuvent être consommées telles quelles.

Par contre, certaines variétés d’olives donnent une huile de qualité inférieure en raison d’une acidité trop élevée (> 2%) et/ou d’une odeur et d’un goût désagréables qui ne satisfont pas les critères établis. Ces huiles impropres à la consommation sont dites « lampantes » (un nom qui vient de leur utilisation ancienne comme combustible dans les lampes à huile) et doivent être raffinées comme on le fait pour d’autres huiles végétales, c’est-à-dire en utilisant différentes procédures physicochimiques (neutralisation avec de la soude, décoloration et désodorisation à haute température, extraction à l’hexane, etc.).  Ces étapes permettent d’éliminer les composés responsables de l’excès d’acidité et du goût déplaisant de l’huile et produisent une huile d’olive « neutre » qui a perdu son acidité et ses défauts, mais qui est désormais dépourvue de l’odeur, la saveur, la couleur et de la plupart des composants phénoliques de l’huile d’olive vierge de départ.  Pour stabiliser ces huiles et améliorer leur goût, on ajoute par la suite une certaine proportion (15-20%) d’huile d’olive vierge et le produit final, qui est donc un mélange d’huile d’olive raffinée et d’huile d’olive vierge, est ce qui est vendu en épicerie sous le nom d’ « huile d’olive pure » ou encore simplement d’« huile d’olive ».

En somme, il y a trois grands types d’huile d’olive sur le marché : l’huile d’olive vierge (VOO, pour virgin olive oil), l’huile d’olive extra-vierge (EVOO, pour extra-virgin olive oil) et l’huile d’olive régulière (OO, pour olive oil).

Figure 2.  Les différents types d’huile d’olive. Tiré de Gorzynik-Debicka et coll. (2018).

 

Ces différences de fabrication ont évidemment d’énormes répercussions sur la quantité de polyphénols présents dans les huiles vierges, extra-vierges et raffinées (Tableau 1). Pour les huiles d’olive de type OO (qui contiennent des huiles raffinées), les polyphénols proviennent exclusivement de l’huile d’olive vierge qui a été ajoutée pour redonner un minimum de goût et de couleur (de jaune à verdâtre) à l’huile traitée chimiquement.  La quantité de ces polyphénols est donc forcément moindre que dans les huiles VOO et EVOO et, en règle générale, ne dépasse pas 25-30 % du contenu des ces dernières.  Cette différence est particulièrement frappante pour certains polyphénols de la famille des sécoiridoïdes (oleuropéine, oléocanthal, oléacine et ligsroside) dont les concentrations sont de 3 à 6 fois plus importantes dans l’huile EVOO que dans l’huile OO (Tableau 1). Mentionnons toutefois que ces valeurs peuvent varier énormément selon la provenance et le cultivar des olives; par exemple, on a observé que certaines huiles d’olive extra-vierge pouvaient contenir jusqu’à 10 fois plus d’hydroxytyrosol et de tyrosol que les huiles d’olive régulières. Même chose pour d’autres polyphénols comme l’oléocanthal: une analyse de 175 huiles d’olive extra-vierges distinctes provenant de Grèce et de Californie a révélé des variations spectaculaires entre les différentes huiles, avec des concentrations de la molécule  allant de 0 à 355 mg/kg.

Il faut aussi mentionner que même si les quantités de composés phénoliques de l’huile OO ordinaire sont moindres que celles retrouvées dans les huiles vierges et extra-vierges, elles dépassent néanmoins largement celles présentes dans d’autres huiles végétales (tournesol, arachide, canola, soja) qui n’en contiennent que très peu ou pas du tout.

FamilleMoléculesOO (mg/kg)VOO (mg/kg)EVOO (mg/kg)
SécoiridoïdesOléocanthal38,95 ± 9,2971,47 ± 61,85142,77 ± 73,17
Oléacéine57,37 ± 27,0477,83 ± 256,09251,60 ± 263,24
Oleuropéine (aglycone)10,90 ± 0,0095,00 ± 116,0172,20 ± 64,00
Ligstroside (aglycone)15,20 ± 0,0069,00 ± 69,0038,04 ± 17,23
Alcools phénoliquesHydroxytyrosol6,77 ± 8,263,53 ± 10,197,72 ± 8,81
Tyrosol4,11 ± 2,245,34 ± 6,9811,32 ± 8,53
FlavonoïdesLutéoline1,17 ± 0,721,29 ± 1,933,60 ± 2,32
Apigénine0,30 ± 0,170,97 ± 0,7111,68 ± 12,78
Acides phénoliquesp-coumarique -0,24 ± 0,810,92 ± 1,03
férulique -0,19 ± 0,500,19 ± 0,19
cinnamique - -0,17 ± 0,14
cafféique -0,21 ± 0,630,19 ± 0,45
protocatéchique -1,47 ± 0,56 -

Tableau 1. Comparaison du contenu en composés phénoliques de l’huile d’olive (OO), l’huile d’olive vierge (VOO) et l’huile d’olive extra-vierge (EVOO). Veuillez noter que les écarts-types importants des valeurs moyennes réflètent les énormes variations du contenu en polyphénols selon la région, le cultivar, le degré de maturation des fruits et le procédé de fabrication des huiles d’olive. Adapté de Lopes de Souza et coll. (2017).

Piquant antiinflammatoire

Les quantités de polyphénols contenues dans une bouteille d’huile d’olive ne sont pas indiquées sur son étiquette, mais il est cependant possible de détecter leur présence simplement en goûtant l’huile.  Les polyphénols de l’huile d’olive sont en effet essentiels aux sensations organoleptiques si caractéristiques à cette l’huile, en particulier la  sensation de chatouillement ou de piquement au niveau de la gorge provoquée par les huiles extra-vierges de bonne qualité, ce que les connaisseurs appellent l’« ardence ».  Loin d’être un défaut, cette ardence est au contraire considérée par les experts comme un signe d’une huile de qualité supérieure et, dans les concours de dégustation, les huiles les plus « piquantes » sont souvent celles qui reçoivent les plus grands honneurs.

Il est intéressant de noter que c’est d’ailleurs en dégustant différentes huiles d’olive qu’un scientifique est parvenu, par un étrange concours de circonstances, à identifier la molécule responsable de la sensation de piquant provoquée par l’huile d’olive extra-vierge (voir encadré).

Ibuprofène végétal

On dit que le hasard fait parfois bien les choses, et c’est vraiment le cas en ce qui concerne la découverte de la molécule responsable de l’irritation typique causée par l’huile d’olive. En voyage en Sicile pour assister à un congrès sur les propriétés organoleptiques de différents aliments, le Dr Gary Beauchamp et ses confrères ont été invités par les organisateurs de l’événement à un repas où on proposait aux hôtes de déguster l’huile d’olive extra-vierge provenant des oliviers cultivés sur leur domaine. Même si c’était la première fois qu’il goûtait à ce type d’huile d’olive, le Dr Beauchamp a immédiatement été frappé par la sensation de picotement au niveau de la gorge qui était en tout point semblable à celle provoquée par l’ibuprofène et qu’il avait expérimentée à de multiples reprises dans le cadre de son travail visant à remplacer l’acétominophène par l’ibuprofène dans les sirops contre la toux. Soupçonnant que l’huile d’olive contenait un antiinflammatoire similaire, le Dr Beauchamp et son équipe sont par la suite parvenus à isoler la molécule responsable de cette irritation, un polyphénol qu’ils ont appelé « oléocanthal ». Ils ont par la suite découvert que l’oléocanthal possédait, tout comme l’ibuprofène, une puissante action antiinflammatoire et que la consommation régulière d’huile d’olive extra-vierge, riche en oléocanthal, procurait un apport équivalent à environ 10 mg d’ibuprofène et pourrait donc contribuer aux effets anti-inflammatoires bien documentés du régime méditerranéen.

Mais pourquoi la sensation piquante de l’huile d’olive est-elle ressentie seulement au niveau de la gorge ? Selon les travaux réalisés par le même groupe, cette localisation exclusive serait due à une interaction spécifique de l’oléocanthal (et de l’ibuprofène, d’ailleurs) avec un sous-type de récepteur sensible à la chaleur (TRPA1). Contrairement aux autres types de récepteurs à la chaleur qui sont distribués uniformément dans la cavité buccale (le récepteur TRPV1 activé par la capsaïcine des piments chilis, par exemple, et qui est la cause de la sensation de brûlure de certains plats particulièrement pimentés), le récepteur TRPA1 est quant à lui localisé uniquement dans le pharynx et son activation par l’oléocanthal provoque un influx nerveux signalant la présence d’un irritant uniquement dans cette région.  En somme, plus une huile d’olive pique au fond de la gorge, plus elle contient d’oléocanthal et plus elle est dotée de propriétés anti-inflammatoires. En règle générale, les huiles d’olive extra-vierges contiennent plus d’oléocanthal (et de polyphénols en général) que les huile d’olive vierges (voir le Tableau 1) et sont donc considérées comme supérieures, autant pour leur goût que pour leurs effets positifs sur la santé.

La supériorité de l’huile d’olive extra-vierge

Plusieurs études ont montré que le contenu plus élevé en polyphénols de l’huile d’olive extra-vierge était effectivement corrélé avec un effet positif plus important sur plusieurs paramètres de la santé cardiovasculaire que celui observé pour l’huile d’olive régulière (voir Tableau 2).  Par exemple, des études épidémiologiques réalisées en Espagne ont rapporté une baisse d’environ 10-14 % du risque de maladies cardiovasculaires  chez les consommateurs réguliers d’huile d’olive extra-vierge, alors que la consommation d’huile d’olive régulière n’avait aucun effet significatif. Un rôle des composés phénoliques est également suggéré par l’étude EUROLIVE où on a comparé l’effet de l’ingestion quotidienne, pendant une période de 3 semaines, de 25 mL d’huiles d’olive contenant des quantités faibles (2.7 mg/kg), moyenne (164 mg/kg) ou élevées (366 mg/kg) de polyphénols. Les résultats montre qu’un apport accru en polyphénols est associé à une amélioration de deux importants facteurs de risque de maladies cardiovasculaires, soit une hausse de la concentration de cholestérol-HDL et une baisse des taux de cholestérol-LDL oxydés.  Collectivement, les données recueillies par les études d’intervention indiquent que les polyphénols présents dans l’huile d’olive extra-vierge jouent un rôle extrêmement important dans les effets positifs de l’huile d’olive sur la santé cardiovasculaire.

Paramètre mesuréRésultatsSources
Incidence de maladie cardiovasculaireDiminution de 10 % du risque pour chaque 10 g/jour de EVOO. Aucun effet de OO régulière. Guasch-Ferré et coll. (2014)
Diminution de 14 % du risque pour chaque 10 g/jour de EVOO. Aucun effet de OO régulière. Buckland et coll. (2012)
Profil lipidiqueHausse linéaire du cholestérol-HDL en fonction de la quantité de polyphénols.Covas et coll. (2006)
Hausse du cholestérol-HDL seulement observée avec EVOO.Estruch et coll. (2006)
GlycémieEVOO améliore le profil glycémique postprandial (diminution des taux de glucose et hausse d’insuline).Violo et coll. (2015)
EVOO riche en polyphénols réduit la glycémie à jeûn et les taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c) chez les patients diabétiques.Santagelo et coll. (2016)
InflammationEVOO, mais non OO, induit une diminution de marqueurs inflammatoires (TXB(2) et LTB(4)).Bogani et coll. (2017)
EVOO, mais non OO, induit une diminution de IL-6 et CRPFitó et coll. (2007)
EVOO, mais non OO, diminue l’expression de plusieurs gènes inflammatoires. Camargo et coll. (2010)
EVOO, mais non OO, diminue les taux des marqueurs inflammatoires sICAM-1 and sVCAM-1.Pacheco et coll. (2007)
Stress oxydatifForte activité antioxydante des composés phénoliques de l’huile d’olive in vitro.Owen et coll. (2000)
Diminution linéaire des taux de LDL oxydés en fonction de la quantité de polyphénols.Covas et coll. (2006)
Taux de LDL oxydés plus faibles après ingestion de EVOO comparativement à OO. Ramirez-Tortosa et coll. (1999)
Les composés phénoliques de EVOO se lient aux particules de LDL et les protègent de l’oxydation. de la Torre-Carbot et coll. (2010)
EVOO induit la production d’anticorps neutralisants contre les LDL oxydés.Castañer et coll. (2011)
EVOO diminue les taux urinaires de 8-isoprostane, un marqueur du stress oxydatif.Visioli et coll. (2000)
EVOO influence positivement le statut oxydant/antioxydant du plasmaWeinbrenner et coll. (2004)
Pression artérielleEVOO provoque une diminution des pressions systolique et diastolique chez des femmes hypertendues.Ruíz-Gutiérrez et coll. (1996)
EVOO, mais non OO, provoque une diminution de la pression systolique chez des patients coronariens hypertendus.Fitó et coll. (2005)
EVOO améliore la dilation endothéliale post-prandiale. Ruano et coll. (2005)
EVOO augmente le vasodilatateur NO et diminue les pressions systolique et diastolique. Medina-Remón et coll. (2015)
EVOO, mais non OO, améliore la dilatation des vaisseaux chez des patients prédiabétiques.Njike et coll. (2021)
EVOO, mais non OO, diminue de 2,5 mm Hg la pression systolique chez des volontaires en bonne santé. Sarapis et coll. (2020)

Tableau 2. Exemples d’études comparant l’effet de EVOO et OO sur plusieurs paramètres de la santé cardiovasculaire.

En plus de ses multiples actions directes sur le coeur et les vaisseaux, il faut aussi noter que l’huile d’olive extra-vierge pourrait également exercer un effet bénéfique indirect, en bloquant la formation du métabolite trimethylamine N-oxide (TMAO) par les bactéries intestinales.  Plusieurs études ont montré que ce TMAO accélère le développement de l’athérosclérose dans les modèles animaux et est associé avec une hausse du risque d’accidents cardiovasculaires dans les études cliniques. Les huiles d’olive extra-vierges (mais non les huiles d’olive régulières) contiennent du 3,3-dimethyl-1-butanol (DMB), une molécule qui bloque une enzyme clé impliquée dans la production de TMAO et empêche le développement de l’athérosclérose dans les modèles animaux soumis à un régime alimentaire riche en protéines animales. L’ensemble de ces observations montre qu’il n’y a que des avantages à privilégier l’utilisation d’huile d’olive extra-vierge, autant pour son goût supérieur que ses effets positifs sur la santé cardiovasculaire.

Le goût légèrement piquant au niveau de la gorge de l’huile d’olive extra-vierge peut déplaire à certaines personnes, mais il est intéressant de noter que cette irritation est considérablement diminuée lorsque l’huile est mélangée à d’autres alimentsSelon une étude récente, cette atténuation du goût piquant serait due à l’interaction des polyphénols de l’huile avec les protéines des aliments, ce qui bloque l’activation des récepteurs à la chaleur qui sont normalement activés par ces polyphénols.  Les personnes qui hésitent à utiliser l’huile d’olive extra-vierge en raison de son côté irritant peuvent donc contourner ce problème et tout de même profiter des bienfaits de ces huiles simplement en l’utilisant comme corps gras principal lors de la préparation des repas.