Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.22 mars 2023
Les médicaments et les mesures invasives comme la revascularisation (pose d’endoprothèses vasculaires ou stents) permettent de sauver un grand nombre de patients coronariens, c’est-à-dire qui ont subi un infarctus du myocarde ou un autre syndrome coronarien aigu. Par contre, ces patients demeurent généralement à haut risque de récidive s’ils ne s’attaquent pas aux causes responsables de leur maladie coronarienne, qui sont dans la majorité des cas liés à certains aspects de leur mode de vie (tabagisme, sédentarité, stress chronique, mauvaise alimentation).
Un des facteurs qui a reçu le plus d’attention au cours des dernières décennies est la nature de l’alimentation. Étant donné le rôle des gras saturés dans le développement des plaques responsables de l’athérosclérose (le blocage des artères coronaires qui mène à l’infarctus), la réduction des graisses alimentaires s’est imposée dès le départ comme l’approche standard pour réduire le risque de récidives chez les patients coronariens. Ces régimes « low-fat » ont évolué avec le temps, notamment pour y inclure des glucides complexes (grains entiers, légumineuses) afin d’obtenir un apport adéquat en fibres, mais visent d’abord et avant tout à réduire l’apport total en gras à 25-30 % des calories quotidiennes et celui en gras saturés à moins de 10 % .
Régime méditerranéen
Nous avons discuté à maintes reprises des nombreuses études qui ont clairement montré que l’alimentation de type méditerranéenne était associée à une réduction du risque de maladies cardiovasculaires (voir ici et ici, par exemple). Ce mode d’alimentation se caractérise par son contenu élevé en aliments végétaux non transformés (céréales complètes, légumes, fruits, légumineuses, noix et huile d’olive extravierge), un apport modéré en poisson/crustacés et un apport faible en viandes rouges et charcuteries et en graisses d’origine animale.
La principale caractéristique du régime méditerranéen demeure cependant l’utilisation abondante d’huile d’olive extravierge comme source principale de graisses alimentaires, ce qui peut mener à un apport total en gras aux environs de 40 % des calories totales, donc bien au-delà de celui des régimes faibles en gras utilisé pour réduire le risque d’accidents cardiovasculaires chez les patients coronariens. Cependant, loin d’être problématique, cet apport élevé en gras insaturés semble au contraire être bénéfique pour la prévention des maladies cardiovasculaires, autant en prévention primaire, chez les personnes qui n’ont pas d’antécédents d’accidents cardiovasculaires, qu’en prévention secondaire, chez les patients coronariens qui ont déjà subi un infarctus ou qui sont à très haut risque de subir ces accidents. Par exemple, les résultats de l’étude PREDIMED montrent qu’un apport élevé en gras insaturés, provenant des noix ou de l’huile d’olive, était associé à une diminution significative du risque de maladie cardiovasculaire. Cet effet protecteur des gras insaturés a également été observé dans l’étude de Lyon, réalisée auprès de 605 survivants d’un infarctus du myocarde : l’addition d’acide linolénique (un oméga-3 à courte chaine présent dans les végétaux) à l’alimentation des patients a provoqué une diminution très importante (73%) de récidives d’évènements CV après un infarctus du myocarde, incluant la mortalité cardiaque.
Autrement dit, il semble que c’est beaucoup plus la nature que la quantité de gras de l’alimentation qui importe et qu’un apport élevé en gras insaturés pourrait s’avérer supérieur à une alimentation faible en gras pour réduire significativement le risque de maladies cardiovasculaires, incluant chez les personnes à haut risque en raison d’antécédents d’infarctus du myocarde. Dans ce dernier cas, par contre, les bénéfices concrets de l’alimentation méditerranéenne sur le risque de récidives demeurent mal compris puisqu’aucune étude d’envergure portant spécifiquement sur les patients coronariens n’a été réalisée depuis près de 25 ans, soit depuis l’étude de Lyon.
Étude CORDIOPREV
C’est dans ce contexte que les résultats de l’étude CORDIOPREV, récemment publiés dans le prestigieux Lancet, arrivent à point nommé et pourrait permettre de diminuer les risques élevés de récidives qui affectent les patients coronariens. Cette étude, réalisée en Espagne auprès de 1002 patients atteints d’une maladie coronarienne et qui ont été suivis pendant une période de 7 ans, a comparé les impacts d’une alimentation « standard » faible en gras ou de type méditerranéen sur le risque des patients de subir un accident cardiovasculaire (infarctus du myocarde, AVC, revascularisation, maladie artérielle périphérique ou mortalité d’origine cardiovasculaire).
Les participants ont été répartis aléatoirement entre les 2 groupes et encadrés par une équipe de nutritionnistes pour qu’ils adhèrent autant que possible au régime alimentaire qui leur avait été assigné (Tableau 1). Pour le groupe « low-fat », les principales consignes étaient évidemment de limiter l’apport en matières grasses (huile végétale, noix, poissons gras, œufs) et de hausser celui d’aliments riches en glucides (céréales, légumineuses), tandis que les participants du groupe méditerranéen étaient au contraire encouragés à hausser leur apport en gras insaturés, principalement sous forme d’huile d’olive extra-vierge, de noix et de poissons gras (saumon et sardines, par exemple). Dans les deux cas, on encourageait les participants à consommer 5 portions et plus de fruits et de légumes et de limiter l’apport en viandes rouges et charcuteries (en privilégiant les volailles maigres comme source de viande), en pâtisseries et desserts et en boissons sucrées.
Dans l’ensemble, il s’agissait donc de deux régimes alimentaires d’excellente qualité, riches en végétaux et faibles en gras saturés (< 10%) et en sucres simples. La principale différence entre les deux régimes est la consommation plus élevée de matières grasses insaturées dans le régime méditerranéen, qui atteint 40 % des calories totales (incluant 22 % sous forme de monosaturés), tandis que le régime « low-fat » est principalement composé de glucides (46 % des calories totales) et relativement faible en gras (32 % des calories totales, incluant 12% de monoinsaturés).
Aliments | Régime méditerranéen | Régime faible en gras |
Huiles | ≥ 4 c. à s. par jour d’huile d’olive extra-vierge (40-60 g/j) | ≤ 2 c. à s. par jour d’huile végétale (20-30 g/j) |
Céréales,pommes de terre et légumineuses | 6 portions de céréales (grains entiers) par jour
≥ 3 portions légumineuses par jour | 6 à 11 portions de céréales (préférablement grains entiers), pommes de terre et légumineuses par jour |
Fruits | ≥ 3 portions de fruits frais par jour | ≥ 3 portions de fruits frais, congelés ou en conserve par jour |
Légumes | ≥ 2 portions de légumes frais par jour (au moins 1 portion crue ou sous forme de salade) | ≥ 2 portions de légumes frais, congelés ou en conserve par jour |
Produits laitiers | 2 portions par jour | 2-3 portions de produits faibles en gras ou dépourvus de gras par jour |
Noix | ≥ 3 portions par semaine | ≤ 1 portion par semaine |
Poissons et fruits de mer | ≥ 3 portions par semaine (poissons gras de préférence) | Choisir des poissons maigres; ≤ 1 portion de poisson gras par semaine |
Viandes rouges et charcuteries | ≤ 1 portion par semaine (privilégier les volailles maigres) | 1 portion max. par semaine (privilégier les volailles maigres) |
Œufs | 2-4 œufs par semaine | ≤ 2 œufs par semaine |
Beurre et margarine | À éviter | ≤ 1 portion par semaine |
Vin | 1 verre par jour pour les femmes, 2 verres par jour pour les hommes (si consommation habituelle d’alcool) | À éviter |
Pâtisseries et desserts | ≤ 1 portion par semaine | ≤ 1 portion par semaine |
Boissons sucrées | ≤ 1 portion par jour | ≤ 1 portion par jour |
Techniques culinaires | Utiliser l’huile d’olive extra-vierge comme corps gras principal, par exemple pour la confection de sofrito*. | Cuire les aliments dans un minimum de gras (microonde, étuve, bouilli). |
Tableau 1. Principales recommandations alimentaires pour les deux groupes de l’étude. Notez que la principale différence entre les deux régimes est la quantité plus élevée de gras insaturés (huile d’olive, noix) consommée dans le cadre de l’alimentation méditerranéenne. * Le sofrito est une préparation de légumes et d’aromates (fines herbes, ail) cuite dans l’huile d’olive à feu très doux.
Protection cardiovasculaire
Les résultats obtenus montrent que cette différence dans l’apport en gras insaturés a des répercussions importantes sur le risque des patients coronariens de subir un accident cardiovasculaire. Les chercheurs ont en effet observé que le groupe « méditerranéen » avait, globalement, un risque d’accidents réduit de 27 % comparativement au groupe « low-fat », une diminution qui atteint 33 % chez les hommes (Figure 1). Chez les personnes qui adhéraient le plus fortement au régime méditerranéen, cette protection est même de 40%, ce qui est considérable si l’on considère que ces personnes sont considérées comme étant à très haut risque de maladies cardiovasculaires. Ces résultats confirment donc la supériorité du régime méditerranéen sur les régimes faibles en gras pour réduire les risques de récidives d’accidents cardiovasculaires chez les patients coronariens.

Figure 1. Comparaison de l’incidence d’accidents cardiovasculaires chez les hommes coronariens soumis à un régime faible en gras (bleu) ou un régime méditerranéen (rouge). Notez la réduction significative (33%) du risque d’accidents associée à l’adhérence au régime méditerranéen. Tiré de Delgado-Vista et coll. (2022).
La protection offerte par le régime méditerranéen observée dans l’étude est particulièrement impressionnante pour deux raisons :
- La comparaison avec un régime « low-fat » de grande qualité. L’alimentation faible en gras prescrite au groupe contrôle peut être considérée comme un régime d’excellente qualité en raison de sa richesse en végétaux (fruits, légumes, légumineuses) et de son apport réduit en gras saturés et en sucres simples. D’ailleurs, comme l’ont noté les auteurs, la mortalité de ce groupe contrôle est réduite de moitié comparativement à ce que l’on observe habituellement dans les essais cliniques auprès de populations de patients coronariens à haut risque de récidives. La capacité du régime méditerranéen à réduire encore davantage le risque d’accidents cardiovasculaires comparativement à cette alimentation contrôle de grande qualité représente donc un exemple éclatant des bénéfices cardiovasculaires associés à l’alimentation méditerranéenne.
- L’état de santé des patients recrutés dans l’étude. Ces bénéfices sont d’autant plus marquants qu’ils touchent des patients coronariens à très haut risque de récidive en raison de la présence d’un grand nombre de facteurs de risques affectant cette population (Tableau 2).
Caractéristiques | % des participants |
Antécédent d’infarctus du myocarde | 62 % |
Antécédent de revascularisation (angioplastie coronarienne ) | 91 % |
Antécédent de pontage coronarien | 3 % |
Diabète | 54 % |
Hypertension | 68 % |
Syndrome métabolique | 58 % |
Obésité (IMC>30) | 100 % |
Tableau 2. Principales caractéristiques de la population à l’étude.
Ces patients étaient aussi fortement médicamentés, la totalité d’entre eux étant traités avec des statines ou autres agents hypocholestérolémiants, 98 % avec des anticoagulants, 83 % avec des antihypertenseurs et 80 % avec des bêta-bloquants. En d’autres mots, en dépit d’un état de santé assez précaire et d’une médication agressive, l’adhérence de ces patients coronariens au régime méditerranéen est tout de même parvenue à diminuer significativement le risque d’accidents cardiovasculaires.
Ces observations illustrent à quel point l’adoption d’un mode de vie sain, particulièrement au point de vue alimentaire, peut avoir des répercussions positives sur la santé cardiovasculaire, et ce même chez les personnes à très haut risque.
Dr Louis Bherer, Ph. D., NeuropsychologueProfesseur titulaire, Département de Médecine, Université de Montréal, Directeur adjoint scientifique à la direction de la prévention, chercheur et Directeur du Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal.1 mars 2023
Une bonne mémoire est essentielle pour bien fonctionner dans la vie quotidienne. En vieillissant, la plupart d’entre nous continueront d’avoir une bonne mémoire. Nos connaissances générales et nos compétences sont en général maintenues toute la vie et peuvent même s’améliorer à un âge avancé. Mais la mémoire des événements précis, qu’on appelle la mémoire épisodique, est plus sensible au vieillissement, ce qui peut diminuer la qualité de vie et la productivité au travail. Les pertes de mémoire qui surviennent chez les personnes âgées sont la plupart du temps bénignes, et peuvent être inversées ou stabilisées plutôt que de progresser vers un état pathologique. La prévention et le ralentissement du déclin de la mémoire lié au vieillissement sont donc très importants pour les personnes âgées.
Les études indiquent que plusieurs facteurs peuvent affecter la mémoire, incluant le processus de vieillissement, le génotype de l’apolipoprotéine E ε4 (APOE4), les maladies chroniques et les habitudes de vie. Les habitudes de vie étant un facteur modifiable, il a retenu l’attention des instances de santé publique puisque des changements relativement aisés à réaliser peuvent améliorer considérablement aussi bien la santé en général que la santé cognitive.
Une étude prospective de type longitudinale a récemment tenté de cerner quel est le mode de vie optimal qui protège les personnes âgées contre le déclin de la mémoire. L’étude a été réalisée auprès de participants de la cohorte China Cognition and Aging Study, âgés de 60 ans ou plus et provenant de 12 provinces de la Chine. Les 29 072 participants avaient un âge moyen de 72,2 ans lors du recrutement et ne présentaient pas de déficit cognitif léger ou de démence au début de l’étude d’une durée de 10 ans. Environ un cinquième (20,4 %) des participants étaient porteurs de l’allèle APOE4, un facteur de risque génétique pour la maladie d’Alzheimer et autres démences.
Les informations sur le mode de vie des participants ont été recueillies à l’aide de questionnaires détaillés, au début de l’étude et à d’autres occasions dans les années suivantes. Six facteurs modifiables du mode vie ont été évalués : exercice physique, régime alimentaire, consommation d’alcool, tabagisme, activité cognitive et contacts sociaux (voir Tableau 1).
Tableau 1. Critères retenus pour un mode de vie sain (Jia et coll., 2023)
Facteur | Paramètres | Critère retenu pour un mode vie sain |
Exercice physique | Fréquence, intensité, durée | ≥ 150 min d’exercice modéré ou ≥ 75 min d’exercice intense par semaine |
Régime alimentaire | Consommation de 12 types d’aliments (fruits, légumes, poissons, viande, produits laitiers, sel, huile, œufs, céréales, légumineuses, noix, thé) | Consommation quotidienne d’au moins 7 des 12 types d’aliments |
Consommation d’alcool | • Non-buveur
• Consommation faible à élevée (1-60 gramme d’alcool par jour)
• Consommation excessive (> 60 g/jour) | Non-buveur |
Tabagisme | • Non-fumeur (<100 cigarettes à vie)
• Ex-fumeur (arrêt depuis ≥ 3 ans)
• Fumeur | Non-fumeur ou ex-fumeur |
Activité cognitive | Exemples : écriture, lecture, jeux de cartes, mah-jong et autres jeux. | Participation à au moins 2 activités par semaine |
Contacts sociaux | Exemples : réunions, fêtes, visites chez des amis ou des membres de la famille, voyages, conversation en ligne. | Participation à au moins 2 activités par semaine |
Les participants ont été catégorisés en trois groupes : « favorable » (4-6 facteurs d’un mode de vie sain), « moyen » (2-3 facteurs), ou « défavorable » (0-1 facteur). La mémoire épisodique verbale a été évaluée par le test Auditory Verbal Learning Test (AVLT), qui inclut des mesures de rappel libre immédiat, à très court terme (3 minutes), à long terme (30 minutes) et de reconnaissance à long terme (30 min).
Durant les dix années de l’étude, les participants du groupe au mode de vie favorable ont eu un déclin de la mémoire plus lent que ceux du groupe au mode de vie défavorable (0,028 points AVLT/année, 95% IC 0,023-0,032). Parmi les participants porteurs de l’allèle APOE4, ceux du groupe au mode de vie favorable ont aussi eu un déclin de la mémoire plus lent que ceux au mode de vie défavorable (0,027 point AVLT/année, 95% IC 0,023-0,031). Avoir un mode de vie sain serait donc un facteur qui peut aider à ralentir la perte de mémoire, aussi bien chez les porteurs de l’allèle APOE4 que chez les non-porteurs.
Contribution de chacun des facteurs
Les chercheurs ont aussi évalué la contribution de chacun des six facteurs associés à un mode de vie sain sur le déclin de la mémoire. Une alimentation saine est le facteur qui a eu le plus grand effet sur la mémoire (β=0,016, 95% IC 0,014-0,017), suivi par la pratique d’activités cognitives (β=0,010, 95% IC 0,008-0,012), l’exercice physique (β=0,007, 95% IC 0,005-0,009), les contacts sociaux (β=0,004, 95% IC 0,002-0,006), le tabagisme (β=0,004, 95% IC 0,000-0,008) et la consommation d’alcool (β=0,002, 95% IC 0,000-0,004).
Déclin cognitif et démence
En comparaison aux participants qui avaient un mode vie « défavorable », ceux qui avaient un mode de vie « favorable » étaient 89 % moins à risque de développer un déficit cognitif léger ou une démence. Pour les participants au mode de vie « moyen », le risque était 29 % moindre. Des résultats similaires ont été obtenus parmi les participants porteurs de l’allèle APOE4.
La nature de l’étude, observationnelle, ne permet pas d’établir de lien de cause à effet entre le mode de vie et le déclin de la mémoire. De plus, cette étude comporte certaines limites, car le mode de vie était évalué à partir de questionnaire d’autodéclaration. De plus, un biais de sélection ne peut pas être exclu puisque certains participants ont cessé de prendre part à l’étude au cours des 10 années de suivi. Néanmoins, c’est une étude de grande envergure et d’une durée relativement longue, ce qui a permis de bien évaluer certains aspects de la mémoire dans le temps. Les auteurs sont d’avis que les résultats de l’étude sont solides et qu’ils suggèrent fortement qu’adopter un mode de vie sain, incluant plusieurs comportements favorables, serait associé à un déclin plus lent de la mémoire, même chez les personnes qui sont génétiquement à risque de développer une démence ou un trouble cognitif majeur.
Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.30 janvier 2023
Ceci est une mise jour d’un article initialement publié en 2018
Bien que l’alcool fasse partie du quotidien de l’humanité depuis des millénaires, cette substance est loin d’être inoffensive et exerce même des effets très complexes sur la santé. Cette complexité est bien illustrée par la relation en « J » qui existe entre la quantité d’alcool ingérée et le risque de mort prématurée observée dans un grand nombre d’études épidémiologiques : par exemple, une étude de grande envergure, réalisée auprès de plus de 300,000 personnes suivies pendant près de 10 ans, montre que la consommation modérée d’alcool (de 3 à 14 verres par semaine pour les hommes et de 3 à 7 verres pour les femmes) est associée à une diminution d’environ 20 % du risque de mortalité toute cause comparativement aux personnes qui n’ont jamais bu d’alcool de leur vie (Figure 1). Cette fenêtre protectrice est cependant très étroite, avec une hausse rapide du risque de mortalité observée à des quantités plus élevées.

Figure 1. Relation entre la consommation d’alcool et le risque de mortalité prématurée. La réduction maximale du risque observée dans l’étude (-0,1 log) correspond à une diminution d’environ 20 % du risque. Adapté de Xi et coll. (2017).
Rappelons que ce qu’on appelle communément un « verre » ou encore une « consommation standard » fait référence à la quantité de boisson alcoolisée qui entraine l’absorption d’environ 12 à 15 grammes d’alcool pur (Tableau 1). La taille d’un verre dépend donc directement de la teneur en alcool de la boisson consommée.
Type de boisson alcoolisée
| Une consommation standard correspond à: |
Bière (5 % alc/vol)
| 340 mL (12 oz) |
Vin (12 % alc/vol)
| 140 mL (5 oz) |
Vin fortifié (ex. Porto) (20 % alc/vol)
| 85 mL (3 oz) |
Spiritueux (40 % alc/vol)
| 45 mL (1,5 oz) |
Tableau 1. Teneur en alcool des principaux types de boissons alcoolisées. Adapté de Educ’alcool.
Cette effet protecteur de faibles doses d’alcool sur la mortalité a cependant été remis en question par une grande étude récemment publiée dans Lancet. Dans cette étude, qui a analysé les habitudes de consommation d’alcool d’environ 600,000 buveurs, les auteurs n’ont pas observé de diminution de la mortalité, même à des quantités faibles d’alcool, mais plutôt une hausse significative du risque de mort prématurée à partir de 100 g d’alcool par semaine, ce qui correspond à seulement un verre par jour (Figure 2A). Par contre, l’analyse des mêmes données a révélé une baisse du risque de mortalité cardiovasculaire, en accord avec des centaines d’études qui ont observé un effet cardioprotecteur découlant de la consommation modérée d’alcool (Figure 2B). Malgré tout, les auteurs proposent que les quantités d’alcool qui sont actuellement recommandées (1 verre quotidien pour les femmes, deux pour les hommes) sont trop élevées et qu’il faudrait revoir ces limites à la baisse. Une autre étude, encore une fois publiée dans Lancet, en arrive à des conclusions similaires, c’est-à-dire qu’un apport aussi faible qu’un seul verre par jour est associé à une hausse du risque de développer une ou l’autre des 23 pathologies associées à la consommation d’alcool et qu’il ne semble donc pas y avoir de seuil sécuritaire de consommation selon les auteurs. Cependant, comme certains spécialistes l’ont fait remarquer, cette approche est quelque peu « absolutiste », car la hausse du risque observée aux faibles quantités d’alcool est excessivement faible, passant de 0,914 pour cent chez les non-buveurs à 0,918 chez ceux qui consomment un verre par jour et à 0,977 pour ceux qui en consomment deux. Pour les buveurs modérés, le risque réel associée à la consommation d’alcool est donc à toute fin pratique négligeable.

Figure 2. Relation entre la consommation d’alcool (en g par semaine) et le risque de mortalité prématurée toute cause (A) ou de mortalité d’origine cardiovasculaire (B) calculée à partir d’une synthèse de 83 études épidémiologiques regroupant 600,000 participants. Adapté de Wood et coll (2018).
Il est difficile à ce stade de dire si ces dernières études sont supérieures aux études précédentes et que la consommation modérée d’alcool est effectivement dépourvue d’effets bénéfiques sur la mortalité (voir l’encadré). Chaque étude épidémiologique a ses forces et ses faiblesses et la seule véritable façon de résoudre cette ambiguïté serait de mener une étude clinique randomisée où on pourrait comparer la santé des buveurs modérés à celle d’abstinents, mais une telle étude n’est pas réalisable en raisons de considérations éthiques. Chose certaine, une interprétation prudente de l’ensemble de ces études est de dire qu’il ne faut surtout pas banaliser les effets négatifs de l’alcool et qu’il est important d’en consommer très modérément pour profiter de ses bénéfices éventuels tout en évitant ses effets nocifs bien documentés (Tableau 2). Historiquement, on considère que les quantités maximales d’alcool qui sont associées à des bénéfices pour la santé sont de 1 à 3 verres par jour pour les hommes et de 1 à 2 verres par jour pour les femmes. À ces faibles doses, l’alcool augmente les taux de cholestérol-HDL, améliore le contrôle de la glycémie et exerce des actions anticoagulante et anti-inflammatoire, ce qui globalement contribue à diminuer le risque d’événement cardiovasculaire, notamment l’infarctus du myocarde. À la lumière des résultats des deux études du Lancet, il semble cependant préférable de diminuer quelque peu ces limites à 2 verres pour les hommes et 1 verre pour les femmes.
La cardioprotection par l’alcool n’est pas un mythe
On assiste depuis quelques années à l’émergence d’un courant de pensée assez radical qui prétend que les bénéfices cardiovasculaires de l’alcool sont un « mythe » et qu’il n’y a aucun niveau de consommation qui soit sécuritaire. Ce message, véhiculé par des organismes comme l’OMS ou encore le Centre canadien des dépendances et l’usage de substances (CCDUS), est cependant basé sur une lecture assez limitée de la recherche; par exemple, dans le récent rapport du CCDUS, les analystes ont sélectionné seulement 16 études sur plus de 5000 publications disponibles, ce qui augmente forcément les risques de biais. Mais même dans ces conditions, le rapport montre clairement une diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques à de faibles quantités d’alcool consommé, en accord avec des centaines d’études d’envergure qui se sont penchées sur cette question, incluant celle du Lancet mentionnée plus tôt (Figure 2B). La conclusion du CCDUS, selon laquelle il n’y a aucun bénéfice sur la santé associé à la consommation modérée d’alcool, va donc à l’encontre de leurs propres résultats et de l’ensemble des données accumulées depuis les 30 dernières années, en particulier en ce qui concerne la diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques comme l’infarctus du myocarde, la principale cause de mortalité d’origine cardiovasculaire. Une dissonance du même type est retrouvée dans un article récent, où les auteurs prétendent que la cardioprotection par l’alcool est un « mythe », tout en présentant du même souffle des données montrant une forte diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques. Autrement dit, les résultats obtenus par la recherche sur l’impact positif de l’alcool à faible dose sur la santé cardiovasculaire ne justifient aucunement la conclusion qu’il n’y a aucun seuil de consommation d’alcool qui soit sécuritaire. À notre avis, les recommandations d’organismes très sérieux comme l’école de santé publique d’Harvard ou encore l’institut national américain pour l’abus d’alcool et l’alcoolisme (NIAAA), soit une consommation quotidienne de 2 verres pour les hommes et de 1 verre pour les femmes, demeurent toujours les plus pertinentes.
Au-delà de ces quantités, par contre, la consommation est clairement abusive, car elle est associée à une augmentation du risque de plusieurs cancers, en particulier ceux de la bouche, du larynx, de l’œsophage, du côlon, du foie ainsi que du sein. L’ingestion chronique de fortes quantités d’alcool est également associée à plusieurs pathologies du système cardiovasculaire, incluant l’athérosclérose, l’hypertension, certaines cardiomyopathies ainsi que des arythmies, ce qui hausse considérablement le risque de mortalité cardiovasculaire. Il faut aussi noter que les beuveries, où de grandes quantités d’alcool peuvent être consommées dans un court laps de temps, sont également associées à plusieurs effets nocifs, en particulier une hausse très importante du risque d’AVC.
Mode de consommation | Alcool pur (g) | Consommations standards | Effet sur la santé |
Légère
| < 20 g par jour (hommes)
< 10 g par jour (femmes) | 1 verre
¾ verre | Positif |
Modérée
| 20-45 g par jour (hommes)
10-30 g par jour (femmes)
| 1-3 verres
1-2 verres
| Controversé, pourrait dépendre du type d'alcool |
Abusive
| > 45 g par jour (hommes)
> 30 g par jour (femmes)
| Plus de 3 verres
Plus de 2 verres | Négatif |
Beuverie (“binge drinking”)
| > 60 g en une seule occasion
| 4 verres et plus
| Négatif |
Tableau 2. Les différents types de consommation d’alcool. Adapté de Fernandez-Sola (2015).
L’alcool est donc une redoutable arme à double tranchant et il est important de limiter la consommation quotidienne d’alcool à des niveaux faibles, idéalement un maximum de 2 verres par jour pour les hommes et de 1 verre pour les femmes, et même fort probablement un peu moins.
Privilégier le vin rouge
Le vin rouge est un breuvage complexe contenant plusieurs milligrammes de composés phénoliques (le resvératrol, notamment) qui sont extraits de la peau du raisin au cours du processus de fermentation. Ces molécules possèdent des propriétés antioxydante, anti-inflammatoire, anti-plaquettaire et vasodilatatrice, ce qui suggère que le vin rouge pourrait entrainer des effets positifs plus grands que ceux associés simplement à la présence d’alcool.
Un des premiers exemples de ces bénéfices est le fameux « paradoxe français », où la consommation régulière de vin rouge serait responsable de la faible incidence de maladies coronariennes observées en France comparativement à d’autres pays occidentaux, en dépit d’un apport alimentaire élevé en gras saturés. Cet effet bénéfique est supporté par une étude danoise qui montrait que les consommateurs modérés de vin rouge avaient un risque de mort prématurée trois fois plus faible que les buveurs de bière ou de spiritueux, ainsi que par les résultats d’autres études réalisées dans le nord de la Californie et dans l’est de la France.
Un autre aspect qui milite en faveur de la consommation préférentielle de vin rouge est son impact plus faible sur le risque de cancer, possiblement en raison de son contenu en resvératrol. En laboratoire, cette molécule possède une des actions anticancéreuses les plus puissantes du monde végétal et pourrait donc contrecarrer l’effet cancérigène de l’alcool. Par exemple, une étude a montré que si la consommation modérée de boissons alcoolisées autres que le vin augmente le risque de cancer de la bouche de 38 %, cette hausse du risque diminue à seulement 7 % chez les buveurs de vin rouge. Un phénomène similaire est observé pour le cancer du poumon où la consommation modérée de vin est associée à une réduction du risque de ce cancer, tandis que celle de bière et de spiritueux augmente le risque. Il semble donc que la plus grande réduction de mortalité associée à la consommation de vin rouge observée dans plusieurs études soit non seulement liée à un effet protecteur plus prononcé sur le risque de maladies du cœur, mais également à un effet moins néfaste sur le risque de cancer que d’autres types d’alcool. Ce phénomène a également été observé dans l’étude du Lancet mentionnée précédemment: lorsque les auteurs ont examiné la mortalité selon le type d’alcool consommé, ils ont observé une énorme différence de risque entre le vin et les autres types d’alcool, la consommation de vin (jusqu’à 300 g par semaine) étant associé à une légère hausse de 10 % de la mortalité, soit beaucoup moins que celle observée chez les buveurs de bière et de spiritueux (Figure 3).

Figure 3. Relation entre le type d’alcool consommé (en g par semaine) et le risque de mortalité prématurée. Adapté de Wood et coll (2018).
La supériorité du vin rouge sur les autres types d’alcool est également suggéré par une étude récente portant sur l’association entre la consommation d’alcool et le risque de fibrillation auriculaire (FA), une arythmie qui hausse considérablement le risque d’AVC. Dans cette étude, les chercheurs ont observé que la consommation modérée d’alcool en général (7 verres par semaine ou moins) était associée à une légère diminution du risque de FA, mais que ce risque augmentait considérablement à des quantités plus élevées (14 verres et plus par semaine). Par contre, lorsque la même analyse a été réalisée en tenant compte du type d’alcool consommé, on observe que le risque de FA n’augmente pas chez les personnes qui boivent jusqu’à 14 verres de vin rouge par semaine (Figure 4). Le vin blanc semble lui aussi minimiser les risques de FA, mais à un degré moindre (hausse du risque qui débute à 10 verres par semaine), tandis que la bière et les spiritueux augmentent ce risque très rapidement, à partir d’environ 3 verres par semaine.
Figure 4. Relation entre le type d’alcool consommé (en verres par semaine) et le risque de fibrillation auriculaire. Notez qu’un verre correspond à l’unité standard britannique, soit 8 g (10 mL) d’alcool. Les zones grises représentent les intervalles de confiance à 95 %. Adapté de Tu et Coll (2021).
Dans l’ensemble, ces observations confirment les résultats de l’étude INTERHEART et celle du groupe de Akesson montrant que la consommation modérée d’alcool représente un des facteurs du mode de vie qui peut contribuer à diminuer le risque de maladie coronarienne et de mort prématurée. Une étude récente illustre à quel point l’impact de ces habitudes de vie peut être extraordinaire: les personnes de 50 ans qui ne fument pas, mangent sainement, font 30 minutes et plus d’activité physique quotidienne, maintiennent un poids santé (IMC entre 19 et 25) et consomment modérément de l’alcool (5-15 g/jour pour les femmes, 5-30 g/jour pour les hommes) ont 82 % moins de risque de décéder de maladies cardiovasculaires et 65 % moins de risque de mourir d’un cancer. En pratique, cela se traduit par une augmentation de la longévité de 14 ans pour les femmes et de 12 ans pour les hommes ! Pour être réellement bénéfique, la consommation d’alcool doit donc faire partie d’un mode de vie globalement sain, incluant une alimentation riche en végétaux, une activité physique régulière, le maintien d’un poids corporel normal et, évidemment, l’absence de tabagisme.
Dr Louis Bherer, Ph. D., NeuropsychologueProfesseur titulaire, Département de Médecine, Université de Montréal, Directeur adjoint scientifique à la direction de la prévention, chercheur et Directeur du Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal.4 janvier 2023
EN BREF
- Les participants à une étude qui avaient un apport alimentaire élevé en flavonols ont eu un déclin cognitif plus lent que ceux qui avaient un apport plus faible.
- Un apport plus élevé en flavonols totaux était associé à un déclin significativement plus lent de la mémoire épisodique, de la mémoire sémantique, de la vitesse perceptuelle et de la mémoire de travail.
- Parmi les flavonols considérés individuellement, le kaempférol et la quercétine étaient associés à un ralentissement du déclin cognitif, mais non pas la myricétine et l’isorhamnétine.
Les flavonoïdes sont des composés polyphénoliques retrouvés dans les plantes et en grande quantité dans les fruits et légumes tout particulièrement. Ces composés sont surtout connus pour leurs propriétés anti-inflammatoire et antioxydante. Les flavonoïdes ont été associés dans plusieurs études antérieures à un ralentissement du déclin cognitif lié au vieillissement et de la démence. Cependant, peu d’études ont tenté d’identifier quelles sous-classes de flavonoïdes ou quelles molécules individuelles sont les plus actives pour protéger la santé du cerveau. Une étude américaine publiée récemment apporte des éléments de réponse en ce sens, en évaluant l’effet de l’apport en flavonols totaux et flavonols individuels (kaempférol, quercétine, myricétine, isorhamnétine) sur la performance cognitive de personnes âgées.
L’étude a été menée auprès de 961 participants de la ville de Chicago aux États-Unis, âgés de 60 à 100 ans, qui faisaient partie de la cohorte « Rush Memory and Aging Project », et qui ont été suivis durant 6,9 années en moyenne. Les participants, dont l’âge moyen était de 81 ans au début de l’étude, étaient en majorité des femmes (75 %), de race blanche (98 %) et avaient en moyenne 15 années de scolarité. Le régime alimentaire des participants a été évalué en utilisant un questionnaire semi-quantitatif validé, et l’apport alimentaire en flavonols a été déduit à partir des données recueillies. Les performances cognitives des participants ont été évaluées annuellement avec une batterie de 19 tests standardisés.
Un apport alimentaire plus élevé en flavonols totaux et flavonols individuels était associé à une baisse du taux de déclin cognitif global et de plusieurs domaines cognitifs. Un apport plus élevé en flavonols totaux était associé à un déclin plus lent de la mémoire épisodique (souvenirs d’événements personnels), de la mémoire sémantique (mémoire des faits et des concepts), de la vitesse perceptuelle, de la mémoire de travail (mémoire à court terme), mais n’avait pas d’effet sur l’habileté de construction visuospatiale (compréhension et représentation de l’espace en 2 et 3 dimensions).
L’analyse des flavonols individuels indique que des apports plus élevés en kaempférol et en quercétine sont associés à un ralentissement du déclin cognitif. Par contre, la myricétine et l’isorhamnétine n’étaient pas associées à un effet sur le déclin cognitif global. Le kale (chou frisé), les haricots, le thé, les épinards et le brocoli étaient les aliments les plus riches en kaempférol parmi ceux consommés dans cette étude. Les tomates, le kale (chou frisé), les pommes et le thé étaient les aliments les plus riches en quercétine dans cette étude.
Les mécanismes sous-jacents à cette association favorable ne sont pas encore bien compris. Les auteurs de l’étude suggèrent que les propriétés anti-inflammatoires des flavonols pourraient diminuer l’amplitude ou la durée de la neuroinflammation. De plus, les propriétés antioxydantes des flavonols pourraient diminuer, voir prévenir, les dommages cellulaires causés par le stress oxydatif qui génère des dérivés réactifs de l’oxygène (radicaux libres, ions oxygénés, peroxydes).
Une étude antérieure du même groupe de chercheurs avait rapporté que les légumes à feuilles vertes (épinard, chou frisé, chou vert, laitue) et certains constituants dont le kaempférol était associé à un ralentissement du déclin cognitif global. Les auteurs ont conclu que « la consommation d’environ une portion par jour de légumes à feuilles vertes et d’aliments riches en phylloquinone, lutéine, nitrate, folate, α-tocophérol et kaempférol peut aider à ralentir le déclin cognitif avec l’âge. »
Le rôle protecteur de certains flavonols sur la cognition a été démontré dans des modèles animaux. Ainsi, la supplémentation en quercétine améliore la mémoire et l’apprentissage de souris transgéniques utilisées comme modèle animal de la maladie d’Alzheimer. Dans une autre étude, le kaempférol et la myricétine ont amélioré la mémoire et l’apprentissage et réduit le stress oxydatif chez des souris utilisées comme modèle de la maladie d’Alzheimer.
Le design prospectif de l’étude américaine ne permet pas d’établir de lien de causalité entre l’apport alimentaire en flavonols et la cognition. Des essais cliniques randomisés permettraient de confirmer le rôle des flavonols sur les performances cognitives et à plus long terme la prévention du déclin cognitif associé à l’âge. Ce type d’étude permettrait aussi de préciser la relation dose-réponse pour une santé cérébrale optimale. Quoiqu’il en soit, l’étude comporte aussi plusieurs points forts : grand nombre de participants, durée de l’étude, mesure robuste de la cognition par les 19 tests cognitifs, questionnaires validés. Les résultats ont été ajustés pour minimiser les facteurs de confusion résiduels, puisqu’il est possible qu’un apport alimentaire plus élevé en flavonols soit un effet indirect d’une alimentation plus saine. Parmi les limites de cette étude, il y a : l’apport alimentaire auto-rapporté est sujet au biais de rappel ; à cause de leur âge avancé, les participants ont un risque d’atteinte cognitive légère qui pourrait causer des erreurs lorsqu’ils ont répondu aux questionnaires sur l’alimentation ; il subsiste une possibilité de causalité inverse (le déclin cognitif pourrait avoir modifié les habitudes alimentaires des participants). Selon les auteurs, des analyses supplémentaires (analyses de sensibilité) indiquent cependant que la causalité inverse est peu probable.
Les résultats de cette étude suggèrent que la consommation de fruits et légumes (particulièrement les légumes à feuilles vertes) chez les personnes âgées pourrait non seulement les aider à maintenir une bonne santé en général, mais en plus à retarder ou prévenir le déclin cognitif. Toutefois, d’autres études devront être menées pour confirmer et mieux comprendre comment les flavonols ralentissent le déclin cognitif et celui de la mémoire.
Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.14 décembre 2022
EN BREF
- Les participants à une étude qui faisaient leur séance d’exercice en fin de matinée avaient un risque 16 % moins élevé de subir un événement coronarien et 17 % moins élevé de subir un accident vasculaire cérébral (AVC), en comparaison avec ceux qui faisaient leur exercice à un autre moment de la journée.
- Ces effets étaient particulièrement prononcés chez les femmes, mais ils sont non-significatifs lorsqu’on considère les données pour les hommes uniquement.
- Ces résultats illustrent l’importance potentielle de la chronoactivité dans la prévention des maladies cardiovasculaires.
Est-il préférable de faire de l’exercice le matin ou plus tard dans la journée pour réduire le risque de maladie cardiovasculaire ? C’est une question à laquelle des chercheurs néerlandais ont tenté de répondre dans une étude auprès de 86 657 participants de la cohorte UK-Biobank, âgés de 62 ans en moyenne. Les données d’activité physique des participants ont été recueillies au début de l’étude à l’aide d’un accéléromètre triaxial porté au poignet sur une période de 7 jours. Six années après le début de l’étude, 3707 événements cardiovasculaires avaient été rapportés. Les participants qui faisaient leur séance d’exercice en fin de matinée avaient un risque 16 % moins élevé de subir un événement coronarien et 17 % moins élevé de subir un accident vasculaire cérébral (AVC), en comparaison avec ceux qui faisaient de l’exercice à un autre moment de la journée.
Ces effets étaient particulièrement prononcés chez les femmes. Au contraire, la plupart des associations favorables de l’activité physique matinale disparaissent lorsque les chercheurs ont analysé les données des hommes seulement. Cette différence demeure inexpliquée et soulève la possibilité qu’un facteur de confusion puisse en être la cause. Les femmes qui font de l’exercice le matin ont-elles de meilleures habitudes de vie, non reliées à l’exercice physique, telle une meilleure alimentation ?
Des études antérieures avaient montré une association favorable entre l’activité physique matinale et une meilleure santé cardiométabolique, tant pour l’obésité (voir ici, ici et ici), le diabète de type 2 que pour l’hypertension. Cependant, un certain nombre d’études ont montré des résultats complètement opposés. Par exemple, une étude réalisée récemment au Brésil indique que pour des hommes hypertendus, l’exercice pratiqué en soirée était plus efficace que l’exercice matinal pour la récupération du rythme cardiaque et la diminution de la pression artérielle. De plus, une étude suédoise auprès d’hommes atteints de diabète de type 2 indique que l’exercice par intervalle à haute intensité (acronyme anglais : HIIT) pratiqué l’après-midi était plus efficace que l’exercice matinal pour améliorer la glycémie. Il est à noter que ces deux dernières études d’intervention sont de type « randomisées et contrôlées », un design d’étude qui permet d’obtenir un niveau de preuve scientifique relativement élevé, même si ces études ont été réalisées avec un nombre peu important de participants.
D’autres études seront nécessaires pour mieux comprendre les phénomènes de chronoactivité, mais, peu importe qu’il soit fait le matin, l’après-midi ou en soirée, il est bien établi que l’exercice physique est bénéfique pour la santé cardiovasculaire, la santé mentale et la santé en général.
Dr Louis Bherer, Ph. D., NeuropsychologueProfesseur titulaire, Département de Médecine, Université de Montréal, Directeur adjoint scientifique à la direction de la prévention, chercheur et Directeur du Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal.7 octobre 2022
EN BREF
- Les participants à une étude prospective qui marchaient davantage avaient un risque considérablement réduit de démence, de mortalité prématurée (toutes causes), de mortalité due à une maladie cardiovasculaire et d’incidence du cancer.
- L’effet bénéfique optimal de la marche est obtenu à près de 10 000 pas/jour pour les risques de démence, de mort prématurée et de cancer.
- Aussi peu que 3800 pas/jour sont associés à une diminution du risque de démence de 25 %, soit la moitié de l’effet maximal (50 %) obtenu à 9 800 pas/jour.
- Une plus grande intensité (nombre de pas/minute) de la marche était associée à des effets favorables sur la mort prématurée et l’incidence de maladie cardiovasculaire et de cancer.
Plusieurs études publiées à ce jour suggèrent qu’augmenter le nombre de pas marchés quotidiennement est important pour prévenir le développement des maladies chroniques et la mort prématurée. On entend souvent dans les médias ou sur les réseaux sociaux que le nombre de 10 000 pas/jour est la cible à atteindre pour bénéficier d’un maximum de bienfaits pour la santé (voir notre article sur le sujet). Certaines études indiquent pourtant qu’à 6 000 à 8 000 pas/jour l’effet protecteur maximal est atteint et que faire davantage de pas ne fait pas diminuer significativement le risque de mortalité de toutes causes, par exemple. Il y a cependant relativement peu de données sur le sujet et les études publiées à ce jour ne distinguent pas les différents types de marches (vie quotidienne vs exercice) et se sont peu intéressées à l’importance relative de l’intensité ou cadence de la marche.
Une étude prospective a récemment examiné l’association dose-effet entre la quantité (nombre de pas/jour) ou l’intensité (cadence) de la marche et l’incidence de démence. L’étude d’une durée moyenne de 6,9 années a été réalisée auprès de 78 430 personnes âgées de 40 à 79 ans faisant partie de la cohorte UK Biobank. Les participants ont porté un accéléromètre autour de leur poignet dominant 24 h par jour, 7 jours par semaine durant au moins 3 jours consécutifs et n’avaient pas de maladie cardiovasculaire, cancer ou démence diagnostiqués au début de l’étude. À partir des données recueillies par l’accéléromètre, il a été possible de déterminer :
- le nombre de pas total/jour ;
- le nombre de pas reliés aux activités de la vie quotidienne (ex. : marcher d’une pièce à l’autre), défini comme moins de 40 pas/minute ;
- le nombre de pas lors d’une activité physique intentionnelle, défini comme 40 pas ou plus par minutes (ex. : marche pour faire de l’exercice) ;
- la cadence maximale sur 30 minutes (c.-à-d. le nombre moyen de pas par minute enregistrés pour les 30 minutes, pas nécessairement consécutives, où la cadence était maximale).
À la fin de l’étude, soit 6,9 années après le début de l’étude, 866 participants avaient développé une démence. Les résultats montrent une association non linéaire entre le nombre de pas total/jour et le risque de démence . Le risque de démence diminue avec le nombre de pas total/jour jusqu’à 51 % de diminution à 9 826 pas/jour. Un nombre de pas/jour de 3 826 est associé à une diminution du risque de démence de 25 %, soit la moitié de l’effet maximal.
Figure 1. Association dose-effet entre le nombre total de pas marchés quotidiennement et l’incidence de démence.Adapté de del Pozo Cruz et coll., 2022.
Pour le nombre de pas reliés à la vie quotidienne, la dose optimale était de 3 677 pas/jour, avec une diminution du risque de démence de 42 %. En ce qui concerne le nombre de pas intentionnels , la dose optimale était de 6 315 pas, avec une diminution du risque de démence de 57 %. Pour la cadence maximale sur 30 minutes, la dose optimale était de 112 pas/minute, avec une diminution du risque de démence de 62 %.
Associations avec le risque de mortalité, maladie cardiovasculaire et cancer
Dans une seconde publication réalisée par les mêmes chercheurs et auprès de la même cohorte de la UK Biobank citée plus haut, l’association dose-effet entre la quantité ou l’intensité de la marche et la mortalité prématurée, la mortalité due aux maladies cardiovasculaires et l’incidence de cancer ont été examinées. Durant les sept années de l’étude, 1325 participants sont morts à cause d’un cancer et 664 participants sont morts à cause d’une maladie cardiovasculaire.
Le risque de mortalité prématurée diminue avec l’augmentation du nombre de pas total/jour, jusqu’à approximativement 10 000 pas/jour . Pour chaque 2 000 pas supplémentaires, le risque de mort prématurée diminue de 8 % , 10 % et 11 % .
Figure 1. Association dose-effet entre le nombre total de pas marchés/jour et la mortalité toutes causes confondues (panneau A), la mortalité due aux maladies cardiovasculaires (panneau B) et l’incidence de 13 cancers connus pour leur association avec un faible niveau d’activité physique (panneau C). Adapté de del Pozo Cruz et coll., 2022.
Les forces de cette étude sont la très grande taille de la cohorte, l’utilisation de l’accélérométrie et d’algorithmes qui ont permis de distinguer les pas marchés d’autres activités ambulatoires (un problème dans certaines études antérieures). Parmi les limitations, il y a premièrement que ce type d’étude, de nature observationnelle, ne permet pas d’établir un lien de cause à effet. Deuxièmement, les données d’accélérométrie au début de l’étude n’ont été collectées qu’une seule fois et pourraient par conséquent ne pas refléter parfaitement les habitudes de marche des participants. Cependant, des mesures multiples réalisées 4 années après le début de l’étude indiquent qu’il y a peu de variations entre les données obtenues lors des différentes mesures. De plus, il subsiste un risque de causalité inverse, c.-à-d. que la maladie (démence, cardiovasculaire, cancer) pourrait être la cause d’un faible nombre de pas marchés, malgré certaines précautions prises par les chercheurs pour minimiser ce risque.
Les chercheurs sont d’avis que la partie droite des courbes dose-effet ne reflète pas une réelle baisse d’effet favorable de la marche après 10 000 pas, mais qu’elle est plutôt le reflet de la rareté des données de marche ou d’événements (diagnostics de démences, maladie cardiovasculaire, décès) pour ces peu nombreux grands marcheurs. De plus, il est possible que certains participants particulièrement soucieux de leur santé se soient fixé une cible (popularisée dans les médias) de 10 000 pas/jour, ce qui pourrait expliquer pourquoi l’effet optimal est observé à cette quantité de marche.
Marcher davantage et marcher plus vite sont associés à des bienfaits pour la santé et la longévité. Bien que l’effet optimal pour la santé semble atteint aux alentours de 10 000 pas/jour, il faut réaliser que marcher entre 5 000 et 8 000 pas/jour permet de bénéficier grandement des effets positifs associés à la marche. De plus, il n’y a pas de seuil minimal pour l’association bénéfique entre le nombre de pas total marchés quotidiennement et la mortalité et la morbidité. Par exemple, rappelons qu’aussi peu que 3800 pas/jour sont associés à une diminution du risque de démence équivalente à la moitié de l’effet maximal obtenu à approx. 10 000 pas/jour. Les futures recommandations pour la prévention de la démence, des maladies cardiovasculaires et du cancer pourraient tenir compte de ces nouvelles données et encourager la population à marcher davantage et à une plus vive allure, afin de bénéficier optimalement des bienfaits de la marche pour la santé.