Ozempic® (semaglutide) et Mounjaro™ (tirzepatide), une grande avancée pour le traitement de l’obésité

Ozempic® (semaglutide) et Mounjaro™ (tirzepatide), une grande avancée pour le traitement de l’obésité

EN BREF

 

  • Le semaglutide et le tirzepatide sont des peptides analogues à deux hormones produites par le système digestif, soit le glucagon-like peptide-1 (GLP-1) et le glucose‐dependent insulinotropic polypeptide (GIP).

  • En plus d’améliorer le contrôle de la glycémie, l’administration de ces médicaments cause une baisse drastique de l’appétit et de l’apport calorique.

  • Ces effets  se traduisent par des pertes de poids très importantes (15- 20 % du poids corporel initial), soit du même ordre de grandeur que celles obtenues par la chirurgie bariatrique.

La prévalence du surpoids a augmenté de façon phénoménale au cours des dernières décennies, avec près de 2 milliards de personnes souffrant d’embonpoint, incluant 650 millions d’obèses. Il s’agit d’une crise sanitaire mondiale sans précédent, qui impose un fardeau considérable sur les systèmes de santé : l’excès de poids favorise en effet le développement d’une vaste gamme de pathologies (résistance à l’insuline, hypertension, inflammation chronique, dyslipidémies) qui haussent le risque de complications comme le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, les stéatoses hépatiques, plusieurs types de cancers et diminuent l’espérance de vie.

L’embonpoint et l’obésité sont fondamentalement des conséquences d’un apport calorique excessif, mais le nombre toujours croissant de personnes en surpoids, en dépit de ses effets négatifs bien documentés sur la santé, montre que rétablir ce déséquilibre n’est pas chose facile, surtout à notre époque d’abondance alimentaire. Bien que les interventions misant sur une amélioration du mode de vie (régimes hypocaloriques et exercice) représentent toujours la pierre angulaire de la gestion du poids, les pertes de poids obtenues par cette approche sont extrêmement difficiles à maintenir à long terme, notamment en raison d’adaptations physiologiques qui diminuent l’énergie dépensée ou encore augmentent l’appétit pour compenser les calories manquantes.  Autrement dit, une fois que l’obésité s’est installée de façon durable, ces mécanismes rendent le retour à un poids plus faible très difficile.

Pour pallier à ces limitations, un certain nombre d’approches pharmacologiques ont été développées au cours des dernières décennies, mais ces médicaments sont généralement d’une efficacité assez limitée, coûteux et peuvent causer dans certains cas des effets secondaires importants.   Des approches beaucoup plus drastiques, la chirurgie bariatrique notamment, parviennent quant à elles à générer des pertes de poids importantes et durables, mais ces procédures invasives sont intrinsèquement plus risquées et sont généralement restreintes aux personnes souffrant d’obésité morbide  (IMC>40).

C’est donc dans ce contexte, où les options de traitement de l’obésité demeurent très limitées, que l’apparition de Ozempic® et Mounjaro™ sur le marché suscite actuellement énormément d’intérêt, autant dans les communautés médicale et scientifique que dans la population en général.  Car bien que ces deux médicaments aient été à la base développés pour améliorer le contrôle de la glycémie chez les personnes atteintes de diabète de type 2,  ils provoquent en parallèle chez ces patients des pertes de poids importantes, sans trop d’effets secondaires majeurs, et pourraient donc représenter une nouvelle stratégie thérapeutique pour la normalisation du poids corporel.

Une nouvelle approche pharmacologique : l’effet incrétine

Mentionnons tout d’abord que même s’ils sont surtout connus du public sous leurs noms commerciaux (Ozempic®, Mounjaro™), ce sont les noms génériques de ces médicaments (semaglutide et tirzepatide, respectivement) qui sont utilisés dans la littérature scientifique et nous emploierons donc cette nomenclature tout au long de cet article. L’utilisation des noms génériques a aussi l’avantage d’éviter la confusion qui peut être générée par les différents noms commerciaux donnés aux médicaments selon leur mode d’administration et/ou indication thérapeutique (Tableau 1).

Tableau 1.  Les nouveaux médicaments antidiabétiques et anti-obésité.  Notez que l’indication thérapeutique de l’ensemble de ces médicaments est pour le diabète de type 2, à l’exception du Wegovy® (2,4 mg/semaine de semaglutide en injection sous-cutanée) qui a récemment été approuvé pour la perte de poids.

Le semaglutide et le tirzepatide sont des peptides (d’où leurs noms se terminant en «- ide ») analogues à deux hormones produites par le système digestif, soit le glucagon-like peptide-1 (GLP-1) et le glucose‐dependent insulinotropic polypeptide (GIP). Ces peptides ont été conçus pour mimer l’action de ces hormones (ce qu’on appelle en pharmacologie un effet agoniste) sur le contrôle de la glycémie : suite à l’absorption de sucre, le GLP-1 et le GIP sécrétés par les cellules de l’intestin permettent en effet d’augmenter de façon très importante la production d’insuline par le pancréas, à des taux très supérieurs à ceux qui sont produits simplement en réponse à la présence de sucre dans le sang (Figure 1).

Figure 1.  Variation de la réponse insulinique suite à l’administration d’un bolus de glucose à des personnes en bonne santé métabolique ou à des patients atteints d’un diabète de type 2.  Les valeurs représentent les taux d’insuline plasmatique induits par le glucose administré par voie orale (50 g/400 mL) (cercles rouges) ou une quantité équivalente (isoglycémique) administrée par voie intraveineuse (IV) (cercles noirs).  Notez la forte augmentation de la réponse insulinique provoquée par le glucose oral comparativement au glucose par intraveineuse chez les personnes en bonne santé (zone rouge clair). Ce phénomène, connu sous le nom « d’effet incrétine », est considérablement réduit chez les diabétiques, une différence qui a mené au développement des analogues des incrétines GLP-1 et GIP. Adapté de Nauck et coll. (1986).

Historiquement, cette augmentation de la réponse insulinique médiée par le GLP-1 et le GIP avait été attribuée à des facteurs nommés « incrétines » (dérivé « d’incrétion », un terme utilisé à cette époque pour désigner une sécrétion qui reste à l’intérieur de l’organisme), d’où le nom « d’effet incrétine » utilisé encore aujourd’hui pour décrire la hausse d’insuline médiée par l’action ces hormones. Il s’agit d’un élément essentiel de la réponse insulinique à ce que nous mangeons : chez des personnes en bonne santé, on estime qu’environ 70 % de l’insuline produite par le pancréas est une conséquence de l’effet incrétine.

C’est dans ce contexte qu’ont été développés le semaglutide et le tirzepatide : cet effet incrétine est considérablement atténué chez les personnes atteintes d’un diabète de type 2 (voir Figure 1), une perte qui est même considérée comme un indicateur précoce de la maladie, mais il a été observé que ce déficit pouvait être entièrement corrigé par l’infusion en continu de GLP-1 aux patients diabétiques. On a donc postulé que l’administration de molécules capables de mimer l’action du GLP-1 et/ou du GIP pourrait reproduire cet effet incrétine et ainsi stimuler la production d’insuline et améliorer le contrôle de la glycémie chez les diabétiques de type 2. Ces efforts ont mené au développement de différents agonistes du récepteur au GLP-1, les plus récents étant le semaglutide et le tirzepatide, approuvés pour le traitement du diabète de type 2 en 2018 et 2022, respectivement.

Agonistes simple et double

La différence fondamentale entre ces deux molécules est que le semaglutide est un agoniste du GLP-1, c’est-à-dire qu’il présente une forte similitude structurale (95%) avec cette hormone et active spécifiquement son récepteur, tandis que le tirpetazide est un agoniste double, c’est-à-dire qu’il présente une structure hybride qui lui permet d’activer à la fois les récepteurs du GLP-1 et du GIP (Figure 2). Dans les deux cas, des modifications apportées aux structures des peptides font en sorte que leur biodisponibilité est augmentée de façon spectaculaire par rapport aux hormones sécrétées naturellement par l’intestin, passant de quelques minutes à peine à plus d’une centaine d’heures, ce qui permet d’administrer ces médicaments par injection sous-cutanée une seule fois par semaine.  Notons aussi qu’une forme orale du semaglutide a été développée par l’ajout à la formulation du médicament d’un agent qui augmente la perméabilité intestinale, le N-(8-(2-hydroxybenzoyl) amino) caprylate (SNAC), mais la plus faible biodisponibilité de la molécule requiert une administration quotidienne pour parvenir à un contrôle de la glycémie équivalent à celui obtenu par la forme administrée sous-cutanée.

Figure 2. Structures du semaglutide et du tirzepatide et leur similitude au GLP-1 et GIP.  Le GLP-1 est une hormone de 31 acides aminés (cercles jaunes), certains d’entre eux étant conservés dans le GIP, une hormone de 42 acides aminés (cercles bleus). Les deux hormones possèdent une demi-vie très courte (le temps correspondant à une perte de la moitié de leur activité physiologique), de 1-2 minutes seulement, notamment en raison de leur dégradation par la dipeptidyl peptidase-4 (DPP-4).  Deux principales stratégies ont été utilisées pour modifier les séquences du semaglutide et du tirzepatide (cercles rouges) et augmenter leur biodisponibilité:  1) l’élimination du site de clivage de la DPP-4, en remplaçant l’alanine par une molécule analogue (acide α-aminoisobutyrique (Aib)), mais non reconnue par l’enzyme; 2) l’addition d’un acide gras à l’aide d’un « linker » pour favoriser la liaison des molécules à l’albumine sérique et ainsi réduire leur élimination au niveau rénal. Notez que le semaglutide est très similaire au GLP-1 et son mécanisme d’action est donc limité à l’activation du récepteur de cette hormone, tandis que le tirzepatide est formé d’un amalgame d’acides aminés retrouvés à la fois dans le GLP-1 (cercles jaunes), le GIP (cercles bleus) ainsi que dans les deux hormones (cercles verts), ce qui lui confère une activité de double agoniste, capable d’activer les deux récepteurs de ces hormones.  Les cercles bleus foncés de la portion terminale du tirzepatide sont des acides aminés provenant de l’exenatide, un peptide dérivé d’une protéine (exendine-4) présente dans le venin du monstre de Gila (Heloderma suspectum) et connu pour activer le récepteur GLP-1.

Ces différences structurales entre le semaglutide et le tirzepatide ont évidemment des conséquences sur leurs actions biologiques.  Puisque le semaglutide est un agoniste « pur » du récepteur au GLP-1, il stimule exclusivement les phénomènes contrôlés par ce récepteur, tandis que la capacité du tirzepatide à agir simultanément sur les récepteurs GLP-1 et GIP permet l’activation de l’ensemble des processus médiés par ces incrétines (Figure 3).

Figure 3. Mécanismes d’action du GIP, du GLP-1 et de leurs agonistes. Adapté de Bass et coll. (2023).

Comme mentionné plus tôt, l’effet le plus important des incrétines est de stimuler la production et la sécrétion d’insuline par le pancréas, et les études cliniques montrent que l’activation de ce processus, que ce soit par la seule stimulation du GLP-1 par le semaglutide ou la stimulation simultanée du GLP-1/GIP par le tirzepatide est associé à un meilleur contrôle de la glycémie chez les diabétiques de type 2. À cet égard, l’effet double agoniste du tirzepatide semble lui conférer une supériorité sur le semaglutide, avec une diminution plus importante (plus de 2%) des taux d’hémoglobine glyquée (A1c), un marqueur de l’hyperglycémie chronique (Figure 4).  À titre de comparaison, l’amélioration du contrôle de la glycémie suite à la chirurgie bariatrique est du même ordre, avec une diminution de A1c variant entre 1,8 et 3,5 %.

Figure 4.  Comparaison de la diminution des taux d’hémoglobine glyquée de patients diabétiques provoquée par un traitement de 40 semaines avec le tirzepatide (5, 10 ou 15 mg/sem) ou le semaglutide (1 mg/sem). Tiré de Frias et coll. (2021).

Effets sur le poids corporel

Un autre aspect extrêmement intéressant du mode d’action des mimétiques du GLP-1 et du GIP est leur effet sur certains processus impliqués dans le contrôle de l’appétit (Figure 3).  Dans les études d’infusion du GLP-1 mentionnées plus tôt, on a observé que la molécule activait la sensation de satiété, ce qui suggérait un effet thérapeutique possible sur la diminution de l’appétit et de l’apport calorique. Les études subséquentes ont montré que ce phénomène pouvait être lié à un ralentissement de la vidange gastrique par le GLP-1, ainsi que par l’action de cette hormone au niveau de certains circuits neuronaux du cerveau impliqués dans la suppression de l’appétit et le développement de nausées.  L’action du GIP au niveau du cerveau, quant à elle, fait également intervenir une diminution des circuits de l’appétit mais aurait paradoxalement un effet anti-nausée : ceci pourrait expliquer pourquoi le tirzepatide (qui stimule la voie GIP en plus de GLP-1) peut être administré à des doses plus élevées que le semaglutide (qui stimule seulement GLP-1), sans amplifier les effets secondaires typiques aux agonistes du GLP-1 (nausées, vomissements).

Les études qui se sont penchées sur les effets du semaglutide et du tirzepatide sur l’apport calorique confirment ces impacts des deux molécules sur l’appétit.  Par exemple, dans une étude où des volontaires obèses avaient un accès à volonté (ad libitum) à trois repas (diner, souper et collations), on a observé que le traitement au semaglutide (1 mg/sem) provoquait une diminution de 24 % de l’apport en énergie durant la journée, menant à une réduction du poids corporel d’environ 5 kg après 12 semaines de traitement.  Cette réduction de l’apport calorique, et la perte de poids qui s’ensuit, serait causée à une diminution de l’appétit et des fringales et à une réduction de l’attirance envers les aliments riches en gras.  Des résultats similaires ont été obtenus suite au traitement avec le tirzepatide et il semble de plus en plus certain que la diminution de l’appétit et le désintérêt envers les aliments hypercaloriques, en particulier ceux riches en gras, représente un mode d’action commun aux deux molécules.

Un grand nombre d’études cliniques ont montré que cette perte d’appétit provoquée par le traitement au semaglutide ou au tirzepatide est associée à une diminution importante du poids corporel chez les personnes qui souffrent d’obésité. Par exemple, une étude a montré que chez les personnes atteintes d’un diabète de type 2, le traitement avec le semaglutide (1 mg par semaine) provoque une perte moyenne d’environ 6 % du poids corporel en 40 semaines, tandis que le traitement avec le tirzepatide  (15 mg/semaine) mène à une perte de poids de 11% chez cette population.

Ces pertes de poids sont encore plus prononcées chez les personnes obèses, mais qui ne sont pas diabétiques (Figure 5). Par exemple, l’administration de 2,4 mg/semaine de semaglutide (au lieu du 1 mg utilisé chez les diabétiques) pendant 68 semaines mène à des pertes moyennes de 15 % du poids corporel initial, soit environ le double que chez les diabétiques de type 2 (Figure 5A).  Encore ici, le tirzepatide semble plus puissant, générant des pertes moyennes d’environ 20 % aux doses les plus élevées (10 et 15 mg/semaine) administrées pendant 72 semaines (Figure 5B).  Ces pertes de poids sont vraiment exceptionnelles, du même ordre de grandeur que celles qui sont typiquement obtenues suite à la chirurgie bariatrique.

Figure 5. Pertes de poids moyennes induites par le semaglutide et le tirzepatide chez les personnes obèses, mais non diabétiques. A.1961 adultes obèses (IMC>30) ont été traités pendant 68 semaines avec un placebo ou 2,4 mg/semaine de semaglutide, en combinaison avec un programme supervisé d’amélioration du mode de vie (régime hypocalorique et activité physique régulière). Adapté de Wilding et coll. (2021). B. 2539 adultes obèses (IMC>30) ont été traités pendant 72 semaines avec un placebo ou des doses de 5, 10 ou 15 mg/semaine de tirzepatide, en combinaison avec un programme supervisé d’amélioration du mode de vie (régime hypocalorique et activité physique régulière). Adapté de Jastreboff et coll. (2022).

Plusieurs études indiquent qu’une perte de poids durable d’au moins 10 % du poids corporel initial améliore plusieurs complications associées à l’obésité, incluant la prévention et le contrôle du diabète de type 2, l’hypertension, la stéatose hépatique et l’apnée du sommeil.  Par exemple, dans l’étude DIRECT réalisée auprès de personnes obèses et diabétiques, une restriction calorique très sévère menant à une perte de 15 % du poids corporel a entrainé une rémission complète du diabète de type 2 chez 85% des participants.

Les données actuelles indiquent que la grande majorité des personnes obèses traitées avec le semaglutide et le tirzepatide parviennent à atteindre des pertes de poids de cette ampleur (Figure 6). Par exemple, le semaglutide induit des pertes de poids supérieures à 15% chez 60 % des personnes traitées, et près de 40 % ont même perdu plus de 20 % de leur poids corporel initial (Figure 6A).  Ces succès sont encore plus prononcés chez les personnes traitées avec le tirzepatide, avec près de 60 % des patients qui ont perdu 20 % de leur poids et près de 40 % qui ont même perdu plus de 25 % de leur poids initial (Figure 6B). Il s’agit de perte de poids considérables : dans les 2 études, le poids moyen des participants était aux environs de 110 kg; une perte de 20 % signifie donc que ces personnes ont perdu presque 25 kg au cours du traitement et il est certain que des pertes de cette magnitude, si elles sont maintenues à long terme,  auront des effets positifs sur la santé.

Figure 6.  Répartition des pertes de poids selon le pourcentage du poids corporel initial perdu suite au traitement. Notez que chez la majorité des participants, la perte de poids obtenue est largement supérieure à 5 % du poids initial (le minimum associé à une amélioration de la santé) et excède même 20 % chez plusieurs d’entre eux, en particulier chez les participants qui ont reçu le tirzepatide. Pour plus de clarté, seules les pertes obtenues pour la dose la plus élevée de tirzepatide (15 mg) sont indiquées sur la figure.  Adapté de Wadden et coll. (2021) pour le semaglutide et de Jastreboff et coll. (2022) pour le tirzepatide.

Dans l’ensemble, ces résultats montrent de façon sans équivoque que la diminution de l’appétit provoquée par les mimétiques du GLP-1 et du GIP est associée à une réduction importante du poids corporel.  Cependant, les données actuellement disponibles suggèrent qu’un traitement continu avec ces médicaments est requis pour que ces pertes de poids deviennent durables. Par exemple, une étude a montré que même si les personnes traitées pendant 68 semaines avec le semaglutide (2,4 mg/semaine) avaient perdu en moyenne 18 % de leur poids corporel initial, la majorité de ce poids était regagné dans l’année suivant l’arrêt du traitement (Figure 7).

Figure 7. Réversibilité de la perte de poids associée au traitement avec le semaglutide.  Notez que les 2/3 du poids perdu par les participants ont été repris dans l’année suivant l’arrêt du traitement avec le semaglutide. Adapté de Wilding et coll. (2022).

Il n’y a donc pas de doute que le semaglutide et le tirzepatide représentent des ajouts extrêmement intéressants à l’approche pharmacologique de l’obésité, d’autant plus que ces médicaments sont en général relativement bien tolérés. Bien qu’une proportion assez importante des patients aient rapporté un certain nombre d’effets secondaires, en particulier au niveau gastro-intestinal (nausées, vomissement, diarrhées), ces effets indésirables ont cependant tendance à s’amenuiser avec le temps et l’adhérence au traitement demeure élevée, avec environ 5 % des patients qui cessent le traitement en raison des effets secondaires.

D’un point de vue plus général, il est particulièrement intéressant que ces médicaments exercent leur action thérapeutique en agissant sur le cerveau pour diminuer l’appétit et ainsi créer un important déficit calorique. Ce mode d’action confirme ce que les experts disent plusieurs années, c’est-à-dire que c’est une réduction de l’apport en calories qui demeure le principal moyen de perdre du poids (l’exercice physique a énormément de bienfaits de la santé, mais n’a pas d’effets majeurs sur la perte de poids). La hausse importante du nombre de personnes en surpoids observée au cours des dernières décennies reflète donc essentiellement une surconsommation de nourriture, possiblement due à l’omniprésence d’aliments industriels extrêmement attirants en raison de leurs propriétés organoleptiques (palatabilité) et qui entrainent un apport excessif en énergie. Les personnes traitées avec le semaglutide et le tirzepatide cessent d’être attirées vers ce type d’aliments hypercaloriques et il n’y a pas de doute que l’élimination de ces produits de l’alimentation quotidienne contribue aux pertes de poids observées dans les études cliniques.

Par contre, les données actuellement disponibles indiquent que ce sevrage vis-à-vis des produits riches en calories (et de la surconsommation de nourriture en général) est réversible et que l’arrêt du traitement mène rapidement à un regain de la majorité du poids initialement perdu. Il est donc probable que ces médicaments parviennent à contrecarrer les adaptations physiologiques normalement provoquées par la perte de poids (la hausse de l’appétit, en particulier), mais que ces adaptations reprennent rapidement le dessus après l’arrêt de la médication et favorisent le retour vers le surpoids initial, avant le traitement.

Est-ce à dire que l’on doit se résigner à traiter l’obésité « à vie », un peu comme on contrôle l’hypertension, l’excès de cholestérol sanguin ou encore la carence en insuline à l’aide de médicaments qui doivent être administrés en continu à partir de l’apparition des pathologies? Il est encore trop tôt pour le dire, mais, chose certaine, de tels traitements imposeraient un fardeau économique extraordinaire à notre système de santé: au Québec, où un adulte sur quatre est obèse, le coût actuel de ces nouveaux médicaments (environ 500$ par mois) impliquerait une dépense annuelle de plusieurs centaines de millions de dollars (aux États-Unis, la situation est encore pire:  le coût d’un traitement de 72 semaines au tirzepatide (15 mg/semaine) est d’environ 17,000 $US, tandis que le traitement de 68 semaines avec le semaglutide (2,4 mg/semaine) est près de 23,000 $US !). Comme pour toutes les maladies chroniques, il serait beaucoup plus rentable de prévenir que de guérir l’obésité en s’attaquant en priorité aux causes de ce surpoids, plutôt que consacrer tous nos efforts et nos moyens financiers à leur traitement.

On sait depuis plusieurs années qu’il est extrêmement difficile de maigrir une fois que l’obésité s’est installée, ce qui signifie qu’il faut agir en amont, chez les enfants et les adolescents, avant qu’ils n’accumulent un excès de poids qui les exposent à un risque très élevé d’obésité à l’âge adulte (plus de 80 % des adultes obèses étaient déjà obèses durant leur enfance).  Malheureusement, la tendance actuelle va complètement à l’inverse, avec une augmentation constante de l’embonpoint et de l’obésité touchant les plus jeunes, les mettant à très haut risque de développer une véritable épidémie de maladies cardiométaboliques dans quelques années (voir notre article à ce sujet). Il est illusoire de penser que l’arrivée de nouveaux médicaments pourra à elle seule endiguer ce problème.

 

Avoir un mode de vie sain pourrait ralentir le déclin de la mémoire

Avoir un mode de vie sain pourrait ralentir le déclin de la mémoire

Une bonne mémoire est essentielle pour bien fonctionner dans la vie quotidienne. En vieillissant, la plupart d’entre nous continueront d’avoir une bonne mémoire. Nos connaissances générales et nos compétences sont en général maintenues toute la vie et peuvent même s’améliorer à un âge avancé. Mais la mémoire des événements précis, qu’on appelle la mémoire épisodique, est plus sensible au vieillissement, ce qui peut diminuer la qualité de vie et la productivité au travail. Les pertes de mémoire qui surviennent chez les personnes âgées sont la plupart du temps bénignes, et peuvent être inversées ou stabilisées plutôt que de progresser vers un état pathologique. La prévention et le ralentissement du déclin de la mémoire lié au vieillissement sont donc très importants pour les personnes âgées.

Les études indiquent que plusieurs facteurs peuvent affecter la mémoire, incluant le processus de vieillissement, le génotype de l’apolipoprotéine E ε4 (APOE4), les maladies chroniques et les habitudes de vie. Les habitudes de vie étant un facteur modifiable, il a retenu l’attention des instances de santé publique puisque des changements relativement aisés à réaliser peuvent améliorer considérablement aussi bien la santé en général que la santé cognitive.

Une étude prospective de type longitudinale a récemment tenté de cerner quel est le mode de vie optimal qui protège les personnes âgées contre le déclin de la mémoire. L’étude a été réalisée auprès de participants de la cohorte China Cognition and Aging Study, âgés de 60 ans ou plus et provenant de 12 provinces de la Chine. Les 29 072 participants avaient un âge moyen de 72,2 ans lors du recrutement et ne présentaient pas de déficit cognitif léger ou de démence au début de l’étude d’une durée de 10 ans. Environ un cinquième (20,4 %) des participants étaient porteurs de l’allèle APOE4, un facteur de risque génétique pour la maladie d’Alzheimer et autres démences.

Les informations sur le mode de vie des participants ont été recueillies à l’aide de questionnaires détaillés, au début de l’étude et à d’autres occasions dans les années suivantes. Six facteurs modifiables du mode vie ont été évalués : exercice physique, régime alimentaire, consommation d’alcool, tabagisme, activité cognitive et contacts sociaux (voir Tableau 1).

Tableau 1. Critères retenus pour un mode de vie sain (Jia et coll., 2023)

FacteurParamètresCritère retenu pour un mode vie sain
Exercice physiqueFréquence, intensité, durée≥ 150 min d’exercice modéré ou ≥ 75 min d’exercice intense par semaine
Régime alimentaireConsommation de 12 types d’aliments (fruits, légumes, poissons, viande, produits laitiers, sel, huile, œufs, céréales, légumineuses, noix, thé)Consommation quotidienne d’au moins 7 des 12 types d’aliments
Consommation d’alcool• Non-buveur
• Consommation faible à élevée (1-60 gramme d’alcool par jour)
• Consommation excessive (> 60 g/jour)
Non-buveur
Tabagisme• Non-fumeur (<100 cigarettes à vie)
• Ex-fumeur (arrêt depuis ≥ 3 ans)
• Fumeur
Non-fumeur ou ex-fumeur
Activité cognitiveExemples : écriture, lecture, jeux de cartes, mah-jong et autres jeux.Participation à au moins 2 activités par semaine
Contacts sociauxExemples : réunions, fêtes, visites chez des amis ou des membres de la famille, voyages, conversation en ligne.Participation à au moins 2 activités par semaine

Les participants ont été catégorisés en trois groupes : « favorable » (4-6 facteurs d’un mode de vie sain), « moyen » (2-3 facteurs), ou « défavorable » (0-1 facteur). La mémoire épisodique verbale a été évaluée par le test Auditory Verbal Learning Test (AVLT), qui inclut des mesures de rappel libre immédiat, à très court terme (3 minutes), à long terme (30 minutes) et de reconnaissance à long terme (30 min).

Durant les dix années de l’étude, les participants du groupe au mode de vie favorable ont eu un déclin de la mémoire plus lent que ceux du groupe au mode de vie défavorable (0,028 points AVLT/année, 95% IC 0,023-0,032). Parmi les participants porteurs de l’allèle APOE4, ceux du groupe au mode de vie favorable ont aussi eu un déclin de la mémoire plus lent que ceux au mode de vie défavorable (0,027 point AVLT/année, 95% IC 0,023-0,031). Avoir un mode de vie sain serait donc un facteur qui peut aider à ralentir la perte de mémoire, aussi bien chez les porteurs de l’allèle APOE4 que chez les non-porteurs.

Contribution de chacun des facteurs
Les chercheurs ont aussi évalué la contribution de chacun des six facteurs associés à un mode de vie sain sur le déclin de la mémoire. Une alimentation saine est le facteur qui a eu le plus grand effet sur la mémoire (β=0,016, 95% IC 0,014-0,017), suivi par la pratique d’activités cognitives (β=0,010, 95% IC 0,008-0,012), l’exercice physique (β=0,007, 95% IC 0,005-0,009), les contacts sociaux (β=0,004, 95% IC 0,002-0,006), le tabagisme (β=0,004, 95% IC 0,000-0,008) et la consommation d’alcool (β=0,002, 95% IC 0,000-0,004).

Déclin cognitif et démence
En comparaison aux participants qui avaient un mode vie « défavorable », ceux qui avaient un mode de vie « favorable » étaient 89 % moins à risque de développer un déficit cognitif léger ou une démence. Pour les participants au mode de vie « moyen », le risque était 29 % moindre. Des résultats similaires ont été obtenus parmi les participants porteurs de l’allèle APOE4.

La nature de l’étude, observationnelle, ne permet pas d’établir de lien de cause à effet entre le mode de vie et le déclin de la mémoire. De plus, cette étude comporte certaines limites, car le mode de vie était évalué à partir de questionnaire d’autodéclaration. De plus, un biais de sélection ne peut pas être exclu puisque certains participants ont cessé de prendre part à l’étude au cours des 10 années de suivi. Néanmoins, c’est une étude de grande envergure et d’une durée relativement longue, ce qui a permis de bien évaluer certains aspects de la mémoire dans le temps. Les auteurs sont d’avis que les résultats de l’étude sont solides et qu’ils suggèrent fortement qu’adopter un mode de vie sain, incluant plusieurs comportements favorables, serait associé à un déclin plus lent de la mémoire, même chez les personnes qui sont génétiquement à risque de développer une démence ou un trouble cognitif majeur.

Les bons et mauvais côtés de l’alcool

Les bons et mauvais côtés de l’alcool

Ceci est une mise jour d’un article initialement publié en 2018

Bien que l’alcool fasse partie du quotidien de l’humanité depuis des millénaires, cette substance est loin d’être inoffensive et exerce même des effets très complexes sur la santé. Cette complexité est bien illustrée par la relation en « J » qui existe entre la quantité d’alcool ingérée et le risque de mort prématurée observée dans un grand nombre d’études épidémiologiques :  par exemple, une étude de grande envergure, réalisée auprès de plus de 300,000 personnes suivies pendant près de 10 ans, montre que la consommation modérée d’alcool (de 3 à 14 verres par semaine pour les hommes et de 3 à 7 verres pour les femmes) est associée à une diminution d’environ 20 % du risque de mortalité toute cause comparativement aux personnes qui n’ont jamais bu d’alcool de leur vie (Figure 1). Cette fenêtre protectrice est cependant très étroite, avec une hausse rapide du risque de mortalité observée à des quantités plus élevées.


Figure 1. Relation entre la consommation d’alcool et le risque de mortalité prématurée. La réduction maximale du risque observée dans l’étude (-0,1 log) correspond à une diminution d’environ 20 % du risque. Adapté de Xi et coll. (2017).

Rappelons que ce qu’on appelle communément un « verre » ou encore une « consommation standard » fait référence à la quantité de boisson alcoolisée qui entraine l’absorption d’environ 12 à 15 grammes d’alcool pur (Tableau 1). La taille d’un verre dépend donc directement de la teneur en alcool de la boisson consommée.

Type de boisson alcoolisée
Une consommation standard correspond à:
Bière (5 % alc/vol)
340 mL (12 oz)
Vin (12 % alc/vol)
140 mL (5 oz)
Vin fortifié (ex. Porto) (20 % alc/vol)
85 mL (3 oz)
Spiritueux (40 % alc/vol)
45 mL (1,5 oz)
Tableau 1. Teneur en alcool des principaux types de boissons alcoolisées. Adapté de Educ’alcool.

Cette effet protecteur de faibles doses d’alcool sur la mortalité a cependant été remis en question par une grande étude récemment publiée dans Lancet. Dans cette étude, qui a analysé les habitudes de consommation d’alcool d’environ 600,000 buveurs, les auteurs n’ont pas observé de diminution de la mortalité, même à des quantités faibles d’alcool, mais plutôt une hausse significative du risque de mort prématurée à partir de 100 g d’alcool par semaine, ce qui correspond à seulement un verre par jour (Figure 2A). Par contre, l’analyse des mêmes données a révélé une baisse du risque de mortalité cardiovasculaire, en accord avec des centaines d’études qui ont observé un effet cardioprotecteur découlant de la consommation modérée d’alcool (Figure 2B).  Malgré tout, les auteurs proposent que les quantités d’alcool qui sont actuellement recommandées (1 verre quotidien pour les femmes, deux pour les hommes) sont trop élevées et qu’il faudrait revoir ces limites à la baisse. Une autre étude, encore une fois publiée dans Lancet, en arrive à des conclusions similaires, c’est-à-dire qu’un apport aussi faible qu’un seul verre par jour est associé  à une hausse du risque de développer une ou l’autre des 23 pathologies associées à la consommation d’alcool et qu’il ne semble donc pas y avoir de seuil sécuritaire de consommation selon les auteurs.  Cependant, comme certains spécialistes l’ont fait remarquer, cette approche est quelque peu « absolutiste », car la hausse du risque observée aux faibles quantités d’alcool est excessivement faible, passant de 0,914 pour cent chez les non-buveurs à  0,918 chez ceux qui consomment un verre par jour et à 0,977 pour ceux qui en consomment deux. Pour les buveurs modérés, le risque réel associée à la consommation d’alcool est donc à toute fin pratique négligeable.


Figure 2. Relation entre la consommation d’alcool (en g par semaine) et le risque de mortalité prématurée toute cause (A) ou de mortalité d’origine cardiovasculaire (B) calculée à partir d’une synthèse de 83 études épidémiologiques regroupant 600,000 participants. Adapté de Wood et coll (2018).

Il est difficile à ce stade de dire si ces dernières études sont supérieures aux études précédentes et que la consommation modérée d’alcool est effectivement dépourvue d’effets bénéfiques sur la mortalité (voir l’encadré).  Chaque étude épidémiologique a ses forces et ses faiblesses et la seule véritable façon de résoudre cette ambiguïté serait de mener une étude clinique randomisée où on pourrait comparer la santé des buveurs modérés à celle d’abstinents, mais une telle étude n’est pas réalisable en raisons de considérations éthiques.  Chose certaine, une interprétation prudente de l’ensemble de ces études est de dire qu’il ne faut surtout pas banaliser les effets négatifs de l’alcool et qu’il est important d’en consommer très modérément pour profiter de ses bénéfices éventuels tout en évitant ses effets nocifs bien documentés (Tableau 2). Historiquement, on considère que les quantités maximales d’alcool qui sont associées à des bénéfices pour la santé sont de 1 à 3 verres par jour pour les hommes et de 1 à 2 verres par jour pour les femmes. À ces faibles doses, l’alcool augmente les taux de cholestérol-HDL, améliore le contrôle de la glycémie et exerce des actions anticoagulante et anti-inflammatoire, ce qui globalement contribue à diminuer le risque d’événement cardiovasculaire, notamment l’infarctus du myocarde. À la lumière des résultats des deux études du Lancet, il semble cependant préférable de diminuer quelque peu ces limites à 2 verres pour les hommes et 1 verre pour les femmes.

La cardioprotection par l’alcool n’est pas un mythe

On assiste depuis quelques années à l’émergence d’un courant de pensée assez radical qui prétend que les bénéfices cardiovasculaires de l’alcool sont un « mythe » et qu’il n’y a aucun niveau de consommation qui soit sécuritaire. Ce message, véhiculé par des organismes comme l’OMS ou encore le Centre canadien des dépendances et l’usage de substances (CCDUS), est cependant basé sur une lecture assez limitée de la recherche; par exemple, dans le récent rapport du CCDUS, les analystes ont sélectionné seulement 16 études sur plus de 5000 publications disponibles, ce qui augmente forcément les risques de biais. Mais même dans ces conditions, le rapport montre clairement une diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques à de faibles quantités d’alcool consommé, en accord avec des centaines d’études d’envergure qui se sont penchées sur cette question, incluant celle du Lancet mentionnée plus tôt (Figure 2B). La conclusion du CCDUS, selon laquelle il n’y a aucun bénéfice sur la santé associé à la consommation modérée d’alcool, va donc à l’encontre de leurs propres résultats et de l’ensemble des données accumulées depuis les 30 dernières années, en particulier en ce qui concerne la diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques comme l’infarctus du myocarde, la principale cause de mortalité d’origine cardiovasculaire. Une dissonance du même type est retrouvée dans un article récent, où les auteurs prétendent que la cardioprotection par l’alcool est un « mythe », tout en présentant du même souffle des données montrant une forte diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques. Autrement dit, les résultats obtenus par la recherche sur l’impact positif de l’alcool à faible dose sur la santé cardiovasculaire ne justifient aucunement la conclusion qu’il n’y a aucun seuil de consommation d’alcool qui soit sécuritaire. À notre avis, les recommandations d’organismes très sérieux comme l’école de santé publique d’Harvard ou encore l’institut national américain pour l’abus d’alcool et l’alcoolisme (NIAAA), soit une consommation quotidienne de 2 verres pour les hommes et de 1 verre pour les femmes, demeurent toujours les plus pertinentes.

Au-delà de ces quantités, par contre, la consommation est clairement abusive, car elle est associée à une augmentation du risque de plusieurs cancers, en particulier ceux de la bouche, du larynx, de l’œsophage, du côlon, du foie ainsi que du sein. L’ingestion chronique de fortes quantités d’alcool est également associée à plusieurs pathologies du système cardiovasculaire, incluant l’athérosclérose, l’hypertension, certaines cardiomyopathies ainsi que des arythmies, ce qui hausse considérablement le risque de mortalité cardiovasculaire. Il faut aussi noter que les beuveries, où de grandes quantités d’alcool peuvent être consommées dans un court laps de temps, sont également associées à plusieurs effets nocifs, en particulier une hausse très importante du risque d’AVC.

Mode de consommationAlcool pur (g)Consommations standardsEffet sur la santé
Légère
< 20 g par jour (hommes)
< 10 g par jour (femmes)
1 verre
¾ verre
Positif
Modérée
20-45 g par jour (hommes)
10-30 g par jour (femmes)
1-3 verres
1-2 verres
Controversé, pourrait dépendre du type d'alcool
Abusive
> 45 g par jour (hommes)
> 30 g par jour (femmes)
Plus de 3 verres
Plus de 2 verres
Négatif
Beuverie (“binge drinking”)
> 60 g en une seule occasion
4 verres et plus
Négatif
Tableau 2. Les différents types de consommation d’alcool. Adapté de Fernandez-Sola (2015).

L’alcool est donc une redoutable arme à double tranchant et il est important de limiter la consommation quotidienne d’alcool à des niveaux faibles, idéalement un maximum de 2 verres par jour pour les hommes et de 1 verre pour les femmes, et même fort probablement un peu moins.

Privilégier le vin rouge 

Le vin rouge est un breuvage complexe contenant plusieurs milligrammes de composés phénoliques (le resvératrol, notamment) qui sont extraits de la peau du raisin au cours du processus de fermentation.   Ces molécules possèdent des propriétés antioxydante, anti-inflammatoire, anti-plaquettaire et vasodilatatrice, ce qui suggère que le vin rouge pourrait entrainer des effets positifs plus grands que ceux associés simplement à la présence d’alcool.

Un des premiers exemples de ces bénéfices est le fameux « paradoxe français », où la consommation régulière de vin rouge serait responsable de la faible incidence de maladies coronariennes observées en France comparativement à d’autres pays occidentaux, en dépit d’un apport alimentaire élevé en gras saturés. Cet effet bénéfique est supporté par une étude danoise qui montrait que les consommateurs modérés de vin rouge avaient un risque de mort prématurée trois fois plus faible que les buveurs de bière ou de spiritueux, ainsi que par les résultats d’autres études réalisées dans le nord de la Californie et dans l’est de la France.

Un autre aspect qui milite en faveur de la consommation préférentielle de vin rouge est son impact plus faible sur le risque de cancer, possiblement en raison de son contenu en resvératrol. En laboratoire, cette molécule possède une des actions anticancéreuses les plus puissantes du monde végétal et pourrait donc contrecarrer l’effet cancérigène de l’alcool. Par exemple, une étude a montré que si la consommation modérée de boissons alcoolisées autres que le vin augmente le risque de cancer de la bouche de 38 %, cette hausse du risque diminue à seulement 7 % chez les buveurs de vin rouge.  Un phénomène similaire est observé pour le cancer du poumon où la consommation modérée de vin est associée à une réduction du risque de ce cancer, tandis que celle de bière et de spiritueux augmente le risque. Il semble donc que la plus grande réduction de mortalité associée à la consommation de vin rouge observée dans plusieurs études soit non seulement liée à un effet protecteur plus prononcé sur le risque de maladies du cœur, mais également à un effet moins néfaste sur le risque de cancer que d’autres types d’alcool. Ce phénomène a également été observé dans l’étude du Lancet mentionnée précédemment: lorsque les auteurs ont examiné la mortalité selon le type d’alcool consommé, ils ont observé une énorme différence de risque entre le vin et les autres types d’alcool, la consommation de vin (jusqu’à 300 g par semaine) étant associé à une légère hausse de 10 % de la mortalité, soit beaucoup moins que celle observée chez les buveurs de bière et de spiritueux (Figure 3).

Figure 3. Relation entre le type d’alcool consommé  (en g par semaine) et le risque de mortalité prématurée. Adapté de Wood et coll (2018).

La supériorité du vin rouge sur les autres types d’alcool est également suggéré par une étude récente portant sur l’association entre la consommation d’alcool et le risque de fibrillation auriculaire (FA), une arythmie qui hausse considérablement le risque d’AVC.  Dans cette étude, les chercheurs ont observé que la consommation modérée d’alcool en général (7 verres par semaine ou moins) était associée à une légère diminution du risque de FA, mais que ce risque  augmentait considérablement à des quantités plus élevées (14 verres et plus par semaine).  Par contre, lorsque la même analyse a été réalisée en tenant compte du type d’alcool consommé, on observe que le risque de FA n’augmente pas chez les personnes qui boivent jusqu’à 14 verres de vin rouge par semaine (Figure 4).  Le vin blanc semble lui aussi minimiser les risques de FA, mais à un degré moindre (hausse du risque qui débute à 10 verres par semaine), tandis que la bière et les spiritueux augmentent ce risque très rapidement, à partir d’environ 3 verres par semaine.

Figure 4. Relation entre le type d’alcool consommé  (en verres par semaine) et le risque de fibrillation auriculaire. Notez qu’un verre correspond à l’unité standard britannique, soit 8 g (10 mL) d’alcool. Les zones grises représentent les intervalles de confiance à 95 %. Adapté de Tu et Coll (2021).

Dans l’ensemble, ces observations confirment les résultats de l’étude INTERHEART et celle du groupe de Akesson montrant que la consommation modérée d’alcool représente un des facteurs du mode de vie qui peut contribuer à diminuer le risque de maladie coronarienne et de mort prématurée. Une étude récente illustre à quel point l’impact de ces habitudes de vie peut être extraordinaire: les personnes de 50 ans qui ne fument pas, mangent sainement, font 30 minutes et plus d’activité physique quotidienne, maintiennent un poids santé (IMC entre 19 et 25) et consomment modérément de l’alcool (5-15 g/jour pour les femmes, 5-30 g/jour pour les hommes) ont 82 % moins de risque de décéder de maladies cardiovasculaires et 65 % moins de risque de mourir d’un cancer.  En pratique, cela se traduit par une augmentation de la longévité de 14 ans pour les femmes et de 12 ans pour les hommes !  Pour être réellement bénéfique, la consommation d’alcool doit donc faire partie d’un mode de vie globalement sain, incluant une alimentation riche en végétaux, une activité physique régulière, le maintien d’un poids corporel normal et, évidemment, l’absence de tabagisme.

 

Des microorganismes intestinaux stimulent la motivation à faire de l’exercice

Des microorganismes intestinaux stimulent la motivation à faire de l’exercice

EN BREF

  • La composition du microbiote intestinal a un effet important sur la motivation de souris de laboratoire à faire de l’exercice selon une étude publiée récemment.
  • Deux bactéries intestinales sont particulièrement associées à une meilleure performance durant l’exercice : Eubacterium rectale et Coprococcus eutactus.
  • Ces bactéries produisent des métabolites, les amides d’acides gras (AAG), qui se lient au récepteur des endocannabinoïdes de type 1 (CB1), situés dans les nerfs sensitifs au niveau de l’intestin et qui sont connectés au cerveau via la moelle épinière.
  • La stimulation du récepteur CB1 cause une augmentation des niveaux de dopamine durant l’exercice, dans une région particulière du cerveau nommée striatum ventral où se trouvent les circuits de récompense.

Il est bien établi que l’exercice physique, pratiqué sur une base régulière, diminue le risque de développer des maladies chroniques, améliore la fonction cognitive et diminue le risque de mourir prématurément. Pour pouvoir profiter pleinement de ces nombreux bienfaits, il faut s’entraîner régulièrement et préférablement sur de longues périodes. Pourtant, nombreux sont ceux qui adoptent un style de vie sédentaire, et pour qui la motivation à faire de l’exercice est basse, voire inexistante. La motivation à faire de l’exercice est régie dans le système nerveux central et nécessite des signaux initiés par la dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans une foule de fonctions, dont le contrôle moteur, l’attention, la mémoire, la cognition, le sommeil, le plaisir et la motivation. Les neurones qui produisent la dopamine sont retrouvés dans des régions du cerveau nommées aire tegmentale ventrale (ATV) et la substancia nigra. Les neurones dopaminergiques se prolongent dans d’autres parties du cerveau afin de réguler les aspects cognitif, émotionnel et motivationnel liés aux comportements associés à une récompense.

La motivation à faire de l’exercice dépend-elle uniquement de notre cerveau et de notre état d’esprit vis-à-vis cette activité ? Il semble que non selon une étude récente réalisée sur des souris qui montre que la motivation est en partie attribuable à des bactéries présentes dans l’intestin. Une découverte surprenante qui est le résultat des efforts combinés de plusieurs équipes de chercheurs.

Afin d’identifier de nouveaux régulateurs de la performance à l’exercice, les chercheurs ont utilisé une cohorte de 199 souris ayant une grande diversité génétique. La cohorte de souris a été soumise à des analyses poussées du génome, de métabolome, du microbiome et leur performance à l’exercice à été évaluée (tapis roulant, roue d’exercice). Les analyses génomiques suggèrent que les gènes contribuent très peu aux différences observées entre la performance à l’exercice des différentes souris.

Puisque des travaux antérieurs (voir ici, ici, ici, et ici) suggéraient que le microbiome aurait un rôle potentiel sur la performance durant l’exercice, les chercheurs ont voulu vérifier si la variabilité de la performance des différentes souris pouvait être attribuée au microbiome, en faisant des expériences dites de « perte de fonction » (déplétion du microbiome) et de « gain de fonction » (transplantation du microbiome). La déplétion complète du microbiome des souris avec des antibiotiques à large spectre a causé une diminution de la performance à l’exercice des souris d’environ 50 %. Au contraire, la transplantation du microbiome de souris performantes à l’exercice à des souris exemptes de germes (souris « germ-free », élevées dans des conditions stériles et ne contenant aucun microorganisme) a augmenté la performance à l’exercice des souris receveuses. De plus, la performance relative à l’exercice des souris receveuses était en corrélation avec celle des souris donneuses. Lorsque les traitements aux antibiotiques à large spectre ont cessé, la performance à l’exercice des souris est revenue à la normale, ainsi que celle des souris exemptes de germes lorsqu’on a cessé de les maintenir dans des conditions stériles. Dans l’ensemble, les résultats de ces expériences suggèrent que le microbiome contribue fortement à la capacité à faire de l’exercice chez la souris.

Afin d’identifier la classe de microorganismes et plus précisément quelles bactéries contribuent à la stimulation de la performance à l’exercice des souris, les souris ont été traitées par des antibiotiques à spectre plus étroit, et les intestins de souris exemptes de germes ont été colonisés avec un seul microorganisme. Parmi les bactéries testées, celles des genres Eubacterium et Coprococcus ont amélioré la performance à l’exercice des souris, à des niveaux comparables à ceux observés pour les souris ayant reçu une transplantation du microbiome complet.

Au niveau mécanistique, les chercheurs ont d’abord vérifié si l’amélioration de la performance à l’exercice par le microbiome n’était pas causée par un effet favorable sur la fonction musculaire. Or les résultats de plusieurs tests indiquent que le microbiome n’a pas d’effet significatif sur la physiologie des muscles. L’attention des chercheurs s’est ensuite portée sur la motivation, un des facteurs importants contribuant à la performance à l’exercice, avec la fonction musculo-squelettique.

Une région du cerveau qui est particulièrement impliquée dans le contrôle de la motivation est le striatum. Comme attendu, les niveaux du principal neurotransmetteur impliqué dans les signaux neuronaux de motivation/récompense dans le striatum, la dopamine, ont augmenté après que les souris ont fait de l’exercice. Or cette augmentation était beaucoup moins importante dans les souris dont le microbiome a été déplété, indiquant un rôle du microbiome dans le relargage de dopamine après l’exercice. Les niveaux de deux autres neurotransmetteurs importants dans le striatum, tels que le glutamate et l’acétylcholine, n’ont pas changé suite à l’exercice ou à la déplétion du microbiome.

De quelle façon des bactéries qui colonisent l’intestin peuvent-elles stimuler les niveaux de dopamine dans le cerveau ? Il y a deux voies possibles : 1) par des facteurs circulant, soit des métabolites produits par les bactéries ou 2) à travers des circuits neuronaux afférents. Des analyses protéomiques sur des échantillons de sang n’ont pas permis d’identifier de métabolite associé significativement à la performance à l’exercice qui est lié au microbiome. Les chercheurs se sont donc concentrés sur les neurones sensitifs qui innervent l’intestin.

Les chercheurs ont utilisé une lignée de souris (Trpv1DTA) dans laquelle une grande partie des nerfs vague et spinaux afférents qui expriment le récepteur vanilloïde sont absents. La performance à l’exercice des souris Trpv1DTA est peu élevée, comparable à celle des souris normales dont le microbiome a été déplété par des antibiotiques. La déplétion du microbiome dans les souris Trpv1DTA n’a pas modifié la performance à l’exercice.

Comment les bactéries intestinales peuvent-elles activer les nerfs sensitifs de l’intestin ? Les chercheurs ont montré que, in vitro, des neurones du nerf spinal isolés sont activés par des extraits fécaux de souris normales, mais beaucoup moins par des extraits provenant de souris sans microbiome. Ce résultat suggère qu’un métabolite provenant du microbiome est impliqué dans l’activation des nerfs sensitifs. Des analyses métabolomiques ont permis d’identifier des candidats, dont plusieurs parmi les plus puissants étaient des amides d’acides gras (AAG), tel le N-oléoyléthanolamide (OEA). Afin de prouver que ces composés peuvent à eux seuls stimuler la performance à l’exercice, les chercheurs ont introduit des suppléments de cinq AAG au régime alimentaire des souris dont le microbiome a été déplété par des antibiotiques. Cette supplémentation a rétabli les signaux générés par les nerfs sensitifs, la hausse des niveaux de dopamine dans le cerveau et la performance à l’exercice. Puis, les astucieux chercheurs ont transformé des bactéries E. coli que ne produisent normalement pas d’AAG en introduisant les gènes responsables de la production de ces métabolites. Les intestins de souris germ-free ont été colonisés avec cette bactérie modifiée pour produire des AAG ou avec la lignée parentale qui ne produit pas d’AAG. La performance à l’exercice a été améliorée par la colonisation avec les bactéries produisant des AAG, mais pas par celle avec les bactéries parentales. Finalement, les chercheurs ont montré que l’effet des AAG est médié par les récepteurs des endocannabinoïdes de type 1 (CB1), situés dans les nerfs sensitifs au niveau de l’intestin et qui sont connectés au cerveau via la moelle épinière.

Les études réalisées sur des souris ne se traduisent pas toujours chez l’humain, mais l’un comme l’autre possède un système endocannabinoïde similaire connecté au striatum ventral. Les résultats de cette étude laissent entrevoir de possibles interventions basées sur l’alimentation pour augmenter la motivation des personnes à faire de l’exercice et d’optimiser la performance des athlètes d’élite.

 

Un régime alimentaire riche en flavonols est associé à un ralentissement du déclin cognitif

Un régime alimentaire riche en flavonols est associé à un ralentissement du déclin cognitif

EN BREF

  • Les participants à une étude qui avaient un apport alimentaire élevé en flavonols ont eu un déclin cognitif plus lent que ceux qui avaient un apport plus faible.
  • Un apport plus élevé en flavonols totaux était associé à un déclin significativement plus lent de la mémoire épisodique, de la mémoire sémantique, de la vitesse perceptuelle et de la mémoire de travail.
  • Parmi les flavonols considérés individuellement, le kaempférol et la quercétine étaient associés à un ralentissement du déclin cognitif, mais non pas la myricétine et l’isorhamnétine.

Les flavonoïdes sont des composés polyphénoliques retrouvés dans les plantes et en grande quantité dans les fruits et légumes tout particulièrement. Ces composés sont surtout connus pour leurs propriétés anti-inflammatoire et antioxydante. Les flavonoïdes ont été associés dans plusieurs études antérieures à un ralentissement du déclin cognitif lié au vieillissement et de la démence. Cependant, peu d’études ont tenté d’identifier quelles sous-classes de flavonoïdes ou quelles molécules individuelles sont les plus actives pour protéger la santé du cerveau. Une étude américaine publiée récemment apporte des éléments de réponse en ce sens, en évaluant l’effet de l’apport en flavonols totaux et flavonols individuels (kaempférol, quercétine, myricétine, isorhamnétine) sur la performance cognitive de personnes âgées.

L’étude a été menée auprès de 961 participants de la ville de Chicago aux États-Unis, âgés de 60 à 100 ans, qui faisaient partie de la cohorte « Rush Memory and Aging Project », et qui ont été suivis durant 6,9 années en moyenne. Les participants, dont l’âge moyen était de 81 ans au début de l’étude, étaient en majorité des femmes (75 %), de race blanche (98 %) et avaient en moyenne 15 années de scolarité. Le régime alimentaire des participants a été évalué en utilisant un questionnaire semi-quantitatif validé, et l’apport alimentaire en flavonols a été déduit à partir des données recueillies. Les performances cognitives des participants ont été évaluées annuellement avec une batterie de 19 tests standardisés.

Un apport alimentaire plus élevé en flavonols totaux et flavonols individuels était associé à une baisse du taux de déclin cognitif global et de plusieurs domaines cognitifs. Un apport plus élevé en flavonols totaux était associé à un déclin plus lent de la mémoire épisodique (souvenirs d’événements personnels), de la mémoire sémantique (mémoire des faits et des concepts), de la vitesse perceptuelle, de la mémoire de travail (mémoire à court terme), mais n’avait pas d’effet sur l’habileté de construction visuospatiale (compréhension et représentation de l’espace en 2 et 3 dimensions).

L’analyse des flavonols individuels indique que des apports plus élevés en kaempférol et en quercétine sont associés à un ralentissement du déclin cognitif. Par contre, la myricétine et l’isorhamnétine n’étaient pas associées à un effet sur le déclin cognitif global. Le kale (chou frisé), les haricots, le thé, les épinards et le brocoli étaient les aliments les plus riches en kaempférol parmi ceux consommés dans cette étude. Les tomates, le kale (chou frisé), les pommes et le thé étaient les aliments les plus riches en quercétine dans cette étude.

Les mécanismes sous-jacents à cette association favorable ne sont pas encore bien compris. Les auteurs de l’étude suggèrent que les propriétés anti-inflammatoires des flavonols pourraient diminuer l’amplitude ou la durée de la neuroinflammation. De plus, les propriétés antioxydantes des flavonols pourraient diminuer, voir prévenir, les dommages cellulaires causés par le stress oxydatif qui génère des dérivés réactifs de l’oxygène (radicaux libres, ions oxygénés, peroxydes).

Une étude antérieure du même groupe de chercheurs avait rapporté que les légumes à feuilles vertes (épinard, chou frisé, chou vert, laitue) et certains constituants dont le kaempférol était associé à un ralentissement du déclin cognitif global. Les auteurs ont conclu que « la consommation d’environ une portion par jour de légumes à feuilles vertes et d’aliments riches en phylloquinone, lutéine, nitrate, folate, α-tocophérol et kaempférol peut aider à ralentir le déclin cognitif avec l’âge. »

Le rôle protecteur de certains flavonols sur la cognition a été démontré dans des modèles animaux. Ainsi, la supplémentation en quercétine améliore la mémoire et l’apprentissage de souris transgéniques utilisées comme modèle animal de la maladie d’Alzheimer. Dans une autre étude, le kaempférol et la myricétine ont amélioré la mémoire et l’apprentissage et réduit le stress oxydatif chez des souris utilisées comme modèle de la maladie d’Alzheimer.

Le design prospectif de l’étude américaine ne permet pas d’établir de lien de causalité entre l’apport alimentaire en flavonols et la cognition. Des essais cliniques randomisés permettraient de confirmer le rôle des flavonols sur les performances cognitives et à plus long terme la prévention du déclin cognitif associé à l’âge. Ce type d’étude permettrait aussi de préciser la relation dose-réponse pour une santé cérébrale optimale. Quoiqu’il en soit, l’étude comporte aussi plusieurs points forts : grand nombre de participants, durée de l’étude, mesure robuste de la cognition par les 19 tests cognitifs, questionnaires validés. Les résultats ont été ajustés pour minimiser les facteurs de confusion résiduels, puisqu’il est possible qu’un apport alimentaire plus élevé en flavonols soit un effet indirect d’une alimentation plus saine. Parmi les limites de cette étude, il y a : l’apport alimentaire auto-rapporté est sujet au biais de rappel ; à cause de leur âge avancé, les participants ont un risque d’atteinte cognitive légère qui pourrait causer des erreurs lorsqu’ils ont répondu aux questionnaires sur l’alimentation ; il subsiste une possibilité de causalité inverse (le déclin cognitif pourrait avoir modifié les habitudes alimentaires des participants). Selon les auteurs, des analyses supplémentaires (analyses de sensibilité) indiquent cependant que la causalité inverse est peu probable.

Les résultats de cette étude suggèrent que la consommation de fruits et légumes (particulièrement les légumes à feuilles vertes) chez les personnes âgées pourrait non seulement les aider à maintenir une bonne santé en général, mais en plus à retarder ou prévenir le déclin cognitif. Toutefois, d’autres études devront être menées pour confirmer et mieux comprendre comment les flavonols ralentissent le déclin cognitif et celui de la mémoire.

Association entre la consommation de viande rouge et le risque de maladies cardiovasculaires : un rôle important des métabolites de la L-carnitine

Association entre la consommation de viande rouge et le risque de maladies cardiovasculaires : un rôle important des métabolites de la L-carnitine

EN BREF

  • Dans une étude prospective américaine (cohorte de 3931 personnes), une consommation plus élevée de viande rouge était associée à une incidence plus élevée de maladie cardiovasculaire athérosclérotique.
  • Cette association défavorable est en partie attribuable aux métabolites de la L-carnitine selon une analyse statistique.
  • La glycémie, les taux sanguins d’insuline et de protéine C réactive sont aussi reliés au risque de maladie cardiovasculaire associée à la consommation de viande, contrairement au taux de cholestérol et à la pression artérielle qui n’y sont pas reliés selon cette étude.

L’oxyde de triméthylamine ou TMAO est un métabolite produit par le microbiome intestinal à partir de carnitine et de choline, deux composés présents en grande quantité dans les viandes rouges telles les viandes de bœuf et de porc. Un taux sanguin élevé de TMAO a été associé à un risque accru de maladies cardiovasculaires (voir notre article sur le sujet).

 

Figure 1. Voies de synthèse de l’oxyde de triméthylamine (TMAO) et de ses intermédiaires. Les flèches en noir représentent les transformations faites par l’hôte et les flèches en rouge, celles réalisées par le microbiote intestinal. Chez les personnes en santé, la γ-butyrobétaïne est aussi synthétisée à partir de l’acide aminé lysine, indépendamment du microbiote intestinal. La synthèse de TMAO et de crotonobétaïne est fortement diminuée par l’administration d’antibiotiques, démontrant ainsi que le microbiote intestinal joue un rôle essentiel dans leur synthèse. Tiré de Wang et coll., 2022.

Une nouvelle étude prospective confirme l’association défavorable entre la consommation de viande rouge et l’incidence de maladies cardiovasculaire et indique que cette association est attribuable en partie au TMAO et autres métabolites apparentés. Parmi les 3931 personnes d’une cohorte américaine âgées de 65 ans et plus, la consommation d’aliments d’origine animale a été estimée à partir de questionnaires détaillés et les taux sanguins de métabolites apparentés au TMAO ont été mesurés au cours de l’étude d’une durée moyenne de 12,5 années. De plus, les taux sanguins d’autres marqueurs possiblement associés aux maladies cardiovasculaires, tel le glucose, le cholestérol, les triglycérides et la protéine C réactive (un marqueur de l’inflammation) ont aussi été mesurés. L’incidence de maladie cardiovasculaire athérosclérotique ou MCA (infarctus du myocarde, maladie coronarienne mortelle, AVC, autres décès causés par l’athérosclérose) a été déterminée à la fin de l’étude.

La consommation de viande rouge non transformée, de viande totale (non transformée et transformée) ou d’aliments d’origine animale, étaient associées à des risques plus élevés de MCA de 15 %, 22 % et 18 %, respectivement, en comparant les participants qui ont consommé davantage de produits de viande (dernier quintile) avec ceux qui en ont consommé le moins (premier quintile). La consommation de poisson, de volaille et d’œufs n’était pas associée à une augmentation significative du risque de maladie cardiovasculaire. La viande transformée considérée isolément était associée à une augmentation de 11 % du risque cardiovasculaire, mais cette augmentation n’était pas significative statistiquement.

Les chercheurs ont procédé à une analyse de médiation, une technique statistique utilisée afin de savoir si un facteur en particulier, ici les métabolites du TMAO, a influencé l’incidence de maladie cardiovasculaire athérosclérotique. Selon les résultats de l’analyse, les trois métabolites générés par le microbiote intestinal à partir de la L-carnitine (TMAO, γ-butyrobétaïne et crotonobétaïne) étaient en partie responsables de l’association défavorable entre la consommation de viande rouge non transformée, de viande totale et d’aliments d’origine animale, avec des proportions de médiation de 10,6 %, 7,8 % et 9,2 % du risque, respectivement. Les chercheurs ont estimé que pour chaque 1,14 portion quotidienne de viande (de toute nature), le risque relatif de MCA augmente de 22 %, se traduisant par 6,32 évènements supplémentaires par 1000 personnes-années.

L’analyse de médiation appliquée à d’autres facteurs de risque potentiels indique que la glycémie, les taux sanguins d’insuline et de protéine C-réactive sont aussi reliés au risque de MCA associé à la consommation de viande (de toute nature), mais que tel n’est pas le cas pour le taux de cholestérol et la pression artérielle. Les proportions de médiation étaient de 26,1 % pour la glycémie, 11,8 % pour le taux d’insuline, 6,6 % pour la protéine C réactive, 0,6 % pour le cholestérol (non significatif) et 0,8 % pour la pression artérielle systolique (non significatif).

Il est important de souligner qu’il s’agit ici d’associations entre la consommation de viande rouge et la présence de métabolites du TMAO et le risque de maladie cardiovasculaire, et non d’un lien de cause à effet. L’analyse de médiation fait ressortir que c’est probablement la L-carnitine et non pas les gras saturés (qui font augmenter le taux de cholestérol sanguin) qui est liée à l’augmentation du risque de maladie cardiovasculaire causé par la consommation de viande rouge. Ces résultats sont en accord avec d’autres publiés récemment qui suggèrent que ce sont la L-carnitine et l’hème de la myoglobine qui sont en grande partie responsables des effets nuisibles (incidence de maladies cardiovasculaires et de cancers) de la viande rouge sur la santé, et non pas les gras saturés.