Après une crise cardiaque, l’alimentation méditerranéenne permet de réduire significativement le risque de récidives

Après une crise cardiaque, l’alimentation méditerranéenne permet de réduire significativement le risque de récidives

Les médicaments et les mesures invasives comme la revascularisation (pose d’endoprothèses vasculaires ou stents) permettent de sauver un grand nombre de patients coronariens, c’est-à-dire qui ont subi un infarctus du myocarde ou un autre syndrome coronarien aigu.  Par contre, ces patients demeurent généralement à haut risque de récidive s’ils ne s’attaquent pas aux causes responsables de leur maladie coronarienne, qui sont dans la majorité des cas liés à certains aspects de leur mode de vie (tabagisme, sédentarité, stress chronique, mauvaise alimentation).

Un des facteurs qui a reçu le plus d’attention au cours des dernières décennies est la nature de l’alimentation. Étant donné le rôle des gras saturés dans le développement des plaques responsables de l’athérosclérose (le blocage des artères coronaires qui mène à l’infarctus), la réduction des graisses alimentaires s’est imposée dès le départ comme l’approche standard pour réduire le risque de récidives chez les patients coronariens. Ces régimes « low-fat » ont évolué avec le temps, notamment pour y inclure des glucides complexes (grains entiers, légumineuses) afin d’obtenir un apport adéquat en fibres, mais visent d’abord et avant tout à réduire l’apport total en gras à 25-30 % des calories quotidiennes et celui en gras saturés à moins de 10 % .

Régime méditerranéen

Nous avons discuté à maintes reprises des nombreuses études qui ont clairement montré que l’alimentation de type méditerranéenne était associée à une réduction du risque de maladies cardiovasculaires (voir ici et ici, par exemple).  Ce mode d’alimentation se caractérise par son contenu élevé en aliments végétaux non transformés (céréales complètes, légumes, fruits, légumineuses, noix et huile d’olive extravierge), un apport modéré en poisson/crustacés et un apport faible en viandes rouges et charcuteries et en graisses d’origine animale.

La principale caractéristique du régime méditerranéen demeure cependant  l’utilisation abondante d’huile d’olive extravierge comme source principale de graisses alimentaires, ce qui peut mener à un apport total en gras aux environs de 40 % des calories totales, donc bien au-delà de celui des régimes faibles en gras utilisé pour réduire le risque d’accidents cardiovasculaires chez les patients coronariens.  Cependant, loin d’être problématique, cet apport élevé en gras insaturés semble au contraire être bénéfique pour la prévention des maladies cardiovasculaires, autant en prévention primaire, chez les personnes qui n’ont pas d’antécédents d’accidents cardiovasculaires, qu’en prévention secondaire,  chez les patients coronariens qui ont déjà subi un infarctus ou qui sont à très haut risque de subir ces accidents. Par exemple,  les résultats de l’étude PREDIMED montrent qu’un apport élevé en gras insaturés, provenant des noix ou de l’huile d’olive, était associé à une diminution significative du risque de maladie cardiovasculaire.  Cet effet protecteur des gras insaturés a également été observé dans l’étude de Lyon, réalisée auprès de 605 survivants d’un infarctus du myocarde : l’addition d’acide linolénique (un oméga-3 à courte chaine présent dans les végétaux) à l’alimentation des patients a provoqué une diminution très importante (73%) de récidives d’évènements CV après un infarctus du myocarde, incluant la mortalité cardiaque.

Autrement dit, il semble que c’est beaucoup plus la nature que la quantité de gras de l’alimentation qui importe et qu’un apport élevé en gras insaturés pourrait s’avérer supérieur à une alimentation faible en gras pour réduire significativement le risque de maladies cardiovasculaires, incluant chez les personnes à haut risque en raison d’antécédents d’infarctus du myocarde.   Dans ce dernier cas, par contre, les bénéfices concrets de l’alimentation méditerranéenne sur le risque de récidives demeurent mal compris puisqu’aucune étude d’envergure portant spécifiquement sur les patients coronariens n’a été réalisée depuis près de 25 ans, soit depuis l’étude de Lyon.

Étude CORDIOPREV

C’est dans ce contexte que les résultats de l’étude CORDIOPREV, récemment publiés dans le prestigieux Lancet, arrivent à point nommé et pourrait permettre de diminuer les risques élevés de récidives qui affectent les patients coronariens. Cette étude, réalisée en Espagne auprès de 1002 patients atteints d’une maladie coronarienne et qui ont été suivis pendant une période de 7 ans,  a comparé les impacts d’une alimentation « standard » faible en gras ou de type méditerranéen sur le risque des patients de subir un accident cardiovasculaire (infarctus du myocarde, AVC, revascularisation, maladie artérielle périphérique ou mortalité d’origine cardiovasculaire).

Les participants ont été répartis aléatoirement entre les 2 groupes et encadrés par une équipe de nutritionnistes pour qu’ils adhèrent autant que possible au régime alimentaire qui leur avait été assigné (Tableau 1).  Pour le groupe « low-fat », les principales consignes étaient évidemment de limiter l’apport en matières grasses (huile végétale, noix, poissons gras, œufs) et de hausser celui d’aliments riches en glucides (céréales, légumineuses), tandis que les participants du groupe méditerranéen étaient au contraire encouragés à hausser leur apport en gras insaturés, principalement sous forme d’huile d’olive extra-vierge, de noix et de poissons gras (saumon et sardines, par exemple). Dans les deux cas, on encourageait les participants à consommer 5 portions et plus de fruits et de légumes et de limiter l’apport en viandes rouges et charcuteries (en privilégiant les volailles maigres comme source de viande), en pâtisseries et desserts et en boissons sucrées.

Dans l’ensemble, il s’agissait donc de deux régimes alimentaires d’excellente qualité, riches en végétaux et faibles en gras saturés (< 10%) et en sucres simples. La principale différence entre les deux régimes est la consommation plus élevée de matières grasses insaturées dans le régime méditerranéen, qui atteint 40 % des calories totales (incluant 22 % sous forme de monosaturés), tandis que le régime « low-fat »  est principalement composé de glucides (46 % des calories totales) et relativement faible en gras (32 % des calories totales, incluant 12% de monoinsaturés).

AlimentsRégime méditerranéenRégime faible en gras
Huiles≥ 4 c. à s. par jour d’huile d’olive extra-vierge (40-60 g/j)≤ 2 c. à s. par jour d’huile végétale (20-30 g/j)
Céréales,pommes de terre et légumineuses6 portions de céréales (grains entiers) par jour
≥ 3 portions légumineuses par jour
6 à 11 portions de céréales (préférablement grains entiers), pommes de terre et légumineuses par jour
Fruits≥ 3 portions de fruits frais par jour≥ 3 portions de fruits frais, congelés ou en conserve par jour
Légumes≥ 2 portions de légumes frais par jour (au moins 1 portion crue ou sous forme de salade)≥ 2 portions de légumes frais, congelés ou en conserve par jour
Produits laitiers2 portions par jour2-3 portions de produits faibles en gras ou dépourvus de gras par jour
Noix≥ 3 portions par semaine≤ 1 portion par semaine
Poissons et fruits de mer≥ 3 portions par semaine (poissons gras de préférence)Choisir des poissons maigres; ≤ 1 portion de poisson gras par semaine
Viandes rouges et charcuteries≤ 1 portion par semaine (privilégier les volailles maigres)1 portion max. par semaine (privilégier les volailles maigres)
Œufs2-4 œufs par semaine≤ 2 œufs par semaine
Beurre et margarineÀ éviter≤ 1 portion par semaine
Vin1 verre par jour pour les femmes, 2 verres par jour pour les hommes (si consommation habituelle d’alcool)À éviter
Pâtisseries et desserts≤ 1 portion par semaine≤ 1 portion par semaine
Boissons sucrées≤ 1 portion par jour≤ 1 portion par jour
Techniques culinairesUtiliser l’huile d’olive extra-vierge comme corps gras principal, par exemple pour la confection de sofrito*.Cuire les aliments dans un minimum de gras (microonde, étuve, bouilli).

Tableau 1. Principales recommandations alimentaires pour les deux groupes de l’étude. Notez que la principale différence entre les deux régimes est la quantité plus élevée de gras insaturés (huile d’olive, noix) consommée dans le cadre de l’alimentation méditerranéenne. * Le sofrito est une préparation de légumes et d’aromates (fines herbes, ail) cuite dans l’huile d’olive à feu très doux.

Protection cardiovasculaire

Les résultats obtenus montrent que cette différence dans l’apport en gras insaturés a des répercussions importantes sur le risque des patients coronariens de subir un accident cardiovasculaire.  Les chercheurs ont en effet observé que le groupe « méditerranéen » avait, globalement, un risque d’accidents réduit de 27 % comparativement au groupe « low-fat », une diminution qui atteint 33 % chez les hommes (Figure 1).  Chez les personnes qui adhéraient le plus fortement au régime méditerranéen, cette protection est même de 40%, ce qui est considérable si l’on considère que ces personnes sont considérées comme étant à très haut risque de maladies cardiovasculaires. Ces résultats confirment donc la supériorité du régime méditerranéen sur les régimes faibles en gras pour réduire les risques de récidives d’accidents cardiovasculaires chez les patients coronariens.

Figure 1. Comparaison de l’incidence d’accidents cardiovasculaires chez les hommes coronariens soumis à un régime faible en gras (bleu) ou un régime méditerranéen (rouge).  Notez la réduction significative (33%) du risque d’accidents associée à l’adhérence au régime méditerranéen. Tiré de Delgado-Vista et coll. (2022).

La protection offerte par le régime méditerranéen observée dans l’étude est particulièrement impressionnante pour deux raisons :

  • La comparaison avec un régime « low-fat » de grande qualité. L’alimentation faible en gras prescrite au groupe contrôle peut être considérée comme un régime d’excellente qualité en raison de sa richesse en végétaux (fruits, légumes, légumineuses) et de son apport réduit en gras saturés et en sucres simples.  D’ailleurs, comme l’ont noté les auteurs, la mortalité de ce groupe contrôle est réduite de moitié comparativement à ce que l’on observe habituellement dans les essais cliniques auprès de populations de patients coronariens à haut risque de récidives. La capacité du régime méditerranéen à réduire encore davantage le risque d’accidents cardiovasculaires comparativement à cette alimentation contrôle de grande qualité représente donc un exemple éclatant des bénéfices cardiovasculaires associés à l’alimentation méditerranéenne.
  • L’état de santé des patients recrutés dans l’étude. Ces bénéfices sont d’autant plus marquants qu’ils touchent des patients coronariens à très haut risque de récidive en raison de la présence d’un grand nombre de facteurs de risques affectant cette population (Tableau 2).

Caractéristiques% des participants
Antécédent d’infarctus du myocarde62 %
Antécédent de revascularisation (angioplastie coronarienne )91 %
Antécédent de pontage coronarien3 %
Diabète54 %
Hypertension68 %
Syndrome métabolique58 %
Obésité (IMC>30)100 %

Tableau 2. Principales caractéristiques de la population à l’étude.

Ces patients étaient aussi fortement médicamentés, la totalité d’entre eux étant traités avec des statines ou autres agents hypocholestérolémiants, 98 % avec des anticoagulants, 83 % avec des antihypertenseurs  et 80 % avec des bêta-bloquants.  En d’autres mots, en dépit d’un état de santé assez précaire et d’une médication agressive, l’adhérence de ces patients coronariens au régime méditerranéen est tout de même parvenue à diminuer significativement le risque d’accidents cardiovasculaires.

Ces observations illustrent à quel point l’adoption d’un mode de vie sain, particulièrement au point de vue alimentaire, peut avoir des répercussions positives sur la santé cardiovasculaire, et ce même chez les personnes à très haut risque.

Un régime alimentaire riche en flavonols est associé à un ralentissement du déclin cognitif

Un régime alimentaire riche en flavonols est associé à un ralentissement du déclin cognitif

EN BREF

  • Les participants à une étude qui avaient un apport alimentaire élevé en flavonols ont eu un déclin cognitif plus lent que ceux qui avaient un apport plus faible.
  • Un apport plus élevé en flavonols totaux était associé à un déclin significativement plus lent de la mémoire épisodique, de la mémoire sémantique, de la vitesse perceptuelle et de la mémoire de travail.
  • Parmi les flavonols considérés individuellement, le kaempférol et la quercétine étaient associés à un ralentissement du déclin cognitif, mais non pas la myricétine et l’isorhamnétine.

Les flavonoïdes sont des composés polyphénoliques retrouvés dans les plantes et en grande quantité dans les fruits et légumes tout particulièrement. Ces composés sont surtout connus pour leurs propriétés anti-inflammatoire et antioxydante. Les flavonoïdes ont été associés dans plusieurs études antérieures à un ralentissement du déclin cognitif lié au vieillissement et de la démence. Cependant, peu d’études ont tenté d’identifier quelles sous-classes de flavonoïdes ou quelles molécules individuelles sont les plus actives pour protéger la santé du cerveau. Une étude américaine publiée récemment apporte des éléments de réponse en ce sens, en évaluant l’effet de l’apport en flavonols totaux et flavonols individuels (kaempférol, quercétine, myricétine, isorhamnétine) sur la performance cognitive de personnes âgées.

L’étude a été menée auprès de 961 participants de la ville de Chicago aux États-Unis, âgés de 60 à 100 ans, qui faisaient partie de la cohorte « Rush Memory and Aging Project », et qui ont été suivis durant 6,9 années en moyenne. Les participants, dont l’âge moyen était de 81 ans au début de l’étude, étaient en majorité des femmes (75 %), de race blanche (98 %) et avaient en moyenne 15 années de scolarité. Le régime alimentaire des participants a été évalué en utilisant un questionnaire semi-quantitatif validé, et l’apport alimentaire en flavonols a été déduit à partir des données recueillies. Les performances cognitives des participants ont été évaluées annuellement avec une batterie de 19 tests standardisés.

Un apport alimentaire plus élevé en flavonols totaux et flavonols individuels était associé à une baisse du taux de déclin cognitif global et de plusieurs domaines cognitifs. Un apport plus élevé en flavonols totaux était associé à un déclin plus lent de la mémoire épisodique (souvenirs d’événements personnels), de la mémoire sémantique (mémoire des faits et des concepts), de la vitesse perceptuelle, de la mémoire de travail (mémoire à court terme), mais n’avait pas d’effet sur l’habileté de construction visuospatiale (compréhension et représentation de l’espace en 2 et 3 dimensions).

L’analyse des flavonols individuels indique que des apports plus élevés en kaempférol et en quercétine sont associés à un ralentissement du déclin cognitif. Par contre, la myricétine et l’isorhamnétine n’étaient pas associées à un effet sur le déclin cognitif global. Le kale (chou frisé), les haricots, le thé, les épinards et le brocoli étaient les aliments les plus riches en kaempférol parmi ceux consommés dans cette étude. Les tomates, le kale (chou frisé), les pommes et le thé étaient les aliments les plus riches en quercétine dans cette étude.

Les mécanismes sous-jacents à cette association favorable ne sont pas encore bien compris. Les auteurs de l’étude suggèrent que les propriétés anti-inflammatoires des flavonols pourraient diminuer l’amplitude ou la durée de la neuroinflammation. De plus, les propriétés antioxydantes des flavonols pourraient diminuer, voir prévenir, les dommages cellulaires causés par le stress oxydatif qui génère des dérivés réactifs de l’oxygène (radicaux libres, ions oxygénés, peroxydes).

Une étude antérieure du même groupe de chercheurs avait rapporté que les légumes à feuilles vertes (épinard, chou frisé, chou vert, laitue) et certains constituants dont le kaempférol était associé à un ralentissement du déclin cognitif global. Les auteurs ont conclu que « la consommation d’environ une portion par jour de légumes à feuilles vertes et d’aliments riches en phylloquinone, lutéine, nitrate, folate, α-tocophérol et kaempférol peut aider à ralentir le déclin cognitif avec l’âge. »

Le rôle protecteur de certains flavonols sur la cognition a été démontré dans des modèles animaux. Ainsi, la supplémentation en quercétine améliore la mémoire et l’apprentissage de souris transgéniques utilisées comme modèle animal de la maladie d’Alzheimer. Dans une autre étude, le kaempférol et la myricétine ont amélioré la mémoire et l’apprentissage et réduit le stress oxydatif chez des souris utilisées comme modèle de la maladie d’Alzheimer.

Le design prospectif de l’étude américaine ne permet pas d’établir de lien de causalité entre l’apport alimentaire en flavonols et la cognition. Des essais cliniques randomisés permettraient de confirmer le rôle des flavonols sur les performances cognitives et à plus long terme la prévention du déclin cognitif associé à l’âge. Ce type d’étude permettrait aussi de préciser la relation dose-réponse pour une santé cérébrale optimale. Quoiqu’il en soit, l’étude comporte aussi plusieurs points forts : grand nombre de participants, durée de l’étude, mesure robuste de la cognition par les 19 tests cognitifs, questionnaires validés. Les résultats ont été ajustés pour minimiser les facteurs de confusion résiduels, puisqu’il est possible qu’un apport alimentaire plus élevé en flavonols soit un effet indirect d’une alimentation plus saine. Parmi les limites de cette étude, il y a : l’apport alimentaire auto-rapporté est sujet au biais de rappel ; à cause de leur âge avancé, les participants ont un risque d’atteinte cognitive légère qui pourrait causer des erreurs lorsqu’ils ont répondu aux questionnaires sur l’alimentation ; il subsiste une possibilité de causalité inverse (le déclin cognitif pourrait avoir modifié les habitudes alimentaires des participants). Selon les auteurs, des analyses supplémentaires (analyses de sensibilité) indiquent cependant que la causalité inverse est peu probable.

Les résultats de cette étude suggèrent que la consommation de fruits et légumes (particulièrement les légumes à feuilles vertes) chez les personnes âgées pourrait non seulement les aider à maintenir une bonne santé en général, mais en plus à retarder ou prévenir le déclin cognitif. Toutefois, d’autres études devront être menées pour confirmer et mieux comprendre comment les flavonols ralentissent le déclin cognitif et celui de la mémoire.

L’alimentation restreinte dans le temps, une approche prometteuse pour la prévention des maladies chroniques

L’alimentation restreinte dans le temps, une approche prometteuse pour la prévention des maladies chroniques

Au cours des dernières années, nous avons commenté à plusieurs reprises (ici, ici, ici et ici) les travaux de recherche qui se sont penchés sur les bénéfices associés au jeûne intermittent et à la restriction calorique en général.  Dans cet article, nous abordons ce sujet sous un angle plus général : comment expliquer que le simple fait de restreindre l’apport calorique à une fenêtre de temps plus courte puisse entrainer de tels bénéfices ?

Il est maintenant clairement établi que ce que nous mangeons quotidiennement exerce une énorme influence sur le développement de l’ensemble des maladies chroniques. Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, de nombreuses études ont en effet montré qu’un apport élevé en végétaux (fruits, légumes, grains entiers, légumineuses, noix et graines) est associé à une baisse importante du risque de ces maladies, tandis qu’à l’inverse, le risque de surpoids, de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2, de plusieurs types de cancers et de mortalité prématurée est augmenté par la consommation excessive de produits d’origine animale (viandes et charcuteries en particulier) ainsi qu’en aliments industriels ultratransformés.

La qualité de l’alimentation ne semble cependant pas le seul paramètre qui peut moduler le risque de ces maladies chroniques : de nombreuses études réalisées au cours des dernières années suggèrent que la période de temps pendant laquelle les aliments sont consommés joue elle aussi un rôle très important dans ce risque.  Par exemple, des études précliniques ont révélé que des rongeurs qui ont un accès continuel à une nourriture riche en sucre et en gras développent un excès de poids et plusieurs perturbations métaboliques impliquées dans la genèse des maladies chroniques (la résistance à l’insuline, notamment), tandis que ceux qui mangent la même quantité de nourriture, mais dans un laps de temps plus court, ne présentent pas ces anomalies métaboliques et n’accumulent pas de poids excédentaire.

Autrement dit,  ce ne serait pas seulement la quantité de calories qui importe, mais aussi la fenêtre de temps pendant laquelle ces calories sont consommées. Ce nouveau concept d’alimentation restreinte dans le temps (ART) est vraiment révolutionnaire et suscite actuellement énormément d’intérêt de la part des communautés scientifique et médicale.

Jeûne intermittent

Au sens strict du terme, l’alimentation restreinte dans le temps est une forme de jeûne intermittent puisque l’apport calorique est limité à des périodes relativement courtes de la journée (6-8 h par exemple), en alternance avec des périodes de jeûne allant de 16 à 18 h (une formule populaire est l’alimentation 16 : 8, c’est-à-dire un jeûne de 16 h suivi d’une fenêtre d’alimentation de 8 h). Ce type de jeûne intermittent est généralement plus facile à adopter que d’autres types de jeûnes plus restrictifs comme l’alimentation  5 : 2, dans laquelle 5 jours d’alimentation normale sont entrecoupés de 2 jours (consécutifs ou non) où l’apport calorique est nul ou très faible, ou encore le alternate day fasting (1 jour sur deux de jeûne, en alternance). Étant donné que l’ART consiste simplement à souper tôt ou à déjeuner tard pour parvenir à ne pas manger pendant une période de 16 à 18 h, ce type de jeûne intermittent ne provoque généralement pas de bouleversements majeurs dans les habitudes de vie et est en conséquence à la portée de la plupart des gens.

Manger trop et trop souvent

L’intérêt suscité par l’ART et les autres formes de jeûnes intermittents peut être considéré,  dans une certaine mesure, comme une réaction à la forte augmentation du nombre de personnes en surpoids observée au cours des dernières décennies.  Les statistiques montrent en effet que 2/3 des Canadiens sont actuellement en surpoids (IMC>25), incluant un tiers qui sont obèses (IMC>30), et ce surpoids est devenu tellement la norme qu’on oublie à quel point notre tour de taille collectif a grimpé en flèche depuis 50 ans.

Par exemple, les statistiques publiées par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains indiquent qu’entre 1960 et 2010, le poids moyen d’un américain est passé de 166 livres à 196 livres (75 à 89 kg), tandis que celui des femmes passait de 140 livres à 166 livres (63 à 75 kg) (Figure 1).  Autrement dit, en moyenne, une femme pèse actuellement le même poids qu’un homme qui vivait durant les années 60 !   Pas étonnant que les gens soient beaucoup plus minces qu’aujourd’hui dans les photos de famille ou les films datant de cette époque….

Figure 1. Augmentation du poids corporel moyen de la population américaine au cours des dernières décennies.  Adapté à partir des données provenant des CDC. Notez que le poids moyen des femmes en 2010 était identique à celui des hommes en 1960 (cercles rouges).  Une tendance similaire, mesurée par la hausse de l’indice de masse corporellle, a été observée dans plusieurs régions du monde, incluant le Québec.

La surconsommation de calories, en particulier celles provenant d’aliments industriels ultratransformés, est certainement l’un des principaux facteurs qui ont contribué à cette augmentation rapide du poids corporel de la population.  L’environnement dans lequel nous vivons encourage fortement cet apport excessif en énergie (publicité agressive, aliments préparés surchargés de sucre et de gras, disponibilité quasi illimitée des produits alimentaires), si bien que, collectivement, nous mangeons non seulement trop, mais aussi trop souvent.  Par exemple, une étude réalisée aux États-Unis a montré que ce que l’on considère généralement comme l’alimentation standard, c’est-à-dire la consommation de trois repas par jour répartis sur une période de 12 h, est au contraire un phénomène assez marginal (moins de 10% de la population). En réalité, l’étude a montré que la plupart des gens mangent à plusieurs reprises au cours de la journée (et de la soirée), avec un intervalle moyen de seulement 3 h entre les périodes de consommation de calories. Selon cette étude,  plus de la moitié de la population consomme sa nourriture sur une période de 15 h et plus par jour, ce qui augmente évidemment les risques d’un apport excessif en énergie. Il faut d’ailleurs noter que ces chercheurs ont observé que pour la très grande majorité des participants, toute la nourriture consommée après 18h30 excédait leurs besoins énergétiques.

Contrôle du poids (et du métabolisme)

Plusieurs études suggèrent que le jeûne intermittent, incluant l’ART, représente une approche valable pour corriger ces excès et rétablir l’équilibre calorique indispensable au maintien d’un poids corporel normal.  Évidemment, ceci est particulièrement vrai pour les personnes obèses qui mangent plus de 15 h par jour : pour ces personnes, le simple fait de réduire leur fenêtre d’alimentation à 10-12 h, sans nécessairement faire d’efforts particuliers pour restreindre leur apport calorique, est associé à une réduction du poids corporel.

La plupart des études qui se sont penchées sur l’effet de l’ART sur le poids corporel arrivent à des résultats semblables, c’est-à-dire que chez les personnes en surpoids, simplement restreindre la période d’alimentation à une fenêtre de 8-10 h mène généralement à une perte de poids dans les semaines qui suivent (Tableau 1). Cette perte est dans l’ensemble assez modeste (2-4 % du poids corporel), mais peut cependant devenir plus importante lorsque l’ART est combinée à un régime hypocalorique.

Il serait cependant réductionniste de voir l’ART simplement comme une approche destinée au contrôle du poids corporel. En pratique, les études indiquent que même en absence d’une perte du poids (ou lorsque la perte est très modeste), l’ART améliore certains aspects clés du métabolisme.  Par exemple, chez des hommes en surpoids et prédiabétiques, réduire la fenêtre d’alimentation de 12 à 6 h pendant 5 semaines n’a pas permis d’obtenir une perte de poids significative, mais est néanmoins associée à une baisse de la résistance à l’insuline et de la glycémie à jeun.  Ces résultats ont été confirmés par une étude subséquente; dans ce dernier cas, par contre, la diminution de la glycémie induite par l’ART semble seulement survenir lorsque la fenêtre d’alimentation est dans la première portion de la journée (8h-17h) et n’est pas observée pour des fenêtres plus tardives (12h-21h).  Cette supériorité de l’ART réalisée en début de journée pour la réduction de la glycémie à jeun a été observée dans d’autres études, mais demeure inexpliquée à ce jour.

Il faut aussi noter que ces impacts positifs de l’ART sur le métabolisme du glucose sont également observés chez des personnes de poids normal (IMC=22), ce qui souligne à quel point les bénéfices de l’ART dépassent largement la simple perte de poids.

Fenêtre d’alimentationDurée
de l’étude
ParticipantsPrincipaux résultatsSource
13 h (6h-19h)2 sem29 H (moy. 21 ans)
IMC=25
↓ poids (-0,4 kg)
↓ apport calorique
LeCheminant et coll. (2013)
10-12h (moment au choix du participant)16 sem5H, 8F (24-30 ans)
IMC>30
↓ poids (-3,3 kg)
↑ qualité du sommeil
Gill et Panda (2015)
ART : 8h (13h-21h)
Ctl: 13h (8h-21h)
8 sem34H
IMC=30
←→ poids
↓IGF-1
↓gras corporel
Moro et coll. (2016)
ART : 6h (8h-14h)
Ctl: 12h (8h-20h)
5 sem8H (moy 56 ans)
IMC>25 et prédiabète
←→ poids
↓résistance insuline
↓insuline postprandiale
↓pression artérielle
↓appétit en soirée
Sutton et coll. (2018)
8 h (10h-18h)12 sem41F, 5H (moy 50 ans)
IMC=35
↓ poids (-2,6%)
↓ apport calorique
↓pression artérielle
Gabel et coll. (2018)
3h de moins qu'à l’habitude
(déjeuner 1,5h plus tard; souper 1,5h plus tôt)
10 sem12F, 1H (29-57 ans)
IMC=20-39
←→ poids
↓apport calorique
↓gras corporel
Antoni et coll. (2018)
9 h
Tôt : 8h-17h
Tard : 12h-21h
1 sem15H (moy 55 ans)
IMC>25
↓ poids (-0,8 kg)
↓ glycémie postprandiale
↓ TG
↓ glycémie à jeun (seulement pour ART tôt)
Hutchison et coll. (2019)
ART: 8h (12h-20h)
Ctl: 3 repas à heures fixes
12 sem
70H, 46F (moy 47 ans)
IMC>25
↓ poids (1,2%) pour ART (non significative)Lowe et coll. (2020)
10h (moment au choix du participant)12 sem13H, 6F (moy 59 ans)
(atteints du syndrome métabolique)
↓poids
↓tour de taille
↓pression artérielle
↓LDL-cholestérol
↓HbA1C
Wilkinson et coll. (2020)
4h 15h-19h)
6h (13h-19h)
8 sem53F, 5H
IMC>30
↓poids (3 %)
↓résistance insuline
↓stress oxydatif
↓apport calorique (-500kCal/jr en moy)
(pas de diff. entre 4h et 6h)

Cienfuegos et coll. (2020)
ART : 10h
Ctl : 12h
(déficit calorique de 1000 kCal/jr dans les 2 cas)
8 sem53F, 7H
IMC> 35
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-8,5% vs -7,1%)
↓ glycémie à jeun (seulement pour ART)
Peeke et coll. (2021)
8 h (12h-20h)12 sem32F
IMC>32
↓poids (-4 kg)
↓risque CV (score de Framingham)
Schroder et coll. (2021)
8h (moment au choix du participant)12 sem37F, 13H
IMC=35
↓poids (-5 %)Przulj et coll. (2021)
ART : 8h (8h-16h)
Ctl : 10h
(Dans les 2 cas, réduction des calories à 1800 kCal/jr pour les hommes et 1500 kCal/jr pour les femmes)
52 sem71H, 68F (moy 30 ans)
IMC>30
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-8 kg vs -6,3 kg)
Liu et coll. (2022)
ART: 8h
Tôt : 6h-14h
Tard : 11h-19h
5 sem64F, 18H
IMC=22
↓apport calorique
↓résistance à l’insuline (ART tôt)
↓glycémie à jeun (ART tôt)
Xie et coll. (2022)
ART : 10h (à partir de l’heure du déjeuner)
Ctl : pas de limite de temps
(Réduction calorique de 35% dans les deux cas)
12 sem69F, 12H (moy 38 ans)
IMC=34
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-6,2 kg vs -5,1 kg)
Thomas et coll. (2022)
ART: 8h (7h-15h)
Ctl : ≥12h
(Réduction calorique de 500kCal/j dans les deux cas)
14 sem72F, 18H (moy 43 ans)
IMC>30
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-6,3 kg vs -4,0 kg)
Jamshed et coll. (2022)

Tableau 1. Exemples d’études portant sur les effets de l’ART sur le poids corporel et le métabolisme.

Rythmes métaboliques

Les raisons de l’impact positif d’une alimentation restreinte dans le temps sont à la fois très simples et éminemment complexes.  Simple, tout d’abord, dans la mesure où on peut intuitivement comprendre que le métabolisme, comme n’importe quel travail, requiert des périodes de pause pour optimiser le rendement et éviter la surchauffe et l’épuisement.

Au cours de l’évolution, ces cycles de travail-repos métaboliques se sont développés en réponse au cycle jour-nuit de la Terre, qui correspond en gros à notre cycle éveil-sommeil (Figure 2) : durant le jour, nous sommes en mode actif et la principale fonction du métabolisme est d’extraire l’énergie contenue dans les aliments (glucose, acides gras, protéines) pour subvenir aux besoins de la journée. Par contre, le métabolisme est également prévoyant et économe, et une portion de cette énergie n’est pas utilisée immédiatement, mais est plutôt entreposée sous forme de polymères de glucose (glycogène) ou transformée en gras et stockée au niveau du tissu adipeux pour être utilisée lors de périodes plus ou moins prolongées de jeûne.

Figure 2. Rythmicité des processus métaboliques selon le moment de la journée. La plupart des organismes, y compris les humains, ont évolué pour avoir des rythmes circadiens (près de 24 heures) qui créent des fenêtres de temps optimales pour le repos, l’activité et l’apport en nutriments. Cette horloge moléculaire coordonne les réponses métaboliques appropriées avec le cycle lumière/obscurité et améliore l’efficacité énergétique grâce à la séparation temporelle des réactions anaboliques (sécrétion d’insuline, synthèse de glycogène, lipogenèse) et cataboliques (lipolyse, dégradation du glycogène) dans les tissus périphériques. Les perturbations de ce cycle, par exemple suite à un apport nutritionnel en dehors de la fenêtre de temps privilégiée, compromettent les fonctions des organes et augmentent les risques de maladies chroniques. Adapté de Sassi et Sassone-Corsi (2018).

Dans ce mode maintenance, qui correspond généralement à la période de repos (le soir, la nuit et le début du jour), la fonction du métabolisme est d’assurer que l’apport énergétique à nos cellules demeure adéquat, même en absence d’aliments :  le glucose stocké sous forme de glycogène est tout d’abord utilisé pour maintenir la glycémie à un taux constant, suivi d’une transition graduelle du métabolisme vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie. Lorsque la période de jeûne se prolonge, les niveaux de glucose sanguins deviennent insuffisants pour assurer le fonctionnement du cerveau (les neurones ne sont pas capables d’utiliser les acides gras comme source d’énergie) et une partie des graisses est alors utilisée pour produire des corps cétoniques. Ces corps cétoniques peuvent être métabolisés par les cellules nerveuses (ainsi que par les cellules d’autres organes, notamment les muscles et le cœur), ce qui permet au corps de non seulement survivre à une carence en aliments, mais aussi de conserver les capacités physiques et mentales nécessaires pour obtenir cette nourriture (les personnes qui jeûnent pendant des périodes assez longues (≥ 24 h) rapportent fréquemment une amélioration notable de leur acuité mentale). D’un point de vue évolutif, cette segmentation du métabolisme en deux phases distinctes s’est donc développée pour maximiser l’extraction de l’énergie lorsque la nourriture est disponible, tout en assurant la survie lorsqu’elle ne l’est pas, pendant les fréquentes périodes de disettes.

Au niveau moléculaire, cette transition métabolique (metabolic shift) du glucose vers les graisses crée donc l’équivalent de « quarts de travail » où les différentes enzymes et hormones métaboliques actives durant le jour sont au repos durant la nuit, alors qu’à l’inverse, celles qui entrent en action durant la nuit deviennent inactives pendant le jour.

Un des meilleurs exemples de cette chorégraphie moléculaire  finement orchestrée est le cycle gouvernant la production de l’insuline : durant le jour, l’arrêt de la sécrétion de mélatonine après l’éveil permet au pancréas de produire de l’insuline en réponse à l’ingestion de glucides, et la capture du glucose présent dans la circulation sanguine qui s’ensuit est utilisée par les cellules pour assurer leur fonctionnement. En parallèle, l’insuline favorise aussi la transformation du glucose en acides gras au niveau du tissu adipeux et la création d’une réserve d’énergie pour usage futur.  En soirée, donc au début de la période de maintenance du métabolisme, la sécrétion de mélatonine (pour favoriser le sommeil) interfère avec celle d’insuline et la diminution de l’entrée de sucre dans les cellules qui s’ensuit facilite la transition vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie pendant la période de repos.

Une des conséquences immédiates de manger à répétition pendant une longue période de temps de la journée, par exemple 15 h et plus comme dans l’étude mentionnée plus tôt, est donc de complètement perturber ce cycle de l’insuline. Ceci est particulièrement vrai pour des apports caloriques tard en soirée, au moment où la sécrétion de mélatonine signale normalement au métabolisme que l’extraction d’énergie est terminée pour la journée (inhibition de l’insuline) et qu’il est temps de se placer en période de maintenance. L’ingestion de calories à ce moment tombe alors à un bien mauvais moment, car les deux volets du métabolisme sont sollicités en même temps et la cacophonie qui s’ensuit perturbe simultanément le fonctionnement normal de chacun d’entre eux. Par exemple, on sait depuis longtemps qu’un apport calorique tardif est associé à une hausse plus élevée du glucose sanguin postprandial (après le repas).

Période de repos prolongée

Limiter l’apport calorique à seulement 6-8 h de la période d’éveil a évidemment comme conséquence immédiate d’augmenter la durée de la période de repos et de maintenance du métabolisme.  Cela peut sembler peu, mais ces quelques heures supplémentaires sans apport calorique vont forcer la mise en branle d’une série d’adaptations métaboliques extrêmement importantes pour les effets bénéfiques de l’ART. C’est là que ça se complique, mais on peut tout de même tenter de simplifier le tout en séparant ces adaptations en deux grandes catégories :

1) Optimiser la transition métabolique.  Comme mentionné plus tôt, la période de jeûne est associée au passage d’un métabolisme axé sur le glucose comme principale source d’énergie vers les acides gras.  Par contre, lorsque la période de jeûne est relativement courte, d’environ 12 h (par exemple, fin de souper vers 18 h suivi d’un petit déjeuner à 6 h  le lendemain), cette transition métabolique vers les graisses demeure incomplète : la diminution des taux de glucose postprandial est corrélée avec une légère hausse des acides gras libres en circulation, mais cette hausse est transitoire et annulée dès l’ingestion du premier repas de la journée (Figure 3, graphique de gauche).  De plus, ce laps de temps n’est pas suffisant pour générer des taux significatifs de corps cétoniques.

Figure 3. L’impact de l’ART sur la transition métabolique vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie. Après chaque repas, la concentration de glucose dans le sang augmente rapidement dans les 15 minutes qui suivent, avec un pic de 30 à 60 minutes après le début du repas, tandis que l’absorption des triglycérides alimentaires est beaucoup plus lente avec un pic qui survient 3 à 5 h plus tard. Cette hausse rapide du glucose entraîne une augmentation drastique de l’insuline systémique (~ 400–500 pmol/L) pour permettre l’absorption de glucose et, en parallèle, agit sur le tissu adipeux pour inhiber la libération d’acides gras libres et bloquer la production de corps cétoniques. Par conséquent, l’utilisation des glucides représente 70 à 75 % des dépenses énergétiques après la consommation d’un repas. Le métabolisme hépatique du glycogène passe alors de la dégradation (glycogénolyse) à la synthèse (glycogenèse) et le métabolisme musculaire passe de l’oxydation des acides gras et des acides aminés à l’oxydation du glucose et au stockage du glycogène. Cette réponse finement réglée se traduit par une diminution de la glycémie à < 7,8 mmol/L deux heures après un repas. Lors d’une période de jeûne standard (12 h) (figure de gauche), la glycémie est maintenue à un niveau constant (environ 4,0-5,5 mmol/L) et c’est l’oxydation des acides gras qui devient la principale source d’énergie (environ 45 %, contre 35 % pour le glucose et 20% pour les protéines). Lorsque la période de jeûne dépasse 12 h (figure de droite), la concentration de glucose et d’insuline continuent à diminuer lentement, tandis que celle des acides gras libres augmente pour assurer la transition métabolique vers l’oxydation des graisses.  Cette transition est également associée à la production de corps cétoniques en réponse à l’influx d’acides gras libres au niveau du foie.  Adapté de Dote-Monterro et coll. (2022).

En repoussant de quelques heures ce premier repas (ou en consommant plus tôt le dernier repas du jour précédent) de façon à jeûner un peu plus longtemps (16 h, par exemple), l’absence de nouvelles sources alimentaires de sucre et de triglycérides force le métabolisme à se tourner vers les réserves d’acides gras comme source d’énergie ainsi qu’à débuter la transformation d’une partie de ces gras en corps cétoniques pour compenser la rareté de glucose (Figure 3, graphique de droite).

Autrement dit, en répartissant l’apport calorique sur une période de temps prolongée (12 h et plus), l’excédent d’énergie stockée sous forme de graisses n’est à peu près jamais utilisé.  Pour les personnes qui consomment régulièrement plus de calories que leurs besoins, il peut donc y avoir au fil du temps une accumulation progressive de graisse. Par contre, en restreignant cet apport calorique sur une période de temps plus courte (moins de 12 h), la plus grande transition métabolique vers les graisses permet d’utiliser ces réserves et ainsi d’éviter l’accumulation d’un surplus d’énergie pouvant mener au surpoids.

2) Sauvegarder les acquis.  Une autre conséquence d’une période de jeûne prolongée est de créer un « climat d’incertitude » pour les cellules quant à leur apport futur en énergie.  Au cas où cette disette se prolonge, elles n’ont alors d’autre choix que d’adopter une approche prudente et de privilégier le maintien des acquis plutôt que d’envisager de poursuivre leur expansion.  Pour faire une analogie simple, lorsque les temps sont durs, on consacre nos énergies à entretenir la maison et non à entreprendre des travaux d’agrandissement. C’est exactement l’approche que privilégie la cellule lors d’un jeûne : en absence de nouvelles sources d’énergie, les mécanismes impliqués dans la croissance sont mis en veilleuse et l’énergie résiduelle est plutôt consacrée au maintien et à la réparation des constituants essentiels à l’intégrité cellulaire (ADN, mitochondries, protéines, etc.). Cette « cure de rajeunissement » fait en sorte que l’état de santé général des cellules est amélioré lors d’un jeûne, ce qui permet un fonctionnement optimal lorsque l’apport énergétique est rétabli.

Surchauffe métabolique

Pour mieux comprendre l’impact de cette adaptation au jeûne sur le métabolisme, il peut être utile de tout d’abord visualiser à quel point l’alimentation standard actuelle, riche en aliments d’origine animale et en aliments ultratransformés (qui représentent actuellement à eux seuls près de la moitié des calories quotidiennes consommées au Canada), est un « cocktail » de croissance parfait pour créer une surchauffe métabolique et encourager le développement de diverses pathologies.

  Cette surchauffe est principalement causée par la présence simultanée de deux puissants activateurs des voies de signalisation impliquées dans la croissance des cellules, soit les sucres libres et les protéines animales (Figure 4).  En particulier, les régimes riches en protéines et en certains acides aminés (méthionine et à acides aminés à chaines latérales (BCAA), principalement retrouvés dans les produits animaux) sont les plus efficaces pour activer la voie GH/IGF-1 impliquée dans la croissance et le vieillissement prématuré de la cellule. En conditions normales, l’activation de ces voies de croissance est évidemment essentielle à la survie, mais lorsqu’elle devient excessive, par exemple suite à une surconsommation de calories et/ou un apport alimentaire trop fréquent (par exemple sur une période de 15 h, comme observé dans l’étude mentionnée plus tôt), l’excès d’énergie qui est emmagasiné sous forme de graisse peut favoriser le développement d’une résistance à l’action de l’insuline (voir notre article à ce sujet).  Ce désordre du signal de l’insuline est réellement problématique, car il catalyse l’apparition d’une série de bouleversements métaboliques qui vont créer une inflammation chronique et un stress oxydatif dommageables pour l’ensemble du corps.  Ces conditions peuvent favoriser directement le développement des principales maladies chroniques (cardiovasculaires, diabète de type 2, cancer, neurodégénérescences) ou encore indirectement, en accélérant le processus de vieillissement, un des principaux facteurs de risque de ces maladies.

Figure 4. Effets de l’alimentation occidentale standard sur le métabolisme et le risque de maladies chroniques.Un apport calorique quotidien prolongé (≥12h), combiné à la présence de sucres simples et de protéines animales, active fortement les voies impliquées dans la croissance cellulaire (GH/IGF-1, insuline) et favorise le développement d’anomalies métaboliques comme le surpoids et la résistance à l’insuline. Les perturbations métaboliques qui s’ensuivent créent un climat propice au développement de conditions de stress oxydatif et d’inflammation chroniques qui endommagent la cellule (glucotoxicité, lipotoxicité, dommages à l’ADN, lipides et protéines), accélèrent le vieillissement biologique et augmentent le risque de plusieurs maladies.

Éviter la surchauffe

Pour simplifier, on peut voir le jeûne intermittent, incluant l’ART, comme une façon de minimiser ces risques de surchauffe métabolique et de plutôt stimuler les mécanismes de conservation cellulaire (Figure 5). En limitant l’apport calorique à une fenêtre de temps plus courte, les hormones de croissance comme l’insuline et le IGF-1 sont activées, mais dans une moindre mesure, ce qui réduit les risques de surpoids, de résistance à l’insuline et, par conséquent, d’altérations métaboliques favorisant le vieillissement et le développement de maladies chroniques.  De plus, comme mentionné auparavant, la période plus longue de jeûne force la cellule à entrer en mode maintenance et de mettre en priorité la réparation et le maintien de ses structures plutôt que la croissance à tout prix. Au niveau moléculaire, cela se traduit par l’activation des senseurs de la baisse d’énergie disponible (l’AMPK et les sirtuines, en particulier) et l’entrée en scène des processus de conservation comme la réparation des protéines et de l’ADN, la synthèse de nouvelles mitochondries (mitogenèse), le recyclage des composantes endommagées (ce qu’on appelle le processus d’autophagie) et le renouvellement des cellules souches.

Il faut absolument mentionner que les bénéfices associés au jeûne intermittent seront d’autant plus manifestes si l’énergie consommée durant la période d’apport calorique provient principalement des végétaux. On sait depuis longtemps qu’une alimentation à base de plantes (fruits, légumes, légumineuses, noix, graines, etc.) permet un apport élevé en vitamines, minéraux et certains composés bioactifs (les polyphénols, par exemple) qui possèdent des propriétés antiinflammatoires, tout en étant d’excellentes sources de glucides complexes et de gras insaturés, des nutriments essentiels à la réduction importante du risque de maladies chroniques, en particulier les maladies cardiovasculaires.  Il faut aussi mentionner que les protéines d’origine végétale, étant moins riches en méthionine et en acides aminés à chaine latérale (BCAA), activent moins fortement le GH/IGF-1 et la production d’insuline que les protéines animales et réduisent ainsi le risque de résistance à l’insuline et de diabète de type 2.  Puisque la voie GH/IGF-1 représente également un puissant activateur de mTOR (impliqué dans la synthèse de protéines et la croissance cellulaire), la réduction de GH/IGF-1 par les protéines végétales contribue à diminuer l’activité de ce mTOR et ainsi à stimuler l’autophagie, le recyclage des composantes cellulaires essentiel au maintien de la santé de la cellule.

Figure 5. Impacts métaboliques et physiologiques d’une alimentation restreinte dans le temps et d’un régime principalement à base de plantes.   Un apport calorique restreint à une fenêtre de temps inférieure à 8 h et composé de nutriments d’origine végétale (glucides complexes, gras insaturés, protéines pauvres en méthionine et en acides aminés à chaine latérale (BCAA)) favorise une faible résistance à l’insuline, une faible adiposité, des niveaux d’activités modérés de GH/IGF-1, une signalisation mTOR réduite et une hausse de l’autophagie. La combinaison de ces effets améliore le fonctionnement du métabolisme, réduit l’inflammation et le stress oxydatif et favorise la maintenance et la réparation des fonctions cellulaires, ce qui peut mener à un ralentissement du processus de vieillissement et une diminution de l’incidence de plusieurs maladies chroniques, incluant le diabète, certains cancers, les maladies cardiovasculaires et les neurodégénérescences.  Adapté de Longo et Anderson (2022).

En somme, on peut voir l’ART (et les jeûnes intermittents dans l’ensemble) comme un moyen simple d’utiliser à notre avantage les mécanismes sélectionnés par l’évolution pour optimiser le fonctionnement de notre métabolisme et ainsi créer des conditions incompatibles avec le développement des maladies chroniques.   Il faut réaliser que nous vivons actuellement à une époque d’abondance alimentaire sans précédent, pour laquelle notre physiologie, qui a évolué pour faire face à la rareté de nourriture, est complètement inadaptée.  Contrôler son apport calorique dans un tel environnement n’est pas chose facile, en particulier pour les personnes qui sont en surpoids et qui cherchent à perdre du poids en mangeant moins : ces régimes hypocaloriques sont la plupart du temps inefficaces à long terme, car la restriction calorique est extrêmement difficile à soutenir sur de longues périodes.

Restreindre l’apport calorique de la journée à des fenêtres de temps inférieures à 12 h, comme dans l’ART, représente une alternative intéressante à la restriction calorique.  D’une part, il n’est pas nécessaire de diminuer la quantité totale de calories consommées pour contrôler son poids, ce qui rend cette approche beaucoup plus accessible pour la plupart des gens (en pratique, les études indiquent que les personnes qui adhèrent à l’ART diminuent tout de même leur apport calorique, mais de façon involontaire). De plus, le jeûne intermittent n’augmente pas les hormones de l’appétit comme la ghréline (contrairement à la restriction calorique), ce qui rend les gens moins affamés et donc moins susceptibles de « tricher » et d’abandonner cette approche.

En somme, l’ART peut être considérée comme une forme « d’autodéfense alimentaire » face à la surabondance de calories présentes dans notre environnement.  En minimisant les excès caloriques, cette approche modérée et prudente permet de mieux contrôler le poids corporel et ainsi de réduire les risques de l’ensemble des maladies chroniques qui découlent du surpoids.

Les suppléments anti-vieillissement : une nouvelle fontaine de jouvence ?

Les suppléments anti-vieillissement : une nouvelle fontaine de jouvence ?

EN BREF

  • La berbérine, tout comme le médicament antidiabétique metformine, est un activateur d’une enzyme (AMPK) qui est impliquée dans certains effets bénéfiques anti-vieillissement de la restriction calorique.
  • Le resvératrol et le ptérostilbène réduisent l’inflammation, le risque de maladie cardiaque, de cancer et de neurodégénération, en plus de protéger l’intégrité du génome via l’activation d’enzymes nommées « sirtuines ».
  • Les suppléments nicotinamide mononucléotide (NMN) et le nicotinamide riboside (NR) sont efficaces pour augmenter les taux de nicotinamide adénine dinucléotide (NAD) qui diminuent avec l’âge.
  • Certains de ces suppléments allongent la vie de plusieurs organismes vivants (levures, vers, mouches) et d’animaux de laboratoire (souris, rats), mais il n’y a pas encore de données probantes chez l’humain à cet effet.

Depuis des millénaires l’homme cherche à ralentir le vieillissement et prolonger la vie à l’aide d’élixirs, d’eaux miraculeuses, de pilules et autres suppléments. Pourtant on sait aujourd’hui que dans les communautés où les gens vivent plus longtemps (les « blue zones »), il semble que le « secret » de la longévité consiste en un mode de vie caractérisé par une activité physique soutenue tout le long de la vie, une alimentation saine composée principalement de végétaux et des liens sociaux et familiaux très forts.

Il y a donc cette idée que certaines molécules ont des propriétés anti-vieillissement, c.-à-d. qu’elles sont en mesure de retarder le vieillissement normal et donc de prolonger la vie, malgré un mode de vie suboptimal. Cette question intéresse aussi les scientifiques qui ont identifié et étudié les effets anti-vieillissement de certaines molécules surtout sur des cellules en culture et des animaux de laboratoire. Plusieurs suppléments « anti-vieillissement » sont offerts dans le commerce, mais sont-ils vraiment efficaces ?

Metformine
La metformine est un médicament largement prescrit depuis plus de 60 ans pour traiter le diabète de type 2. La metformine est un analogue synthétique non toxique de la galégine, un composé actif extrait de la plante galéga officinal (rue de chèvre) qui était utilisé dès le 17e siècle comme remède contre l’émission excessive d’urine causée par le diabète.   Elle normalise la glycémie en augmentant la sensibilité à l’insuline des principaux tissus qui utilisent le glucose tels le foie et le tissu adipeux.

La metformine cause un stress énergétique dans la cellule en inhibant le complexe I de la chaîne respiratoire mitochondriale (centrale de l’énergie dans la cellule), ce qui a pour résultat d’inhiber à son tour l’enzyme mTORC1 (mechanistic target of rapamycin complex 1) par des mécanismes dépendant ou non de l’activation de l’enzyme AMPK. Le complexe mTORC1, composé de l’enzyme mTOR (une sérine/thréonine kinase) et de protéines régulatrices, est impliqué dans la régulation de plusieurs activités cellulaires (synthèse des protéines, transcription de l’ADN en ARN, prolifération, croissance, mobilité et survie cellulaire) en réponse à la détection de nutriments. Elle est aussi impliquée dans les nombreux changements qui surviennent lors du ralentissement du vieillissement causé par la restriction calorique, au niveau de la fonction mitochondriale (centrale de l’énergie dans la cellule) et de la sénescence cellulaire. L’adénosine monophosphate kinase (AMPK) est une enzyme qui fonctionne comme un capteur central des signaux métaboliques.

La metformine atténue les signes du vieillissement et augmente la durée de vie de plusieurs organismes vivants, incluant plusieurs espèces animales. Chez l’humain, les diabétiques qui prennent de la metformine vivent plus longtemps que ceux qui ne prennent pas ce médicament. Parmi les effets secondaires indésirables associés à la prise de metformine, il y a à court terme les diarrhées, flatulences, maux de ventre et à long terme une diminution de l’absorption de la vitamine B12.

La metformine pourrait-elle retarder le vieillissement dans la population en général, comme cela semble être le cas pour les diabétiques ? Pour répondre à cette question, un essai clinique contrôlé est en cours, il s’agit de l’étude TAME (Targeting Ageing with Metformin) qui sera réalisée auprès de 3000 participants âgés de 65 à 79 ans, recrutés dans 14 sites pilotes aux États-Unis. L’étude d’une durée de six ans a pour but d’établir si la prise de metformine peut retarder le développement ou la progression de maladies chroniques associées au vieillissement, tels les maladies cardiovasculaires, le cancer et les démences. Cette étude suscite beaucoup d’intérêt parce que la metformine est un médicament peu coûteux et dont la sécurité est bien établie. Advenant des résultats positifs, la metformine pourrait devenir le premier médicament prescrit pour traiter le vieillissement et potentiellement augmenter l’espérance de vie en bonne santé des personnes âgées.

Berbérine
La berbérine est un alcaloïde dérivé de l’isoquinoline qui est retrouvé dans plusieurs espèces de plantes : le coptide chinois (Coptis chinensis), l’hydraste du Canada (Hydrastis canadensis) et l’épine-vinette (Berberis vulgaris). Le coptide chinois est l’une des 50 herbes fondamentales de la pharmacopée traditionnelle chinoise et il est utilisé principalement pour prévenir ou atténuer les symptômes, telle la diarrhée, associés à des maladies digestives. La berbérine a de nombreux effets biologiques bien documentés scientifiquement (voir ces articles de revue en anglais ici, et ici), incluant des activités anti-inflammatoire, anti-tumorale, antiarythmique et des effets favorables sur la régulation de la glycémie et des lipides sanguins. La berbérine prolonge la durée de vie de la drosophile (mouche à fruits) et stimule leur activité locomotrice.

Figure 1. Structures de la berbérine et de la metformine.

Metformine et berbérine : des composés mimétiques de la restriction calorique
La berbérine agit de manière similaire à la metformine, même si leurs structures sont très différentes (voir figure 1). Les deux molécules sont des activateurs d’une enzyme, l’AMPK, qui fonctionne comme un capteur central des signaux métaboliques. L’activation de l’AMPK est impliquée dans certains effets bénéfiques pour la santé de la restriction calorique à long terme. À cause de ce mécanisme commun, il a été suggéré que la metformine et la berbérine pourraient agir comme des composés mimétiques de la restriction calorique et augmenter la durée de vie en bonne santé. Voici les principaux bienfaits potentiels des activateurs de l’AMPK qui ont été identifiés :

  • réduction de risque d’athérosclérose ;
  • réduction du risque d’infarctus du myocarde ;
  • réduction du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) ;
  • amélioration du syndrome métabolique ;
  • réduction du risque de diabète de type 2 ;
  • contrôle de la glycémie chez les diabétiques ;
  • réduction du risque de gain de poids ;
  • réduction du risque de certains cancers ;
  • réduction du risque de démence et d’autres maladies neurodégénératives
    Il faut souligner qu’aucune étude randomisée contrôlée n’a encore été publiée pour démontrer de tels effets positifs chez l’humain.

Il faut souligner qu’aucune étude randomisée contrôlée n’a encore été publiée pour démontrer de tels effets positifs chez l’humain.

Resvératrol, ptérostilbène
Le resvératrol et le ptérostilbène sont des composés polyphénoliques naturels de la classe des stilbénoïdes qui sont retrouvés en faible quantité dans la peau du raisin (resvératrol), les amandes, les myrtilles et d’autres plantes (ptérostilbène). Des études ont montré (voir cet article de revue) que le resvératrol peut réduire l’inflammation, le risque de maladie cardiaque, de cancer et de maladie neurodégénérative. Le resvératrol active les gènes des sirtuines, des enzymes qui protègent l’intégrité de l’ADN et de l’épigénome (l’ensemble des modifications qui ne sont pas codées par la séquence d’ADN , qui régulent l’activité des gènes en facilitant ou en empêchant leur expression). Il semble que le ptérostilbène soit une meilleure alternative au resvératrol parce qu’il est mieux absorbé dans l’intestin et qu’il est plus stable dans le corps humain. De plus, certaines études indiquent que le ptérostilbène est supérieur au resvératrol en ce qui concerne les effets cardioprotecteur, anticancer et antidiabétique.

Le resvératrol prolonge la vie d’organismes vivants tels la levure (+70 %), le ver C. elegans (+10-18 %), l’abeille (+33-38 %) et certains poissons (+19-56 %). Cependant, la supplémentation en resvératrol ne prolonge pas la vie de souris ou de rats en bonne santé. Par ailleurs, le resvératrol a prolongé la vie (+31 %) de souris dont le métabolisme était affaibli par un régime alimentaire à haute teneur en calories. Il semble que le resvératrol protège les souris obèses contre la stéatose hépatique en diminuant l’inflammation et la lipogenèse. Le resvératrol est une molécule qui un potentiel élevé pour améliorer la santé et la longévité chez l’humain, mais il ne sera pas facile de démontrer l’efficacité de cette molécule sur la longévité dans des essais cliniques à large échelle, à cause des coûts énormes et des problèmes de compliance associés à ce genre d’essai de longue durée.

Les suppléments précurseurs du NAD peuvent-ils prévenir le vieillissement ?
Le nicotinamide adénine dinucléotide (NAD) joue un rôle essentiel dans le métabolisme cellulaire, comme cofacteur ou coenzyme dans des réactions d’oxydoréductions (voir figure 2) et comme molécule de signalisation dans diverses voies métaboliques et autres processus biologiques. Le NAD est impliqué dans plus de 500 réactions enzymatiques distinctes et c’est l’une des molécules les plus abondantes dans le corps humain (approx. 3 g/personne). Les manuels de biochimie décrivent encore le métabolisme du NAD de manière statique et insistent principalement sur les réactions de conversion (oxydoréduction) entre la forme oxydée « NAD+ » et la forme réduite « NADH » (voir la figure 1 ci-dessous).

Figure 2. Le nicotinamide adénine dinucléotide est un coenzyme impliqué dans de nombreuses réactions d’oxydoréduction au niveau cellulaire. L’équation en haut de la figure montre l’échange de deux électrons dans cette réaction. Les différences dans les structures du NAD+ (forme oxydée) et du NADH (forme réduite) sont indiquées en rouge.

Pourtant les résultats de recherches récentes montrent que le NAD est impliqué dans une foule de réactions autres que celles d’oxydoréductions. Le NAD et ses métabolites servent de substrats pour des enzymes très diverses qui sont impliquées dans plusieurs aspects du maintien de l’équilibre cellulaire (homéostasie). Par exemple, les sirtuines, une famille d’enzymes qui métabolisent le NAD, ont des impacts sur l’inflammation, la croissance cellulaire, le rythme circadien, le métabolisme énergétique, la fonction neuronale et la résistance au stress.

Les cellules humaines, à l’exception des neurones, ne peuvent importer le NAD. Elles doivent donc le synthétiser à partir de l’acide aminé tryptophane ou de l’une des formes de vitamine B3 comme le nicotinamide (NAM, aussi connu sous le nom de niacinamide) ou l’acide nicotinique (niacine, NA). La concentration de NAD dans le corps diminue avec l’âge, une diminution qui a été associée à des pathologies métaboliques et neurodégénératives. On s’est donc demandé s’il ne serait pas possible de retarder le vieillissement en compensant la baisse par des suppléments.

Il y a trois approches pour augmenter les niveaux de NAD dans le corps :

  • La supplémentation en précurseurs du NAD
  • L’activation des enzymes impliqués dans la biosynthèse du NAD.
  • L’inhibition de la dégradation du NAD.


Les précurseurs du NAD
Un apport de 15 mg de niacine via l’alimentation permet de maintenir des niveaux homéostatiques (constants) de NAD. On a longtemps cru que cet apport en niacine était optimal pour toute la population ; or il s’est avéré que les niveaux de NAD décroissent avec l’âge et qu’une supplémentation qui ramène les niveaux de NAD à une valeur normale, ou légèrement au-dessus, a des bienfaits sur la santé d’organismes vivants, de la levure aux rongeurs.

La supplémentation en acide nicotinique (niacine) à dose très élevée (250-1000 mg/jour durant 4 mois) est efficace pour augmenter la concentration de NAD dans le corps selon une étude clinique, mais son emploi est limité par les effets secondaires déplaisants, incluant le rougissement et les démangeaisons cutanées causés par le relargage de prostaglandine (>50 mg niacine/jour) ; de la fatigue et des effets gastro-intestinaux (>500 mg/jour). L’autre forme de vitamine B3, le nicotinamide (NAM) a le désavantage d’inhiber certaines enzymes telles que PARP et les sirtuines, aussi les chercheurs sont-ils d’avis que d’autres précurseurs tels que le nicotinamide riboside (NR) et le nicotinamide mononucléotide (NMN) sont plus prometteurs puisqu’ils n’inhibent pas ces mêmes enzymes. Le NMN est présent dans la nature, particulièrement dans les fruits et légumes (brocoli, choux, concombre, avocat, edamame), mais l’apport alimentaire en NMN est trop faible pour permettre de maintenir des niveaux constants de NAD dans le corps.

Le NR est bien toléré et une dose orale quotidienne de 1000 mg résulte en une hausse substantielle des niveaux de NAD dans le sang et les muscles, une stimulation de l’activité énergétique mitochondriale et une baisse des cytokines inflammatoires dans la circulation sanguine. Des études sur des animaux ou des cellules en culture indiquent que la supplémentation en NR a des effets positifs sur la santé et quelle a des effets neuroprotecteurs dans des modèles du syndrome de Cockayne (maladie héréditaire due à un défaut de réparation de l’ADN), de lésions induites par le bruit, de sclérose latérale amyotrophique, des maladies d’Alzheimer et de Parkinson.

Figure 3. Structures de quatre formes de vitamine B3, des précurseurs du NAD. La similarité entre les structures de ces molécules est indiquée en bleu et en noir, les différences en rouge. Ces quatre molécules sont toutes des précurseurs du NAD (voir texte).

Effet de la supplémentation en NAD sur la neurodégénérescence
Un essai clinique contrôlé de phase I (étude NADPARK) a été réalisé afin d’établir si la supplémentation NR par voie orale peut effectivement augmenter les niveaux de NAD dans le cerveau, et avoir des impacts sur le métabolisme cérébral de patients atteints de la maladie de Parkinson. Trente patients récemment diagnostiqués ont été traités quotidiennement durant 30 jours avec 1000 mg de NR ou un placebo. La supplémentation a été bien tolérée et a significativement augmenté, quoique de façon variable, les niveaux de NAD et de ses métabolites dans le cerveau tel que mesuré par résonance magnétique nucléaire au 31phosphore. Chez les patients qui ont reçu du NR et qui ont eu une hausse de leur NAD dans le cerveau, on a observé une altération du métabolisme cérébral, associé à de légères améliorations cliniques. Ces résultats, publiés en 2022, ont été jugés prometteurs par les chercheurs qui sont en train de faire un essai clinique de phase II (étude NOPARK), qui a pour but d’établir si la supplémentation en NR peut retarder ou non la dégénérescence des neurones dopaminergiques de la région nigrostriatale du cerveau et la progression clinique de la maladie chez des patients atteints de Parkinson au stade précoce.

Effet de la supplémentation en NAD sur le vieillissement
Les études montrent que la supplémentation en NR et MNM augmente les niveaux de NAD dans des souris, et qu’elle augmente légèrement la durée de la vie de ces animaux. Parmi les autres effets bénéfiques répertoriés chez la souris, il y a : une amélioration de l’endurance musculaire, une protection contre les complications du diabète, un ralentissement de la progression de la neurodégénérescence, des améliorations au niveau du cœur, du foie et des reins. Chez l’humain peu d’études bien faites ont été réalisées à ce jour et celles-ci étaient de courte durée et ont donné pour la plupart des résultats décevants, contrairement aux données obtenues chez les animaux. La durée de vie des souris relativement courte (2 à 3 ans) permet de tester l’effet de suppléments sur leur longévité, mais ce type d’expérience ne peut être envisagée chez les humains qui ont une espérance de vie beaucoup plus grande.

Les suppléments de NNM et de NR sont en vente libre et la Food and Drug Administration (FDA) des É.-U. a jugé que, selon les données disponibles, il est sécuritaire de les consommer (il est à noter que contrairement aux médicaments la FDA des É.-U. ne juge pas de l’efficacité thérapeutique des suppléments). Les suppléments en vente libre ne sont pas tous de qualité égale, aussi est-il recommandé de privilégier les produits certifiés GMP (Good Manufacturing Practice, une réglementation promulguée par la FDA des É.-U.). Veuillez noter que, dans l’état des connaissances sur le sujet, nous n’encourageons pas l’utilisation des suppléments NMN ou NR.

Heureusement il est possible de faire quelque chose pour maintenir un niveau normal de NAD en vieillissant sans devoir consommer des suppléments : faire de l’exercice !   Une étude récente indique en effet que la baisse de NAD chez des personnes âgées qui font peu ou pas du tout d’exercices n’est pas observée chez celles qui font régulièrement de l’exercice physique (au moins 3 séances structurées d’exercices physiques d’au moins une heure chacune par semaine). Ces personnes âgées très actives (marchant en moyenne 13 000 pas par jour) avaient des niveaux de NAD comparables aux participants adultes plus jeunes. Les niveaux de NAD et les fonctions mitochondriale et musculaire augmentent en fonction de la quantité d’exercice, tel qu’estimé par le nombre de pas marchés quotidiennement.

Certains suppléments sont prometteurs et il faudra suivre avec attention les résultats des études bien menées qui sont en cours ou à venir. La prise de suppléments sur une base quotidienne coûte cher, leur qualité est très variable et certains peuvent avoir des effets secondaires (inconforts intestinaux par exemple). Dans l’état des connaissances, il semble que la plupart des bienfaits potentiels associés à la prise de ces suppléments, y compris la longévité, peuvent être obtenus simplement en associant des exercices physiques réguliers, une alimentation saine basée sur les végétaux, le maintien d’un poids santé (IMC entre 18,5 et 25 kg/m2) et la restriction calorique (en pratiquant par exemple le jeûne intermittent une fois par semaine).

Les bénéfices cardiovasculaires de l’avocat

Les bénéfices cardiovasculaires de l’avocat

EN BREF

  • L’avocat est une source exceptionnelle de gras monoinsaturés, avec un contenu similaire à celui de l’huile d’olive.
  • Ces gras monoinsaturés améliorent le profil lipidique, notamment en haussant les taux de cholestérol-HDL, un phénomène associé à une réduction du risque de maladies cardiovasculaires.

  • Une étude récente confirme ce potentiel cardioprotecteur de l’avocat, avec une réduction de 20 % du risque de maladie coronarienne qui est observée chez les consommateurs réguliers (2 portions ou plus par semaine).

Il y a actuellement un consensus dans la communauté scientifique sur l’importance de privilégier les sources alimentaires de matières grasses insaturées (en particulier monoinsaturés et polyinsaturés oméga-3) pour diminuer significativement le risque de maladie cardiovasculaire et de mortalité prématurée (voir notre article à ce sujet). À l’exception des poissons gras riches en oméga-3 (saumon, sardine, maquereau), ce sont les aliments d’origine végétale qui sont les principales sources de ces gras insaturés, en particulier  les huiles (huile d’olive et celles riches en oméga-3 comme celle de canola), les noix, certaines graines (lin, chia, chanvre) ainsi que des fruits comme l’avocat.  La consommation régulière de ces aliments riches en gras insaturés a été à maintes reprises associée à une diminution marquée du risque d’accidents cardiovasculaires, un effet cardioprotecteur qui est particulièrement bien documenté pour l’huile d’olive extra-vierge et les noix.

Un profil nutritionnel unique

Bien que l’impact de la consommation d’avocats ait été moins étudié que celui des autres sources végétales de gras insaturés, on soupçonne depuis plusieurs années que ces fruits exercent également des effets positifs sur la santé cardiovasculaire.  D’une part, l’avocat se distingue des autres fruits par sa teneur exceptionnellement élevée en gras monoinsaturés, avec un contenu (par portion) similaire à celui de l’huile d’olive (Tableau 1).  D’autre part, une portion d’avocat contient des quantités très élevées de fibres (4 g), de potassium (350 mg), de folate (60 µg) et plusieurs autres vitamines et minéraux reconnus pour participer à la prévention des maladies cardiovasculaires.

Acides grasAvocat (68 g)Huile d'olive (15 mL)
Totaux10 g12,7 g
Monoinsaturés6,7 g9,4 g
Polyinsaturés1,2 g1,2 g
Saturés1,4 g2,1 g

Tableau 1. Comparaison du profil lipidique de l’avocat et de l’huile d’olive. Les données correspondent à la quantité d’acides gras contenus dans la moitié d’un avocat Haas, la principale variété consommée dans le monde, ou d’huile d’olive (1 cuillère à soupe ou 15 mL).  Tiré du FoodData Central du USDA.

Cet impact positif sur le cœur est également suggéré par les résultats des études d’intervention qui ont examiné l’impact des avocats sur certains marqueurs d’une bonne santé cardiovasculaire.  Par exemple, une méta-analyse de 7 études (202 participants) indique que la consommation d’avocats est associée à une hausse du cholestérol-HDL et à une baisse du ratio cholestérol total/ cholestérol HDL, un paramètre qui est considéré comme un bon facteur prédictif de la mortalité liée aux maladies coronariennes.  Une diminution des taux de triglycérides, de cholestérol total et de cholestérol LDL associée à la consommation d’avocats a également été rapportée, mais n’est cependant pas observée dans toutes les études.  Malgré tout, la hausse du cholestérol HDL observée dans l’ensemble des études est très encourageante et suggère fortement que les avocats pourraient contribuer à la prévention des maladies cardiovasculaires.

Un fruit cardioprotecteur

Ce potentiel cardioprotecteur des avocats vient d’être confirmé par les résultats d’une étude épidémiologique d’envergure, réalisée auprès des personnes enrôlées dans deux grandes cohortes chapeautées par l’Université Harvard, soit la Nurses’ Health Study (68 786 femmes) et la Health  Professionals  Follow-up  Study (41 701 hommes).  Pendant une période de 30 ans, les chercheurs ont recueilli périodiquement des informations sur les habitudes alimentaires des participants aux deux études et ont par la suite examiné l’association entre la consommation d’avocats et le risque de maladies cardiovasculaires.

Les résultats obtenus sont fort intéressants : comparativement aux personnes qui n’en mangent jamais ou très rarement, les consommateurs réguliers d’avocats ont un risque de maladie coronarienne diminué de 16 % (1 portion par semaine) et de 21 % (2 portions ou plus par semaine) (Figure 1).

Figure 1.  Association entre la fréquence de consommation d’avocats et le risque de maladie coronarienne.  Les quantités indiquées font référence à une portion d’avocat, correspondant à environ une moitié du fruit. Tiré de Pacheco et coll. (2022).

Il n’y a donc que des avantages à intégrer les avocats à nos habitudes alimentaires, surtout si ses gras monosaturés remplacent d’autres sources de gras moins bénéfiques pour la santé. Selon les calculs réalisés par les chercheurs, le remplacement quotidien d’une demi-portion d’aliments riches en gras saturés (beurre, fromage, charcuteries) par une quantité équivalente d’avocats permettrait de réduire d’environ 20 % le risque de maladies cardiovasculaires.

L’avocat est de plus en plus populaire, en particulier auprès des jeunes, et on prévoit même qu’il deviendra le 2e fruit tropical le plus commercialisé d’ici 2030 à l’échelle mondiale, tout juste derrière les bananes. À la lumière des effets positifs de ces fruits sur la santé cardiovasculaire, on ne peut que se réjouir de cette nouvelle tendance.

Évidemment, la demande élevée pour les avocats crée de fortes pressions sur les systèmes de production du fruit, notamment en termes de déforestation pour l’implantation de nouvelles cultures et d’une demande accrue en eau. Il faut cependant rappeler que l’empreinte hydrique (la quantité d’eau requise pour la production) de l’avocat est beaucoup plus faible que celle de l’ensemble des produits d’origine animale, en particulier la viande de bœuf (Tableau 2). De plus, comme c’est le cas pour l’ensemble des végétaux, l’empreinte carbone de l’avocat est également très inférieure à celle des produits animaux, la production d’un avocat générant environ 0,2 kg de CO­2-eq comparativement à 4 kg pour la viande de bœuf.

AlimentsEmpreinte hydrique
(mètres cubes/tonne)
Viande de boeuf15,400
Agneau et mouton10,400
Porc6,000
Poulet4,300
Oeufs3,300
Avocats1,981

Tableau 2. Comparaison de l’empreinte hydrique de l’avocat et différents aliments d’origine animale. Tiré de UNESCO-IHE Institute for Water Education (2010)

Les lignanes : des composés d’origine végétale favorables à une bonne santé cardiovasculaire

Les lignanes : des composés d’origine végétale favorables à une bonne santé cardiovasculaire

EN BREF

  • Les lignanes alimentaires sont des composés phénoliques qui proviennent principalement des aliments à base de plantes, en particulier des graines, grains entiers, fruits, légumes, vin, thé et café.
  • La consommation de lignanes est associée à une réduction du risque de développer une maladie cardiovasculaire selon plusieurs études bien menées.

On retrouve plus de 8 000 composés phénoliques et polyphénoliques dans les plantes. Ces composés ne sont pas des nutriments, mais ils ont diverses activités biologiques bénéfiques dans le corps humain. Ils sont généralement groupés en 4 classes : les acides phénoliques, les flavonoïdes, les stilbènes (ex. : le resvératrol) et les lignanes. Les lignanes sont des dimères de monolignols, lesquels peuvent aussi servir à la synthèse d’un long polymère ramifié, la lignine, présente dans les parois des vaisseaux conducteurs des plantes. Du point de vue de la nutrition, les lignines sont considérées comme des composants des fibres alimentaires insolubles.


Figure 1. Structures des principaux lignanes alimentaires

Les lignanes alimentaires, dont les plus importants sont le matairésinol, le sécoisolaricirésinol, le pinorésinol et le laricirésinol, proviennent principalement des aliments à base de plantes, en particulier des graines, grains entiers, fruits, légumes, vin, thé et café (voir le tableau 1). D’autres lignanes sont présents dans certains types d’aliments seulement, tels le médiorésinol (graines de sésame, seigle, citron), le syringarésinol (grains), sésamine (graines de sésame). Les lignanes sont transformés en entérolignanes par le microbiote intestinal, qui sont ensuite absorbés dans la circulation sanguine et distribués dans tout le corps.

Tableau 1. Contenu en lignanes d’aliments de consommation courante.
Adapté de Peterson et coll., 2010 et Rodriguez-Garcia et coll., 2019.

Plusieurs études indiquent que les lignanes peuvent prévenir et améliorer la santé cardiovasculaire et d’autres maladies chroniques, y compris le cancer, par ses propriétés anti-inflammatoire et œstrogénique (capacité à se lier aux récepteurs des œstrogènes).

Une étude américaine publiée récemment indique qu’il y a une association significative entre l’apport alimentaire en lignanes et l’incidence de maladie coronarienne. Parmi les 214,108 personnes provenant de 3 cohortes de professionnels de la santé, celles qui ont consommé le plus de lignanes (totaux) avaient un risque 15 % moins élevé de développer une maladie coronarienne que celles qui en avaient consommé peu. En considérant chaque lignane séparément, l’association était particulièrement favorable pour le matairésinol (-24 %), comparativement au sécoisolaricirésinol (-13 %), au pinorésinol (-11 %) et au laricirésinol (-11 %). Il y a une relation dose-effet non linéaire pour les lignanes totaux, le matairésinol et le sécoisolaricirésinol avec un plateau (effet maximal) à approximativement 300 µg/jour, 10 µg/jour, et 100 µg/jour, respectivement. En moyenne, les Canadiens consomment en moyenne 857 µg de lignanes par jour, un apport suffisant pour bénéficier des effets favorables sur la santé cardiovasculaire, mais les habitants de certains pays occidentaux tels le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Allemagne n’ont pas un apport optimal en lignanes (Tableau 2).

L’association favorable pour les lignanes était particulièrement apparente parmi les participants qui avaient un apport alimentaire élevé en fibres. Les auteurs de l’étude suggèrent que les fibres, en favorisant un microbiote en santé, pourraient favoriser la production d’entérolignanes dans l’intestin.

Tableau 2. Apport quotidien en lignanes dans des pays occidentaux.
Adapté de Peterson et coll., 2010.

Une étude reconnue, PREDIMED (Prevención con Dieta Mediterránea) réalisée en auprès de plus de 7 000 Espagnols (55-80 ans) à risque élevé de développer une maladie cardiovasculaire, a comparé le régime alimentaire méditerranéen (supplémenté en noix et en huile d’olive extravierge) à un régime alimentaire faible en gras prôné par l’American Heart Association pour la prévention des maladies cardiovasculaires (MCV). Dans cette étude le régime méditerranéen s’est avéré clairement supérieur au régime faible en gras pour prévenir les MCV, si bien que l’étude a été interrompue après 4,8 années pour des raisons éthiques. Une analyse plus fine des données de PREDIMED a montré qu’il y a une association très favorable entre un apport alimentaire élevé en polyphénols et le risque de MCV. Les participants qui ont consommé le plus de polyphénols totaux avaient un risque 46 % moins élevé de MCV que ceux qui en consommaient le moins. Les polyphénols qui étaient les plus fortement associés à une réduction du risque de MCV étaient les flavanols (-60 %), les acides hydroxybenzoïques (-53 %) et les lignanes (-49 %). Il est à noter que les noix et l’huile d’olive extravierge qui étaient consommées quotidiennement par les participants à l’étude PREDIMED contiennent des quantités appréciables de lignanes.

Une autre analyse des données de l’étude PREDIMED a montré une association favorable entre l’apport en polyphénols totaux et le risque de mortalité de toute cause. Une consommation élevée en polyphénols totaux, comparée à une consommation peu élevée, était associée à une réduction du risque de mortalité prématurée de 37 %. Les stilbènes et les lignanes étaient les polyphénols les plus favorables à une réduction du risque de mortalité, soit de 52 % et 40 %, respectivement. Dans ce cas-ci, les flavonoïdes et acides phénoliques n’étaient pas associés à une réduction significative du risque de mortalité.

Aucune étude randomisée contrôlée sur les composés phénoliques et le risque de CVD n’a été réalisée à ce jour. Il n’a donc pas de preuve directe que les lignanes protègent le système cardiovasculaire, mais l’ensemble des données des études populationnelles suggère qu’il est bénéfique pour la santé d’augmenter l’apport alimentaire en lignanes et donc de manger davantage de fruits, légumes, grains entiers, légumineuses, noix et de l’huile d’olive extravierge qui sont d’excellentes sources des ces composés d’origine végétale encore trop peu connus.