Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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5 juillet 2018
Bien manger pour prévenir la dépression

La dépression affecte plus de 300 millions de personnes et représente la première cause d’incapacité  à l’échelle mondiale. En dépit de cette forte incidence,  il existe encore beaucoup de préjugés face à ce désordre. Par exemple, il est courant d’entendre qu’une personne dépressive  «n’a qu’à se changer les idées »pour aller mieux, un peu comme s’il s’agissait d’un mal imaginaire, qu’on peut facilement combattre en faisant preuve de bonne volonté. Pourtant, la dépression est une véritable maladie, causée par un déséquilibre des niveaux de certains neurotransmetteurs, en particulier la sérotonine et la dopamine. Ces molécules véhiculent les informations d’un neurone à l’autre et jouent un rôle très important dans une foule de processus mentaux comme l’attention, l’appétit, l’humeur et la motivation. Un déséquilibre de ces neurotransmetteurs fait en sorte que les personnes dépressives éprouvent souvent des sentiments d’inutilité ou de culpabilité, un manque d’intérêt envers le monde extérieur, des perturbations du sommeil ou de l’appétit, une perte d’énergie et, dans les cas les plus graves, des pensées morbides ou suicidaires.

Bien nourrir le cerveau

Les facteurs responsables du développement de la dépression sont très complexes et demeurent mal compris. Des événements dramatiques (deuil, divorce, échec professionnel, etc.) peuvent bien entendu agir comme éléments déclencheurs, mais il semble que certains facteurs du mode de vie, notamment l’alimentation et la sédentarité, peuvent eux aussi contribuer à l’apparition d’épisodes dépressifs.

Ceci est particulièrement bien illustré par plusieurs observations montrant une association entre les habitudes alimentaires et le risque de dépression : par exemple, les méta-analyses (ici et ici, par exemple) de plusieurs études qui se sont penchées sur cette question ont en effet montré qu’une alimentation saine, par exemple de type méditerranéen, basée sur un apport important en végétaux (fruits, légumes, grains entiers), en poisson et en huile d’olive était associée à une diminution du risque de dépression.   À l’inverse, une alimentation de type « occidental », c’est-à-dire pauvre en végétaux, mais riche en viandes et charcuteries, en produits à base de farines raffinées et en sucreries, était associée à un risque accru de dépression.

L’impact diamétralement opposé de ces deux types d’alimentation pourrait être dû, au moins en partie, à la nature des acides gras consommés : alors qu’un régime alimentaire axée sur la consommation régulière de végétaux permet un apport élevé en gras insaturés bénéfiques (moninsaturés et polyinsaturés), l’alimentation occidentale est quant à elle riche en gras saturés et gras trans.   Une étude prospective réalisée auprès de 12,059 diplômés universitaires exempts de dépression au début de l’étude a montré que les personnes qui consommaient le plus de gras trans(des gras présents dans plusieurs produits industriels, comme ceux du fast food) avaient 50 % plus de risque d’être touchées par une dépression dans les années suivantes comparativement à celles qui ne consommaient pas ce type de gras. À l’inverse, les chercheurs ont observé un effet protecteur des gras monoinsaturés.

L’inflammation chronique est un autre facteur qui pourrait contribuer à l’impact de l’alimentation sur le risque de dépression.  On soupçonne depuis plusieurs années que la dépression possède une forte composante inflammatoire : par exemple, jusqu’à 30 % des personnes touchées par une hépatite et qui sont traitées avec l’interféron, un médicament qui provoque une forte réponse inflammatoire, développent une dépression sévère.  Cette contribution de l’inflammation est également suggérée par une analyse d’une dizaine d’études portant sur plus de 6000 personnes atteintes de dépression qui montre que l’ajout de médicaments antiinflammatoires aux antidépresseurs couramment utilisés en clinique augmentait de façon spectaculaire le taux de réponses positives au traitement. Puisqu’une alimentation riche en végétaux exerce une action anti-inflammatoire tandis que l’alimentation occidentale est au contraire pro-inflammatoire, il est possible que ces différences contribuent à leurs effets distincts sur le risque de dépression.

Végétarisme et dépression

Il est maintenant clairement établi que le végétarisme exerce de nombreux effets bénéfiques sur la santé, en particulier en termes de prévention des maladies cardiovasculaires. Par contre, l’exclusion d’aliments d’origine animale fait en sorte que les végétariens présentent de faibles  taux sanguins d’acides gras oméga-3 à longues chaînes (acides docosahexaénoïque (DHA) et eicosapentaénoïque (EPA)). Ces oméga-3 sont reconnus pour jouer des rôles importants dans le fonctionnement des neurones et le contrôle de l’inflammation et il semble qu’une carence en ces molécules pourrait être associée à un risque accru de dépression. Les végétariens sont également plus susceptibles de présenter de faibles taux de vitamine B12, un autre facteur de risque de dépression.

Les études réalisées jusqu’à présent sur l’impact du végétarisme sur le risque de dépression ont donné des résultats contradictoires.  D’un côté, des enquêtes réalisées en Australie, en Scandinavie, en Allemagne, en Turquie et en Angleterre ont observé une hausse de désordres mentaux comme l’anxiété et la dépression chez les personnes végétariennes ou qui mangent peu de viande comparativement aux omnivores.  À l’inverse, d’autres études ont rapporté que les végétariens ou les végétaliens présentaient une réduction du stress et de l’anxiété et une amélioration des états d’humeur sains (healthy mood states) dans les tests psychométriques comme le Depression Anxiety Stress Scaleet le Profile of Mood States.

Ces contradictions reflètent probablement la difficulté de déterminer si le végétarisme est une cause ou une conséquence de troubles mentaux comme la dépression.  Par exemple, les études réalisées auprès d’adolescents (ici et ici, par exemple) ont observé que le végétarisme était associé à une panoplie de problèmes qui haussent le risque de dépression, par exemple les troubles de l’alimentation, des problèmes de surpoids et une piètre image de soi.   D’ailleurs, dans l’étude allemande mentionnée plus tôt, l’adoption du végétarisme s’est produite suite à l’apparition de désordres psychiques, peut-être comme une tentative par ces personnes d’influencer positivement l’évolution de leur maladie, et serait donc beaucoup plus une conséquence qu’une cause de la dépression.  Autrement dit, il est probable que la hausse du risque de dépression des végétariens observée dans certaines études n’est pas directement causée par le végétarisme en tant que tel, mais reflète plutôt des différences intrinsèques de personnalités et/ou de problèmes psychiatriques entre certains végétariens et les omnivores.

Un autre point très important à considérer est que ce n’est pas parce qu’une personne ne mange pas de produits animaux qu’elle s’alimente forcément bien. Pour certaines personnes, le végétarisme est surtout une question d’éthique (bien-être des animaux, impact positif pour l’environnement) et leur principale motivation est d’éliminer la viande, sans nécessairement la remplacer par une consommation régulière de fruits, légumes, légumineuses, graine entiers, noix et autres végétaux essentiels au maintien d’une bonne santé.    Une étude récente a montré que les végétariens qui mangent peu de végétaux et se nourrissent principalement de produits transformés contenant beaucoup de sucre (jus, boissons gazeuses, desserts) et de produits fabriqués à l’aide de farines raffinées (pain blanc, craquelins, etc.) ne sont vraiment pas en bonne santé, ayant environ 30 % plus à risque d’être touchées par une maladie cardiovasculaire que les omnivores. Il va de soi qu’une alimentation de ce type est nocive pour la santé du cerveau et peut certainement contribuer à l’apparition d’épisodes dépressifs.

Les études d’interventions où les chercheurs examinent en continu l’évolution de l’humeur suite à l’adoption du végétarisme permettent d’éliminer plusieurs facteurs de confusion et de mesurer plus précisément l’impact de l’alimentation sur la santé mentale.  Et en ce sens, les résultats sont rassurants : par exemple, une étude clinique randomisée a montré une amélioration significative de l’humeur chez des omnivores qui diminuaient leur consommation de viandes, de poissons et de volailles. Il est aussi intéressant de noter que les personnes qui ont subi un événement coronarien et qui adoptent le végétarisme strict (végétalisme) au cours de leur réadaptation (le programme Ornish, par exemple) montrent une amélioration significative de plusieurs paramètres psychosociaux, incluant la dépression, l’anxiété et la qualité de vie en général.

Dans l’ensemble, ces résultats soulignent l’importance d’une saine alimentation sur la santé mentale.  L’adoption d’une alimentation de type méditerranéen représente possiblement la meilleure approche en ce sens, surtout si l’on considère les multiples bienfaits de ce mode d’alimentation sur la santé en général. Pour ceux qui désirent adopter le végétarisme ou le végétalisme, il faut être conscient que l’élimination de la viande n’est pas suffisante  et qu’il faut absolument remplacer les aliments d’origine animale par une vaste gamme de végétaux de qualité, permettant de faire le plein de vitamines, minéraux, fibres et composés phytochimiques essentiels au maintien d’une bonne santé, autant physique que mentale.

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